ALEJANDRO GONZALEZ IÑARRITU - AMOURS CHIENNES (2000)

Walking the dog ...

« Amours chiennes » (« Amores perros » dans la langue des hispanos) est le premier long métrage de Alejandro Gonzalez Iñarritu. On peut commencer plus mal derrière la caméra … d’autant plus que maintenant Iñarritu collectionne les Oscars, deux à la suite en tant que réalisateur, une première, pour « Birdman » et « The Revenant ». Je vais pas jouer  les esprits chagrins, sortir le sempiternel couplet « c’était mieux avant », parce que « Birdman » et « The Revenant » se laissent regarder, et plutôt deux fois qu’une.
Même si le chef d’œuvre d’Iñarritu c’est pour moi « 21 grammes », son second film. Dont « Amours chiennes » se trouve être le brouillon de génie, et « Babel » son follow up hollywoodien. Point commun de ce tiercé, l’enchevêtrement des histoires, trois pour les deux premiers, quatre pour « Babel ». Et un montage à chaque fois peu orthodoxe, mélangeant espaces et temps au mépris de la chronologie. Le montage qui est l’élément clé des films du début de carrière d’Iñarritu, ce dont il s’est souvent expliqué, et notamment dans les maigres bonus du Dvd  de « Amours chiennes ».
Iñarritu & Bernal
Iñarritu aime bien aussi secouer, traumatiser, voire littéralement agresser le spectateur. « Amours chiennes » est un film violent. Il se passe pour l’essentiel dans les quartiers pauvres voire très pauvres (le squat du Chivo) de Mexico, une des villes (sinon la ville) la plus violente au monde, battant systématiquement d’année en année ses records d’homicide par arme à feu. Iñarritu ne se focalise pas sur la violence, ne la place pas systématiquement plein cadre, mais cette violence des hommes, des animaux est toujours là, parce que nécessaire à l’histoire.
Pardon, aux histoires. « Amours chiennes » nous montre les destins croisés de trois couples (il y a trois intertitres annonçant le couple concerné pendant le film, lorsque l’une de ces trois histoires va être plus particulièrement développée). Déjà, ces trois couples sont des couples qui n’en sont pas vraiment, il s’agit de deux personnes qui se cherchent, se fréquentent, se côtoient dans une sorte de parade amoureuse, mais sans se trouver vraiment. Plutôt que des couples, ce sont des antagonismes, des mondes parallèles qui sont montrés.
Octavio et son toutou
Premier « couple », Octavio et Suzana. Elle est sa belle-sœur (le frangin est caissier le jour, braqueur de pharmacies à temps perdu, son rêve est de braquer une banque, ce qui ne sera pas une bonne idée…), elle a un enfant. Tous, plus la mère des deux garçons, vivent dans la promiscuité d’un petit appartement misérable. Le rottweiler des frères va, par hasard, se révéler être une terrible bête de combat. Et pendant que son frère bosse dans son supermarché, Octavio va engager le clebs dans des combats à mort de chiens, gagner beaucoup d’argent grâce à lui, et proposer à Suzana (ils couchent un peu ensemble à temps perdu) de partir loin de Mexico…
Deuxième « couple », Valeria et Daniel. Elle est top model, lui cadre sup marié et père de famille. Il laisse tomber femme et enfants, met toutes ses économies pour installer sa maîtresse Valeria dans un appartement chic. Même s’il apparaît très vite que Valeria n’est réellement attachée qu’à son chien Ritchie dont elle ne se sépare jamais…
