Affichage des articles dont le libellé est Top 10 Music. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Top 10 Music. Afficher tous les articles

THE CURE - DISINTEGRATION (1989)

 

Reconstruction ...

1989. Robert Smith va avoir trente ans. Et il fait sa petite crise de la trentaine. Il gagne beaucoup de fric avec des disques qu’il n’aime pas beaucoup (comme son dernier en date « Kiss me, kiss me, kiss me » qui lui a cependant ouvert les hit parades et la lucrative tournée des arenas américaines), et pose deux options sur la table : il a fait des maquettes d’un nouveau disque, plutôt sombre, et soit il paraît sous le nom de Cure, soit il met fin au groupe et le sort sous son seul nom.


On le sait depuis déjà un moment, Robert Smith c’est Cure, ou inversement. Mais là, il fout un coup de pression supplémentaire sur les autres. Ses potes cofondateurs, Simon Gallup et plus encore Laurence (Lol) Tolhurst, qui lui a toujours été à ses côtés quand Cure était vers 83-84, réduit à l’état de duo. Sauf que Tolhurst a un gros problème, il picole beaucoup, un adjectif qui n’est pas rien quand on connaît le goût de Smith pour la dive bouteille (lors de la tournée qui suivra « Disintegration » pour tenir les trois heures des concerts, il lui faudra deux quilles de rouge et un pack de bière sur scène, ce qui donnera lieu à quelques fins de set et rappels étranges et titubants). Il n’empêche que FatBob va virer très rapidement des séances un Tolhurst épave humaine, ne consentant qu’à le créditer à la dernière ligne du casting, pour avoir joué « other instruments ». Un crédit tout diplomatique (Tolhurst n’a rien joué sur l’album), peut-être lié à des histoires de contrats ou par simple copinage pour qu’il touche quelques royalties …

Robert Smith a toujours alterné avec Cure disques que pour aller vite on qualifiera de sombres (la triplette « Seventeen seconds », « Faith », « Pornography »), avec d’autres plus enjoués, marqués par des singles lumineux (« Charlotte sometines », « Boys don’t cry », « Just like heaven », « Why can’t I be you ? », …). « Disintegration » est conçu comme la suite à « Pornography » (1982). Remarque : si pour les fans les trois cités plus haut constituent la trilogie « dark » de Cure, pour Smith c’est « Pornography », « Disintegration » et « Bloodflowers » (sorti en 1996, et le moins bon des trois).


L’heure n’est donc plus à la rigolade. Rien que le titre du disque indique la couleur. La pochette aussi. On y voit un Smith avec les cheveux courts, période « Kiss me … » (il va les laisser pousser à nouveau et va les crêper au-delà du raisonnable pour pérenniser cette excentricité capillaire qui ne le quittera plus), semblant immergé (mort ?) dans une eau saumâtre où croupissent avec lui corps morts (coquillage) ou plantes en voie de décomposition. Les cinq premiers vers du premier titre (« Plainsong ») contiennent tout le vocabulaire qui sera dupliqué tout au long des autres (« dark », « rain », « wind is blowing », « end of the world », « cold », « dead »).

Les instruments utilisés ne laissent pas de doute sur le son général. Deux guitaristes, Smith et Porl Thompson (qu’on retrouvera sur la « réunion » de Page et Plant quelques années plus tard), une rythmique (l’éternel complice Simon Gallup à la basse, et Boris Williams à la batterie). Et puis des claviers. Un attitré (Roger O’Donnell), plus Smith et Gallup. Le son de « Disintegration » est farci de synthés (qui parfois sonnent comme des guitares et vice-versa), la basse est le point d’ancrage de tous les titres, et la batterie métronomique évite le plus souvent le recours aux cymbales, ce qui rend la tonalité d’ensemble lourde et martiale. Robert Smith assure seul toutes les parties vocales, explorant tous les registres dont il est capable (certains titres sont quasiment murmurés, d’autres sont hurlés dans les aigus). Et le chant se fait attendre sur tous les morceaux, l’intro la plus courte est celle de « Lovesong » (30 secondes), la plus longue (un peu plus de trois minutes) celle de « Lovesick ». Forcément, avec de telles intros, les titres ne font pas dans la concision (six minutes en moyenne, plus d’une heure dix pour les douze), « The same deep water as you » fait plus de neuf minutes, et certains titres sont quasiment des instrumentaux « Plainsong », « Homesick », « Untitled »).



