SPIKE LEE - DO THE RIGHT THING (1989)

Fight the power ...

Ce titre de Public Enemy, on l’entend à quinze reprises dans le film (rien qu’une fois en entier, précision pour ceux qui peuvent pas supporter le rap). Pas vraiment par hasard … Public Enemy (ou plutôt leur parolier et principal rappeur Chuck D.) et Spike Lee étaient faits pour travailler ensemble. Pas sûr qu’ils aient anticipé le buzz et le succès qu’ils allaient remporter …
Parce que pour moi, « Do the right thing » est un marqueur, un film condamné à faire date. Dans l’œuvre de Spike Lee d’abord. Parce qu’il n’a jamais fait mieux, ni derrière une caméra, et encore moins devant un micro (voir ses déclarations à l’emporte pièces sur Eastwood et Tarantino ces derniers temps). J’aime pas Spike Lee, le bonhomme, sa façon de souffler le chaud et le froid sur les sujets délicats qui le préoccupent (en gros la situation des Afro-américains aux Etats-Unis), sa façon d’alterner des constats lucides et des discours radicaux … Faut le voir dans les bonus du Blu-ray que j’ai (la réédition dite du vingtième anniversaire) faire un show grotesque lors de la conférence de presse-présentation du film au Festival de Cannes 89, grisé par des applaudissements (mérités) sur ses réparties judicieuses, et se laissant progressivement aller à un gloubi boulga pathétique sur fond de racisme et d’analyse politique et sociale à deux balles … alors qu’avec « Do the right thing », y’a rien à dire, suffit de laisser parler les images …
Dans la pizzeria ...
« Do the right thing » est un projet de Lee qui vient de loin. De sa première trace filmée alors qu’il n’était qu’étudiant à l’Ecole de Cinéma de New York, un court métrage se passant dans le quartier de Bedford-Stuyvesant, à Brooklyn. Un tronçon de rue de ce quartier sera le lieu unique de l’action de « Do the right thing ». Un été de canicule (86 ?) lui inspirera le scénario. Qui se présente comme une tragédie classique, respectant les trois unités, même lieu, une journée, tous les personnages participent à l’action …
C’est à partir de ces postulats que le film et son environnement sont mis en place. L’objectif avoué de Spike Lee est de faire un film sur le racisme, ordinaire, osera-t-on. La démarche est radicale dans tous les sens du terme. L’essentiel du casting est composé de Noirs, au mieux de métèques (les Portoricains) et de quelques Blancs immigrés de fraîche date (l’accent du pays de Dan Aiello). Pareil pour l’équipe technique, Noire en très grande majorité. Avant même le premier tour de manivelle, qu’on le veuille ou pas, l’accent est mis sur le communautarisme. Les visites « de prestige » se succèderont sur le tournage, du gentil Stevie Wonder au vieux coq Melvin Van Peebles (l’ancêtre des films de blaxploitation). Et au niveau du casting, on voit que Lee voue une déférence si ce n’est un culte à deux des acteurs, le couple à la ville Ossie Davis – Ruby Dee, vieux militants de la cause noire à Hollywood …
Premier challenge, filmer en décors naturels dans une rue d’un quartier mal famé. Il faut retaper quelques façades, construire le décor de la pizzeria et de l’épicerie sud-coréenne qui lui fait face à un carrefour (les deux bâtiments n’existent pas et tout un tas de fans du film les recherchent en vain depuis des années). Il faut aussi convaincre les habitants de se plier aux exigences du tournage (beaucoup de billets verts ont circulé, il n’est pas sûr qu’ils aient été comptabilisés dans le budget). Et puis, il faut nettoyer le quartier, repaire de dealers. C’est une « association », émanation de la Nation of Islam du prêcheur radical Farrakhan (dont Spike Lee avoue plus ou moins implicitement être proche intellectuellement) qui se chargera de la besogne. Remercions au passage l’honnêteté de Lee qui a laissé passer dans les très bons et nombreux bonus des avis des locaux très réservés sur les « bienfaits » apportés par son film au quartier et à la « cause » …
Le film se passe par une journée caniculaire, dans un quartier aux façades repeintes de couleurs chaudes (le rouge et l’orangé notamment), et la tragédie se nouera dans la pizzeria de Sal, l’Italo-américain (l’excellent Dan Aiello). Sal est plutôt bonhomme, mais faut pas le faire chier … Il gère son commerce en compagnie de ses deux fils, Pino le raciste terminal (John Turturro), et Vito (Richard Edson) beaucoup plus posé. Mookie est leur livreur de pizzas. Tête à claques, feignasse, toujours en train de rouscailler et de demander sa paye ou une avance à Sal.
Partant certainement du principe que l’on n’est jamais mieux servi que par soi-même (c’est Mookie qui lorsque la situation sera bien explosive, mettra définitivement le feu aux poudres), Spike Lee tient lui-même ce rôle. Et comme on n’est jamais mieux servi également que par ses proches, c’est son père (pianiste de jazz de seconde division) qui fera la musique, sa sœur qui aura un second rôle, et celle qui deviendra sa compagne dans la vraie vie (Rosie Perez) jouera sa femme … Une affaire de famille …
Rosie Perez & Spike Lee
« Do the right thing », c’est avant tout une galerie de portraits et une fresque sociale. Des stéréotypes, souvent, mais c’est voulu et indispensable au scénario (on n’imagine pas des virages politiques ou moraux à 180° dans une journée, fût-elle caniculaire). Il y a le vieux sage pochetron (Ossie Davis), la retraitée gouailleuse (Ruby Dee), le DJ qui derrière sa vitre observe et commente tout ce qui passe dans la rue (Sam Jackson, futur Samuel L Jackson), les trois blacks sous un parasol (retraités ? chômeurs ?) qui se balancent des vannes et font un peu office de chœur de tragédie grecque, le couple d’épiciers coréens que tout le monde jalouse et regarde de travers, les flics du quartier (Blancs bien sûr) qui se la jouent cowboys …
Et puis les protagonistes principaux, Mookie, Sal et ses fils, DJ Raheem (Bill Nunn), jeune Black baraqué qui se balade avec un énorme ghetto blaster crachant du Public Enemy toute la journée, Buggin Out (Giancarlo Esposito), jeune traîne-savates qui se prend pour la conscience politique du peuple Noir. Sans oublier le prédicateur bègue ( ! ) et simplet (Roger Guenveur Smith) qui essaye de refourguer à tout le monde une photo réunissant Matin Luther King et Malcolm X …
Bill Nunn, la nuit du c(h)asseur
Malgré la nonchalance dûe à la canicule, quelques écarts loufoques et drôlatiques, on sent très bien monter la tension et on sait, vu les protagonistes, que ça va forcément finir en sucette … Toute la finesse du scénario étant d’amener le bon prétexte et de faire se confronter les bonnes personnes au bon endroit … Avec un gros boulot d’acteurs derrière. Même s’il demande à tous d’intervenir et de suggérer d’éventuelles modifications au scénario, des lectures préparatoires ont eu lieu, et il très intéressant de voir les acteurs nous décrire comment ils ont appréhendé leur rôle, et Spike Lee leur demander à moment donné à chacun de raconter la vie antérieure de leur personnage, dont il ne sera jamais fait allusion dans le film …
Même si ce qu’il y a entre est excellent, les deux moments du film qui ont le plus marqué les esprits sont les génériques de début et de fin.

