Non, il ne
sera pas question de l’encyclopédie pour ados vendue au porte à porte et qui
eut son heure de gloire dans les 70’s, mais de l’univers de Tim Burton dont
« Edward aux mains d’argent » est le film le plus emblématique, voire
son meilleur …
Même si le
film commence par suivre les pérégrinations d’une vendeuse (excellente Dianne
Wiest) à domicile des produits Avon. Elle bosse dans une banlieue et essaye de
refourguer sa came à ses voisines. Sans succès. De dépit, alors qu’elle vient
de se prendre un nouveau râteau, elle aperçoit dans le rétroviseur le château
gothique qui surplombe le quartier et dans lequel personne ne va jamais. Elle
décide d’y tenter sa chance, se fraye à pied un passage dans un maquis
broussailleux, puis traverse un petit parc magnifique, avec des arbustes en
forme d’oiseaux, de dinosaures, de mains, … au milieu de parterres de fleurs.
Un aspect paradisiaque qui contraste avec celui délabré et menaçant (ses
gargouilles aux sculptures infernales) de la bâtisse. Elle frappe à la lourde
porte, personne ne répond, la porte n’est pas fermée, la commerciale
s’enhardit, pénètre dans une sorte de ruine emplie de poussière et de toiles
d’araignée, arrive jusqu’aux combles éventrés, pour apercevoir une étrange
créature apeurée qui semble vivre sur une paillasse. Là, magnifique silhouette
filmée à contre-jour, qui s’avance lentement et à son grand effroi la Miss
Tupperware voit que cet humain a des lames de ciseaux à la place des mains.
Prise de pitié, elle lui propose de l’emmener dans sa maison familiale, et la
créature la suit … Le film va nous raconter la vie et les aventures de cet
Edward Scissorhands (son nom et le titre du film en V.O.) dans cette famille et
cette riante banlieue …
Burton, Ryder, Depp & Elfman
« Edward
… » est un conte. C’est pas moi qui le dit, c’est Tim Burton lui-même lors
de son commentaire du film … l’occasion de signaler que Tim Burton est pas
volubile, il doit parler en tout et pour tout dix minutes sur l’heure
trois-quarts que dure le film, et pour dire des banalités sans grand intérêt
... enfin il s’en sort mieux dans le même exercice que Danny Elfman, auteur de
la bande musicale, encore plus taiseux sur une version amputée de tous les
dialogues, on a l’impression de voir un film muet en couleurs … Bon,
revenons-en au conte de Burton. Tim Burton, c’est le sosie officiel de Robert
Smith, sans le rouge à lèvres. Et comme le Curiste en chef, il cultive dans son
art un aspect gothique. Le château d’Edward, où se conclura le film est un
« vrai » château construit par l’équipe des décorateurs. Il contraste
avec la banlieue pavillonnaire qu’il surplombe, et me semble grandement inspiré
par celui de Dracula (dans les versions de Todd Browning, de la Hammer ou de
Coppola). Et tant qu’à parler des héros de l’imagerie gothique, le Frankenstein
interprété par Boris Karloff a, par ses cicatrices sur le visage, servi
d’inspiration au look balafré en tous sens d’Edward.
Dianne Wiest & Winona Ryder
Bien sûr,
Edward va détonner dans cette famille d’adoption : le père, col bleu à
tendance alcoolo, la vendeuse Avon, le petit minot, et sa grande sœur, maquée
par un débile baraqué … Dans ce quartier, un vrai quartier de Floride aux
maisons repeintes de couleurs pastel par l’équipe de Burton, et aux personnages
caricaturaux (la quinqua sexy et allumeuse, la chrétienne fondamentaliste, la
commère obèse, sans oublier maris et marmaille dans la lignée), Edward va
susciter une énorme curiosité. Et fera finalement disjoncter tout le monde,
élément perturbateur dans ce monde formaté et réglé comme du papier à musique
(il me semble bien que ces baraques sans âme et la chorégraphie des voitures
qui amènent ou ramènent du boulot doivent pas mal au grand Jacques Tati). Il
n’aura d’autre choix que de revenir dans son manoir, la populace (hors sa
famille d’adoption) à ses trousses, dans une parabole anti-raciste assez
évidente …
Bon, tout ça
pourrait ne servir que de trame à un bon dessin animé (genre auquel Burton
s’attaquera avec « L’étrange Noel de Monsieur Jack » et
« Coraline »), mais on a affaire à un grand film. Grâce à Tim Burton
et à ses deux acteurs principaux, Johnny Depp et Winona Ryder.
Burton avec
« Edward … » s’attaque à son quatrième long métrage. Une comédie
inspirée par « Le voleur de bicyclette », le navet loufoque
« Beetlejuice », une adaptation de Batman foirée malgré un gros
casting (Nicholson, Keaton, Basinger) et une B.O. signée Prince, tout cela
n’avait pas convaincu grand monde (même si pas mal de gens les ont vus). Burton
n’est considéré par personne comme « the next big thing » (à preuve,
après les premiers jours d’exploitation, Avon ne mouftera pas, alors que la
marque est citée plusieurs fois et ses produits guère à leur avantage, estimant
qu’il n’y a pas matière à engager une procédure avec un type catalogué looser).
Avec « Edward … » il va placer la barre beaucoup plus haut, faire un
bon succès au box-office et devenir un réalisateur culte, certes à l’œuvre
assez difficile d’accès, mais un réalisateur bankable. « Edward … »
est un film qui multiplie clins d’œil et références. Celles évoquées quelque
part plus haut, auxquelles il faut rajouter le second rôle tenu par Vincent
Price (le dernier rescapé des vieux de la vieille des antiques films d’horreur,
ce sera sa dernière apparition devant une caméra) qui joue
« l’inventeur » d’Edward, humanoïde inachevé …
Edward, c’est
Johnny Depp, qui porte quasiment le film à bout de bras (ou de ciseaux, comme
on veut). Pas un choix évident, le Johnny était jusqu’alors surtout connu comme
une vedette de série télévisée (« 21 Jump Street »), seul le barré
John Waters venant de lui donner sa chance en tête de distribution dans
« Cry-Baby ». Depp crève l’écran chez Burton, et deviendra d’ailleurs
un de ses acteurs fétiches. Totalement décalé par rapport au monde qui
l’entoure, beaucoup de sentiments, de réactions passent par ses yeux le plus
souvent ahuris. Johnny Depp montre dans ce film qu’il est un grand acteur,
perception parasitée par ses multiples digressions people qui en ont fait pour
beaucoup de la chair à tabloïd.
Lesquels
tabloïds vont se délecter de la liaison qui sera officialisée pendant le
tournage avec sa partenaire Winona Ryder qui joue, comme d’hab, la gentille
fille de famille (celle qui a « recueilli » Edward), nunuche diaphane
et transparente, belle-fille idéale d’une Amérique aseptisée. Pour être franc,
la Winona ne m’a guère convaincu dans ses films … En tout cas, ce couple
improbable réuni par Burton va se retrouver dans la presse people, qui surtout
avec Depp va trouver un sacré client porteur. Pour l’anecdote, archi-connue, il
se fera tatouer sur le biceps un « Winona forever », qu’il
transformera quelques années plus tard une fois leur séparation actée en un
« Wino forever » (poivrot pour toujours) …
A mon sens
toute la réussite du tient dans ses changements de tons. On passe fluidement de
scènes comiques (le braquage raté, le matelas à eau, la drague lourde des
femmes du quartier, …), à des séquences gothiques (celles tournées dans le
manoir) chargées de drames (le final plutôt gore, la mort de Vincent Price, …).
C’est cet
équilibre a priori détonnant qui fait la qualité et la réussite du film …
Jonathan
Demme avait tout pour être un réalisateur de seconde zone. Quasiment vingt ans
passés derrière la caméra, une dizaine de films, au mieux sympathiques. Et puis
au début des années 90, alors que pas grand monde aurait mis une piécette sur
lui, il va sortir deux incontournables. En 93, le quelque peu surestimé
« Philadelphia », mélo larmoyant avec le SIDA et ses conséquences
comme thème. Et avant, en 91, le film dont au sujet duquel je vais causer,
« Le silence des agneaux ».