Troisième « couple », El Chivo et Maru. Lui est un ancien universitaire devenu guérillero qui a quitté sa femme et sa fille Maru toute enfant pour mener ses combats, en faisant promettre à sa femme qu’elle le donnerait pour mort à leur fille. Après avoir fait vingt ans de prison, il mène une vie de clochard, et accessoirement de tueur à gages, se déplaçant en haillons toujours entouré d’une meute de chiens bâtards qu’il entretient, toujours hanté, maintenant que sa femme est morte, par l’idée de renouer avec sa fille qui ignore son existence…
Ces trois couples (et leurs chiens) vont voir leurs destins se croiser lors d’un accident (séquence choc, neuf caméras mobilisées) de voiture. Responsable, Octavio, qui tente de semer dans Mexico des types qui veulent le flinguer, à cause d’un combat de chiens qui a mal fini, avec revolvers et couteux de sortis. Il grille un feu rouge, et vient taper très très fort la voiture de Valeria. Résultat de la course : un mort (un copain d’Octavio), Octavio et la Valeria salement amochés. Témoin de l’accident, El Chivo qui passait par là, en « repérage » pour un contrat. Il va récupérer le pognon d’Octavio et son rottweiler, bien amoché lui aussi …
Cet accident de voiture, point crucial du film (comme dans « 21 grammes »), va faire évoluer les trois histoires de couple dans des chemins imprévus. Déjà que les points de départ étaient pas foncièrement réjouissants, rien ne va vraiment s’arranger pour qui que ce soit …
Dès ce premier film, Iñarritu démontre qu’il est un maître du film noir. Pas le film noir des années quarante hollywoodiennes avec Bogart et Baccall. Plutôt le noir tendance sordide de la vraie vie, quand déjà rien ne va et que tout s’emmanche encore plus mal, du genre à faire passer Zola pour la Comtesse de Ségur. « Amours chiennes » est un film choc, voire même choquant si on est membre de la fondation Brigitte Bardot (on voit beaucoup de chiens morts dans le film, et même si c’est pour de faux, y’a beaucoup de sang et de langues pendantes …). « Amours chiennes » est une allégorie, genre les chiens les plus sauvages n’arrivent pas à la cheville de la sauvagerie des hommes.
El Chivo et sa meute
Il y a juste un problème pendant ces deux heures et demie d’images. C’est que « Amours chiennes » n’est pas un film. C’est une succession de trois histoires, dont les protagonistes ne se croisent (et sans se voir, vu l’état dans lequel sont la plupart) qu’au moment de l’accident de bagnole. D’ailleurs, au départ, il était question de trois courts métrages (avec les chiens comme thématique majeure), Iñarritu n’étant pas sûr du tout de trouver de financement pour un long métrage. C’est seulement une fois le pognon obtenu qu’il a imbriqué les trois histoires, faisant du Chivo le personnage le plus central. Même si c’est Gael Garcia Bernal (Octavio) qui s’est fait le plus remarquer par la profession et qui a lancé sa carrière grâce à « Amours chiennes ». Il faut reconnaître aussi que l’histoire de la top model, de son clébard disparu sous le plancher et du cadre sup est quelques tons en dessous des deux autres… Ce qui fait toute la différence avec « 21 grammes », dans lequel les trois histoires séparées se rejoignent pour n’en faire qu’une au moment de l’accident de voiture.
Il n’empêche que ceux qui ont frémi avec le survival de DiCaprio (« The Revenant ») ont intérêt à s’accrocher à leur fauteuil. « Amours chiennes » déménage beaucoup plus au niveau montées d’adrénaline. Grand film …