Au début, on voit Rosie Perez faire un grand numéro de danse hip-hop sur (of course) « Fight the power ». C’est pour son sens du rythme (elle n’avait jamais fait de cinéma, elle était go-go danseuse) et son joli cul (dixit Spike Lee, y’a encore du boulot pour toi, garçon, une fois que t’auras réglé le problème racial, faudra réfléchir au machisme et au sexisme …)
Et à la fin, après la dernière image et avant le générique version expended, apparaissent sur l’écran deux citations. La première de Martin Luther King, plaidoyer pour la tolérance, le pardon et la non-violence. La seconde de Malcolm X, justifiant et encourageant la violence lorsqu’elle répond à une oppression raciale manifeste. Le but recherché de cette juxtaposition étant bien évidemment la polémique, Spike Lee a parfaitement réussi son coup …
C’est parce qu’on en parle beaucoup qu’on reconnaît les grands films. Et là, avec « Do the right thing », mission plus que bien accomplie …


La bande-annonce et le générique d'ouverture

STEPPENWOLF - STEPPENWOLF (1968)

Un petit tour en Harley ?

Parce que Steppenwolf, ça doit même être écrit dans les livres d’Histoire au collège, c’est le groupe préféré des motards. Et il y en a deux, John Kay (qui sur son seul nom fait perdurer Steppenwolf depuis presque cinquante ans) et Dennis Edmonton (plus connu sous son pseudo de Mars Bonfire et auteur du titre fétiche), qui peuvent remercier Dennis Hopper d’avoir mis sur la bande-son de son film « Easy Rider » deux titres de Steppenwolf, groupe que tout semblait destiner à la troisième division du heavy psychédélisme américain, à l’ombre des Blue Cheer, Iron Butterfly et autres Vanilla Fudge …