De prime abord, « Disintegration » est un disque monolithique. Des nappes lancinantes de synthés, la batterie économe et martiale sont présents partout. Sauf qu’il y a un travail sur les structures et les mélodies qui au fil des écoutes montrent que derrière cet aspect apparemment uniforme, se cache un vrai travail de composition et une recherche jamais démentie de mélodies.

 « Plainsong » ouvre donc le disque, tout d’abord par un frémissement de clochettes, et va crescendo vers une atmosphère lourde, lente, sombre, avec la voix démultipliée par l’écho, et ce son mat, compact, empli de claviers et synthés, avec une batterie sourde réduite à l’essentiel (marquer le tempo), noyée au fond d’un mix faisant la part belle aux basses… Tout prend forme sur les premiers titres. Cure est de retour vers la cold wave, qui a généré ses premiers bataillons de fans. Le son est d’une densité et d’une compacité sans faille (pas de breaks, de pauses, de silences, …), on pense à « Closer » de Joy Division, aux premiers Killing Joke (la noirceur et le côté martial). Si les claviers sont omniprésents (pas pianotés comme dans la pop new wave, ils sont sous la forme de nappes chères au krautrock), ils ne servent qu’à doubler la ligne de basse et la mélodie principale, et rajouter à l’atmosphère oppressante du disque. Ils sont aussi utilisés pour remplacer des sections de cordes comme notamment sur « Lullaby » (où ils sonnent comme des violons jouant pizzicato), « Prayers for rain » ou « The same deep water … ».


Dans son ensemble, on pourrait qualifier « Disintegration » de disque baudelairien, « Les fleurs du mal » mises en musique. Mais il n’y a pas qu’un ciel bas et lourd chez Smith. Il y a aussi quelques éclaircies. « Pictures of you » accélère le tempo, le chant est quasi hurlé, et tout cela donne une ambiance majestueuse, solennelle. « Lullaby » est le seul titre où un petit gimmick à la guitare sert de point d’accroche, la rythmique est en contretemps, et les synthés façon section de cordes font de ce titre à mon sens le plus beau du disque.

Il sortira (comme trois ou quatre autres) en single, mais ne sera pas celui qui grimpera en haut des charts. Dans ce rôle, il y aura « Lovesong ». Seul titre réellement en rupture avec le reste de la rondelle. Un morceau clair, limpide, avec une de ces mélodies magiques comme Smith en produit parfois (« Charlotte sometimes », « Boys don’t cry »). Résolument pop, « Lovesong » comme son intitulé le dit, est adressé à Mary Poole, son ancien amour de collège, devenue depuis Mrs Robert Smith. Une des très rares chansons « positives » de Cure, et résolument dans un format radio friendly (trois minutes trente, une intro « courte »).

Les six premiers titres (l’album original en comptait dix, « Last dance » et « Homesick » ont très vite été rajoutés, d’abord en Cd puis en rééditions vinyles) sont globalement plus concis. Par la suite, les morceaux vont avoir tendance à s’étirer, devenir plus « atmosphériques », plus lancinants. On commence avec « Fascination Street » (en référence à Bourbon Street, la célébrissime rue de La Nouvelle Orleans) qui n’a rien de cajun ou de zydeco, avec son tempo assez rapide et sa saturation dans les aigus qui renvoie à « Pornography ». Suit ce que les aficionados considèrent comme l’apex du disque, la triplette « Prayers for rain », « The same deep water as you » et « Disintegration », longs titres (entre six et neuf minutes), ensemble cohérent d’incantations plutôt désespérées d’une tragique beauté. « Prayers … » à l’ambiance « Seventeen seconds », avec synthés imitant une section de cordes, son tempo lent et ses vocaux dans un halo brumeux tout juste compréhensible, est quasiment enchaîné avec « The same deep … », dans lequel Smith qui vient de prier pour la pluie, introduit et termine le titre (joke ?) par des bruits d’orage et d’averses copieuses, sur fond de tempo très down. Pour beaucoup « Disintegration » le morceau, avec son gimmick lancinant comme un abcès dentaire, est une longue plainte de souffrance et constitue un sommet dépressif de toute la disco des Cure.