Du même sur ce blog : 



MELODY'S ECHO CHAMBER - BON VOYAGE (2018)

Melody ... Nelson ?

Conclusion : ce disque est embarrassant … voilà, voilà …
Pourtant a priori, j’avais envie d’en dire du bien. Une Française (Melody’s Echo Chamber c’est Melody Prochet seule aux commandes), qui ne donne pas dans la chanson française, qui ne singe pas je ne sais quelle mouvance sonore anglo-saxonne … Et qui donc fait quelque chose de relativement original. Sans vraiment rien inventer (d’ailleurs qui invente quelque chose depuis des lustres ?).
Melody Prochet
Son premier disque, auréolé de la présence du type en pleine hype (Kevin Parker, soit Tame Impala à lui seul) à ses côtés, avait créé le buzz. Un disque correct, bien que quelque peu convenu, paru en 2012. Depuis, plus rien. On lit ici ou là que la Melody a connu une déception amoureuse traumatisante, un sévère carton en bagnole, deux accidents de la vie dont elle a mis longtemps à se remettre. Soit … Qu’elle a dû se reconstruire, physiquement et mentalement avant de retourner à la musique. Qu’elle a rencontré fortuitement deux types, des Suédois, d’un groupe (Dungen, jamais entendu parler, soi-disant de la pop lorgnant sur …arghhh le progressif). Qu’elle a fait ce disque avec eux, d’ailleurs il y a plein de nom à consonnance du pays de Zlatan dans les crédits, et même un titre acoustique qu’elle chante en suédois (« Van hart du vart ? »), folk dispensable, avec par moment des faux airs mélodiques de « The girl from Ipanema ».
« Bon voyage » est une rondelle souvent agaçante, parfois même plombante …
Agaçante parce qu’il y a un parti-pris de noyer tout le son (instruments et voix) sous des tonnes d’effets, et de faire partir la plupart des titres dans tous les sens (effet prog ?), en multipliant les approches mélodiques, les ponts, les breaks, alternant parfois dans le même morceau chant en français et en anglais. Points communs à tous les titres : des couches de mellotron, pas l’instrument le plus discret du monde, même s’il donne une patine rétro (futuriste ?) à l’ensemble. Beaucoup également de sons et d’ambiances orientaux, en filigrane dans la pochette du disque. Un crobar tendance perse – kamasoutra où l’on voit la Melody se rapiécer la peau à hauteur du cœur (syndrome Ugolin – Manon des Sources ?) …
Ce qui nous amène à l’aspect plombant. Le propos global n’est pas joyeux, il donne plutôt dans l’introspection déprimante. La Melody n’a pas le moral au beau fixe, revient comme la misère sur les pauvres sur son amour disparu. Clairement, ce disque fonctionne comme une thérapie pour elle. Ce qui place l’auditeur dans la situation de voyeur de ses états d’âme. J’aime pas ça, d’une façon générale, ces gens qui te prennent en otage alors qu’ils sont en train de faire un strip-tease de leur âme. Tout le monde n’a pas le génie de (au hasard) Nick Drake pour ce genre de figure de style…
Melody's Echo Chamber live
Faut donc zapper pas mal d’aspects de cette galette si l’on ne veut s’en tenir qu’au résultat final. Melody Prochet est talentueuse, c’est sûr. Elle est capable d’écrire de grandes et belles choses, mais a trop tendance à les diluer et les étirer au-delà du raisonnable (seulement sept titres pour à peine plus d’une demi-heure). Un seul titre est « facile », d’une structure assez simple. « Breathe in, breathe out » qu’il s’appelle. D’ailleurs, et c’est certainement pas anodin, il est sorti en single. Le reste évoque pêle-mêle Gainsbourg – Burgalat – Air (« Cross my heart », « Visions of someone »), les montées dans les aigus de la voix (alors que Melody Prochet a naturellement une voix de non-chanteuse genre Adjani-Birkin) ressuscite à l’occasion le fantôme de Björk (proximité nordique entre Suède et Islande ?), se perd dans une sophistication envahissante (exemple type, « Shirim », instrumental de fin, avec cocottes funky engluées dans des synthés parfois proches de ceux de Daft Punk, sans qu’on voit où la Melody veut en venir).
« Bon voyage », c’est un peu le disque des générations Facebook ou Instagram, l’exhibition devant la Terre entière de ce qui ferait mieux de rester dans le domaine de l’intime et du privé. La qualité de ce qui nous est jeté en pâture devenant accessoire.
Reviens quand tu veux, Melody, mais s’il te plaît, avec un disque pour tout le monde, et pas seulement pour toi …


De la même sur ce blog :

SHANNON SHAW - SHANNON IN NASHVILLE (2018)

Ghostbusters ...

