Post-punk ...
Au commencement, furent donc les punks. Les
provocateurs anars (Sex Pistols), les politisés (Clash), les working class
heroes (Jam), les infréquentables (Stranglers), … mais le gros des troupes
(tous les autres), c’était plutôt un ramassis de bas-du-front, philosophes de
comptoir bourrins moulinant un boucan vaguement hardos, témoin l’inénarrable
« If the kids are united then we'll never be divided » des non moins
inénarrables Sham 69. Mais tout ça, c’est à Londres que ça se passait.
Les ploucs de province, ils devaient attendre de voir dans leur bled un concert de leurs idoles londoniennes, quand il était pas interdit par la municipalité. A Manchester, une bande de gamins va se faire électrochoquer par un concert des Pistols, et monter dans la foulée leur groupe. Buzzcocks ils s’appelleront. Tout juste sortis de l’adolescence, ils mettront en accords saccadés toutes leurs frustrations, d’être prolos, moches, boutonneux, derniers de la classe, pas sportifs, et donc enchaînant les râteaux auprès des lycéennes (voir leur extraordinaire « Orgasm addict », manifeste définitif des frustrations pubères).
![]() |
Howard Devoto |
Allez savoir pourquoi, la presse va s’enticher de
ces quatre couillons de province et d’à peu près toute la litanie des groupes
de la vague punk, ils seront les seuls à hériter du qualificatif de groupe
« culte ». Perso, et c’est pas faute d’avoir essayé, j’ai jamais
compris pourquoi. Sympa assez souvent, mais pas de quoi se relever la nuit …
Les Buzzcocks, ils existent encore (la bataille avec
les Stranglers pour être le plus vieux groupe punk du monde fait rage), plus
vraiment, évidemment, dans la légendaire composition d’origine. Les Buzzcocks
originaux, ceux du second mitan des seventies, ils étaient menés par Pete
Shelley et Howard Devoto.
Pour des raisons qui m’échappent et que j’ai jamais
vraiment cherché à connaître (si ça vous intéresse, il doit y avoir la réponse
sur Wikimachin), Devoto va quitter les Buzzcocks pour monter sa petite
entreprise, Magazine, dont ce « Real life » est la première rondelle.
Rondelle dont les mêmes qui trouv(ai)ent les Buzzcocks géniaux affirment sans
barguigner qu’il s’agit de Tables de la Loi du post-punk … Ma foi, s’ils le
disent …
Qu’oyez-vous dans « Real Life » ? Plein de choses qui partent dans tous les sens, parfois en dépit du bon (sens). L’on vous dira que le titre majeur de « Real Life », c’est « Shot by both sides » et que c’est l’alpha et l’oméga musical de cette fin de décennie. C’est ma foi un fort bon single de pop énergique, mais comme il en sortait des brouettes tous les mois à cette époque-là. Non, l’intérêt majeur de la rondelle, c’est pas « Shot by both sides », c’est plutôt l’envie d’aller voir « ailleurs », de fuir la mécanique simpliste du boucan punk basique.
![]() |
Magazine |
Déjà, Devoto, il soigne (enfin façon de parler, voir
des photos de lui à l’époque de « Real life » donne plutôt envie de
rire que de se pâmer devant tant d’originalité capillaire et vestimentaire) son
look. En gros, comme il est fan de Brian Eno, il le singe dans sa période Roxy
Music (en fait il ressemble à un figurant de « Phantom of paradise »,
ce qui était original en 72, et beaucoup moins à la fin de la décennie). Il y a
dans « Real Life » (en filigrane, revendiquer ça en 78, y’avait de
quoi finir avec du goudron et des plumes) l’influence du krautrock, tous ces
groupes allemands défoncés, planants, et vaguement anars, ou leur proche cousin
anglais, le Van der Graaf Generator de Peter Hammill.
Il y a aussi dans « Real life » ce qu’avec
le recul il fut bien considérer comme un bon casting, avec notamment le futur
guitariste des Banshees John McGeosh (guitar hero de la new wave et influence
majeure de Robert Smith), et le bassiste Barry Adamson (futur Bad Seeds de Nick
Cave et auteur d’une litanie de disques solo aventureux et expérimentaux). Il y
a aussi des points faibles. En premier lieu, la voix de Devoto, comment peut-on
envisager de passer derrière le micro avec des cordes vocales pareilles, ça
fait mal aux oreilles … Niveau compos, on est loin des fulgurances des
Buzzcocks passées et à venir. Ici, même si on a deux titres co-écrits avec
Shelley (dont le très buzzcockien « Recoil »), le reste selon comment
on l’envisage, fait preuve d’ouverture ou part dans tous les (mauvais) sens.
Perso, je trouve intéressant le début du disque, « Definitive gaze » (jolie intro, bon titre pop, et malin gimmick de synthé), suivi par les déjà cités « Shot by both sides » et « Recoil » (au sujet de ce dernier, existe-t-il un lien avec le groupe du Depeche Mode Wilder en solo, y’a rien à gagner à fournir la réponse). Se glisse au milieu de ce tiercé majeur « My Tulpa » qui avec sa grosse ligne de basse fait penser aux Stranglers, avant un pénible final avec sax free en avant. « The light pours out of me » quant à lui force sur l’aspect martial pour pas dire pompier …
Pas mal de choses ne font pas avancer le schmilblick
« Burst » avec son intro pompière et qui balance ensuite entre les
pires horreurs de Genesis et un final en version stridente du « Space
Odditty » de qui vous savez (et si vous savez pas, vous gagnez un
exemplaire dédicacé du dernier bouquin de Philippe le Jolis de Villiers de
Saintignon, le fou qu’est tombé dans le Puy). « The great beautician in
the sky », sorte de valse flonflonneuse donne envie de lâcher l’affaire
pour écouter un bon vieux Pogues.
Reste une paire de titres intéressants,
« Motorcade », seul titre « à guitares », rapide et
bruyant, et la ballade finale (« Parade »), intro calme au piano,
mélodie torturée ensuite.
« Real life », c’est pour moi le genre de
disque surestimé, cité par tous les « connoisseurs » arty. On peut
certes lui reconnaître une tentative de rupture avec tout le punk bas-du-front
qui commençait à se multiplier et une ténue influence sur la cold wave – new
wave à venir. On peut aussi lui reprocher (et c’est pas rien) la
grand-paternité de tous les poseurs prétentieux munis de synthés qui vont
fleurir dans l’Angleterre du début des 80’s. Magazine (une décennie) et Devoto
seul ensuite (jusqu’à aujourd’hui) ne déchaîneront jamais vraiment les foules
Et non, le disque-référence post-punk, c’est pas
« Real life », il faut pas chercher du côté de Devoto, mais plutôt de
celui d’un certain John Lydon (anciennement Rotten), responsable avec les deux
premières rondelles de P.I.L. de déflagrations bien plus majeures …