Danse avec les stars ...
« Le chanteur de jazz » en 1927 est un film qui n’a guère d’intérêt artistique. Dans l’histoire du cinéma, c’est un film majeur. C’est la première fois que les spectateurs (américains d’abord) voient et surtout entendent des gens parler dans un film. Et accessoirement chanter. Dès lors, un monde va s’effondrer, celui du cinéma muet. Et le cinéma va exploiter toutes les possibilités offertes par le parlant. Une des premières « modes » qui déplacera les foules dans les salles sera le film musical, qui permet de diffuser dans tout le pays ce qui juste-là n’était visible que dans les salles de music-hall en général et à Broadway en particulier. Tout un pan culturel va s’inventer au début des années 30, de nouveaux métiers apparaissent.
Sandrich, Rogers, Astaire & Berlin |
Le métier de scénariste se
réinvente, tout comme celui de metteur en scène. Les chorégraphes, les
compositeurs de musique, les chanteurs et les danseurs deviennent très
demandés, de jeunes anonymes du 7ème art prennent d’assaut les
majors avec leurs projets. Comme toujours, beaucoup de prétendants, peu d’élus.
Un gars va rapidement se faire
un nom. Mark Sandrich il s’appelle. Employé subalterne des plateaux, il observe
comment on y travaille et en 1933 remporte l’Oscar du meilleur court-métrage.
Il peut dès lors se présenter aux studios avec des projets plus ambitieux. Son
truc, ce sera la comédie musicale. D’autres y ont pensé avant lui, et parfois
avec des gros succès (Lloyd Bacon et Mervin LeRoy, tous deux chez Warner avec
« 42ème Rue », « Prologues » « Gold diggers
1933 », …).
Sandrich va faire le siège de RKO. Avec sa trouvaille, un chorégraphe metteur en scène de spectacles musicaux à Broadway, un certain Fred Astaire. L’accueil des pontes de la RKO est devenu légendaire, en gros ce type ne sait pas chanter, ne sait pas jouer la comédie, il est à moitié chauve, il danse à peu près correctement. Ce qui forcera la décision, c’est que Sandrich et Astaire ont avec eux Ginger Rogers, qui commence à être connue dans le métier.
Le premier film de Sandrich avec
le duo Fred Astaire – Ginger Rogers, une reprise à l’écran d’un spectacle de
Broadway dont Astaire était le personnage principal « La joyeuse
divorcée » en V.F. sera un énorme succès. La formule gagnante sera
reproduite à l’identique pour « Le danseur du dessus » (même
réalisateur, même équipe technique, les mêmes cinq acteurs principaux
reconduits). Seule la partition musicale changera de signature, on passe de
Cole Porter à Irving Berlin, avec Max Steiner comme chef d’orchestre ; on
reste dans le très haut niveau ce côté-là …
« Le danseur du dessus »,
en V.O. il s’appelle « Top Hat » (haut-de-forme en français, ce qui
n’est pas exactement la même chose), même si les deux titres font sens (les
personnages principaux sont coiffés de hauts-de-forme, un des morceaux chantés
s’appelle « Top Hat », mais d’un autre côté, Fred Astaire et Ginger Rogers
se rencontrent quand le premier fait un numéro de claquettes dans une chambre
d’hôtel, empêchant la seconde de dormir dans sa chambre à l’étage au-dessous).
« Top Hat » est une
comédie musicale. Dans le sens strict des deux termes accolés. Un scénario de
théâtre de boulevard avec gags et quiproquos qui s’enchaînent sans temps mort,
entrecoupés de chansons et de parties de danse du couple Astaire-Rogers. Force
est de reconnaître que le résultat est bien foutu, avec son casting composé de
« gueules » et leur jeu tout en grimaces et roulements d’yeux hérités
de l’expressionnisme du muet, Astaire et Rogers s’en sortent plutôt
honorablement tant par leur jeu d’acteur (même s’ils ont souvent tendance à en faire
des caisses) qu’au chant. En quand ils dansent, là ils crèvent l’écran, en
parfaite osmose. Et sans trop tricher, filmés de pied (donc pas de doublures),
et avec très peu de raccords (on est en 1935, quand il y a des raccords, ils se
voient). On voit la troupe déambuler dans un décor d’hôtels londoniens luxueux
au début, et dans un gigantesque décor de Venise en carton dans la seconde
partie. Une seule scène est filmée en extérieurs, dans un kiosque à musique
sous la pluie (fausse, la pluie), pour la séquence certainement la plus connue
du film. A noter que si le nom de Sandrich est peu souvent cité de nos jours,
il n’en reste pas moins un technicien remarquable, avec des cadrages au
cordeau.
« Top Hat » a été un immense succès aux Etats-Unis pour le duo Astaire-Rogers. Et pour Sandrich, qui en tournera encore deux ou trois avec son couple vedette. Le film sera exporté en Europe. D’une façon bizarre, notamment en France. La version américaine dure 92 minutes. « Le chanteur du dessus » sera réduit de vingt minutes, ce qui n’est pas rien. Des personnages secondaires, des scènes entières sont supprimées ou grandement amputées, certaines situations deviennent quasiment incompréhensibles. Seules n’ont pas été touchées les parties chantées ou dansées. C’est plus un film qu’on a vu en France, c’est un spectacle de music-hall.
Top hats ... |
Aujourd’hui, la plupart des
éditions Dvd françaises proposent les deux versions, l’américaine restaurée en
anglais et/ou sous-titrée, et la version française d’époque, donc techniquement
tout juste passable …
Fred Astaire et Ginger Rogers
seront les premières superstars de la comédie musicale, avant que le genre
s’essouffle, remplacé par les films d’aventures ou les westerns en décors
naturels (et souvent en couleurs). Le genre renaîtra plusieurs fois. Dans les
années cinquante avec un second âge d’or sous l’impulsion de Sinatra (« Un
jour à New York ») et Gene Kelly (« Un américain à Paris » et le
chef-d’œuvre absolu « Singin’ in the rain »), le best-seller de Wise
« West Side story », en France avec Demy dans les 60’s, aux
Etats-Unis dans les seventies (« Phantom of the paradise »,
« Rocky horror picture show », « Saturday night fever »,
« Grease », …). Jusqu’à nos jours avec les gros succès des « La
La Land » est autres remakes de « West Side story ». La comédie
musicale règne depuis des décennies en Inde où Bollywood en produit des
dizaines chaque année …
Tout cela sans égaler la
magique naïveté des pionniers des années 30, dont « Top Hat »
constitue un excellent exemple …