JOHN FOGERTY - CENTERFIELD (1985)


Le retour ...

Tiens, et si on causait de l’homme sans lequel il ne serait pas venu à l’idée à Neil Young, Bruce Springsteen et Kurt Cobain entre autres, de se fringuer avec des chemises de bûcheron à carreaux. John Fogerty himself. L’âme de Creedence Clearwater Revival, le plus grand groupe de pur rock’n’roll américain (et donc d’ailleurs).
John Fogerty, un type bien. Sorti de La Mecque des hippies, San Francisco, pour ramer à total contre-courant du Summer of Love. Enfin, ramer n’est pas exactement le terme qui convient, parce que Creedence, dont il était le guitariste, le chanteur et l’unique compositeur, a vendu des millions de singles et d’albums, publiés à une cadence infernale entre 68 et 72. Et puis, la brouille avec son frangin Tom, et plus encore les embrouilles avec le patron du label Fantasy, le futur producteur de films Saul Zaentz (Fogerty et Zaentz passeront des années devant les tribunaux, et Fogerty pendant des années ne jouera plus en public aucun titre de Creedence), mettront un terme à l’aventure Creedence. Fogerty publie un embarrassant disque de country sous l’intitulé « Blue Ridge Rangers » avant un premier album solo éponyme en 1975.
Ses démêlés juridiques le tiendront éloigné des studios d’enregistrement  pendant dix ans. Et alors que tout le monde commençait à l’oublier, il revient avec ce « Centerfield ». Un disque curieux, un 33T avec deux faces bien distinctes.
La première face, c’est un voyage dans la machine à remonter le temps, retour en 1970. Fogerty à lui tout seul (il joue de tous les instruments, guitare, basse, batterie, saxo) refait du Creedence et ces cinq titres valent ceux de son âge d’or, et remettent un certain nombre de pendules à l’heure. Oui, en ce mitan des années 80, on peut faire du strict rock’n’roll sans que ça sonne ringard, et on peut même glisser des titres dans le haut des charts (« The old man down the road », et le fantastique hymne revivaliste « Rock’n’roll girls »). On peut aussi cultiver la nostalgie lucidement avec « I saw it on TV », et son texte qui balaye plus de deux décennies de la vie américaine qui a vu tant de rêves idéalistes se briser depuis l’assassinat de Kennedy. On peut aller encore plus loin en arrière que le rock’n’roll, vers une country au son roots hallucinant (« Big train (from Memphis) ». Et puis, envisager cette parution de disque comme une autre façon de régler ses comptes avec Zaentz (le quasi hard-rock avec ses gros riffs « Mr Greed »).
Et Fogerty doit en avoir gros sur la patate, parce qu’il récidive au final du disque avec un des autres titres qui finiront dans les charts, « Zanz kant danz », allusion guère équivoque. Tellement limpide que, rebelote, nouvelles convocations au tribunal, pour ce titre, le Zanz devenant Vanz sur les rééditions, mais aussi pour « The old man … », que Zaents accuse Fogerty d’avoir plagié sur une chanson qu’il a écrite du temps de Creedence mais dont il n’a plus les droits, « Run through the jungle ». No comment …
Mais surtout, cette seconde face du vinyle met en avant … des synthés, joués ( ? ) aussi par Fogerty. Oui, oui, le représentant du rock le plus bouseux, le plus traditionaliste qui soit, a rempli quatre titres des maudites machines des années 80, avec leur affreux sons (notamment les batteries électroniques Simmons) instantanément reconnaissables. Et même si ces arrangements ne sont pas mis inconsidérément en avant, ils viennent un peu beaucoup parasiter trois compositions. Quant au « Zanz kant danz » dont au sujet duquel j’ai déjà parlé, la question ne se pose pas, il est entièrement « synthétique ». De ces morceaux qui ont malgré tout fait tiquer, ressort pour moi « Centerfield » le titre, dans lequel j’ai bien l’impression que Fogerty s’amuse à imiter Springsteen (alors que jusqu’à présent et dans les meilleurs moments du soi-disant Boss, c’était plutôt l’inverse).
Le succès de ce disque autant improbable qu’inespéré sera considérable, un successeur à la pochette encore plus moche (« Eye of the zombie ») le suivra de près. De trop près, peut-être, et ne marquera guère les esprits. Fogerty tourne maintenant quelque peu dans le circuit revival, ne reformera jamais Creedence, et ne retrouvera certainement plus le niveau de cet inattendu « Centerfield ».

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