« Shannon in Nashville » agite tellement de mouchoirs rouges qu’on n’a pas envie d’être dupe de tous ces appels du pied un peu trop voyants. Frontwoman, une sorte de Beth Ditto blonde au tour de taille imposant. Coiffée d’une improbable choucroute qui ne semble attendre que le moindre zéphyr pour se déliter, version platine de l’excroissance capillaire qui surmontait le front de l’Amy Winehouse. Au générique, ordonnateur suprême de la chose (écriture, guitares et autres instruments bruyants, production), Dan Auerbach des famous Black Keys. Et un titre de disque qui renvoie à deux classiques absolus de la préhistoire qui rocke et rolle, « Dusty in Memphis » et « Elvis in Memphis », Tennessee connexion oblige.

Et vous savez quoi ? Eh bien, toutes ces plus ou moins subtiles allusions, pour une fois, elles sont justifiées… Evacuons le look bibendum, la Shannon n’a hormis un confortable embonpoint, rien à voir avec la leadeuse des feu Gossip. Par contre, que ceux qui portent encore le deuil de la Winehouse et qui ont oublié de se faire couillonner par les ersatz à voix rauque soul blues genre Adele reprennent goût à la vie, en voici une gueuleuse de bastringue qui a du coffre. Shannon Shaw est de la race des grandes, de celles qui te fileraient envie de chialer rien qu’en lisant le bottin. Même si les similitudes les plus évidentes sont à rechercher du côté d’une autre enrobée, la hurleuse soul en chef Aretha Franklin (R.I.P). Un style vocal qui a ses légions de fans, mais dont le côté braillard trop mis en avant peut susciter à la longue un certain embarras. Shannon Shaw a parfois tendance à se mettre en surrégime, on dira que c’est parce qu’elle a tout à prouver et à démontrer.
Shannon Shaw version Breakfast in America ?
Même si c’est pas une inconnue totale … quoi que … Son groupe précédent qui l’avait révélée ( ? ) et dont elle était la bassiste-chanteuse, Shannon & the Clams, trio voire quatuor de tâcherons se revendiquant pêle-mêle du punk, de la soul, du doo-wop et autres vieilleries vintage, ne remplissait pas les arenas, c’est le moins qu’on puisse dire. Mais ce groupe avait su attirer l’oreille de Dan Auerbach, qui a produit son dernier disque et proposé l’affaire en solo à la Shannon (disque et contrat de distribution via son label Easy Eye Sound). Avec évidemment en point de mire le « Dusty in Memphis », rondelle qui avait vu l’Anglaise se réinventer passant de grande chanteuse de variété pop un peu neuneue et engoncée à shouteuse soul, blues et rhythm’n’blues sous la houlette du nabab d’Atlantic Ahmet Ertegun… Auerbach n’est pas Ertegun, même les supporters du PSG le savent. Mais bon, il essaie … et plutôt bien. Bizarrement, et même si Winehouse et Springfield sont des comparaisons justifiées, c’est du côté de l’Elvis himself que je trouve le plus de similitudes. L’Elvis qui avait rué dans les brancards du colonel Parker et s’en était allé enregistrer les choses dont il rêvait à Memphis sous la houlette de Chips Moman, accompagné par les sessionmen hantant l’American Sound Studio. Deux de ces maintenant vénérables ancêtres se retrouvent sur tous les titres de ce « Shannon in Nashville », l’organiste Bobby Wood et le batteur Gene Chrisman.
Bon, Auerbach et la Shannon qui cosignent tous les titres ne sont pas au niveau de Jerry Butler, Hank Snow ou Burt Bacharach qui avaient fourni les titres au King. Il n’y a rien dans « Shannon in Nashville » qui égale ou s’approche de merveilles comme « Only the strong survive », « Any day now » ou « In the ghetto ». Et là où le bât blesse le plus, c’est au niveau de la production. Auerbach en fait des tonnes, empilant les pistes de claviers, de cuivres, de vocaux, mixant tout exagérément en avant, façon démonstration de force technique, alors qu’un peu plus de feeling et de retenue auraient été mieux appropriés. Bon, ce type fait partie des Black Keys, pas le groupe le plus finaud de la Terre, faut pas lui demander l’impossible.
Shannon Shaw, Bobby Wood, Dan Auerbach & Gene Chrisman
Ceci étant, il n’en reste pas moins que « Shannon in Nashville » est un putain de bon disque et qu’il m’étonnerait qu’il en sorte beaucoup de ce niveau dans les prochains jours. Les compositions sont bonnes, y’a de super mélodies, on n’a pas un titre photocopié treize fois pour arriver aux quarante syndicales minutes, et la Shannon est impressionnante derrière le micro. Il y a de l’émotion, de la retenue, des démonstrations de puissance vocale qui lorsqu’elle ne donnent pas dans le systématisme forcé laissent entrevoir l’immense chanteuse qui se révèle devant nos oreilles pas habituées à pareil festin sonore par les mornes temps qui courent. La bougresse s’exhibe sans retenue, mettant dans ses paroles ses joies et ses peines et tout ça ça devient son blues. Elle a pas peur de montrer son cœur en mille morceaux (« Cryin’ my eyes out »), mais compte pas passer sa vie à chialer sur le tocard qui l’a larguée (« Freddies ‘n’ Teddies »), à des lieues des pleurnicheries de circonstance qu’on entend partout. On a les lents crescendos soul (« Golden frames »), des ballades millésimées (« Goodbye summer », « I might consider », « Coal on the fire »), des mélodies pop (« Leather, metal, steel », « Lord of Alaska »). Le fantôme de la Winehouse hante « Bring her the mirror », celui d’Elvis « Love can’t explain » ou « Cold pillows ». En fait, tous les titres mériteraient la citation … rien de faible, rien qui sonne comme du remplissage …
Disque de l’été qui devrait même passer l’hiver … Peut-être disque de l’année donc …