Demme, Foster & Hopkins - Oscars 1992
« Le
silence … » est un polar, ou un thriller psychologique, s’il faut lui
coller une étiquette. En fait, « Le silence … » est beaucoup plus que
ça. Comptablement, une affaire qui tourne, très gros succès commercial et
critique. Et en 92, le film rafle les cinq Oscars les plus convoités (meilleur
film, acteur, actrice, scénario et mise en scène). Sans qu’on puisse de quelque
façon crier au scandale (c’est pas toujours le cas), même s’il y avait en lice
pour ce millésime des choses pas vraiment mauvaises, genre « Thelma et
Louise » ou le second « Terminator ». Remporter le colifichet
devant Ridley Scott et James Cameron, Demme avait même pas dû en rêver
lorsqu’il mettait « Le silence … » en chantier. Faut dire qu’il avait
de la matière au niveau du scénario, copie parfaite rendue par Ted Tally (son
seul vrai fait de gloire), d’après une série de bouquins de Thomas Harris,
centrés sur le personnage (fictif) d’Hannibal Lecter, éminent psychiatre et
serial killer cannibale.
Le film se
resserre sur l’histoire qui est narrée. On n’a jamais droit, et c’est assez
rare pour être souligné, à l’exposition familiale des héros. Pas de petit ami
qui a des états d’âme, pas de parents larmoyants ou qui justifient les actes de
leur progéniture. Les trois personnages principaux sont des solitaires, tout
repose sur leur interaction dans les faits et leur déroulement, pas de
digression … Clarice Starling a-t-elle un mec (ou une nana) ? Hannibal
Lecter était-il battu par sa mère ? Buffalo Bill a-t-il été marié et a-t-il
des gosses dépressifs ? On n’en sait rien et c’est tant mieux, les deux
heures du « Silence … » racontent une histoire et pas ses à-côtés …
Et pour le
même prix, on a deux thrillers pour le prix d’un … la confrontation Starling –
Lecter et la traque de Buffalo Bill, Lecter étant le point d’articulation des
deux histoires.
Clarice de l'autre côté du miroir ...
Jodie Foster (Clarice
Starling) est la plus cotée du casting. A même pas trente ans, elle a déjà
vingt ans de métier, un second rôle très remarqué dans « Taxi driver »,
et un Oscar pour l’oublié « Les accusés ». Anthony Hopkins est un
type connu dans le monde des acteurs (surtout au théâtre), beaucoup moins du
grand public. Son interprétation du terrifique Hannibal Lecter en fera une star
du grand écran. Ted Levine (Buffalo Bill), Scott Glenn (le supérieur de
Starling), ou Anthony Heald (le toubib responsable de l’hôpital-prison où est
enfermé Lecter), n’auront pas cette chance, ils resteront à peu près confinés
au seconds rôles …
Ce qui
impressionne dans « Le silence … », c’est la limpidité des histoires
racontées. Alors que l’analyse, la psychanalyse et la psychiatrie en sont le
moteur, c’est accessible pour le blaireau lambda comme moi (ceux qui ont essayé
de suivre les arcanes des « héros » de Night Shyamalan après « Sixième
sens » savent de quoi je parle …). Clarice Starling, diplômée en
psychologie et criminologie, est une stagiaire du FBI qui ne ménage pas sa
peine (Jodie Foster n’est pas doublée dans la scène d’introduction, l’entraînement
dans la forêt) et attire l’attention de son supérieur qui lui confie une
mission-bizutage : aller essayer d’obtenir d’Hannibal Lecter des indices
qui pourraient mener sur la piste de Buffalo Bill, sérial killer qui enlève,
tue et dépèce des jeunes femmes bien en chair. Sauf que Lecter a envoyé sur les
roses et ridiculisé tous les spécialistes qui ont essayé d’établir un dialogue
avec lui …
La jeune stagiaire
est une proie facile pour l’intelligence supérieure de Lecter. Il n’a pas
besoin de la déstabiliser, elle est dans ses petits souliers lors de la
première rencontre. Lecter va jouer avec elle, se servir de son « innocence »,
lui donner quelques indices sous forme de jeu de pistes pour trouver Buffalo
Bill (il fut un de ses patients qu’il a identifié grâce à son « mode
opératoire »), avoir toujours un ou plusieurs coups d’avance
psychologiques avec un but : s’évader … ce qu’il réussira d’une façon aussi
spectaculaire et angoissante (pour le spectateur) que morbide … Et Clarice,
grâce aux indices de Lecter, va traquer seule le psychopathe, pendant que ses collègues
du FBI sont sur une fausse piste …
David Lee Roth ? Non, Buffalo Bill ...
Starling,
comme tous les héros sympathiques, est courageuse par défaut, donc une
trouillarde refoulée. Forcément mal à l’aise devant l’esprit très supérieur de
Lecter, elle n’en mène pas large lorsqu’elle doit affronter dans l’obscurité un
Buffalo Bill équipé de lunettes infrarouges. Ce sont ses faiblesses et la somme
de ses peurs qui en font une héroïne populaire dans le bon sensdu terme. Hopkins est magistral dans le rôle
de Lecter, une des plus grandes interprétations de serial killer portées à l’écran.
Il domine tout ceux qui lui sont confrontés (la rencontre de Lecter, sanglé et
muselé, des dizaines de flics arme au poing autour de lui, sur le tarmac d’un
aéroport avec une sénatrice, mère de la dernière fille kidnappée par Buffalo
Bill, résume assez bien le personnage). Il s’amuse avec Clarice, proie trop
facile pour lui, (elle essaye de le piéger en lui promettant une amélioration
de ses conditions de détention, il lui fait raconter son enfance, fille d’un
flic descendu par un petit braqueur et ensuite élevée chez un oncle à la
campagne, qui explique ses angoisses récurrentes et le titre du film). Ajoutez quelques
répliques culte (« j’ai dégusté son foie avec des fèves au beurre et un
excellent chianti », « j’ai un vieil ami pour le dîner ») et pas
étonnant que Hannibal Lecter se soit retrouvé au centre de suites ou de préquels
de son personnage (loin cependant d’égaler la qualité du « Silence … »).
Même Jonathan
Demme qu’on n’attendait pas à un tel niveau se surpasse, jouant à la perfection
avec les nerfs des spectateurs, insistant sur la fausse piste du cocon de papillon
trouvé dans la gorge des victimes (qui donne lieu à la seule scène légère dans
le labo de deux entomologistes) et réussissant un génial montage alterné sur
des troupes du FBI s’apprêtant à lancer un assaut contre la supposée maison de
Buffalo Bill, pendant que celui-ci effectue un numéro de danse transsexuelle. Les
robocops du FBI sonnent à la porte, Buffalo Bill va ouvrir, et là, surprise garantie
…
On a rarement
l’occasion de voir un film où pas une scène n’est de trop, dans lequel toutes
les pièces du puzzle mis en place s’imbriquent de façon parfaite … j’envie ceux
qui le visionnent pour la première fois …
De la série des Indiana Jones ? De Spielberg ?
Des films d’action et d’aventure ? Si on veut, et même si on veut pas d’ailleurs,
tant on a affaire à un film hors-norme …
Spielberg, Lucas & Ford : tiercé gagnant
Qui a mis à l’écran un personnage créé de toutes
pièces pour les besoins d’un film, l’archéologue-aventurier Indiana Jones (entendez
par là que c’est pas un héros de bande dessinée type Marvel, ou de romans d’espionnage
à la James Bond). Non, Indiana Jones est né si l’on en croit la légende d’une
discussion sous les palmiers à Hawaï entre George Lucas et Steven Spielberg,
même pas soixante dix ans à eux deux au moment des faits, et déjà un passé bien
rempli niveau succès au box office …
Le résultat, pour moi, c’est mater une page blanche
sur le traitement de texte … Qu’est-ce que vous voulez bien que je raconte sur
ce film qui n’ait pas été dit ou écrit des centaines de fois et en mieux à la
télé, sur des journaux, dans les recoins du Net ? Même E.T. ou l’Alien
doivent avoir donné leur avis …
Eux, il les aime pas ...
