MARTIN SCORSESE - CASINO (1995)


Jackpot ...

Par bien des aspects, « Casino » restera comme une sorte d’apogée.
De Scorsese d’abord. Pas le genre de metteur en scène qui se fait bouffer par son scénario ou ses acteurs. Scorsese a un style, une patte. Scorsese montre tout. Et quand il fait des films qui se déroulent dans un milieu violent, il montre la violence. Pas pour le plaisir de remplir l’écran de jets d’hémoglobine, mais parce que la violence fait partie de l’histoire. Et quand la mafia (ici, celle qui dirige en sous-main les casinos de Las Vegas), les millions de dollars, et les montagnes de coke sont au cœur de l’histoire, eh ben, ça bastonne, ça tabasse, ça flingue et ça saigne. Scorsese ne donne pas dans le réalisme façon Bisounours. Au mépris des censeurs et des millions de dollars perdus, lorsque le film quitte le cadre du « public familial » (« Casino » a été interdit aux moins de 17 ans aux USA lors de sa sortie). Cette saga toute en démesure (trois heures, des centaines de « fuck » dans la V.O., soixante crédits musicaux dans la B.O., le Caesars Palace réquisitionné pour le tournage, …) est pour le moment, sinon définitivement, la fin du cycle « mafia contemporaine» de Scorsese, et le second volet d’un diptyque majeur entamé avec « Les Affranchis ».
Scorsese & De Niro
« Casino » est aussi l’apogée, et là aussi semble t-il le terme de la collaboration Scorsese – De Niro. Même si des rumeurs de nouveau film les réunissant à nouveau voient régulièrement le jour. A mon humble avis, si Scorsese est toujours capable de faire de bons films, je vois mal De Niro, à 70 balais, livrer une de ces performances d’acteur que Scorsese a su mieux que quiconque lui extirper, suffit de voir sa reconversion grimaçante en beau-père de Ben Stiller pour se dire que le Roberto a depuis pas mal d’années la tête dans le sac … Un De Niro, qui évidemment, joue dans « Casino » un personnage sinon de mafieux, du moins un type jonglant avec toutes les limites permises par la loi et en relation étroite avec truands et ripoux de tous bords …
Le tandem Scorsese – De Niro en fout plein la vue. « Casino » est avant tout un film à grand spectacle, éclairé par les lumières aveuglantes du Tangiers, et tous ces mouvements hyper-techniques de caméra qui ne se remarquent même pas, la fluidité des séquences est fabuleuse, jamais un effet de trop …  De Niro est le personnage central du scénario, le dépositaire de la toute-puissance maffieuse. Il est autant le moteur de l’histoire, celui qui fait avancer l’intrigue, que celui qui la subit, car il est entouré par deux personnages forts.
Joe Pesci, immense dans ce film. La connexion ritale de Scorsese, évidemment. Pesci livre une performance de truand sauvage et speedé qui n’est pas sans rappeler les numéros de James Cagney dans « L’ennemi public » ou « L’enfer est à lui ». Une présence phénoménale, et pour moi il vole la vedette à De Niro.
Sharon Stone & De Niro
Sharon Stone aussi. Certainement son meilleur rôle (de toutes façons, malgré sa réputation, on ne l’avait vue que dans de furieux navets ou pas loin), pute de luxe, flambeuse et junkie, avec tout au long du film une lente mais sûre descente aux enfers (l’alcool au début, la dope ensuite) qui l’oblige à composer différemment quasiment à chaque scène. Et qu’elle soit au faîte de sa beauté glamoureuse n’est certes pas un handicap …
L’intrigue centrale du film est assez simple. Sam « Ace » Rothstein (De Niro), bookmaker de génie lié à la mafia de Chicago, est envoyé par celle-ci gérer un casino de Las Vegas. Les affaires sont vite florissantes, les valises pleines de billets retournent « au pays ». La situation va se compliquer pour tous quand Rothstein tombe amoureux et épouse Ginger (Sharon Stone) et quand il est rejoint par son ami d’enfance Nicki Santoro (Pesci), par l’odeur du business illégal alléché. Rothstein va dès lors devoir composer avec ces deux ingérables et l’histoire va très mal finir pour la plupart des protagonistes.
