ZEBDA - ESSENCE ORDINAIRE (1998)

Toulouse ô Toulouse ...

Zebda, c’est le groupe du coin qui s’est retrouvé célébré à l’échelle du pays. Tout çà grâce (ou à cause) d’un titre festif « Tomber la chemise », devenu point de passage obligé de toutes les soirées beauf. Assez paradoxal. Tellement même que Zebda dans cette affaire y a laissé la sienne de chemise.
Zebda, c’est le groupe formé autour de potes d’un même quartier populaire toulousain, qui vient déjà de loin quand paraît « Essence ordinaire ». Repéré en ayant détourné et brocardé une réflexion malheureuse (pléonasme) de Chirac. « Le bruit et l’odeur » avait fait un petit hit dans le milieu des années 90. Et valu à ses auteurs une réputation de groupe festif et engagé. Entretenue avec toute la faconde de l’accent du Sud-Ouest par les trois chanteurs et porte-paroles du groupe, Magyd Cherfi et les frères Amokrane.
Zebda sera musicalement classé quelque part entre IAM (pour l’accent et la dérision) et les Négresses Vertes (pour le côté melting pot festif), le groupe tissant dans ses titres tout un entrelacs de sons et de rythmes venant du rap, du reggae, du rock, de la musique « world » ou folklorique ibérique, maghrébine, d’Europe centrale ou du Proche-Orient. Une mixture sinon inédite, du moins originale, et une notoriété tout de même assez confidentielle.

Une notoriété qui va devenir quelque peu démesurée avec « Essence ordinaire » (comprendre « d’extraction populaire ») et sa locomotive « Tomber la chemise ». Dans la lignée, on entendra beaucoup aussi « Y’a pas d’arrangement » ou « Oualalaradime », construits sur les mêmes rythmes festifs, entraînants et humoristiques. Sauf que l’humour de Zebda est à prendre plutôt au second degré et a atténué l’essentiel d’un propos qui sans être sinistre, est beaucoup plus réaliste. Et que le disque se partage entre chansons « joyeuses » et ambiances beaucoup plus lentes et tristes. Des titres comme « Tombé des nues » (les rêves brisés des gosses), « Je crois que ça va pas être possible » (sur le racisme au quotidien), « Quinze ans » (l’âge ou tout peut basculer dans les cités), « Le manouche » (la solidarité entre « étrangers »), tant musicalement que par le propos, valent bien les « hits ».
Le cœur du discours de Zebda (musicalement, faut être honnête, ça casse pas vraiment des briques, et ça ressemble beaucoup aux Négresses Vertes, en forçant encore un plus sur le trait world), c’est en gros l’intégration. La plupart des textes font allusions aux problèmes et brimades subis au quotidien quand on vient d’un quartier populaire, et qu’on a le teint un peu basané. La dénonciation énervée est facile, et ça peut rapporter aussi gros, l’immense majorité des rappeurs l’a démontré, NTM en tête. Les Zebda ne vont pas aussi loin dans le discours, mais ouvrent les portes à une attitude « positive », « participative ». Motivés. Pour réussir à s’intégrer. Ou comme la bannière politico-associative dans laquelle le groupe s’impliquera lors des municipales de Toulouse en 2001 pour s’opposer à la dynastie des Baudis qui dirigent la ville depuis des décennies.
Un engagement qui coûtera cher à Zebda. Les sept membres du groupe ne s’impliqueront pas tous sur Toulouse, ou le feront à des degrés divers (Cherfi, sentant le piège de l’embrigadement et de la récup politique sera le seul sur la liste aux municipales, et pas en position éligible). On verra le groupe, profitant d’une soudaine et inattendue popularité (« Essence ordinaire » dépassera le million de ventes), s’investir dans beaucoup de causes plutôt bonnes, on les verra beaucoup aux côtés des alter mondialistes, des écolos et d’un José Bové alors en pleine croisade anti-OGM-malbouffe-MacDo … Plusieurs monteront des projets annexes.
La suite, parce qu’il faudra en donner une, viendra quatre ans plus tard (« Utopie d’occase ») et, selon la formule scélérate, « ne trouvera pas son public ». Le groupe disparaîtra de la circulation, certains membres le quitteront définitivement, avant une récente tentative de come-back elle aussi à peu près ignorée… Il faut croire que par ici, il est difficile de mélanger préoccupations sociales et succès populaires. Zebda l’a appris à ses dépens …