Ce disque ne ressemble à aucun autre dans la pléthorique discographie d’Alice Cooper. Enregistré en 1975 à un moment où l’affaire sentait vraiment le sapin. Alice Cooper, le groupe, n’existait plus. Explosé en plein vol dans des relents opiacés et des volutes d’alcool forts, consommés en quantités industrielles, et ce malgré un succès croissant et des hits qui s’accumulaient.
Dorénavant, les choses seraient claires, Vincent Furnier, alias Alice Cooper, serait le seul maître à bord de son projet schizophrénique. Mais s’il a pour ce « Welcome … » viré tous ses anciens compagnons, c’est pour faire une place plus grande encore à l’éminence grise du Alice Cooper sound, Bob Ezrin. Qui de producteur traditionnel du groupe, devient également co-auteur de la plupart des titres. Il faut dire qu’il a pris du galon, gagné de la respectabilité et de la reconnaissance dans le milieu musical. Il vient de produire le « Berlin » de Lou Reed, et le succès, surtout d’estime et critique de ce disque, doit beaucoup aux arrangements baroques et décadents d’Ezrin. Qui fait venir à temps plein sur ce « Welcome … », la fameuse paire de guitaristes Steve Hunter et Dick Wagner, déjà occasionnellement sessionmen d’Alice Cooper, mais surtout très remarqués sur « Berlin » et la tournée apocalyptique qui a suivi, dont furent extraits deux masterpieces live de Lou Reed, « Rock’n’roll animal » et « Live ».
« Welcome … » doit beaucoup à Ezrin. Car le concept de l’album, vu les antécédents d’Alice Cooper, n’a rien de bien surprenant, c’est l’histoire d’une nuit d’angoisse et des cauchemars qui vont avec, d’un jeune garçon, Steven. Et cette horrificque histoire aurait pu s’accompagner d’un quelconque fracas blacksabbathien, d’un hard-rock sombre et convenu comme Alice Cooper n’aura de cesse d’en délivrer depuis. Or toute la réussite du disque vient d’un enrobage sonore souvent enjoué, primesautier et entraînant. Le morceau-titre d’ouverture repose en grande partie sur des cuivres très rythm’n’blues et un piano fou, « Some folks », le titre le plus pop du disque a un rythme de comédie musicale, également de nombreux cuivres, et un refrain en forme d’hymne. "Steven" débute par un thème au piano qui semble venu de la musique classique et qui reviendra dans le titre comme un fil rouge, au milieu d’un crescendo baroque qui évoque fortement le « Berlin » de Lou Reed. Trois titres sinon détonnants, mais tout au moins étonnants dans la discographie d’Alice Cooper, qui était rarement allé aussi loin de ses bases électriques rageuses.
Mais ne surtout pas croire que « Welcome … » serait un disque de prog qui s’ignore. Ca enclume sévère et Hunter et Wagner sont souvent à la fête, alignant riffs dévastateurs et solos ébouriffants. Des choses comme « Department of youth » hymne rock’n’glam parfait, le violentissime « Cold ethyl » et dans une moindre mesure « Escape » ou « Black widow » envoient le bois grave.
Et puis, dans le lot, il y a l’ « Angie » d’Alice Cooper, ça s’appelle « Only women bleed », c’est la ballade qui tue avec un grand orchestre, qui une fois n’est pas coutume chez Ezrin (parfois coupable dans ses productions de pompiérisme redondant), reste plutôt discret et est en tout cas finement intégré à la structure du morceau.
Malgré une paire de titres anodins ou ratés, ce « Welcome … », resté à ma connaissance (il y a fort longtemps que j’ai laissé tomber le Coop et son hard-rock primaire et grand guignol, en gros depuis ce disque-là) sans équivalent dans la carrière de l’homme au boa, constitue une des œuvres les plus intéressantes de sa discographie, et en tout cas la plus abordable …
Enfin, pour l’anecdote, dans le morceau « Devil’s food », Ezrin et Alice font intervenir pour un long récitatif angoissant d’une grosse voix caverneuse, un acteur déjà vieillissant, spécialisé dans les films d’horreur, Vincent Price. C’est le même que l’on retrouvera quelques années plus tard dans exactement le même exercice sur le morceau « Thriller » de Michou Jackson, comme quoi y’a pas que Manu Dibango qu’il a copié, le beau-fils au King …
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