PEDRO ALMODOVAR - PARLE AVEC ELLE (2002)


La poésie selon Almodovar ...

« Parle avec elle » est un des films les plus subtils (le plus subtil ?) d’Almodovar. Un de ses plus basiques aussi. Un mélo de derrière les fagots, traité quasiment de façon « académique ».
Sauf un interlude en noir et blanc, film dans le film qui a fait débat, hommage au cinéma muet et aussi à « L’homme qui rétrécit » de Jack Arnold, avec notamment une scène qui voit un homme de quelques centimètres se glisser dans le sexe d’une femme. C’est pas choquant, de toutes façons mon degré de blasitude est tel qu’il en faut plus que çà pour m’émouvoir, c’est juste à mon sens un gros hors-sujet par rapport à l’histoire, et ça montre que c’est un fantasme récurent chez Almodovar (le plongeur-jouet qui explore l’entrejambe de Victoria Abril dans « Attache-moi »). Côté récurent et également hors-sujet par rapport à l’intrigue, un dialogue sur les curés (« si ce ne sont pas des violeurs, ce sont des pédophiles »), témoin d’une rancune-haine tenace que voue Almodovar au clergé, et qui trouvera son développement dans sa pelloche suivante « La mauvaise éducation ».
Les deux "couples" : Benigno & Alicia, Marco & Lydia
Pour le reste, ce film fut une bonne surprise pour beaucoup, Almodovar alignant à l’écran des personnages « vrais », qui ne surjouent pas (ce qu’il a souvent tendance à demander à ses acteurs), au service d’une histoire étonnante. Le choix du sujet est difficile, tout tourne autour de deux femmes qui à la suite d’accidents sont dans un état végétatif irréversible dans une clinique. Les deux personnages principaux sont deux hommes, l’un, Benigno est infirmier, l’autre, Marco est le compagnon d’une des deux femmes. La situation  est traitée avec beaucoup de justesse, en évitant tout misérabilisme lacrymal. En gros, c’est un film, pas un rallye télévisé genre Téléthon. Et quand par la suite, il sera question de viol sur une des deux femmes, là aussi, le ton adopté sera juste, en ne cherchant pas à jouer sur la facilité de gros effets provocateurs, et évitant d’instaurer l’atmosphère scabreuse dans laquelle beaucoup auraient fait sombrer leur histoire.
De nombreux flash-back, signalés par des intertitres à l’écran, nous montrent comment ces quatre personnages en sont arrivés là, et comment leurs destins vont se retrouver liés. Le personnage central, c’est Benigno, joué par un acteur peu connu, Javier Camara, venu du théâtre. D’ailleurs, les trois autres rôles principaux sont également tenus par des quasi-inconnus du grand public (Dario Grandinetti, Leonor Watling et Rosario Flores). C’est Benigno, infirmier a priori remarquable, mais personnage complexe, qui porte sur ses épaules tout le poids d’une existence secrète et renfermée. On pourrait craindre l’analyse psychologique tarabiscotée et plombante, mais Almodovar en montre ou en suggère juste assez pour que l’on puisse cerner le personnage, et « comprendre » ses actes.
En face de lui, les autres rôles sont sinon plus stéréotypés, du moins pas autant fouillés. Lydia, la femme torero détruite par son orgueil macho, son copain Marco, journaliste globe-trotter qui ne comprend pas que de toutes façons il allait la perdre, et Alicia, la danseuse fille de bonne famille. Il n’était pas utile de s’appesantir sur leur caractère, ils subissent tous plus ou moins (et les femmes par la force des choses, passant l’essentiel du film dans le coma) leur situation.
Evidemment, on peut à la fin se dire que cette histoire est trop folle pour être accrocheuse, beaucoup d’éléments du scénario apparaissant totalement invraisemblables. Mais Almodovar n’a pas voulu faire du Dickens ou du Zola revisité par Freud. Ce film n’est pas un fait divers sordide, c’est un long poème. Une poésie déconstruite et ce n’est pas un hasard que le film s’ouvre et se ferme sur deux extraits de ballet mis en scène par Pina Bausch, qui traite la danse comme Almodovar traite la poésie, en rompant pas mal de codes. C’est aussi une réflexion sur l’amour  qui peut faire perdre la raison. L’intrigue par son évolution est dérangeante, glauque, mais Almodovar a rendu une copie qui n’est pas oppressante, il se dégage une humanité, une empathie pour tous les personnages.
Les plus désespérés sont les chants les plus beaux …

A noter que ce film récent n’est pas disponible en Blu-Ray et que la version DVD est ultra-basique (quasiment aucun bonus).