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DAVID LEAN - LE DOCTEUR JIVAGO (1965)

Mélo au pays des Soviets ...
« Le Docteur Jivago », c’est le genre de films que les programmateurs de télé nous sortent pour les fêtes de fin d’année. Pour plusieurs raisons. D’abord il a été tellement diffusé que les droits doivent plus être très chers. Ensuite, comme il dure trois heures vingt, t’as vite fait de remplir tes plages horaires de l’après-midi. Et puis, programmer « … Jivago », ça mange pas de pain. Du grand spectacle, de grands sentiments, du politiquement correct. Ouais, présenté comme ça, tu zappes, comme si c’était un vulgaire nanar avec Fernandel. Sauf que « … Jivago », c’est signé David Lean.
Et avec Lean, tu te retrouves à l’épicentre d’un certain type de cinéma. Celui qui se limite à son essence : montrer des images qui racontent une histoire. Lean doit être un arbitre refoulé, ne prend pas parti, n’essaie pas de délivrer un « message » (la marotte de ceux qui privilégient le fond sur la forme). Lean, image après image, veut faire de ses films le spectacle le plus beau possible.
David Lean bien entouré ...
Lean, c’est la triplette consécutive incontournable, « Lawrence d’Arabie », « Le pont de la rivière Kwaï », « … Jivago », celle des succès populaires énormes (durant la fin des années 50 et le début des années 60, lorsque des foules compactes se pressaient sans discontinuer dans les salles obscures), celle des budgets aux montants indécents, celle des montagnes de statuettes gagnées aux Oscars. Le genre d’apothéose dans une carrière dont beaucoup, même s’ils préfèreraient mourir que l’avouer, rêvent. De ces trois films, « … Jivago » est peut-être le plus abouti. Parce qu’il combine les points forts de « Lawrence … » et « … Kwaï », la gigantesque fresque centrée sur un personnage, et l’étude des relations humaines dans un petit groupe d’individus. Avec comme dénominateur commun à tous cette mise en scène dans des espaces vierges démesurés …
Faut dire qu’à la base de « … Jivago », y’a du matos. L’œuvre du même du nom, considérée comme la meilleure de Boris Pasternak, tout auréolé de, excusez du peu, un récent Prix Nobel de littérature. Autrement dit, les fondations du scénario sont plutôt solides. « … Jivago », le bouquin, je l’avais lu au collège, des années avant de voir le film, et j’avais gardé un grand souvenir de cette épopée romanesque. Le film, au début, il m’avait déçu. Il ne commençait pas comme le bouquin par cette scène poignante de l’enterrement de la mère de Youri Jivago, mais par la fin chronologique de l’histoire, la quête par demi-frère de Jivago (haut dignitaire du Parti Communiste) de sa nièce … Et puis, « … Jivago », le film, c’est un truc qui s’apprivoise, ces trois cent minutes la première fois te filent le vertige, le tournis. Tu sais plus où donner des yeux et des neurones et tu subis, t’apprécies pas …
Pas mal, le casting ...
« … Jivago » est un film où rien n’est laissé au hasard. Pas une image, pas un plan, pas une scène, n’est là par accident. C’est la quête de la perfection, du détail dans les grands espaces, qui en font un truc assez unique. Lean s’efface devant ses personnages et leur histoire, met toute sa technique (et des moyens financiers assez conséquents, il faut bien dire) à leur service. Lean s’efface même devant l’Histoire, la vraie, la grande, et pourtant tout le film s’articule autour d’un des événements les plus cruciaux du siècle passé, la Révolution Russe. Y’avait de quoi s’embourber dans « l’interprétation politique » à deux balles, subjective comme c’était possible en ces temps de Guerre Froide, et on connaît, et pas des moindres, qui ont fait sombrer leurs films dans la ridicule analyse manichéenne à deux balles ou le maccarthysme le plus vil …
