ORSON WELLES - LE CRIMINEL (1946)

 

Le glaive de la Justice ...

Le plus mauvais film d’Orson Welles. C’est pas moi qui le dit, mais Orson Welles lui-même …

Comme j’ai pas vu tous ses films, je vais pas le suivre ou dire le contraire. Même si effectivement, « Le Criminel » n’est pas son meilleur. Evidemment, quand a tourné « Citizen Kane » (à 25 ans !), tout le reste a toutes les chances de souffrir de la comparaison. « Citizen Kane » c’est le « Sgt Pepper’s » du cinéma, il y a dans le septième art un avant et un après, et quatre-vingts ans après sa sortie, le film est toujours cité comme un des meilleurs, si ce n’est le meilleur jamais tourné …

C’est un peu tout le problème de Welles, trop jeune et trop génial dans une forme d’expression (le cinéma) en pleine expansion, et que quelques studios et financeurs entendent gérer comme une affaire qui tourne et rapporte de plus en plus, l’Art devant s’accommoder des montagnes de dollars déjà en jeu. Welles en fera très rapidement les frais avec le successeur de « Citizen Kane », « La splendeur des Amberson ». Film charcuté au montage (trois quarts d’heures supprimés et détruits à jamais), final rejeté et retourné, la RKO n’y va pas avec le dos de la cuillère …

L'épilogue : Robinson, Young & Welles

Welles est un boulimique, qui a toujours plusieurs projets sur le feu, dont l’essentiel se retrouvent avec un veto hollywoodien. « Le Criminel » (« The Stranger » en VO) est un projet que Welles voulait de toute façon bâcler, sa priorité d’alors étant de tourner avec son épouse légitime Rita Hayworth.

L’histoire a pourtant de la gueule. En 1946, faire un film sur la traque des nazis enfuis à l’étranger relevait de l’actualité brûlante. C’est semble-t-il aussi la première fois que seront montrées au grand public des images (réelles) de reportages sur l’holocauste et les camps d’extermination … sauf que Welles mélange tout, réalité et cruauté historiques, et scénario en totale roue libre. Pour ne rien arranger, Welles interprète un des deux rôles principaux, cabotinant devant la caméra (on se demande s’il joue dans un film ou donne une représentation théâtrale, tant il en rajoute des tonnes). Ce n’est pas le seul problème du casting. Loretta Young, qui joue sa femme dans le film est certes une stakhanoviste des plateaux (elle a commencé à trois ans !), mais est ici totalement dénuée de charisme (de talent ?) et sa (longue) carrière n’est qu’une litanie sans fin de séries B.

Le seul rôle majeur à tirer son épingle du jeu est Edgard G. Robinson (l’inoubliable interprète de Rico « Le Petit César »), en enquêteur (l’inspecteur Wilson) traqueur de nazis (il n’a pas dû avoir besoin de trop forcer, tout dans sa biographie laisse à penser qu’il détestait Hitler, son régime et ses sbires).

« Le Criminel » commence pourtant bien. Robinson veut retrouver Franz Kindler, un des théoriciens et acteurs de la « solution finale », disparu sans laisser de traces lors de la chute du Reich. Il fait libérer un de ses lieutenants (Meinike), et le fait suivre pour qu’il le conduise à son ancien chef. C’est ainsi que nous nous retrouvons à Harper, petit bled du Connecticut, dont le seul centre d’intérêt est une église dotée d’un clocher comportant un mécanisme d’horloge sophistiqué avec procession de personnage symboliques qui marquent les heures.


Et au bout d’un quart d’heure, on a retrouvé Kindler (Orson Welles) qui est devenu enseignant sous le nom de Charles Rankin et vient d’épouser la fille du notable du coin, un juge de la Cour Suprême à la retraite. La ficelle est un peu grosse, mais pourquoi pas … Dès lors, ce coupable que l’on connaît va faire ou tenter de faire disparaître tous ceux qui le relient à son passé où l’ont découvert (Meinike, le chien de sa femme, sa femme, …).

Le film ne sera que la tentative de l’inspecteur pour le confondre. Faut dire qu’il prend son temps et ne se montre guère perspicace. Une phrase de Rankin / Kindler lors d’un dîner (« Karl Marx n’est pas un Allemand, mais un vulgaire juif ») le laisse sur le coup de marbre, il ne percutera que des heures plus tard …

L’épilogue ne fait guère de doute (sans même évoquer le code Hayes) y compris dans sa scène finale qui se veut choc, mais qui nous est amenée plutôt lourdement. Comme Louis XVI, Rankin / Kindler est passionné d’horlogerie, et passe son temps libre à retaper l’horloge récalcitrante du clocher. C’est bien évidemment dans ce clocher que se dénouera l’intrigue …

Il y a quand même des détails qui agacent, et qui montrent le je-m’en-foutisme de la réalisation. Dans le bar du patelin, tous les clients jouent aux dames avec le patron. Sauf que le jeu de dames est un jeu d’échecs (64 cases au lieu de 100), lors d’une partie ce sont les noirs qui commencent (alors que ce sont toujours les blancs), lors d’une autre partie Rankin et son adversaire avancent tous les deux le même pion … On peut aussi déduire que Welles n’est guère bricoleur, ou tout au moins guère porté sur la menuiserie. Lorsqu’il scie un barreau de l’échelle qui mène au haut du clocher, il utilise une scie à métaux et non une scie à bois …

En fait, la seule chose qui sauve (un peu) « Le Criminel » c’est le génie de Welles derrière une caméra. Des angles de vue inventifs (plongée, contre-plongée, …), des panoramiques bien choisis, des gros plans quand il faut. Et surtout un travail phénoménal sur les éclairages, ces jeux d’ombre et de lumière avec ces ombres démesurées et omniprésentes, qui renvoient bien évidemment aux films expressionnistes allemands des années 20.

Ce qui ne suffira tout de même pas pour réhabiliter « Le criminel ».