Moi, ce qui me scotche, c’est passé le pré-générique
en incrustation sur trois types qui avancent en sueur dans la jungle, les dix « vraies »
premières minutes du film (jusqu’au coup du serpent dans l’hydravion). Il se passe
un truc exceptionnel au sens littéral du terme toutes les dix secondes. Ces dix
minutes-là, des types connus et reconnus derrière la caméra n’en ont même pas
rêvé comme le final d’un film, et Spielberg l’a fait, jeté là en guise d’amuse-gueule
... Moi c’est bien simple je vois que deux trucs qui approchent (sans l’égaler)
ces premières scènes. Le début de « GoldenEye » (James Bond chez les Soviets)
qui se termine par cette cascade surréaliste de Bond balançant une moto dans le
vide pour l’abandonner, continuer en chute libre et s’assoir aux commandes d’un
avion sans pilote en piqué dans le même ravin. Et le début de « Game of
Thrones », à l’opposé, tout en lenteur glaciale et glaçante, sans
quasiment un mot, au milieu de paysages enneigés avant que les Marcheurs Blancs
(les zombies de George RR Martin) commencent à décapiter du patrouilleur de la
Garde de Nuit … En fait, le cinéma c’est comme le rock, si t’as une bonne
intro, t’es quasiment sûr que le morceau va être réussi (l’occasion de signaler
que John Williams a pondu un thème aussi évident qu’un titre de Chuck Berry) … Et
« GoldenEye » est un des meilleurs James Bond, et « GoT »
est peut-être bien le phénomène culturel de ce début de siècle, une odyssée qui
oblige à repenser le terme de « série » … et « Les aventuriers
de l’Arche perdue » enterre toute concurrence passée, présente et future
dans son genre, et Moïse et ses Tables de la Loi doivent le savoir, c’est pas
faute d’impétrants qui s’y sont essayés dans le genre …
Eux non plus ...
« Les aventuriers … » c’est le film qui
rend le surnaturel naturel … et je suis pas vraiment fan des nuages de fumée maléfiques
(le « Dracula » de Coppola, « Ghostbusters », « The Thing »
de Carpenter, etc … enfin « The Thing » mauvais exemple, le film est
bon). « Les aventuriers … » ce sont les scènes improvisées qui
deviennent culte (l’Arabe en noir avec un grand sabre qui se prend une balle,
au départ ce devait une baston avec Indy et son fouet, Harrison Ford avait la
gastro, pouvait pas jouer une scène de combat et a donc suggéré que la
confrontation soit expéditive)… Tiens, Harrison Ford, en voilà un qui a intérêt
à dire du bien de Lucas et Spielberg, jouer Hans Solo chez l’un et Indiana
Jones chez l’autre, ça t’évite quand même d’aller sur le simulateur de retraite
du gouvernement, pour voir quel cercueil tu vas pouvoir te payer quand t’auras
fini de bosser, si t’es pas déjà mort avant …
« Les aventuriers … » est un film parfait,
un rythme qui ne faiblit jamais, c’est drôle quand il n’y a pas d’action, et
même quand il y en a (Indiana Jones n’est pas Jason Bourne ou Rambo), ses
exploits sont souvent accidentels, parce qu’il se retrouve pris dans l’imprévu
et qu’il improvise. Sous cet aspect-là, il est un peu le père de John
McLane-Bruce Willis dans la série « Die Hard », et le fils de
Belmondo dans « L’homme de Rio » (l’influence revendiquée de
Spielberg, alors que tout le monde a cru que le modèle d’Indiana Jones c’était
Tintin, raté, Spielberg connaissait pas les BD d’Hergé …)
Elle, il l'aime bien ... quand il a le temps ...
Le scénario (Lucas et Spielberg pour la genèse,
Lawrence Kasdan et Philip Kaufman pour l’écriture, c’est quand même une putain
de Dream Team tout ça) prend le temps (mais où l’ont-ils trouvé le temps) de
poser le personnage d’Indiana Jones, parce que dès le départ, si le premier marchait
(il a un peu marché, rapporté vingt fois la mise, un des films les plus
rentables des années 80), une ou plusieurs suites étaient prévues. Quand il est
pas casse-cou à la recherche de bibelots antiques, Mr Jones est un type assez
compliqué dans ses rapports familiaux et amoureux (son ancienne promise Marion,
bien interprétée par Karen Allen, traverse le film à cent à l’heure, encore
plus speed que son (ex)mec), il aime pas les serpents et les nazis, deux espèces
particulièrement dangereuses qu’il croisera souvent dans les autres épisodes de
la série, qui seront bons, mais pas autant que l’inaugural (malgré des séquences
encore plus folles, Spielberg et son héros ne retrouveront pas le rythme effréné
du premier).
Donc, pour répondre à mes trois questions à la con
du début, « Les aventuriers de l’Arche perdue » est le meilleur de la
série, le meilleur film d’action et d’aventure des cent trente dernières années
… et le meilleur de Spielberg ? Pas loin pour moi. Pour faire mon malin, je
vais vous dire que je préfère le plus atypique des ses films, « Lincoln »,
tout en lenteur et tons sombres, avec (comme toujours) une prestation extraordinaire
de Daniel Day-Lewis …
Y’a des façons de commencer
plus mal derrière une caméra. « 12 hommes en colère » est le premier film
de Sidney Lumet. Qui aura sa décennie de gloire dans les roaring seventies,
avec Pacino (« Serpico », « Un après-midi de chien »), ou pas (« Network »),
et qui, la chose est suffisamment rare pour être soulignée, terminera sa
carrière cinquante ans après ses débuts par un autre grand film (« 7h58 ce
samedi là »). Lumet, c’est en gros le type qui filme l’envers du décor,
les histoires tout sauf glamour, où des héros en papier viennent se fracasser
sur les murs des réalités. Les personnages de Lumet, c’est souvent des
anti-héros Marvel …
Fonda, Lumet & Cobb
« 12 hommes en colère »
est un chef-d’œuvre, un classique … avec plein de défauts, cependant emportés
par le souffle épique et la tension du film. Bon, évacuons ce qui peut piquer
aux yeux. Des raccords plus qu’approximatifs, ainsi des cendriers pleins avant
d’être à moitié, des auréoles de transpiration grandes comme des ballons de
foot qui ont disparu la scène suivante, …, c’est assez couillon quand on filme
un huis-clos dans la continuité. Et puis, le revirement assez inattendu et
plutôt irrationnel des derniers partisans de la culpabilité …
Bon, il aurait peut-être fallu
que je sois moins bordélique et commencer par l’histoire. « 12 hommes … »,
c’est un film de tribunal, et pour être encore plus précis, un film sur la
délibération d’un jury. Amené à se prononcer sur la culpabilité ou pas d’un
minot basané accusé d’avoir poignardé son père. Il a tout contre lui, l’ado,
des menaces publiques envers son vieux, un stiletto qu’il exhibait devant ses
potes et qu’on retrouvera dans la poitrine du macchabée, des témoins visuels du
meurtre et de sa fuite, pas d’alibi, un casier déjà épais comme un bottin, et j’en
passe…
Tout ça, on l’apprend très vite
après un plan d’exposition sur un Palais de Justice à New York (on situe), et
un laïus du juge qui explique aux jurés comment ça se passe une délibération. Soit
unanimité pour la culpabilité (et dans ce cas-ci, c’est chaise électrique),
soit unanimité pour la non-culpabilité (on relâche le prévenu). Si les avis
sont partagés, délibération du jury nulle et on rejugera avec un nouveau jury …
Les jurés se lèvent (tous des hommes, en ce temps-là, aux USA comme ailleurs,
les femmes faisaient le ménage et la bouffe et n’avaient pas à s’occuper de « choses
sérieuses », pas un Black ni un « coloured » non plus, on est en
1957 dans une Amérique qui n’a pas encore « digéré » l’affaire Rosa
Parks), et le regard perdu de l’ado les accompagne quand ils rejoignent la
salle de délibérations (c’est la seule fois où on le verra, d’ailleurs il est même
pas crédité au générique).
Premier vote du jury ...