KENT - AMOURS PROPRES (1983)

La réédition qui fait mal ...

A la fin des années 70, Starshooter faisait des 45 T rigolos (« Betsy Party », « Get baque », « Ma vie c’est du cinéma », …) et des 33 T ratés. Leur leader était Kent Cokenstock (vous avez compris qu’il était fan de BD belge ligne claire et d’Hergé en particulier ?) qui chantait encore plus faux que Jean-Louis Aubert des textes décalés dans une veine humoristique punk (ça vous parle ?). Les Starshooter, en pseudo punks provinciaux (Lyon) durèrent quelques années avant de déposer les armes. Le Kent continua le combat (pas très rock) … pour ce premier effort solo après la dissolution du groupe. Son album est calamiteux, et on comprend pourquoi il n’avait apparemment jamais été réédité pendant vingt ans.
Ecce Homo ...
Car même si les radios ont à l’époque un peu diffusé « Partout c’est la merde », on ne peut pas dire que ce calypso bancal soit une réussite. Malheureusement, tout le reste est à l’avenant, du pastiche « téléphoné » de « Souvenirs majeurs », « Stupidités », à l’imitation d’Antoine quand l’élucubrateur avait besoin de repeindre son rafiot (« Long, long, voyage »), quelques rockabs poussifs du niveau des Forbans ou de Jesse Garon (« Je dis bye bye »), un reggae à faire se retourner Marley dans sa tombe (« Rabat-joie »), le tout accompagné de textes pas vraiment inspirés. Ces textes sont d’une navritude extraordinaire (au hasard : « Adieu le stress, bonjours les bananes », « Dans les îles, on finit pas à l’asile »).
Kent se cherche (il fait aussi des BD), et finira quelques années plus tard, quand il aura trouvé sa Barbie (la douce Enzo Enzo) par se fixer sur un style quelque part entre Souchon et Trenet, qui sans le rendre crucial pour autant, lui ira mieux que ce premier essai totalement raté.
1983, l'édition originale ...
La réédition de 2004 (avec visuel différent) comporte quatre bonus. Les deux derniers sont atroces. « Tout petit doute » est comme un brouillon du sinistre reggae de Prisu « Chacun sa route », la BO de « Un Indien dans la ville » et par charité je m’abstiendrai de tout commentaire sur « Passion dans l’Est ». Par contre les deux premiers bonus sont … euh … moins mauvais. « Tiny Tinto » démarre sur un riff très Cars – Def Leppard ce qui nous change des bouillasses précédentes, mais malheureusement le titre finit vite par ressembler à du Gold (« Capitaine abandonné », ce genre de daubes). Sa face B, « West Side » est un hommage que l’on devine sincère au club lyonnais qui a hébergé fin des 70’s – début 80’s la scène punk new wave locale (Starshooter, Marie et les Garçons, Electric Callas, …).
Bon y’avait longtemps … une rondelle from the poubelle, direct …