Lean suggère plus qu’il nous montre vraiment la vie fastueuse des salons bourgeois du temps des Romanov, la boucherie de la Première Guerre Mondiale, la folie sanguinaire des premières années révolutionnaires. Lean ne prend pas parti, mais s’attache à reconstituer avec une minutie de détails des années historiques cruciales. La reconstitution (en Espagne et en Finlande) de quartiers entiers de Moscou, allant même jusqu’à suivre, à mesure que le temps passe, les changements qui affectent l’écriture cyrillique sur les panneaux signalétiques ou les vitrines des commerces, c’est le genre de choses que peuvent même pas se permettre des Cameron ou des Scorsese aujourd’hui. Lean est un maniaque total, plus encore que son compatriote Kubrick. Bon, faut dire que derrière, aux pépettes y’a du lourd. Rien moins que Carlo Ponti, stakhanoviste des productions, toujours prêt à dégainer son chéquier, qu’il s’agisse d’un film tchèque indépendant ou d’un blockbuster annoncé comme « … Jivago ». Inconvénient (enfin façon de parler, c’est le genre d’inconvénient que des millions d’hommes auraient voulu dans leur plumard), la femme de Ponti s’appelle Sophia Loren et Ponti exige qu’elle ait le rôle féminin principal, celui de Lara. Laquelle Lara a dix-sept ans lors des premières scènes où elle apparaît, la Sophia la trentaine plutôt sonnée.
Le mari, la femme et la future amante ...
Il faudra tout le flegme britannique, mais aussi la diplomatie et la persuasion de Lean pour imposer dans le rôle de Lara, la peu connue Julie Christie. Qui s’en sort mieux que bien, il y a au cœur de sa beauté blonde indolente un regard et deux yeux d’une expressivité hors norme par lesquels passe toute la panoplie des sentiments, de la résignation de ses débuts dans le monde aux bras du pervers Komarovsky, à sa détermination à survivre avec sa fille dans un monde hostile pour tous, en passant par cette passion qui la dévore lorsqu’elle retrouve Jivago. Jivago, c’est Omar Sharif, passé en quelques années d’une ascension fulgurante des films à l’arrache égyptiens de Chahine, à un second rôle dans « Lawrence d’Arabie » avant que Lean en fasse la vedette de « … Jivago ».
Youri Jivago, c’est le type qui subit tant qu’il n’est pas fou d’amour pour cette Lara qu’il n’a fait qu’apercevoir à Moscou, avant de la retrouver professionnellement comme infirmière volontaire sur le front, et puis des années plus tard dans une petite ville perdue de l’Oural, où se cache celle qui est devenue la femme de Strelnikov, bolchevik sanguinaire qui traque les Blancs dans les immenses étendues enneigées. A partir de là, Jivago va prendre son destin en main, lui le bourgeois marié et aimé (excellente Géraldine Chaplin), sombrer dans une passion dévorante et tout risquer (foutre sa famille en l’air, déserter quand il est réquisitionné, vivre en marge du pouvoir alors que son demi-frère en est un haut dignitaire qui voudrait l’aider).
Un certain sens des paysages et du cadrage ...
Le cœur de l’histoire c’est évidemment le mélodrame qui se joue entre Jivago et Lara, rythmé par un thème musical obsédant, et gros succès en tant que tel, signé de Maurice Jarre (une statuette pour lui aussi). Mais pas seulement, puisque le film débute lorsque Jivago a sept ans et se termine après sa mort, prenant l’allure d’une fresque sociale, humaine, sur un demi-siècle politique et historique en Russie.
Et puis les films de Lean, c’est comme ceux de John Ford. Même si t’aimes pas les personnages et l’histoire qu’ils racontent, il te reste quand même une succession d’image et de plans plus grandioses les uns que les autres. Autant l’Anglais que l’Américain sont les grands maîtres des perspectives et des arrière-plans démesurés de ces années 50-60, qui constituent l’apogée et l’âge d’or du cinéma « classique ».
« Le Docteur Jivago », dûment restauré et remastérisé est maintenant proposé dans une version BluRay assez exceptionnelle. Seul reproche, les bonus (notamment une version commentée du film par Sharif, la fille de Lean et quelques autres est en VO, et là, faut avoir un sacré courage ou un super niveau en anglais pour tenir plus de trois heures) sont pas vraiment à la hauteur de ce film d’exception…