Manière de montrer que ce disque agit pour Smith comme une thérapie, retour de rayons de soleil (bien voilés les rayons, quand même) avec les deux derniers titres. « Homesick », son intro au piano et sa voix susurrée et un apaisement certain dans le son, impression d’apaisement confirmée par l’ultime « Untitled » (pas besoin de lui donner un titre, il reprend tous les tics sonores du Cure « dark », mais là aussi de façon bien apaisée …

Bon, on rembobine. Smith a conçu « Disintegration » comme une réponse et une antithèse à la dérive pop et commerciale de son groupe. Dans une sorte de geste artistique bravache et romantique (dans le sens du mouvement poétique littéraire français), il confirme que dixit Musset « les plus désespérés sont les chants les plus beaux … ».

Résultat de cette plongée dans l’esprit sombre et tortueux de Robert Smith : « Disintegration », œuvre dans la lignée des grands disques dépressifs genre « Tonight’s the night » de Neil Young ou « Red » de King Crimson, devient dès sa parution le disque le mieux vendu des Cure, succès jamais démenti au fil des décennies …

Top 10 d’office …



Des mêmes sur ce blog :

THE ROLLING STONES - STICKY FINGERS (1971)

 

Définir la décennie ...

Les Stones au début des 70’s sont quelque part, là, tout en haut. Parce que leurs amis rivaux des Beatles ont décidé que les egos ne sauraient s’accommoder de ratiocinations collectives, et ont laissé libre le titre de « plus grand groupe pop-rock-machin-truc … du monde ». Mais les Stones n’ont pas gravi l’Olympe sans quelques dégâts, leur lutin blond fondateur a fini au fond d’une piscine, et ce qui devait être leur consécration américaine (un festival organisé par eux, pour eux et autour d’eux) à Altamont a été un fiasco meurtrier. Et puis leur manager, l’escroc Allen Klein est parti avec la caisse, les droits d’auteurs et les royalties qui vont avec de leur catalogue des années soixante.

Jagger, Jimmy Miller, Richards & Watts

Et même si « Sticky fingers » fait partie de leur bloc discographique majeur qui va de « Beggars banquet » à « Exile on Main St », il marque un tournant. Economiquement, les Stones se prennent en main. Ils créent leur label, Rolling Stones Records, avec son célébrissime logo à la langue rouge. Musicalement, ils intègrent tout à fait officiellement Mick Taylor qui devient le cinquième Stones. Ce qui n’empêche pas tous les autres cinquièmes Stones (Ian Stewart, Bobby Keys, Nicky Hopkins, Jim Dickinson, Billy Preston, Jim Price, voire Jack Nitzche et Ry Cooder) d’être présents sur le disque. La même ribambelle d’ingés-son (Jimmy Johnson, Andy Johns, Chris Kimsey, Glyn Johns, ...) est toujours là, sous la supervision de Jimmy Miller à la production (et occasionnellement aux percussions).

La pochette de « Sticky fingers » est une des plus iconiques du rock. Signée Andy Warhol, gros plan pelvien avec vraie braguette sur les vinyles originaux (ce qui avait le désavantage de ruiner le dos du disque suivant dans l’étagère, qui si l’on était bien ordonné dans son rangement, était celle de « Exile … »). La braguette s’ouvrait laissant apparaître ce qu’on trouve derrière un jean, des jambes forcément et éventuellement un slip (ici, dans un coton très fin sixties – début seventies). Qui était le modèle ? On n’en sait officiellement rien mais Joe d’Allesandro (la connexion Warhol – Factory) a prétendu que c’était lui.