Joe Pesci & De Niro
Alors certes, si c’est bien cette triplette qui est essentielle dans le film, et si on ne retrouve que leurs trois têtes sur l’affiche, ce serait faire peu de cas de toute la multitude de personnages secondaires, et de tout un système (celui du jeu en général et de Vegas en particulier) minutieusement décrit par Scorsese. Malgré ses trois heures, de nombreux éléments de l’histoire ne sont pas montrés, ils sont résumés en voix off par Rothstein le plus souvent, voire par Santoro. Certaines choses abordées dans le film auraient pu faire l’objet d’un long-métrage entier : le fonctionnement d’un casino, les techniques de fraude fiscale et de blanchiment d’argent, la corruption du personnel, les tricheurs plus ou moins professionnels, les relations troubles avec la politique, la police et la justice, … autant d’intrigues secondaires dans le film, juste abordées, mais qui en font toute la richesse et la complexité. Faut suivre si on veut saisir toutes les nuances, les allusions, les sous-entendus et les non-dits … Ce qui permet d’avoir au casting toute une galerie de personnages secondaires, du mac minable de Ginger (James Woods), aux gueules pittoresques des pontes de la mafia, en passant par toute une faune d’employés, de petits truands, d’arnaqueurs, de flambeurs, de politicards et de flics ripoux. Même la propre mère de Scorsese est de la distribution …
Joe Pesci & Sharon Stone
Scorsese traite là d’un sujet globalement brûlant, et pour éviter de se retrouver avec une patate trop chaude, transpose l’action dans les années 70 et 80, en précisant dans le final que depuis les choses ont changé. Tout en insinuant que les vétérans de la mafia italo-américaine ont juste été remplacés par les cols blancs des banksters et du monde de la finance en général. Scorsese a aussi modifié (certains survivants, pas beaucoup, l’essentiel de la distribution se fait dégommer avant le générique de fin, pourraient être susceptibles et envoyer au minimum leurs avocats) les noms des véritables protagonistes (les personnages joués par l’essentiel du casting ont réellement existé, et dans ses grandes lignes, le scénario s’inspire de faits réels). Cette véracité de l’histoire fait l’objet d’une incrustation au début ou la fin, je sais plus, et on trouve dans les bonus du BluRay et sur le Net les véritables noms, ce qui n’a à la limite qu’un intérêt tout anecdotique. C’est une histoire, un mode de fonctionnement qui est montré, peu importent les personnages. D’ailleurs Scorsese met vraiment des gants, essayant de nous faire croire dans les bonus que pour lui le thème central de « Casino », c’est la dégradation de la relation Rothstein-Ginger … Hum, Marty, j’ai du mal, j’y crois pas trop, j’avais pas l’impression de regarder un remake de Douglas Sirk. Tiens, tant que je cause bonus et support, autant dire que la version BluRay est somptueuse image et son d’une précision et d’une clarté diaboliques, et les bonus (un survol de la filmo de Scorsese commentée par lui, et une « enquête » sur les véritables personnages ayant inspiré le film) assez nuls pour qui a déjà vu et entendu le débit de mitrailleuse de Scorsese.
Et s’il encore trop tôt pour enterrer Scorsese et faire un palmarès de sa carrière (il a depuis « Casino » sorti des trucs pas dégueus et fourmille encore de projets), « Casino » est un des films qui seront mis en avant pour montrer ce qu’il a fait de mieux. Peut-être pas sa masterpiece, parce que depuis « Mean streets », y’a eu du lourd, du très lourd même, mais sûrement un de ses films majeurs … Question subsidiaire : en a t-il fait de vraiment mineurs ?

Du même sur ce blog :