Du même sur ce blog :


VICTOR FLEMING - CAPITAINES COURAGEUX (1937)


Ohé, Ohé, Capitaine abandonné ...
« Capitaines courageux », c’est le genre de vieux films longtemps acclamés qu’il vaut mieux regarder en s’efforçant de le replacer dans son époque, son contexte. En d’autres termes, c’est un film qui vieillit mal, un peu neuneu aujourd’hui.
N’empêche … Après sa sortie, il a été désigné comme un des dix meilleurs films de tous les temps … « Capitaines courageux » est un film qui véhicule un message positif universel. Un peu comme les films de Capra, la poésie en moins. Mais force est de reconnaître que c’est bien foutu, même si les ficelles tire-larmes sont relativement grosses. « Capitaines courageux », c’est un film sur les valeurs humanistes, l’amitié, la vie, la mort …
Victor Fleming & Spencer Tracy
Derrière la caméra, un cador. Qui entame avec ce film un brelan d’années et de films à énormes succès, et on peut abuser des superlatifs, là, puisqu’il s’agit du « Magicien d’Oz » et de « Autant en emporte le vent » (même si pour ce dernier il y a débat, il n’a pas été le seul à tenir la caméra …). Pourquoi « Capitaines … » a cartonné au box-office ? Parce qu’il y a une histoire simple, des personnages empathiques au grand cœur, de l’aventure, et malgré la mort et les larmes, une « bonne fin ».
Au cœur du casting, un de ces « enfants-stars » dont les premières décennies de la boîte d’où sortaient les images étaient friandes (Shirley Temple, Judy Garland, voire Natalie Wood). Ici, c’est Freddie Bartholomew (13 ans lors du tournage, et déjà une longue carrière de succès) dans le rôle de Harvey Cheyne. Curieusement, alors que « Capitaines … » sera son plus gros succès, sa carrière va très rapidement s’étioler et il disparaîtra totalement des écrans bien avant la trentaine sonnée … Totale tête de lard au début du film (fils de richard, arrogant et méprisant, persuadé que tout s’achète dans la vie, et surtout les hommes), complètement déconnecté de toute réalité, c’est lorsqu’après avoir basculé par-dessus bord d’un paquebot de croisière et être repêché par un bateau de pêcheurs qu’il va découvrir des vrais gens et leurs valeurs, et petit à petit s’en imprégner. Ce gosse joue bien et juste. Sans trop en faire, comme c’était pourtant de mise à l’époque.
Et gratte gratte sur ta mandoline ...
La première bonne idée de Fleming, c’est de lui donner un contrepoids d’envergure. Ce sera l’immense (par le talent, parce qu’il était plutôt court sur pattes) Spencer Tracy, pas encore au sommet de sa gloire, mais un de ces acteurs qui comptent et qui verra sa carrière plus que boostée avec « Capitaines courageux » qui lui permettra d’obtenir rien de moins cette année-là que l’Oscar du Meilleur Acteur. Il joue le rôle d’un pêcheur d’origine portugaise (un accent perceptible en VF, beaucoup moins en VO), solitaire autant sur le bateau que sur Terre, et qui va finir par apprivoiser et devenir le mentor de la petite peste qu’il a repêchée. Cette confrontation puis cette amitié entre cette sorte de samaritain et le petit coq prétentieux est le cœur du film.
La seconde bonne idée de Fleming, c’est d’avoir garni son film de « gueules » et de personnages pittoresques. Quelquefois à la limite du cliché, comme le cuistot noir, qu’on fait parler en VF avec l’accent de la vigie du bateau de pirates des Astérix. Mais l’essentiel des autres personnages sont savoureux, Disko le capitaine du bateau (l’incontournable Lionel Barrymore, stakhanoviste des plateaux), son rival Oscar O’Shea (capitaine Cushman), le marin pas facile à vivre (John Carradine, le patriarche de tous les autres Carradine qui ont tourné dans des films), le toujours très élégant Melvyn Douglas (Cheyne père, très bon en milliardaire qui finit par s’intéresser à son fils en tant que tel et non pas seulement en héritier de son immense fortune). Avec également dans un petit rôle un ancien (il a déjà l’âge canonique de dix-sept ans) enfant-star, Mickey Rooney, qui joue le fils de Disko.
Dave Bartholomew & Spencer Tracy
Troisième bonne idée de Fleming et parfois gros challenge technique, tourner les scènes maritimes (la moitié du film quand même) en mer, et non pas en studio avec des effets spéciaux limités à l’époque et risibles aujourd’hui. Le bateau, les barques, et les coups de vent (y’a des vrais marins et pas les acteurs dedans dans ces cas-là), sont vrais. Corollaire, les quelques trucages crèvent trop l’écran, comme quand le bateau de Cushman fonce sur celui de Disko). Un peu logiquement, il adviendra réellement dans les faits ce qui se montre à l’écran, à savoir que les conditions somme toute éprouvantes du tournage créeront des liens d’amitié très forts entre tous les participants, alors qu’au départ un acteur où un technicien est là pour faire son boulot, et pas spécialement pour devenir pote avec les autres …
Evidemment, l’impact du film est renforcé par son aspect dramatique (si vous l’avez pas vu, je vais pas vous dire qui crève avant la fin, mais bon, c’est un peu cousu de fil blanc) qui ne fait pas vraiment dans la demi-mesure. Une mise en scène finalement bien de son temps, où l’on recherchait plus à faire vibrer les cordes sensibles des spectateurs plutôt qu’à leur en foutre plein la vue et les oreilles, même si « Capitaines courageux » était pour l’époque un film à grand spectacle …

Ah, et puis le film est tiré d’un bouquin (pas son plus célèbre) de Rudyard Kipling, et le vieux tâcheron anglais Michael Anderson en a fait un remake dans les année 90. Aux dires de ceux qui ont vu les deux, il aurait pas dû…


Du même sur ce blog :