Le son et la direction musicale générale de « Sticky fingers » marquent aussi un tournant. Même si la patte de Jimmy Miller (ce brouhaha sonore qui donne l’impression que toutes les pistes se parasitent mutuellement et qui rend inefficace toutes les remasterisations possibles) est toujours là, le disque est au moment de sa parution le plus américain du groupe. On est dans le basique, dans une version « améliorée » de leurs premiers disques constitués de reprises. Finis les fanfreluches des arrangements de Brian Jones, les titres pop ou psyché ayant culminé avec respectivement « Aftermath » et « Satanic Majesties », remisés au placard les systématiques boogies en open tuning de Keith Richards dont est (trop) rempli leur live « Get yer ya-ya’s out », on se réoriente vers le blues, le rhythm’n’blues et la soul, souvent soulignés par des cuivres.

En ouverture de « Sticky Fingers », un des trois (cinq ? dix ?) titres essentiels des Stones, « Brown sugar ». Naturellement signé Jagger – Richards, mais en fait totalement écrit par Mick Jagger (fait très rare, sinon unique dans toute leur discographie). Un riff d’anthologie, suramplifié par le sax de Bobby Keys, et une merveille d’ambiguïté des paroles, peu consensuelles quelque soit l’angle sous lequel on les envisage (brown sugar, c’est une jeune beauté noire à la peau douce qui bosse dans une maison de passe, ou le surnom d’une certaine forme d’héroïne en argot américain).

« Sway » qui suit c’est la ballade virile, voire violente, qui vu son intro donne l’impression d’avoir été enregistrée live en studio (mais même si tel était le cas, le titre a été overdubbé par la suite). C’est l’occasion d’entendre aussi le premier solo sur le disque de Mick Taylor.

« Wild horses » est une autre ballade, dans le registre country-soul (les racines américaines du disque). Un des meilleurs morceaux du disque, avec un Jagger qui force dans les aigus, et se met en danger vocalement. A noter que c’est sur « Sticky … » et « Exile … » qu’il trouvera et définira son registre vocal, que depuis plus de cinquante ans il s’attache à reproduire, certaines fois de façon quasi caricaturale …

La pièce de bravoure du disque, c’est « Can’t you hear me knocking », pièce de bravoure et par sa longueur (plus de sept minutes, un des quatre ou cinq titres studio les plus longs des Stones), et par son final épique. Introduit par un des riffs les plus sauvages de Richards tout en saturation, mélange de plein d’influences sonores (rock, rhythm’n’blues, soul, gospel, …), et les deux derniers tiers du titre amenés par un fouillis percussif (Jimmy Miller), donnent lieu façon jam à un solo furieux de sax de Bobby Keys (soutenu par Jagger à l’harmonica), avant une démonstration virtuose de Mick Taylor qui signe là sa meilleure partie de guitare stonienne. Titre essentiel, archétype du « son » seventies des Stones, et évidemment une fois Taylor parti, peu ou pas joué en live, car sans faire injure à Keith ou Ronnie, ils ont pas le niveau pour entreprendre ce genre de solo …


La face vinyle se conclut par « You gotta move », antique blues des années 40 de (Mississippi) Fred McDowell et moultes fois repris depuis. Les Stones en livrent une version avec une approche sonore très voisine du traitement appliqué au « Love in vain » de Robert Johnson sur « Let it bleed ».

« Bitch » est un boogie « sérieux », violent, sans fioritures, aux riffs de guitare doublés par les cuivres (Bobby Keys et Jim Price). Pas le titre le plus imaginatif de leur carrière, mais le but n’était pas de faire preuve d’audace musicale, juste de montrer qui étaient les boss … et à ce jeu-là (les Stones qui font du Stones), ils n’ont forcément pas d’équivalents.

Et je maintiens cette théorie que les Stones de 71 font du Stones de la première moitié des années 60 - en mieux - à l’écoute de « I got the blues » qui semble un lointain cousin de « Heart of stone », un des premiers titres composés par Jagger et Richards, sur l’édition anglaise de « Out of our heads » en 1965.