Dès lors (et hormis la courte
scène finale à la sortie du Palais de Justice, où les deux premiers à avoir mis
en doute la culpabilité s’échangent leurs noms), tout le film va se passer dans
cette salle de délibérations, quasiment en temps réel. Atmosphère suffocante,
en plus de la tension qui très vite s’installera entre les douze, c’est aussi
la journée la plus chaude de l’année, et c’est pas le gros orage qui surviendra
qui rafraîchira l’ambiance …). Le temps que les débats commencent, les discussions
entre jurés montrent clairement la tendance, le gosse est coupable sans aucun
doute possible, et les personnalités en présence se dessinent. Pourtant, lors
du premier vote, un juré se prononce pour la non-culpabilité. C’est un
architecte, qui n’a aucune certitude, mais se pose des questions. Ce juré est
interprété par le grand Henry Fonda, habitué des personnages « positifs »
(même si son rôle le plus connu sera une décennie plus tard l’inoubliable
salopard de « Il était une fois dans l’Ouest »). Son voisin de
chaise, un retraité et le plus âgé du groupe, le rejoindra au vote suivant et tous
deux devront affronter le mépris, l’incompréhension, voire la haine des plus virulents
du groupe.
Le génie du film, en plus d’une analyse psychologique et sociologique des gens présents, sera aussi de refaire l’enquête
(le coup du même stiletto acheté par Fonda, la reconstitution du trajet du
témoin boiteux dans son appartement), de pointer du doigt les questions
légitimes pesant sur les deux témoins oculaires du meurtre, et petit à petit, d’instiller
le doute chez les autres jurés. Dès lors les tenants de la non-culpabilité
deviennent plus nombreux au fil des votes, certains par leur vécu ou leur
expérience, amenant de nouveaux éléments à décharge …
Reconstitution tendue entre Fonda & Cobb
L’issue est prévisible, l’intérêt
étant de montrer quel va être l’argument qui fera basculer les votes
successifs. Ça se complique scénaristiquement quand ils ne sont plus qu’une poignée
(la versatilité du publiciste et du gars qui veut pas rater le match de
baseball, ouais, un peu limite quand même). Le coup des lunettes avec l’assureur
qui ne transpire jamais est discutable (si la femme témoin est presbyte et pas
myope, l’argument de la « défense » ne tient pas), le speech du
raciste se tient, sa « capitulation » morale beaucoup moins (quand on
est raciste, c’est pour la vie, on devient pas un bisounours sous le simple
poids du regard des autres), et l’effondrement du plus véhément partisan de la culpabilité
(énorme prestation de Lee J. Cobb) qui transfère sur le basané accusé la haine
que lui-même voue à son fils avec lequel il est plus qu’en froid, c’est quand
même de la psychanalyse à deux balles …
Ce qui est aussi fabuleux,
comme c’est souvent répété, c’est que si de nombreux éléments peuvent permettre
de disculper l’accusé et d’installer un « doute raisonnable », rien n’indique
cependant que le minot ne puisse pas être coupable … C’est aussi à ma
connaissance le premier film « de tribunal » à se concentrer
uniquement sur la délibération du juré.
Deux remarques pour finir. Il y
a parmi les jurés un horloger qui intervient plusieurs fois sur la thématique
de l’Amérique pays de la liberté et de la démocratie. Faut regarder le film en
V.O. pour comprendre. Le type parle avec un accent étranger, c’est le plus tatillon
pour défendre les valeurs du pays qui l’a accueilli. Dans la version française,
il n’a pas d’accent, du coup ses sorties sont pas aussi clairement explicables …
Ensuite le publicitaire, assez distant et imbu de sa personne. Il ne m’étonnerait
pas que son look (costard-cravate, clope au bec, cheveux gominés et raie
impeccable sur le côté) ait servi d’inspiration aux créateurs de la série « Mad
Men » (pour les Hommes de Madison Avenue, lieu des agences publicitaires
new-yorkaises au début des 60’s) pour leur personnage principal de Don Draper …
« 12 hommes en colère »
est aujourd’hui reconnu et célébré comme un immense classique du cinéma. Un peu
à l’image de toute l’œuvre de Lumet, la reconnaissance ne sera pas immédiate et
malgré les merveilles qu’il a sorties, la « profession » ne le
couvrira jamais de louanges, ne le récompensera pas beaucoup (juste un Oscar d’honneur
tardif pour l’ensemble de sa carrière) …
Robin des Bois, un type qui
apparemment n’a jamais existé a été moultes fois adapté au cinéma. Passons sur les
cartoons Walt Disney, les films russes et de Bollywood, reste un gros paquet de
versions anglo-saxonnes du personnage. Avec pour interpréter celui qui vole aux
riches pour donner aux pauvres, quelques grosses stars, Douglas Fairbanks,
Russell Crowe, Kevin Costner, Sean Connery entre autres. L’interprète le plus
emblématique restera sans doute Errol Flynn. Pour deux bonnes raisons :
parce que sa vie est encore plus rocambolesque que celle de son personnage, et
parce que « Les aventures de Robin des Bois » laisse assez (ou très)
loin derrière toutes les autres versions du noble malandrin de la forêt de
Sherwood.
Olivia de Havilland & Errol Flynn
« Les aventures de Robin
des Bois » est pensé pour être un gros succès. Et une prise de risque pour
la Warner, société de production d’une quinzaine d’années et qui jusque-là
s’était cantonnée (avec bonheur) à des comédies musicales (Prologues »,
« 42nd Street ») ou des films de gangsters (« L’ennemi
public », « Le petit César »), et qui avait sa star, James
Cagney. C’est Cagney qui est au centre de tous les projets de
« diversification » de la Warner. Mais voilà, des histoires
contractuelles à base de paquets de billets verts entraînent une tension entre
l’acteur et les gros cigares, et il refuse systématiquement tout ce qu’on lui
propose. Sauf que la Warner trouve facilement un remplaçant pour son adaptation
de Robin Hood. C’est un gars qui vient de se faire remarquer dans un de ses
films d’aventures, ayant dépassé populairement les attentes du studio. Le film,
c’est « Capitaine Blood » et l’acteur c’est Errol Flynn.
Il y a quand même un os. Errol
Flynn n’est pas le genre de gars à se mettre béatement au garde-à-vous devant
ses patrons. Il est plutôt du genre ingérable, bourré en permanence à la vodka,
et toujours prêt à baiser tout ce qui lui passe à portée (hommes, femmes, peu
importe …). D’un autre côté, il a l’avantage d’être un charmeur né, beau gosse
baraqué et sportif. A une paire de prises près, il fera les cascades du film.
Et comme on ne change pas une équipe qui gagne (et qui rapporte), le premier
rôle féminin de « Robin des Bois » sera confié à sa partenaire dans
« Capitaine Blood », la jeunette (22 ans) Olivia de Havilland.
Parenthèse. Olivia de Havilland décèdera à 104 ans, sera nominée cinq fois aux
Oscars de meilleure actrice, en remportera finalement deux, et entretiendra une
relation compliquée, parfois haineuse avec sa sœur Joan Fontaine. Olivia de
Havilland sera une actrice d’une précision de jeu diabolique, toujours d’une
justesse remarquable, évitant d’en faire trop. Contrairement à Errol Flynn, qui
a toujours tendance à en rajouter devant la caméra …
Cooper, Rathbone & Rains : les méchants
Les scénaristes de la Warner se
mettent au boulot, piochant personnages et situations dans les versions
précédentes, et en créant de nouveaux (personnages et situations). L’objectif
est clairement défini : faire du film un divertissement à grand spectacle,
basé sur la traditionnelle opposition entre les bons et les méchants. Et en
utilisant toutes les techniques de pointe de l’époque. « Les aventures de
Robin des Bois » est souvent présenté comme la première référence majeure
en terme de Technicolor (format 1,37 :1) et couleurs criantes pour ne pas
dire criardes. Les collants vert moule-burnes de Flynn deviendront aussi
célèbres que lui, quasiment toutes les scènes en extérieur sont vraiment en
extérieurs (dans un parc naturel californien).