FEDERICO FELLINI - JULIETTE DES ESPRITS (1965)

Vues de l'esprit ...

« Juliette des esprits » comme son double à peu près siamois et diamétralement opposé qui l’avait précédé (« Huit et demi »), marque pour les spécialistes du maestro italien (enfin celui qui donne son avis dans les bonus du Dvd) le « vrai début » de la carrière de Fellini, entendez par là le Fellini qui fera parler beaucoup de lui à la sortie de chacun de ses films. Ouais … sauf que pour moi les vrais chefs-d’œuvre de Fellini sont à chercher avant « Juliette … ». « La strada », « Les nuit de Cabiria », « La dolce vita », c’est de la poésie surréaliste mise en images. Après « Juliette … », ne restent la plupart du temps plus que le surréalisme et la surenchère dans l’extravagance, adieu la poésie … enfin, bon, ce que j’en dis …
Fellini 1965
« Juliette des esprits » c’est la plus fabuleuse galerie de portraits mis en scène par Fellini, servie par une technique irréprochable (pour la première fois il a filmé en couleurs et en Technicolor, avec un sens du cadrage extraordinaire). « Juliette … » pour moi c’est un mix entre le Jacques Tati de « Mon oncle » et le Godard de « Pierrot le Fou » (ce dernier sorti quasi simultanément). « Juliette … » en met plein les yeux (les plans, les couleurs, les costumes sublimes de déjante vestimentaire), et aussi plein les oreilles (la bande-son de Nino Rota est fantastique).
N'importe qui aurait fait du l’histoire de « Juliette … » un mélo plombant sur la vie d’un couple qui s’essouffle, la crise de la quarantaine, l’envie d’aller voir ailleurs ? D’ailleurs c’est pas les mélos plombants qui manquent sur le sujet … Fellini emmène cette histoire dans un autre monde, et pas seulement parce que la première prise de conscience de Juliette qu’elle peut vivre dans cet autre monde se passe lors d’une séance de spiritisme chez elle, à l’occasion de ses quinze ans de mariage, anniversaire quelque peu saccagé par son mari qui rapplique pour fêter ça avec tout un tas d’amis étranges et extravagants alors que Juliette avait prévu un dîner intimiste aux chandelles …
Giulietta Masina
En fait Juliette (extraordinaire Giulietta Masina comme toujours chez Fellini, le fait qu’elle soit sa femme dans la vraie vie expliquant peut-être cela) pour aussi lunaire qu’elle apparaisse avec ses grands yeux de biche étonnés et son sourire de madone niaise, est le personnage le plus « normal » de la distribution. Parce que Fellini a fait fort, pas un personnage principal ou secondaire qui ne crève pas l’écran par un physique décalé, une attitude extravagante, des costumes au-delà du réel (mention particulière dans ce registre à Sandra Milo, Sylva Koscina ou Caterina Boratto qui joue la mère hiératique de Juliette alors que les deux actrices sont quasiment du même âge).

