GORDON PARKS Jr. - SUPER FLY (1972)

The Pusher ...

« Super Fly » est un film plutôt pas terrible. Pour plein de bonnes raisons …
Derrière la caméra, Gordon Parks Jr. Qu’il ne viendrait à l’idée de personne de citer comme un réalisateur influent à quelque niveau que ce soit. « Super Fly » est sa masterpiece, un peu par la force des choses, il est mort dans un crash aérien quelques années plus tard, n’ayant même pas tourné une poignée de films (« Super Fly » est son premier, on a charitablement oublié les autres).
Gordon Parks & Curtis Mayfield
Techniquement, « Super Fly » est risible, ou tragique, c’est selon. Témoins ces raccords stupéfiants ( ? ) où l’on peut voir un type monter dans une voiture sous la pluie, rouler en plein cagnard quelques centaines de mètres plus loin pour finir quelques minutes plus tard dans la nuit noire. Etonnant … Ou alors au milieu du film une scène dans un New York enneigé et pas qu’un peu alors que dans d’autres scènes censées se passer plus tôt ou plus tard dans la journée, pas de trace de poudreuse … ou les fringues du copain – associé de Priest qui passe quasiment tout le film avec son futal orange pattes d’eph. Pas de machine à laver le gars alors qu’il a une télé couleur (en 1972) dans chaque pièce ? Ou costumière en grève ? Si on ajoute une course poursuite haletante … à pied (on se croirait dans « OSS 117 Rio ne répond plus ») avec un Priest sur les semelles d’un gonzo qui vient de lui piquer du cash à chaque plan et qui perd cinquante bons mètres à chaque changement de plan …
On passera pieusement sous silence le jeu à l’emporte-pièce des acteurs et un scénario grotesque qui voit des types englués jusqu’au trognon dans un gigantesque trafic de cocaïne prendre à peu près autant de précautions dans leur business que s’ils étaient en train de vendre des carambars … Evidemment un demi-siècle avant Weinstein, on fera semblant de ne pas voir le rôle dévolu aux femmes dans « Super Fly », juste des femelles en rut n’attendant en petite tenue (dans le meilleur des cas) que Priest veuille bien les culbuter …
Ajoutons que pour mater ce Dvd en version sous-titrée en français (pour peu qu’on ait du mal avec l’argot du Harlem des années 70), il faudra sortir un paquet d’euros Macron … N’en jetez plus …
On recommence …
« Super Fly » est un film génial. Pour plein de bonnes raisons …
La bagnole à Super Fly (Cadillac Eldorado Fleetwood Dunham) ...
Tout d’abord parce que c’est un film de rupture. Une série B qui compte plus que bon nombre de prétendus chefs-d’œuvre. Parce que dans un monde du cinéma fait par des Blancs pour des Blancs avec le pognon des Blancs, dans « Super Fly » rien que des Blacks. Au générique, derrière la caméra, et encore plus dans les salles pour le voir. Avec quelques (rares) autres (« Shaft », « Sweet Sweetback's Baadasssss Song ») « Super Fly » est l’archétype du film de blaxploitation. Le genre qui entend remettre quelques pendules à l’heure après des décennies filmées dans lesquelles les Noirs étaient soit des larbins, soit des crétins, (le plus souvent les deux), n’ayant droit qu’à quelques plans fugitifs dans les grandes productions (oui, je sais Sydney Poitier, on dira que c’est l’exception qui confirme la règle…). Dans « Super Fly » le héros est un Black (Priest, joué par Ron O’Neal), dealer d’un bon niveau (avec son associé, ils ont une trentaine de revendeurs sur les trottoirs de Harlem), grande gueule, malin et castagneur (une scène le montre à l’entraînement, il s’y connaît manifestement en karaté et ne semble pas doublé dans les scènes de baston). Priest va tout au long du film niquer tous les types (Blancs ou Noirs) qui essaient de l’entuber, niquer aussi leurs femmes, et s’extirper fortune faite du monde du deal de la coke (sans qu’il soit une seule seconde question de rédemption ou de retour dans le « droit chemin »). Black is strong, proud, beautiful, etc …
Ron O’Neal crève l’écran (malheureusement pour lui, il s’en est rendu compte, a pris le melon, s’est cru un génie de l’écriture de scénarios, s’est lancé dans la réalisation, pour quelques navets fumants, dont une suite de « Super Fly » qu’il vaut mieux oublier). Un look inoubliable. En gros celui repris par Prince à ses débuts, cheveux longs et défrisés plaqués en arrière, moustache et rouflaquettes démesurées, tenues de cuir qui ne passent pas inaperçues, bagnole low rider customisée de dix mètres de long et toutes les gonzesses du casting dans son plumard … le prototype du Stagger Lee chanté par les soulmen 60’s, toujours cool mais qu’il faut pas chercher sous peine de se faire démolir le groin d’une mandale …
ça aide à pécho, apparemment ...
Et mine de rien « Super Fly » fait fort. Interdit encore aux moins de seize ou dix-huit ans selon les pays. Erotisme (très soft), dialogues plein à la gueule de « fuck », « niggers », « motherfuckers », « asshole », pas cinq minutes sans qu’un personnage du casting s’envoie face caméra un peu de blanche dans les naseaux, so shocking pour l’époque …
J’ai gardé les deux meilleurs trucs pour la fin. Une scène hallucinante dans laquelle Priest se fait brancher par des Black Panthers « ouais, brother, tu te fais de la thune en vendant ta came à tes frères blacks, alors pense un peu aux autres frères blacks qui se battent pour tes droits et ceux de tes clients, passe à la caisse pour financer notre cause » … Ce qui entraîne une extraordinaire réponse de Priest « servez-vous du pognon que vous avez pour armer les Noirs, et le jour où tes brothers se lèveront pour buter du Blanc, t’en fais pas, je serai au premier rang avec mon flingue » … Mais surtout « Super Fly » est entré dans l’histoire à cause de sa bande-son signée par Curtis Mayfield qui colle aux scènes du film (« Pusherman » quand il est question de deals de coke, « Freddie’s dead » quand le dénommé Freddie se fait buter en essayant de s’évader d’un commissariat, « Gimme your love » lors d’ébats de Priest et d’une beauté peu farouche dans une baignoire). Cette B.O, c’est tout simplement un des plus grands disques de soul jamais parus. Bon, vous me direz, on peut l’écouter sans voir le film, qui d’ailleurs apparaît dès lors comme un vidéo-clip d’une heure et demie, et voit même apparaître Mayfield et son Band live dans un club …
Conclusion : « Super Fly » est un excellent mauvais film …