Au centre, Curtiz & Rains
Pour l’histoire il faut faire
dans le basique. Les gentils sont très gentils et un peu cons, les méchants
sont très méchants et très cons. Le trio de méchants est constitué de deux
grandes figures de méchants de l’époque, Claude Rains et Basil Rathbone, auquel
se rajoute le méchant comique, Melville Cooper. Un peu comme dans les cartoons,
le but du jeu est de capturer Robin des Bois, en utilisant des pièges
invraisemblables, dans lesquels Robin se jette à pieds joints, et s’en échappe
d’une façon encore plus invraisemblable (genre dans une baston à un contre
cent, et pas une égratignure). Il y a dans le film tout ce qu’il faut pour
faire du populaire, au sens noble du terme : de l’action, de l’amour, des
trahisons, des rebondissements, pour un résultat couru d’avance … Et tant pis
si rien n’est vraisemblable. Voire pire, tant pis s’il faut réécrire
l’Histoire. L’action est censée se passer alors que Richard Cœur de Lion est
prisonnier à son retour de croisade, et que son frère Jean Sans Terre tente de
se faire proclamer roi d’Angleterre, sur fond de frictions entre Anglais
(descendants des envahisseurs Normands) et Saxons (les populations originelles
de l’île). Dans le film, le retour de Richard précipite le dénouement. Dans les
faits, il est tué en France (siège de Châlus) et Jean sans Terre règnera une
quinzaine d’années… Passons aussi sur les scènes de bataille à l’épée, celles
d’époques étaient le double, et dans le film les acteurs ne frappent pas
d’estoc et de taille, ils font de l’escrime …
Par contre, sur d’autres
points, le réalisme est poussé à l’extrême. Robin de Bois est censé être un
archer d’exception et Flynn est doublé au tir à l’arc par Howard Hill, plus
grand archer de son temps (c’est lui que l’on voit opposé à Robin dans le concours
de tir à l’arc). Plus fort, c’est Hill qui tire sur les figurants (une plaque
en fer surmontée de balsa dans lequel de vraies flèches se plantent est sous
leurs vêtements) … Sacrés risques, ils devaient serrer les fesses, les
figurants …
Grands décors (en carton) et costumes
Il n’y a pas que des scènes de
baston qui en foutent plein les yeux. La scène du sacre de Jean (beaucoup de
figurants en costume d’apparat) est grandiose et réglée au millimètre. Le
prestige du film rejaillira sur son réalisateur. Sauf que si Michael Curtiz
voit son nom écrit en gros, c’est un peu comme pour « Autant en emporte le
vent » l’année suivante, un film auquel plusieurs réalisateurs ont mis la
main à la pâte. Un habitué de la Warner, William Keighley commence le tournage,
prend son temps, lambine, et finit par se faire éjecter au profit de Curtiz.
Qui n’avance pas assez vite, et une partie des scènes d’action sera tournée par
un troisième réalisateur qui n’a pas vu son nom passer à la postérité (un petit
contractuel de la Warner ?). En fait, « Les aventures de Robin des
Bois », beaucoup plus qu’un projet de scénariste et de réalisateur, c’est
un projet de studio avec cahier des charges très écrit préalable…
Résultat au-delà des espérances
(gros succès populaire planétaire à la clé), et film d’un charme et d’une
qualité kitsch remarquables. Sans parler de ses remakes et déclinaisons, un modèle
et une référence pour des décennies de films d’action et d’aventure …
On va commencer par la fin … le
support. Apparemment une version de 2021 d’un Blu-ray plus ancien, distribué
par Studio Canal via Universal. Studio Canal, ils sont souvent coupables de
rondelles bâclées genre service minimum. Cette version du « Lauréat »
est tout bonnement somptueuse. D’après une restauration du film en 4K (c’est
juste du 1K sur le Blu-ray, mais ça suffit, les films vieux de plusieurs
décennies supportent pas toujours très bien la très haute résolution), son 5.1
DTS en V.O… Et au moins six ou sept heures de bonus, dont trois commentaires
intégraux du film (Mike Nichols & Steven Soderbergh, Dustin Hoffman &
Katharine Ross, et un prof de cinéma (?) allemand). Commentaires pas toujours
captivants sur la durée (notamment celui du prof allemand, qui fait du
commentaire audio stricto sensu, nous décrivant ce qu’on voit à l’image, mais
c’est une joie de l’entendre prononcer dans sa langue natale des « Mizzizz
Robinnzzzonn »). Se rajoutent quasi une heure d’interview de Mike Nichols
(sur l’ensemble de sa carrière, mais « Le lauréat » y tient une place
importante), un exposé sur la place du film dans le cinéma des 60’s, des
interventions de personnalités pour qui il a vraiment compté (avec notamment un
Henry Rollins, théoricien du punk hardcore et tous tatouages en avant, qu’on ne
s’attendait pas forcément à retrouver là), un laïus sur la musique dans le film
(par là aussi une Allemande, filmée chez elle devant sa bibliothèque dans
laquelle on voit des milliers de bouquins, mais pas un seul vinyle ou Cd, d’où
une intervention farcie de clichés, d’approximations et d’inexactitudes), le
screen test d’une longue scène entre Hoffman et Ross qu’on ne retrouvera pas
dans le film, des interviews d’acteurs et de gens qui ont participé à
l’élaboration du film, et j’en passe … Le tout intégralement sous-titré en
français, ce qui là aussi est suffisamment rare pour être souligné …
Hoffman, Bancroft & Nichols
« Le Lauréat » c’est
d’abord un bouquin. De Charles Webb, paru en 1962, écrit alors qu’il n’avait
que 21 ans, et inspiré par le milieu étudiant californien dont il faisait
partie. Les droits du bouquin sont quasi immédiatement rachetés par un petit
producteur, Lawrence Turman, qui y met toutes ses économies (1000 dollars). Il
donne le bouquin à lire à son copain Mike Nichols, les deux compères décident d’essayer
de l’adapter au cinéma. Ce sera le premier film de Nichols. Un premier
scénariste, Calder Willinghan bosse sur le projet, rien de bon n’en sort, et
c’est finalement un quasi inconnu, Buck Henry qui reprend le boulot. Contrats
léonins hollywoodiens, c’est Willingham (qui n’y est pour rien) qui voit son
nom cité en premier dans les crédits du film. Buck Henry aura cependant une
contrepartie, c’est lui qui interprète le réceptionniste hilarant du Taft Hotel
dans le film, ce qui lui vaudra d’entamer une carrière intéressante de seconds
rôles et d’écriture de scénarios.
Le réalisateur, c’est donc Mike
Nichols. D’origine allemande (il a fui avec ses parents le régime nazi),
parcours à l’Actor’s Studio, connu des initiés pour son duo comique à succès
avec Elaine May, il se tourne à New York vers la mise en scène théâtrale, où
son boulot est remarqué et reconnu, et c’est un pote de Robert Redford.
D’ailleurs dès que le projet « Le Lauréat » est mis en chantier, le
quatuor d’acteurs envisagé se compose de Robert Redford, Candice Bergen (Benjamin
et Elaine), Ronald Reagan (!) et Doris Day (?) pour les parents Robinson.
Problème, la préparation du film prend trois ans, et entre-temps Nichols va
tourner son premier long-métrage. Pas exactement n’importe lequel, puisqu’il
s’agit de « Qui a peur de Virginia Woolf ? » avec le couple
Burton-Taylor recréant dans un huis-clos les engueulades avinées qui étaient
leur quotidien dans la vraie vie. Pluie d’Oscars et de nominations à la clé, et
donc les choses peuvent s’accélérer pour la mise en chantier du
« Lauréat ».