Comme d’habitude chez Fellini, le film est irracontable, chaque scène (n’ayant généralement que peu à voir avec les précédentes et les suivantes) constitue un monde à part entière. Sachez cependant qu’en plus de l’histoire d’un couple qui se désagrège vraiment, le passé de Juliette (ses traumas enfantins chez les sœurs), ses visions d’avenir idylliques (le tombeur espagnol, playboy torero et guitariste gipsy, bonjour les clichés, faits exprès évidemment),
ses aventures au quotidien (les vit-elle ou les rêve-t-elle, on ne sait pas toujours, Fellini ayant tendance à commencer les deux pieds bien ancrés dans le sol pour vous amener en quelques plans et quelques répliques dans un univers totalement barré), un soupçon de psychodrame, quelques visions fugitives (1965 oblige) de femmes dénudées, des bateaux à l’équipage étrange, des visions dignes d’une Rome antique et décadente, ont fait dire à certains (Fellini lui-même, mais faut-il le croire) que ce film a été tourné par le maestro italien sous LSD...
Comme dans tout grand film de Fellini, le sourire, le rire et la franche pantalonnade ne sont jamais très loin, avec des situations ubuesques, des gestes et des répliques venus d’ailleurs. Tati voire Buster Keaton avec leur sérieux qui ne devrait pas l’être me semblent des modèles évidents.
« Juliette des esprits » n’est pas le meilleur film de Fellini (voir plus haut). Mais il vaut en tout cas bien mieux que l’indifférence polie dans laquelle on a tendance à l’enfermer …



JAMES WHITE & THE BLACKS - OFF WHITE (1979)

No Wave ...

