MARK SANDRICH - LE DANSEUR DU DESSUS (1935)

 

Danse avec les stars ...

« Le chanteur de jazz » en 1927 est un film qui n’a guère d’intérêt artistique. Dans l’histoire du cinéma, c’est un film majeur. C’est la première fois que les spectateurs (américains d’abord) voient et surtout entendent des gens parler dans un film. Et accessoirement chanter. Dès lors, un monde va s’effondrer, celui du cinéma muet. Et le cinéma va exploiter toutes les possibilités offertes par le parlant. Une des premières « modes » qui déplacera les foules dans les salles sera le film musical, qui permet de diffuser dans tout le pays ce qui juste-là n’était visible que dans les salles de music-hall en général et à Broadway en particulier. Tout un pan culturel va s’inventer au début des années 30, de nouveaux métiers apparaissent.

Sandrich, Rogers, Astaire & Berlin

Le métier de scénariste se réinvente, tout comme celui de metteur en scène. Les chorégraphes, les compositeurs de musique, les chanteurs et les danseurs deviennent très demandés, de jeunes anonymes du 7ème art prennent d’assaut les majors avec leurs projets. Comme toujours, beaucoup de prétendants, peu d’élus.

Un gars va rapidement se faire un nom. Mark Sandrich il s’appelle. Employé subalterne des plateaux, il observe comment on y travaille et en 1933 remporte l’Oscar du meilleur court-métrage. Il peut dès lors se présenter aux studios avec des projets plus ambitieux. Son truc, ce sera la comédie musicale. D’autres y ont pensé avant lui, et parfois avec des gros succès (Lloyd Bacon et Mervin LeRoy, tous deux chez Warner avec « 42ème Rue », « Prologues » « Gold diggers 1933 », …).

Sandrich va faire le siège de RKO. Avec sa trouvaille, un chorégraphe metteur en scène de spectacles musicaux à Broadway, un certain Fred Astaire. L’accueil des pontes de la RKO est devenu légendaire, en gros ce type ne sait pas chanter, ne sait pas jouer la comédie, il est à moitié chauve, il danse à peu près correctement. Ce qui forcera la décision, c’est que Sandrich et Astaire ont avec eux Ginger Rogers, qui commence à être connue dans le métier.


Le premier film de Sandrich avec le duo Fred Astaire – Ginger Rogers, une reprise à l’écran d’un spectacle de Broadway dont Astaire était le personnage principal « La joyeuse divorcée » en V.F. sera un énorme succès. La formule gagnante sera reproduite à l’identique pour « Le danseur du dessus » (même réalisateur, même équipe technique, les mêmes cinq acteurs principaux reconduits). Seule la partition musicale changera de signature, on passe de Cole Porter à Irving Berlin, avec Max Steiner comme chef d’orchestre ; on reste dans le très haut niveau ce côté-là …

« Le danseur du dessus », en V.O. il s’appelle « Top Hat » (haut-de-forme en français, ce qui n’est pas exactement la même chose), même si les deux titres font sens (les personnages principaux sont coiffés de hauts-de-forme, un des morceaux chantés s’appelle « Top Hat », mais d’un autre côté, Fred Astaire et Ginger Rogers se rencontrent quand le premier fait un numéro de claquettes dans une chambre d’hôtel, empêchant la seconde de dormir dans sa chambre à l’étage au-dessous).

« Top Hat » est une comédie musicale. Dans le sens strict des deux termes accolés. Un scénario de théâtre de boulevard avec gags et quiproquos qui s’enchaînent sans temps mort, entrecoupés de chansons et de parties de danse du couple Astaire-Rogers. Force est de reconnaître que le résultat est bien foutu, avec son casting composé de « gueules » et leur jeu tout en grimaces et roulements d’yeux hérités de l’expressionnisme du muet, Astaire et Rogers s’en sortent plutôt honorablement tant par leur jeu d’acteur (même s’ils ont souvent tendance à en faire des caisses) qu’au chant. En quand ils dansent, là ils crèvent l’écran, en parfaite osmose. Et sans trop tricher, filmés de pied (donc pas de doublures), et avec très peu de raccords (on est en 1935, quand il y a des raccords, ils se voient). On voit la troupe déambuler dans un décor d’hôtels londoniens luxueux au début, et dans un gigantesque décor de Venise en carton dans la seconde partie. Une seule scène est filmée en extérieurs, dans un kiosque à musique sous la pluie (fausse, la pluie), pour la séquence certainement la plus connue du film. A noter que si le nom de Sandrich est peu souvent cité de nos jours, il n’en reste pas moins un technicien remarquable, avec des cadrages au cordeau.

« Top Hat » a été un immense succès aux Etats-Unis pour le duo Astaire-Rogers. Et pour Sandrich, qui en tournera encore deux ou trois avec son couple vedette. Le film sera exporté en Europe. D’une façon bizarre, notamment en France. La version américaine dure 92 minutes. « Le chanteur du dessus » sera réduit de vingt minutes, ce qui n’est pas rien. Des personnages secondaires, des scènes entières sont supprimées ou grandement amputées, certaines situations deviennent quasiment incompréhensibles. Seules n’ont pas été touchées les parties chantées ou dansées. C’est plus un film qu’on a vu en France, c’est un spectacle de music-hall.

Top hats ...

Aujourd’hui, la plupart des éditions Dvd françaises proposent les deux versions, l’américaine restaurée en anglais et/ou sous-titrée, et la version française d’époque, donc techniquement tout juste passable …

Fred Astaire et Ginger Rogers seront les premières superstars de la comédie musicale, avant que le genre s’essouffle, remplacé par les films d’aventures ou les westerns en décors naturels (et souvent en couleurs). Le genre renaîtra plusieurs fois. Dans les années cinquante avec un second âge d’or sous l’impulsion de Sinatra (« Un jour à New York ») et Gene Kelly (« Un américain à Paris » et le chef-d’œuvre absolu « Singin’ in the rain »), le best-seller de Wise « West Side story », en France avec Demy dans les 60’s, aux Etats-Unis dans les seventies (« Phantom of the paradise », « Rocky horror picture show », « Saturday night fever », « Grease », …). Jusqu’à nos jours avec les gros succès des « La La Land » est autres remakes de « West Side story ». La comédie musicale règne depuis des décennies en Inde où Bollywood en produit des dizaines chaque année …

Tout cela sans égaler la magique naïveté des pionniers des années 30, dont « Top Hat » constitue un excellent exemple …