« Qui a peur … » a
été tourné en noir et blanc. « Le Lauréat » sera aussi en noir et
blanc, mais en couleurs … Je m’explique. Grâce au génie (mot parfois vite utilisé,
mais qui ici prend tout son sens) du directeur photo Robert Surtees, doyen de
l’équipe du film. Des images en couleurs donc mais tout en contrastes
clair/obscur, noir/blanc. Colossal boulot sur les éclairages pour obtenir ces
contrastes, grosse imagination pour les costumes (la mère de Benjamin, jouée
par Elizabeth Wilson, actrice de théâtre, connaissance Nichols, et personnage
le plus drôle du film, est toujours habillée en noir et blanc). Avant toute
autre considération, « Le Lauréat » est un chef-d’œuvre visuel. Un
plan génial toutes les dix minutes, en gros. Les plus remarquables, la caméra
subjective d’un Ben en tenue de plongée à travers son masque, les personnages
filmés dos au soleil quand Ben est dans la piscine, la jambe de Mrs. Robinson
en train de remettre ses bas au premier plan avec Ben au second plan (le visuel
de beaucoup de supports vidéo), l’arrivée de Mrs. Robinson lors du premier
rendez-vous à l’hôtel que l’on voit se refléter dans la table en verre, la même
dans l’entrebâillement de la porte lors de l’aveu de Ben à Elaine, … et le plus
beau de tous, ce plan en légère contre plongée des deux amoureux à l’hôtel avec
cadrage à l’oblique (déjà vu dans « Citizen Kane », et dont Welles
(ab)usera dans « La soif du mal »).
Les belles images, ça flatte
les pupilles, mais si ça donne de belles scènes, c’est encore mieux. De ce
côté-là, ça se bouscule aussi. Ça se bouscule tellement, qu’il n’y a
pratiquement rien à jeter pendant une heure trois-quarts. Certes, Nichols est
un metteur en scène maniaque et les scènes étaient très écrites. On apprend
cependant que quelques-unes parmi les plus mémorables sont dues à des
improvisations. Deux exemples. Quand Benjamin ramène Mrs. Robinson chez elle et
qu’elle commence salement à l’allumer assise au bar, lorsque Benjamin est en
face d’elle mais pas dans l’axe de la caméra, Anne Bancroft pose une jambe sur
un tabouret, dévoilant à Dustin Hoffman ses sous-vêtements, c’était pas dans le
script, et ça n’a fait que rajouter un vrai trouble à celui qu’il jouait.
Retour de manivelle, lors de la première rencontre dans la chambre d’hôtel,
Hoffman n’était pas bon. Au bout de quelques prises, Nichols le prend à part,
et lui dit de se comporter comme la première fois qu’il a touché une fille. Et donc
quand Bancroft enlève son chemisier, il lui pose gauchement la main sur le
sein. Elle est surprise, on le voit une fraction de seconde dans ses yeux, elle
improvise en frottant son chemisier comme si elle enlevait une tache ou de la
poussière. Là Hoffman disjoncte, sent le fou-rire le gagner, tourne le dos et
va se cogner la tête contre un mur pour évacuer le fou-rire. Bancroft croit que
la scène va être coupée, c’est très visible par son relâchement, Hoffman
revient, enchaîne sur le dialogue écrit, et elle le suit. Ce morceau de scène
improvisé a été gardé et ce flottement dans le jeu des deux acteurs bien apparent
participe pourtant à sa réussite.
Esprit d'Orson Welles, sors de ce corps ...
Le casting du
« Lauréat » va se révéler exceptionnel. Il va lancer la carrière de
Dustin Hoffman, choisi sur une intuition inspirée de Nichols et Turman. Hoffman
est un acteur de théâtre new-yorkais qui commence à faire parler de lui. Il
vient de prendre une agent, qui lui conseille de tenter l’audition à Los
Angeles. Il y va sans conviction, ne reçoit pas un bon accueil de Nichols, qui
lui fait cependant faire un bout d’essai avec une autre quasi débutante,
Katharine Ross. Toutes les parties concernées l’avouent, ils sont tous les deux
choisis un peu par défaut, étant jugés moins mauvais que les autres acteurs
castés. Anne Bancroft, l’autre sommet du triangle majeur du film était elle un
des premiers choix des producteurs, et livre une fantastique performance de
garce intégrale. Autre anecdote, l’acteur quasi débutant qui devait jouer Mr.
Robinson avait été choisi depuis quelque temps. Voyant que les débuts du
tournage étaient sans cesse reportés, il a rendu son contrat et est allé
tourner un autre film. Ce choix, vu le succès qu’a rencontré « Le
Lauréat », aurait pu lui être fatal. Il faut croire que pour lui les
planètes étaient bien alignées. Cet acteur c’est Gene Hackmann et le casting
qu’il a rejoint c’est celui de « Bonnie & Clyde » …
De belles images, des scènes
d’anthologie, des acteurs magnifiques, c’est déjà beaucoup. Mais « Le
Lauréat » a connu un immense succès parce qu’il raconte une histoire qui
fait exploser les codes convenus et puritains du cinéma hollywoodien. Avec un
autre film « scandaleux », « Bonnie & Clyde », il va
poser les jalons de ce qu’on appellera par la suite le Nouvel Hollywood, quand
au début des années 70, de nouveaux réalisateurs (Scorsese, Coppola, Spielberg,
…) et de nouveaux acteurs (De Niro, Dunaway, Pacino, Redford, Nicholson,
Streep, …) viendront à leur tour bousculer l’establishment … L’histoire du
« Lauréat » est ancrée dans son époque, ces années soixante où tous
les codes moraux et sociaux établis commencent à voler en éclats. La trame
générale n’est pas forcément originale au cinéma. « Le Lauréat »,
c’est Dustin Hoffman, fils de famille CSP+ comme on dirait aujourd’hui qui
vient brillamment de finir un cycle d’études lui assurant à l’avenir une belle
réussite professionnelle. Lors de la réception donnée en son honneur par ses
parents, il se fait brancher violemment par une de leurs amies, Mrs Robinson,
et va entamer avec elle une liaison purement sexuelle. Jusqu’à ce que la fille
des Robinson, Elaine rentre à la maison quelques semaines plus tard et
impressionne rapidement le puceau maintenant dévergondé. La mère-amante va
devenir jalouse et rivale, et la fille ne va évidemment pas apprécier la
situation.
Le point de départ, l’histoire d’amour
avec une grande différence d’âge n’est pas nouvelle. « Lolita » bien
sûr, mais même le couple Scarlett O’Hara – Rhett Butler dans « Autant en
emporte le vent » avaient labouré avec succès (et scandale) le même
terrain. « Harold et Maude » explorera de façon plus sensible et
poétique le même sujet, et tout le monde s’y mettra par la suite, même en
France (Cayatte avec « Mourir d’aimer » sur l’affaire Gabrielle
Russier, jusqu’au douteux Brisseau avec « Noce blanche »). « Le Lauréat »
ne se contente pas d’un point de départ, il nous montre aussi le cheminement
des personnages. Ce qui pousse Mrs. Robinson a jouer les cougars, l’évolution
de Benjamin qui s’extrait peu à peu de son rôle d’objet et d’esclave sexuel,
l’évolution des relations entre Ben et Elaine, du mépris sordide affiché par le
premier au début, jusqu’à l’enlèvement final … Ce film dans lequel tout est
permis, et surtout ce qui relève de l’interdit bien-pensant s’ancre
parfaitement dans les bouleversements qui secouent la Californie de la seconde
moitié des sixties (les hippies de San Francisco, la drogue, l’amour libre, la
contre-culture surtout musicale, …).
Et bien avant que ça vienne à
l’idée de Mylène la Fermière, la génération désenchantée, elle est dans
« Le Lauréat ». De la seconde scène, plan fixe sur un Dustin Hoffman
raide sinon rigide sur un tapis-roulant d’aéroport pendant que défile le
générique et qu’il y a en fond sonore « The sounds of silence »
(« Hello darkness my old friend, I’ll come to talk with you again
… »), jusqu’à la dernière, avec Hoffman et Ross qui une fois les rires et
l’adrénaline de leur escapade retombés, fixent du fond du bus l’objectif de la
caméra et qu’on voit l’inquiétude poindre dans leur regard. Et la question se
pose : peut-il y avoir une happy end, de l’avenir et de l’espoir dans un
monde dans lequel on se sent étranger ?