BERURIER NOIR - CONCERTO POUR DETRAQUES (1985)

Alternatif ...

La coutume, et le raccourci facile utilisé jusqu’à plus soif, consiste à dire qu’entre le punk (1977) et le grunge (1991), la musique qui rocke et parfois rolle a traversé un désert sans rien de nouveau à se mettre sous la dent. Plus ou moins vrai si on se place du point de vue anglo-saxon. Sauf qu’il y a sur la mappemonde un petit pays, meilleur pour faire du pinard que du rock, comme l’aurait soi-disant dit perfidement Lennon, où il s’est passé un truc.
France, milieu des années 80. Pays qui commence à s’engluer dans une longue litanie de plans de rigueur (entendez par là qu’on commence à dire à ceux qui n’ont quasiment rien de se préparer à n’avoir plus rien du tout), d’autant plus mal perçus qu’ils sont mis en place par une gauche au pouvoir depuis 1981 qui avait suscité d’immenses espoirs de renouveau et de renouvellement social. Parallèlement, autant par jeu politique du machiavélique Mitterrand que par un certain désarroi social, l’extrême-droite profite électoralement de la situation. Et comme dans les années hippies post soixante-huitardes, une frange de la population choisit de se situer en-dehors du système. Contrairement aux babas qui avaient quitté les villes pour aller fabriquer du roquefort dans le Larzac, les exclus et laissés-pour-compte des années 80 restent dans le milieu urbain. Bien avant les cités des dealers de crack, ce sont les squats qui seront le dortoir de cette génération.

Il y a dans les villes toute une partie de la jeunesse mise à l’écart, ou ce qui revient  au même, ne veut pas rentrer dans le rang, qui a ses codes, ses modes de fonctionnement. En gros, les punks à chien. Sauf que musicalement, cette jeunesse-là n’en a rien cirer des punks. Rappelons que malgré le salutaire coup de pied au cul que les punks avaient donné à une industrie musicale chloroformée par des dinosaures de quasiment trente-cinq ans (Clapton, le Floyd, les Stones, Who, Zeppelin, et toute la sinistre cohorte des progueux et jazz-rockeux), tous les orchestres punk dont le nom est rentré dans les livres d’histoire ont vu leurs rondelles publiées par les majors. Record, les têtes de gondole Sex Pistols qui furent signés par trois majors (EMI, A&M, Virgin) tout en n’ayant réussi à sortir qu’un seul disque …
Tout ça pour contextualiser l’affaire Bérurier Noir. Qui peuvent pas être qualifiés de punk parce que la place a été prise par d’autres avant eux, et surtout parce qu’ils sont … autre chose. Et rarement le terme d’alternatifs qui leur sera attribué aura été aussi bien choisi. Parce que les Bérus ont tout refusé dès le départ, n’en faisant qu’à leur forte tête. Ligne de conduite : ne rien faire comme les autres, ne compter que sur soi et ne dépendre de personne. Un projet autant utopique qu’idéaliste, voire irréaliste. Les Bérus y sont parvenus un temps, à tenir en équilibre perpétuel sur tous les fils de rasoirs qui se dressaient sous leurs pas …
Les Bérus ont réussi à faire de la musique  et des disques en dehors de toutes les conventions (fuck la technique, le son, le « bon goût », le look, l’attitude, et surtout majeur gigantesque à « l’industrie » du disque). Les Bérus, on les résume à une paire de disques et à une apothéose en forme de rock’n’roll suicide lorsqu’en 1988 ils remplissent le Zénith de Paris à moins de neuf (oui, j’ai bien écrit neuf) euros l’entrée.