« Sister Morphine », c’est avec « Brown sugar », l’autre titre de légende de la rondelle. Un peu la ballade des soins palliatifs, puisqu’elle évoque les appels désespérés du malade souffrant à son infirmière pour qu’elle lui injecte un peu de morphine pour soulager ses douleurs. Le titre avait été enregistré par Marianne Faithfull deux ans plus tôt en face B d’un de ses singles resté à peu près anonyme, et co-écrit avec Mick Jagger (elle les paroles, lui la musique). L’amour rendant souvent con, elle l’avait laissé paraître sous la signature Jagger-Richards. Ici il est repris par les Stones plus les accompagnateurs de la version originale, Ry Cooder à la slide magique et Jack Nitzche au piano. Ce titre est un classique absolu des Stones, mais ils le traîneront comme un boulet pour avoir spolié lors de la sortie de « Sticky fingers » Marianne Faithfull de ses droits d’auteur. Il faudra attendre de longues années pour que Lady Marianne apparaisse sur les crédits lors des innombrables rééditions du disque (à ce jour, le site de référence Discogs en recense la bagatelle de 587 versions).

« Dead flowers » est un intéressant patchwork sonore où se mêlent passé et futur des Stones. Le titre est un country rock assez classique (un genre musical plus américain tu peux pas), une orientation qui sous l’influence du nouveau pote de biture et de défonce de Keith, un certain Gram Parsons, sera au cœur des inspirations sonores qui aboutiront à la création de « Exile … ». Les traces de leur passé se trouvent dans le refrain très mélodique du titre, qui renvoie à leur période pop-chansons circa 66-67 (« Ruby Tuesday », « Out of time », « Under my thumb », …).


Le disque s’achève avec « Moonlight mile ». Et on peut pas dire que tout est bien qui finit bien parce que ce titre est à mon sens la sortie de route de la rondelle. Pas qu’il soit foncièrement mauvais, mais cette sorte de mantra avec arrangements de cordes rompt avec l’unité sonore de ce qui précède et renvoie à une période (celle de « Satanic Majesties Request ») qui n’est, doux euphémisme, pas la plus célébrée du groupe.

Avec « Sticky fingers », les Stones vont obtenir leur plus gros succès commercial depuis leurs débuts et confirmer leur position de rock band number one in the world. Effet domino, maintenant qu’ils gèrent en direct la partie financière de leur carrière, le fisc anglais va leur tomber dessus et leur réclamer des sommes faramineuses au titre de l’impôt. Ils choisiront l’exil fiscal pour échapper aux percepteurs, et se réfugieront dans le sud de la France pour enregistrer « Exile on Main Street », le successeur de « Sticky fingers » … Mais c’est une autre histoire …


Des mêmes sur ce blog : 


THE JIMI HENDRIX EXPERIENCE - ELECTRIC LADYLAND (1968)

 

Citius, Altius, Fortius ...

Alors qu’on commence à nous les briser menu avec les J.O. exceptionnels (si si, ils seront exceptionnels, c’est Micron qui le dit) de Paris 2024, qui verra une meute de blindés de tous les continents applaudir mollement entre deux coupes de champagne rosé et un shopping Place Vendôme, des sportifs ultra-professionnels et dopés jusqu’aux yeux, causons un peu d’un type et de son disque qui sont eux vraiment allés plus vite, plus haut et plus fort que tous les autres.

C’était en 68, année des eux vraiment mythiques Jeux Olympiques de Mexico. Pendant que Bob Beamon et Tommi Smith sautaient plus loin et couraient plus vite que tous les autres (records qui ont tenu des décennies), et que le même Tommi Smith et John Carlos levaient un poing ganté de noir lors de la cérémonie de remise de médailles du 100 mètres (la photo la plus connue de toute l’histoire des J.O., en dénonciation de la ségrégation raciale dans leur pays, les Etats-Unis), à un peu plus de trois mille kilomètres au Nord-Est du Stadio Olimpico Universitario de Mexico, à New York, un type également pas très blanc de peau, enregistrait un disque qui lui aussi placerait la barre à un niveau infranchissable.