Un des rares reproches faits à
Nichols c’est d’avoir zappé voire sous-estimé ces éléments contemporains à son
scénario. Oui et non, le bouquin a été écrit en 62 et adapté fidèlement, mais
Nichols le raccroche à 66-67 avec le personnage du logeur de Benjamin à San
Francisco (extraordinaire second rôle de Norman Fell) et son questionnement
répété et suspicieux à Benjamin pour savoir s’il ne fait pas partie de ces
jeunes étudiants « agitateurs ». Sur le tournage, l’équipe du film s’est
retrouvée en connexion avec l’actualité, les étudiants du campus de Berkeley où
ont été tournées des scènes, se montrant réservés voire hostiles à l’arrivée
des caméras et des acteurs … Et puis Nichols s’est raccroché à l’actualité musicale
de son époque, en confiant l’essentiel de la bande-son à Simon et Garfunkel, on
y reviendra … Autre ratiocination de comptables dénigreurs, l’âge des
protagonistes, précisé dans le bouquin et cité dans le film. Ben a 21 ans
(Hoffman en a 30), Elaine aussi (Ross en a 26), Mrs. Robinson 42 ans (Bancroft
en a 35). Le jeu des acteurs (et aussi le talent des maquilleuses) gomment ces
différences d’âge …
Des cathos aussi ont vu rouge.
La base de l’histoire (une femme mariée qui débauche le fils de ses amis)
n’était pas faite pour leur plaire, mais le final du film les a … crucifiés.
Généralement, dans toutes les comédies romantiques, le mariage est arrêté avant
le « oui » fatidique. Ici, il a été prononcé et le mariage vole en
éclats quelques secondes plus tard. Les forces de la bien-pensance sont
repoussées par Hoffman qui se sert d’une croix comme d’un épée, avant
d’utiliser cette croix pour condamner la porte de l’église et s’enfuir avec la
mariée consentante … ça a fait tousser dans les évêchés … pour l’anecdote, une
autre controverse est purement fortuite. La scène a été tournée dans une vraie
église louée pour l’occasion. D’après le scénario Hoffman devait frapper
violemment la cloison de verre à coups de poing. Le pasteur du cru, resté pour
surveiller le tournage, a pris peur pour son carreau géant, et menacé
d’expulser toute l’équipe si la scène était tournée de cette façon. D’où un
Hoffman obligé de frapper le grand carreau avec les paumes de ses mains, bras
écartés. Ceux qui en avaient envie ont vu un nouveau blasphème dans cette pose
christique, ce qui n’était pour le coup pas prémédité …
Dans la même lignée, on a eu
droit à quelques gloussements des ligues bien-pensantes à cause de l’apparition
de façon subliminale du nombril et des seins d’Anne Bancroft, quand Benjamin la
raccompagne chez elle et qu’elle s’offre à lui. Le scandale a failli être
évité. Anne Bancroft avait refusé d’apparaître seins nus. Nichols dépêcha des
assistants dans des clubs de strip-tease pour trouver une professionnelle
présentant à peu près les mêmes caractéristiques morphologiques. Pas de chance,
la première amenée sur le plateau refusa d’être filmée et il fallut de nouveau
courir les clubs pour en ramener une autre, juste avant que Nichols ne se
décide à abandonner ces plans fugaces. Par contre, aucune remarque concernant
la strip-teaseuse (en fait une étudiante en médecine) qui effectue son
effeuillage façon burlesque et vient faire tourner ses plumes sur les épaules de
Katharine Ross. Le fait qu’une soit dans le film une bourgeoise mère de famille
et l’autre une danseuse de cabaret provoquerait-il chez les ligues de vertu des
réactions différentes ?
« Le Lauréat » est
également novateur dans la façon d’utiliser la musique. Il est présenté comme
le premier film ayant utilisé une majorité de musique pop (donc récente et
contemporaine) dans sa bande son. Je veux bien, si on considère que
« Quatre garçons dans le vent » de Richard Lester n’est pas un film,
ce qui reste malgré tout à démontrer. Mais soit. Dans « Le Lauréat »
les transitions musicales sont signées Dave Grusin que l’on retrouvera souvent
sur les musiques des films de Pollack. Le reste est de Paul Simon (et
Garfunkel). Le duo pop-folk commençait à percer sur la côte Est et en bon
new-yorkais Nichols avait acheté leur disque (il n’apparaît pas très
connaisseur en matière de pop-rock-folk-machin cela dit) « The sound of
silence » qu’il écoutait tous les jours selon ses dires. Il a pris contact
avec la Columbia pour les droits (et un peu avec Paul Simon). La Columbia les
lui a accordés (et même ceux du suivant « Parsley, sage, rosemary &
thyme »), Paul Simon devant même fournir pour l’occasion une chanson
originale. Ce qu’il avait plus ou moins oublié et que Nichols lui a rappelé
lors d’une rencontre de travail. Simon a profité de l’occasion pour quasiment
se débarrasser d’une ébauche de titre (il n’y avait de finalisés qu’une mélodie
et un couplet, pour une durée d’une minute et demie), initialement baptisé
« Mrs Roosevelt » et qu’il a transformé en « Mrs
Robinson ». On entend trois fois ce titre, une fois sifflé, une fois en
instrumental et une fois avec les paroles existantes à ce moment-là. Le succès
du film et la mélodie entêtante du morceau ont conduit Paul Simon à en terminer
l’écriture et c’est devenu un des incontournables du duo …
Après des heures d’avis
d’intervenants sur les bonus, un point reste en suspens. Si les influences du
« Lauréat » sur des films à venir paraissent indiscutables, d’où
vient « Le Lauréat » au niveau cinématographique ? Nichols dit
que son film préféré est « Un tramway nommé Désir », ce qui peut se
comprendre, Nichols vient du théâtre et le film de Kazan est l’adaptation de la
pièce de théâtre, et notamment grâce à Brando, dégage une sensualité voire une
sexualité implicites. Un intervenant nous dit que Nichols aimait la Nouvelle
Vague française. Manque de bol, on a droit à un bout d’interview hallucinant où
Nichols, jusque-là mais également ensuite très calme, modéré, courtois, so
british pourrait-on dire, se lâche contre les critiques français toujours aussi
nuls, parlant de ces « froggies qui n’y comprennent rien ». On
s’explique pas trop ce mépris quasi insultant, quand on sait que les critiques
français, notamment ceux des Cahiers du Cinéma sont devenus des Truffaut ou
Godard … Alors, la Nouvelle Vague et Nichols ? Ben je vais vous donner mon
avis …
Qu’il le reconnaisse pas, que
des gens s’en soient aperçus ou pas, il me semble que « Le Lauréat »
doit pas mal au « Mépris » de Godard. Pour deux raisons. La première est
un détail visuel. La voiture offerte par ses parents à Benjamin pour son
diplôme et qu’on voit dans beaucoup de scènes est un cabriolet Alfa Roméo
Spider rouge. Exactement le même modèle couleur comprise que celui que conduit
Jack Palance dans « le Mépris » … Coïncidence troublante. Mais la
similitude la plus flagrante vient de la plus longue scène du
« Lauréat » située au milieu du film. On y voit dans une chambre
d’hôtel Ben et Mrs. Robinson avoir une longue discussion parfois très tendue où
tous les ressorts psychologiques des personnages sont explorés. On comprend
pourquoi elle l’a branché, les relations inexistantes avec son mari, celles de
quasi haine pour sa fille, et on voit Ben en train de se débarrasser de sa
timidité complexée et de vouloir rompre avec son unique rôle d’objet sexuel. On
passe de disputes et de paroles blessantes échangées en réconciliations, de
faux-départs en vrais retours, d’habillages puis de déshabillages. Si c’est pas
un quasi copier-coller de la scène d’une demi-heure entre Bardot et Piccoli
dans « Le Mépris », je veux bien passer le reste de l’hiver à regarder
l’intégrale des Tuche en boucle …
Happy end ?
Tous ceux qui ont participé au
« Lauréat » seront les stars de l’année 68. Plus dure sera la chute
pour beaucoup. Seul Dustin Hoffman deviendra une énorme star hollywoodienne.
Ross n’aura droit qu’à un autre second rôle populaire (dans « Butch
Cassidy et le Kid ») avant de disparaître du haut des castings, Anne
Bancroft ne retrouvera plus également de succès équivalent. Et Mike Nichols, de
demi-succès publics en critiques pas trop mauvaises (mais jamais en même temps)
aura au terme de ses deux premiers films fini son parcours en haut du
box-office…
Et puisqu’on est entré depuis
longtemps dans la longueur de chronique vraiment déraisonnable, tant qu’à faire,
un mot sur Hoffman et #metoo. Il a été souvent cité comme au mieux ayant eu des
comportements déplacés envers des femmes (actrices ou pas) du milieu du cinéma.