Ce type, James Siegfried / Chance / White, il faisait figure d’alien à une époque (la fin des 70’s) et un endroit (New York) qui pourtant voyait surgir à tous les coins de rue des types plus bizarres les uns que les autres. Déjà, avec sa tronche de Simpson, ce grand échalas ne passait pas inaperçu. Son entourage non plus… Dans sa mouvance et son sillage, on trouve quelques noms qui font grincer les dents à tout fan de Julien Doré normalement constitué. Les deux plus célèbres potes de James White sont Lydia Lunch (performeuse hyper féministe genre sado maso punk bondage) et Robert Quine (guitariste chauve et grinçant des Voidods de Richard Hell et qu’on retrouvera plus tard sur des disques de Lou Reed, John Zorn ou Tom Waits).
James White
L’alors dénommé James Siegfried (son vrai blaze) traîne sa jeunesse dans le Lower East Side de New York dans le milieu des seventies. Il fréquente tous les rades minables dans lesquels des gens « différents » se produisent. Et prend une grosse claque en voyant (et accessoirement écoutant) les Ramones au CBGB. Problème, comment faire ce qu’on n’appelait pas encore punk quand le seul instrument dont tu sais jouer est un putain de sax ténor et que t’as bouffé du jazz toute ta jeunesse ? D’autant que rayon sax, y’ a un type qui commence à faire parler de lui dans les milieux branchés new yorkais, un certain John Lurie au sein de son groupe les Lounge Lizards.
James Siegfried devient James Chance, et après un bref passage  dans Teenage Jesus & The Jerks (où il croise Lydia Lunch), monte un groupe, les Contortions, et commence à mélanger punk, funk, jazz, et d’une façon générale tout ce qui lui passe par la tête pourvu que ça sonne comme rien de déjà entendu. Les habituelles galères de contrats, de disques qui attendent une éternité avant de sortir, et de toute façon mal distribués, de 45 T supposés essentiels qui font un bide monstrueux seront le quotidien des Contortions. Même si la grande carcasse de James Chance force le respect. D’ailleurs il n’hésite pas à descendre dans le public pour secouer ceux qui ne semblent pas apprécier sa musique …
Le déclic pour Chance viendra de rencontres. Celle d’Anya Philips, qui deviendra sa muse (et manager) et celle de deux Européens venus humer l’air sonore de New York, l’Anglais Michael Zilkha et le Français Michel Esteban, qui viennent de fonder ZE Records, petit label qui essaye de signer la fin de la comète punk. Ils se contenteront de Dr. Buzzard’s Savannah Band (futurs Kid Creole & The Coconuts), de la copine d’Esteban, la frenchie Lizzy Mercier Descloux. Et du nouveau groupe de Chance (rebaptisé White ), les Blacks, assemblage de musiciens (mais pas toujours) croisés au gré de ses pérégrinations …
The Blacks live
C’est ZE records qui donnera sa meilleure chance à Chance / White. En lui permettant de sortir un album digne de ce nom (entendez par là qu’il a eu l’occasion de passer quelques jours en studio). Les influences majeures de ce « Off White » s’épèlent à ce moment-là Lounge Lizards et DNA (autre groupe inclassable mené par la figure forcément underground Arto Lindsay), et comme le résultat est assez … déroutant, au lieu de classer ça sous le générique new wave fort en vogue en cette fin des années septante, on l’appellera no wave.
« Off White » part dans tous les sens et parfois même ailleurs.
Seuls points communs à tous les titres, une basse très en avant (George Scott) très groovy et très funk ; le sax strident de White (influences revendiquées Albert Ayler et Lester Young) ; et quand il se hasarde à euh … chanter la voix grave et gutturale de White. Le disque se situe à la confluence du free jazz, du funk et de son avatar populacier le disco, et du punk envisagé par son aspect vitesse et énergie.
Généralement, ça fait plutôt mal aux oreilles. Volontairement, car contrairement aux punks, les types savent jouer, sont d’un niveau technique supérieur à la norme. Parfois même, on s’approche du radiophonique, enfin, d’un truc qui pourrait passer tard à la radio quand tout le monde dort (« (Tropical) Heat wave »). D’autres fois, la structure squelettique de ces funks mutants renvoie aux Talking Heads (les décharnés « Almost black (Pt I & II) »). « Contort yourself » oscille entre funk décapant et punk strident, alors que sa version remix (par August Darnell futur leader maximo de Kid Creole) est beaucoup plus élastique, funky, et dotée d’une intro techno qui annonce les joueurs de disquettes des années 90. « Stained sheets » fait alterner beuglements de sax free jazz et gémissements (de souffrance ? de plaisir ?) d’une femelle en rut (Lydia Lunch). « White savages » ajoute au boucan habituel des sonorités quasi industrielles, la guitare stridente de Bob Quine est très en avant sur le morceau-titre, « Bleached black » conclue la rondelle avec son tempo plus lent et plus lourd…
James White et Deborah Harry, une copine new yorkaise
La section bonus de la (belle) réédition de 2004 comprend quatre longs titres. « Christmas with Satan » passe du côté obscur de la farce et du coq à l’âne, et fait se confronter et se succéder une intro piano sax à la Tom Waits, des dissonances krautrock tendance Can, du jazz-funk et du jazz de voleurs de poules façon Emir Kusturica … amusant, même si usant … Trois titres live enregistrés en 1980 dans un club de Rotterdam font se succéder (pas dans l’ordre indiqué sur la pochette) une reprise punk de Michael Jackson (« Don’t stop till you get enough »), une sorte de blues mutant (« Exorcise the funk ») et un machin rêche et rigide très (mal) barré (« Disposable you »).
Ce « Off White » ne rencontrera pas son public (en termes clairs, ce sera un bide commercial monumental). Il sera cependant considéré par beaucoup comme la pièce essentielle du courant no wave. Bizarrement, on n’a pas trouvé à ce jour d’audacieux (tant mieux ?) pour se lancer dans un revival de ce courant éphémère dont les figures « marquantes » furent au début des 80’s des gens comme Defunk ou les Bush Tetras …
« Off White » est étrange et ambitieux. J’écoute pas ça tous les jours, mais une fois en passant, why not ?