Tout le monde le sait, les origines de Steppenwolf sont à chercher du côté de la riante Allemagne de l’Est où naquit John Kay, avant que sa famille n’émigre au Canada à la fin des années quarante. Contrairement à certaines légendes urbaines, si John Kay est bien un exilé, son exil n’a rien de politique, sa famille s’étant retrouvée plus ou moins par hasard en R.F.A. au gré de déménagements incessants dans une Allemagne en total chaos après la fin de la guerre … John Kay est un pur produit de la culture nord-américaine, les seuls liens le rattachant à ses origines teutonnes seront le nom de son groupe (d’après le bouquin de l’Allemand Hermann Hesse « Le loup des steppes ») et quelques allusions fugaces à ses origines dans une paire de chansons …
Comme beaucoup d’ados nord-américains, John Kay joue dans un college band, qui au gré de changements de personnel, finit par s’appeler The Sparrows. Le succès n’étant pas exactement au rendez-vous au Canada, Kay et quelques-uns des membres du groupe décident d’aller en 67 à San Francisco, là où les choses se passent… Et Steppenwolf est très vite signé par Dunhill, label qui a du pognon à investir grâce aux succès de son groupe phare, les Mamas & Papas …

Bizarrement, pour un groupe sans grande expérience, qui a des origines bluesy et vient de prendre flower power et psychédélisme en pleine poire, le premier disque mis en chantier (le « Steppenwolf » dont il est censé être question ici) est plutôt cohérent. Le groupe joue un rock psychédélique dur, tirant ses influences du rock’n’roll des origines, du blues et de la soul. Comme tous ceux de son époque, il part parfois dans des directions « étranges », (même le plus cohérent de tous au niveau sonore de cette époque, le Zeppelin, glissera un morceau à base de tablas indiennes sur son premier disque) avec son premier single « A girl I knew » pop psyché très flower power. Avec le succès que l’on devine … Le second single sera une reprise musclée du « Sookie, Sookie », petit classique soul de Don Covay, traité avec force guitares électriques saturées en avant, dans l’esprit Vanilla Fudge.
Le troisième essai sera le bon. « Born to be wild », composé par Edmonton / Bonfire du temps des Sparrows (il ne suivra pas ses potes et son frangin batteur dans la migration californienne) atteint le haut des charts. Là, ça rigole plus, on rentre dans le tas, riff mémorable, montée vers des sonorités orientales du refrain, et ladies and gentlemen, pour la première fois dans les paroles, l’expression « heavy metal ». De populaire, le titre deviendra mythique et symbolique lorsque l’année suivante il servira d’accompagnement musical à Peter Fonda et Dennis Hopper roulant sur leurs Harley customisées dans le film référence de la contre-culture hippie, « Easy Rider » … Hopper aura le nez creux (et les oreilles fines) en ajoutant dans la B.O. un second titre issu de ce « Steppenwolf », la chanson anti-drogue (enfin, anti-dealers) « The Pusher » …
On peut toujours trouver que les Steppenwolf sont plutôt chanceux. Sauf que si évidemment ils seront réduits pour l’éternité aux interprètes de « Born to be wild » (à preuve le sticker mentionnant « including the hit Born to be wild » vite rajouté sur la pochette du disque et qu’on retrouve des décennies plus tard à l’identique sur quasi toutes les pochettes des rééditions), l’engouement et le succès qu’ils auront au tournant des seventies reposeront sur des éléments musicaux concrets, tous déjà présents dans ce premier disque considéré par beaucoup comme leur meilleur, avec le « Steppenwolf live ». Parce que ce Loup-là sera une redoutable bête de scène, porté par la voix, la présence et le charisme de John Kay. Derrière, il n’y a peut-être rien d’extraordinaire, mais ça assure sans faire dans la dentelle …

De ce « Steppenwolf », la postérité retiendra trois classiques du groupe, « Born … », « The Pusher », « Sookie, Sookie ». Le reste n’est pas forcément à oublier, témoins le correct rock stonien « Everybody’s next one », l’hommage-plagiat-décalque de Chuck Berry (« Berry rides again »). Une reprise d’un des classiques de Muddy Waters (« Hoochie Coochie Man »), épaisse, saignante et traversée de solos de guitare est tout à fait caractéristique de la façon dont est envisagé le blues en cette fin 60’s (on rallonge la durée initiale, on alourdit le tempo, et on fait admirer sa virtuosité). D’autres titres sont plus quelconques, (les rhythm’n’blues « Your wall’s too high » et « Take what you need »), la ballade virile « Desperation », ou l’ultime « The Ostrich », le plus expérimental de la rondelle, avec son tempo hypnotique et semble-t-il l’influence des Doors …
Mais bon, comment envisager une discothèque digne de ce nom sans « Born to be wild » ?