Les Bérus, ça reste la formation la plus à géométrie variable qui soit. L’affaire a commencé par un duo (qui n’ a rien enregistré et dont tout le monde a oublié les noms), pour devenir connue sous la forme d’un autre duo et d’une archaïque boîte à rythmes, pour finir par une raya (le collectif, c’est pour ceux qui font de la musique chiante, et le crew pour les rappeurs) d’une quinzaine de personnes dont quelques-unes juste à but décoratif ( ? ).
Le formation « officielle » à l’époque de ce « Concerto pour détraqués » c’est Loran et François aux guitares et au « chant », Pascal au sax. Plus Dédé la boîte à rythmes. Plus les potes qui passent au studio pour faire du bruit avec ce qui leur tombe sous la main ou beugler dans un micro.
Construction typique d’un titre des Bérus : des riffs de guitare tronçonnés, lointains descendant de ceux de Chuck Berry (ou de Keith Richards ce qui revient à peu près au même), des textes-slogans plus déclamés que chantés, des chœurs de hooligans pour les appuyer, et un sax corne de brume pour achever d’épaissir la sauce. Les thématiques développées dans les lyrics tournent autour de la marginalisation (on joue et chante pour les types comme nous), le rejet des systèmes et des élites politiques et sociales, la haine de la carcéralisation notamment psychiatrique. De l’engagé et du rentre-dedans à coup de slogans mitraillés sur des rythmes tachycardiques. Et puis, quelques titres « festifs », enlevés, à l’humour noir ravageur (marxistes tendance Groucho). Et c’est cette partie de leur répertoire (minoritaire) qui mènera les Bérus vers une notoriété qui dépasse largement le cadre du public a priori concerné, la « gloire » médiatique, et son corollaire inévitable pour la bande, l’inévitable implosion.

« Concerto pour détraqués » le premier 33T des Bérus, c’est aussi un quasi best-of (surtout si l’on prend en compte les bonus de la réédition Cd de 2016 incluant les deux maxis qui encadrent chronologiquement « Concerto … », à savoir « Nada 84 » et « Joyeux merdier »). Sommets de « Concerto … » rondelle sur laquelle il n’y a rien à jeter, « Conte cruel de la jeunesse » et sa sordide histoire de beauf à carabine, « Hélène et le sang » sur le viol avec la relecture du « Wop bop a loo bop a lop bom bom » de Little Richard, la marche funèbre « Les éléphants », le cantique asocial « Il tua son petit frère ». Et mention particulière aux deux titres les plus connus « Porcherie » avec son intro samplée d’un discours de Le Pen (le borgne papa de la blondasse), dont la variante du final en live sera de faire scander au public « La jeunesse emmerde le Front National ». Et puis le rigolo « Commando Pernod » qui aura pour effet involontaire et malheureux d’engendrer toute la cohorte de ces groupes alternatifs en bermudas et rangers donnant dans le ska festif crétin, et polluant plus sûrement tous les festivals d’été que les effluves des baraques à merguez …
Le succès de « Concerto … » sera bien réel. Et totalement underground, le groupe n’autorisant pas les passages radio de ses titres, fuyant toute forme de promotion et refusant de figurer dans les statistiques plus ou moins trafiquées de ventes de disques genre Top 50 …
La situation deviendra « politiquement » intenable avec le disque suivant (« Présente Abracadaboum ») qui fera de grosses ventes et dont le pognon généré révèlera et réveillera l’appât du gain de quelques-uns (surtout dans l’entourage de la bande), une guéguerre des labels indépendants (avec Boucherie Productions, la maison des « rivaux » Garçons Bouchers), et une débandade pleine de rancœurs et de rancunes tenaces vers la fin des années 80.
Depuis, tout un tas d’imposteurs (pour la plupart) essayent de renouveler  ou reproduire la déflagration sonique et sociale des Bérurier Noir. Sans comprendre que la pertinence des Bérus était le fruit d’une époque et d’un état d’esprit et n’est pas duplicable …