JOHNNY HALLYDAY - JOHNNY, REVIENS ! LES ROCKS LES PLUS TERRIBLES (1964)


Ah que oui !

Il serait trop facile de dézinguer la vieille idole. Sauf que plein de gens talentueux avec des arguments solides comme ça l’ont déjà fait, depuis plus de cinquante ans. Tout le monde les a oubliés et Jean-Philippe Smet est toujours là, Statue du Commandeur inébranlable du rock français. Du rock français ? J’en vois qui rient aux éclats, que le rock français ça existe même pas, et que l’autre là, le Johnny, déjà il est pas Français il est Belge ou Suisse, allez savoir, et il est encore plus con en vrai que sa marionnette des Guignols … Ben z’avez tort … enfin pas sur tout, mais z’avez tort quand même.
D'où viens-tu Johnny ?
Je m’explique. La concurrence, Johnny les a tous enterrés. Au propre, souvent, et encore plus au figuré, suffisait pour ça qu’il monte sur les planches, aujourd’hui comme il y a cinquante ans, que ce soit devant cent personnes ou cent mille, et là, tous, même Didier Wampas, ils sont tout petits. Tous ceux qui dans la musique ou la chansonnette ou les deux en France ont eu leur quart d’heure ou leur décennie de gloriole sont venus en rampant lui apporter une chanson (généralement très mauvaise, mais c’est pas, ou c’est plus le problème) qu’il leur avait demandée. Et ceux qui n’ont pas encore eu ce privilège seraient prêts à bouffer les varices de leur grand-mère et feraient sous eux de joie si une voix au téléphone leur disait : « C’est le management de Johnny, il aimerait bien bosser sur un truc avec vous … ».
Parce que Hallyday est une légende. Surévaluée comme toutes les légendes. Au moins les trois-quarts de ses disques sont des daubes infectes. Mais il y a très longtemps, au siècle dernier, dans les années 60, et malgré quelques bêtises sonores retentissantes, il a sorti des disques qui ont forcé le respect de tous et généré des hordes d’admirateurs béats. Des disques en public, certes le plus souvent (les séries à l’Olympia, au Palais des Sports), mais aussi quelques sacrées rondelles en studio avec Mick Jones et Tommy Brown. Jones et Brown … deux Anglais. Parce que très vite Johnny (ou ceux qui géraient sa carrière) a voulu avoir les meilleurs musiciens pour l’accompagner. Et il valait mieux laisser de côté la plupart des Français, soit baltringues incompétents, soit requins de studio ultra-techniques ne rêvant que de jazz-fusion. Totalement incompatibles avec le rock’n’roll que voulait faire Hallyday.
Les zicos qui l’accompagnent sur ce disque, baptisés Joey & the Showmen constituent un assemblage cosmopolite (frenchies, ricains, british), mais envoient le bois grave, et c’est ce qui importe. Le concept du disque est simple, voire simplet : adapter en français des standards du rock’n’roll américain. Comme d’hab et comme toujours, Johnny ne fait que suivre ce qui a déjà été fait. Notamment l’année précédente par son rival mais néanmoins ami Eddy Mitchell (« Eddy in London »). Bon, on peut comparer les deux, trouver Schmoll plus subtil, plus cultivé, plus drôle, plus tout ce qu’on veut, mais dès qu’il s’agit de chanter le rock’n’roll, y’a plus photo, victoire par KO de Jojo …
Joey (Greco) & the Showmen
Ce « Johnny, reviens ! » compte quatorze titres, quatorze standards des pionniers du rock, aujourd’hui connus et célébrés de tous mais à l’époque (1964), seuls quelques rares maniaques en France causaient Elvis, Chuck Berry, Little Richard, ou Gene Vincent. Les adaptations (la plupart dues à Manou Roblin), mêmes si elles ne visent pas le Nobel de littérature, ne sont pas plus neuneues que les versions originales. Musicalement, c’est exécuté pied au plancher en 2’30, produit en stricte mono (il existe évidemment et malheureusement des rééditions stéréo à fuir) pour que tu  prennes ça droit dans ta face, et ça s’embarrasse évidemment pas de solos de xylophone ou de violoncelle. Guitares, basse, batterie, un peu de piano, quelques cuivres au fond du mix, et roulez petits bolides … Hallyday, quiconque doté d’une paire d’oreilles en état de marche s’en est aperçu, est un grand chanteur, et là, dans un registre hyper-basique, il est impressionnant.
Joey Greco, Claude Djaoui, et un joueur de air guitar ...
Il suffit d’écouter ses versions de « O Carol ! » ou « Suzie Q » qui valent bien celles des Stones sorties à peu près simultanément, et Jagger qui n’est ni sourd ni sot, a souvent clamé haut et fort son respect pour Hallyday le chanteur. Les versions de Johnny n’ont rien à envier aux interprétations de Chuck Berry (plus doué à la guitare et à la composition qu’au chant), ni même à celles de Presley, qui lui est quand même un sacré client derrière le micro, c’est le moins que l’on puisse dire. D’autant plus qu’en jouant quelquefois malignement sur le tempo, Hallyday parvient à ne pas faire des copies conformes, il apporte sa propre patte à des titres entendus des milliards de fois. La seule réserve concerne les quatre morceaux correspondant aux titres popularisés par Little Richard. On ne touche pas impunément au répertoire de Petit Richard sans prendre le risque de se couvrir de ridicule. Ici, seule « Belle », adaptation de « Ready Teddy » soutient le choc de la comparaison, les trois autres (« Lucille », « Long tall Sally » et « Good Golly Miss Molly ») sont nettement inférieures aux versions originales. C’est pas honteux pour autant, McCartney et John Fogerty sont les deux seuls au monde à pouvoir reprendre le curé gay, tous les autres faisant rire ou pitié dans cet exercice (j'entends les cris d'orfraie de mon fan club féminin, oui, les filles, d'accord, y'avait aussi Wanda Jackson qui s'en sortait plus que bien) …
Le résultat, il est simple. « Johnny, reviens ! » est un Himalaya du rock français (allez, je me mouille, je vois guère que « Tostaky » de Noir Dèz ou « No comprendo » des Rita de ce calibre-là). Et dans le même genre de disques axé sur des reprises de standards de old rock, ce skeud de Jojo voisine sans problème des choses comme le « Back in the USA » du MC5 ou le « Teenage head » des Flamin’ Groovies … Du lourd, du très lourd, je vous dis …