Et les histoires pas toujours drôles le concernant commencent avec « Le
Lauréat ». C’est lui qui le dit dans une interview solo donnée à
l’occasion de la restauration et de la sortie du film en Blu-ray et que l’on
trouve dans les bonus. Il a selon ses termes « pincé » les fesses de
Katharina Ross lors d’une prise, pour selon lui, la motiver pour la scène. Il
reconnaît qu’une fois la prise terminée, elle était folle de rage de ce geste
et le lui a fait savoir sans ménagement. Selon lui, c’est oublié et ils sont
devenus bons amis … Il n’empêche que lorsqu’ils commentent tous les deux le
film (une quarantaine d’années après sa sortie), il lui tient des propos assez équivoques,
proches d’une drague lourdingue, et au son de sa voix, et surtout de ses
silences, on sent que Katharina Ross est loin d’apprécier ses compliments
douteux …
Ceci étant, vous l’aurez
compris, film indispensable …
« California dreaming » est la plus belle
chanson des 60’s (avis ferme, définitif et incontestable) et donc forcément aussi
des décennies suivantes. Alors si elle est dans la B.O. d’un film, j’ai tout de
suite un a priori très favorable, c’est comme ça … Dans « Fish tank »,
on l’entend trois fois. Bon, dans la version de Bobby Womack, qui vaut pas l’originale
des Mamas & Papas, mais qui est très bien tout de même. Et si « California dreaming » était pas
dans la B.O., « Fish tank » serait quand même un putain de grand film
…
Un grand film … ouais, mais je sais même pas si « Fish
tank » est ce que l’on a coutume d’appeler un film. C’est une tranche de
vie. On sait pas vraiment ce qui s’est passé avant, et on n’a pas la moindre
idée de ce qui va se passer après la dernière image. Peu importe …
Andrea Arnold & Katie Jarvis
On voit souvent cité à propos de « Fish tank »
le nom de Ken Loach, le grandmaster du cinéma social anglais. Ce qui n’est pas
stupide. Sauf que dans « Fish tank », y’a pas de message, ni directement,
ni en filigrane … Plus rarement, on évoque le « Rosetta » des
frangins Dardenne. Comparaison pertinente également, surtout si on n’oublie pas
de mentionner Emilie Dequenne. Parce que Emilie Dequenne, pour son premier
rôle, crevait l’écran et portait « Rosetta » à elle seule …
Dans « Fish tank » y’a encore plus fort.
Une parfaite inconnue (repérée par une copine de la réalisatrice alors qu’elle
se disputait avec son copain sur un quai de gare) est l’héroïne du film et
présente dans toutes les scènes, et sur sa seule prestation fait de ce qui
aurait été un film sympa mais un peu plombant un pur bijou. Elle s’appelle Katie
Jarvis, et a totalement disparu des radars une fois le tournage terminé. Elle n’était
pas au Festival de Cannes où « Fish tank » a récolté le Prix du Jury
(elle avait une excuse, elle était enceinte jusqu’aux yeux) et n’est jamais
réapparue devant une caméra. Un cas à peu près unique …
La réalisatrice de « Fish tank » c’est
Andréa Arnold, adepte du cinéma vérité. Par les thèmes abordés, et la façon de
filmer (en extérieurs, y compris dans des logements de 40 m², et caméra à l’épaule).
Heureusement, c’est en couleurs, sinon plus austère tu peux pas … et c’est pas
une tocade de réalisatrice à la recherche d’un coup d’esbroufe. Tout ce que je
connais d’elle (des courts-métrages dont un oscarisé, présents en bonus du Dvd,
et l’excellent « American honey ») font passer la rigueur technique
aux oubliettes.
« Fish tank », c’est quelques semaines de
la vie de Mia, une adolescente d’une quinzaine d’années des quartiers que pudiquement
on appelle défavorisés (ici, ceux de l’Essex, banlieue Nord de Londres). Mia est
une solitaire, ne va plus à l’école, et passe ses journées dans un logement
abandonné à s’entraîner à danser du hip hop, au son de deux minuscules
enceintes reliées à un discman, et vêtue de joggings à capuche Prisu informes. Elle
a tout juste le sens du rythme, et pour ce qui est des figures acrobatiques, c’est
la cata. Mais elle s’obstine, son but c’est de gagner sa vie en dansant … Que
ceux qui s’imaginent voir quelque chose ressemblant à « Fame » ou « Dirty
dancing » sachent qu’ils sont très loin du compte, les vilains petits
canards ne deviennent pas des cygnes gracieux chez Arnold…
Mia a une mère, encore jeune, poivrote et fêtarde, qui
peut se permettre de s’habiller moulant et sexy, et une jeune sœur. Ont-elles
le même père, on en sait rien, y’a plus d’homme à la maison. La majorité des
échanges de ce triangle féminin consiste généralement en une bordée d’insultes.
Alors forcément, un tel milieu, ça t’endurcit, et Mia n’est pas vraiment une
tendre. Quand elle rencontre d’anciennes copines qui la chambrent, c’est à
coups de boule qu’elle met un terme final à l’embrouille … Mia est sauvage,
rebelle. Alors quand elle passe à côté d’un terrain vague où campent des roms
et qu’elle voit une jument à l’air malheureux enchaînée à un bloc de béton,
elle essaie de la libérer. S’enfuit quand les jeunes roms la repèrent. Revient le
lendemain, manque de se faire tabasser voire pire, se fait détrousser. Et revient
encore récupérer son sac et son discman. Et là, elle sympathise (un tout petit
peu) avec un jeune rom.
Jarvis & Fassbender
Ce ne sont pas les occasions de voir du monde qui
lui manquent, à Mia. Mais c’est pas son truc, la vie sociale. Quand des amis et
amies à sa mère viennent dans leur minuscule appart danser, flirter, fumer des
joints et picoler, elle leur pique une bouteille et va se saouler toute seule dans
sa chambre. Mia finit quand même par être intriguée par Connor, le nouveau mec
de sa mère (un superbe Michael Fassbender débordant de sensualité animale, et
seul acteur professionnel du film), commence par lui faire les poches et lui
piquer un peu de fric, avant de l’« accepter ». C’est lors d’une balade
familiale dominicale qu’elle se laissera un peu « apprivoiser »,
Connor lui faisant découvrir sur le lecteur Cd de sa bagnole la version de « California
dreaming » de Bobby Womack. Mia laissera un peu tomber ses rythmiques rap
pour s’entraîner à danser hip hop sur Bobby Womack. Elle s’inscrira à un
casting de danseuses la tête pleine de rêves … A partir de là, ça pourrait,
comme chez à peu près tout le monde, virer conte de fées dance ou love story à
deux balles. Ben pas ici …
Famille dysfonctionnelle ?
Là où réside le talent d’Arnold et de son casting, c’est
d’aller explorer la face dark de cette affaire. Parce que chez ces gens-là,
tout peut partir en vrille à tout instant. Et tout partira en vrille (mais … normalement,
raisonnablement, serait-on tenté de dire, on n’est pas avec « Fish tank »
dans l’excès scénaristique aussi improbable qu’incroyable). Les personnages de « Fish
tank » sont entiers, mais pas des psychopathes. Il y a toujours une
immense justesse plutôt qu’une surenchère lorsque le film flirte avec le
glauque ou le sordide. Mais une fois que beaucoup sont passés au bord de l’abîme,
il n’y a pas non plus de happy end …
Tout juste si on assiste à la fin du film à une scène
fabuleuse, lorsque les chemins de Mia et de sa mère vont se séparer, la mère et
la fille ondulent lentement face à face au rythme de la musique sur fond de
reggae, la seule façon que trouvent ces deux êtres qui semblent se détester de
se montrer réciproquement leur affection, sans échanger le moindre mot…
Des films qui sont peu ou prou basés sur le même
scénario que « Fish tank », il en sort trois par semaine. Mais des
films aussi bons, il en sort pas trois par décennie … Claque monumentale …