RAOUL RUIZ - CE JOUR-LA (2003)

 

Conte (en Suisse) de la folie ordinaire ...

Les films de Raoul Ruiz que je connaissais (deux ou trois, le type en réalise autant chaque année depuis des lustres), ont un point commun : je les supporte pas … trop de trucs qui me gavent et pas grand-chose ou encore moins qui m’intéresse … son maniérisme austère me gonfle … Ruiz, c’est la caution humanitaire (le type est d’origine chilienne, il a fini en France pour fuir Pinochet et ses camps de concentration dans les stades) et artistique de notre beau (?) pays … Le type qu’on invite de temps en temps au festival de Cannes pour cautionner le genre auteurisant francophone (Ruiz a la double nationalité), mais dont même les programmes de pas d’heure la nuit sur Arte montrent jamais les films … doit être beaucoup plus facile de trouver des cinéphiles qui le connaissent pas que des types qui le trouvent excellent voire plus …

Ruiz, Zylberstein & Giraudeau

Ceci posé, venons-en à « Ce jour-là », sélectionné à Cannes en 2003. Un fil « différent » du reste de sa production, peut-on lire dans les tréfonds du web sur les pages qui lui sont consacrées et qui prennent la poussière en attendant le zozo égaré là à force de clics compulsifs et effrénés …

« Ce jour-là » est une comédie, genre auquel Ruiz (clone physique de Philippe Martinez, le Che Guevara d’occasion des 1er Mai merguez-gaz lacrymo) s’est peu souvent consacré. Bon, une comédie chez Raoul Ruiz, on n’est pas au même niveau que chez Max Pecas. C’est pire, encore plus barré et déjanté, à tel point qu’on se demande s’il s’agit bien du même type qui sort des films de trois heures sur des adaptations de Proust, grand écrivain comique comme chacun sait …

Bon, dans les castings chez Ruiz manquent les ineffables Ticky Holgado, Philippe Caroit et Caroline Tresca. Par contre on y retrouve tout le gotha révéré du cinéma français, voire d’ailleurs. Dans « Ce jour-là » on a droit dans les seconds rôles à Piccoli, Rufus, Hélène Surgère, Bidault, Balmer, Atkine, le fiston Vadim, … qui entourent les deux rôles principaux, Elsa Zylberstein et Bernard Giraudeau … ce qui sur le papier a quand même de la gueule …


Tous s’agitant sur fond de maladie mentale et d’histoire d’héritage, l’essentiel du casting étant occis au couteau de cuisine ou au marteau arrache-clous … Mais que fait la police ? Ben les flics, sous la conduite d’un impassible Jean-Luc Bideau, elle prend le café, lit les journaux et joue au billard dans une auberge, et après mûre réflexion au comptoir sur les affaires et possibles crimes en cours, elle décide de ne rien faire, manière de laisser la situation se décanter toute seule … Tout ça dans une Suisse dystopique où chaque plan en extérieur se passe au milieu de défilés de convois militaires …

« Ce jour-là » est totalement barge, entre banquets d’assassinés, visions d’anges et conspirations malsaines … Buñuel et Lynch attaqués sur leur terrain … et comme chez eux, on comprend pas toujours tout, de toute façon on a pas le temps de comprendre, ça déboule à cent à l’heure pendant plus d’une heure et demie … On a droit à tout et plus encore. Des gens qui se poursuivent sur les chapeaux de roues dans un gigantesque manoir ou son parc, on dirait du Mr Bean au ralenti (les protagonistes sont plus très jeunes), une femme qui se fait écraser par un fourgon les bras en croix genre Tex Avery, des cyclistes qui tombent de leur bécane en apercevant Elsa Zylberstein au bord de la route (y compris ceux qui réussissent à tomber alors qu’ils marchent à côté de leur vélo) … Les chassé-croisé dans le manoir semblent sortis des gags nonsensiques de Blake Edwards … Citons pour le plaisir un Giraudeau diabétique qui passe son temps à s’autotester (puis à se repeigner) avant de consciencieusement tester tous les cadavres de plus en plus nombreux qui l’entourent afin de contrôler leur taux de sucre …Ils lui ont fait bouffer des champis, à Ruiz, ou quoi ? De toute façon, suffit de la voir déambuler dans les bonus du Dvd sur les promenades cannoises pour avoir envie de se marrer. Il ne sépare jamais d’un dossier (de presse ?) qu’il porte en toute circonstance des deux mains derrière son dos, exactement comme Obélix porte ses menhirs … J’ai pas envie de savoir comment ce rébarbatif suprême en est arrivé là, mais force est de constater que « Ce jour-là » est une grande comédie (c’est pas les Tuche, ou les misères de Boon et Merad …)


En plus, le comique n’est pas seulement visuel, c’est aussi le scénario qui est délirant … Livia (Zylberstein) est l’héritière un peu demeurée de sa mère, qui a fait fortune avec le Sal Sox (du ketchup où la tomate est remplacée par du soja !). La vieille a tellement fait fortune que Livia serait à elle seule plus riche que la Suisse tout entière. Son père (ou peut-être son beau-père, on sait pas trop, y’a des zones qui restent mystérieuses dans le scénario) joué par Piccoli est un notable (notaire ? avocat ? on l’appelle Maître) qui a investi dans l’immobilier y compris jusque dans une clinique psychiatrique. Dans laquelle est enfermé à perpette Emil (sans e à la fin et sans accent au début comme il se plaît à le répéter) Pointpoirot le serial killer psychopathe du coin (excellent Giraudeau). Après que le personnel de la clinique lui eut fait un bourrage de crâne sur l’adresse et le nom de Livia (une très très méchante personne), on fait s’évader Pointpoirot, sachant qu’il va aller assassiner l’héritière dont le pognon reviendra à Piccoli et sa famille …


Evidemment, rien ne va se passer comme prévu, Pointpoirot et Livia tombent amoureux (ils se prennent réciproquement pour des anges) et dégomment accidentellement ou pas tous ceux qui viennent traîner dans le manoir familial, qu’ils veuillent s’assurer que Livia est morte ou qu’ils viennent tuer le couple de zinzins. Toute la famille (ses autres enfants, sa maîtresse, sa sœur …) de Piccoli et ses hommes de main seront tour à tour envoyés dans le manoir, y compris un agent du fisc helvétique prêt à tout pour taxer l’héritage au taux d’imposition en vigueur …

En fait, le seul reproche qu’on peut faire à « Ce jour-là », c’est qu’il n’y a pas un seul moment de répit où on pourrait comprendre tous les tenants de l’intrigue.

Question subsidiaire : Ruiz n’aurait -il pas un frère jumeau ? Parce que le Ruiz que je connaissais, je l’imaginais pas du tout tourner et surtout réussir une comédie …