Pochette Linda Eastman

Avant « Electric Ladyland », Hendrix est perçu chez lui, aux States, au mieux comme un phénomène de foire. Ceux qui l’avaient embauché à ses tout débuts dans leur backing band (Isley Brothers, Little Richard, Ike & Tina Turner, …) et qui, soit parce qu’il n’en faisait qu’à sa tête, soit plus vraisemblablement, parce qu’il leur faisait de l’ombre, l’ont viré sans ménagement, l’ont copieusement dénigré auprès de la « profession ». A preuve, Hendrix a dû s’exiler, en Angleterre et en France, faire ses preuves en Europe. Avant de revenir chez lui, où, s’il a cette fois conquis la « profession » (sa prestation à Monterey avec sa guitare embrasée n’est pas passée inaperçue), le « grand public » n’en a pas fait quelqu’un qui compte commercialement parlant.

Là, en 68, il veut marquer les esprits. Toujours avec Mitchell et Redding, il commence des répétitions à Londres, mais commence à regarder vers l’Amérique. Ses premières royalties (enfin, celles qui ne sont pas converties en dope et plaisirs futiles) sont investies dans un club miteux à Greenwich Village, New York. Il a tout d’abord l’idée d’en faire un endroit branché de la nuit new yorkaise, avant, semble t-il sous l’impulsion de la Warner (qui distribue ses disques aux States via le label Reprise) et de son avisé manager Chas Chandler, d’y créer un studio d’enregistrement. Hendrix veut un endroit à sa (dé)mesure, qui s’appellera l’Electric Lady. Il va y laisser tout son fric, les retards vont s’accumuler et l’endroit ne verra le jour que grâce à Warner qui signe le dernier chèque (et récupère plus ou moins l’endroit).

Pochette UK

C’est donc dans l’Electric Lady que Hendrix compte enregistrer son prochain disque. Sauf que vu les circonstances, la quasi-totalité de l’enregistrement se fera au Record Plant, la production sera signée Jimi Hendrix, avec quand même une participation non négligeable de l’ingé-son Eddie Kramer (qui deviendra un producteur connu, on trouvera son nom dans le sillage de Kiss et Led Zep, avant d’être désigné par Janet Hendrix, héritière de son demi-frère Jimi, comme une sorte de légataire sonore de toute œuvre portant le nom de Jimi Hendrix). Pour la petite histoire (la légende ?), Kramer refusait d’enregistrer quoi que ce soit si les musiciens arrivaient sous substance et/ou en consommaient en studio … le quotidien a pas dû être simple pour lui … Et le studio Electric Lady ne sera terminé qu’au cours de l’été 70, et inauguré quelques semaines avant la mort d’Hendrix, qui n’y aura enregistré que très peu de choses, dont aucune parue de son vivant …

« Electric Ladyland », le disque, est évidemment baptisé en référence à son projet de son studio. C’est un disque de rupture, par rapport aux deux disques précédents, qu’on pourrait qualifier de « chansons ». C’est aussi un double vinyle, denrée plutôt rare à l’époque (« Blonde on blonde », « Freak out ! », il m’en vient pas guère d’autres à l’esprit, le Double Blanc et un machin de Canned Heat sont sortis quelques jours ou semaines plus tard il me semble). Faut avoir des choses à dire (Dylan), ou à délayer (Zappa) pour s’attaquer à ce genre de format. Ça tombe bien, Hendrix a plein de choses à dire, et est aussi capable de les délayer.

Pochette Alain Dister

Pour ceux qui auraient pris un siècle de vacances sur une autre planète, il est utile de préciser que Jimi Hendrix en studio, compose, produit, chante, joue de la basse quand ça lui prend, et surtout de la guitare, furieusement électrique de préférence. C’est pas mon genre de m’extasier devant un mec les yeux tournés vers le ciel, les cheveux et le nez dans le manche, toutes grimaces dehors, en train de s’exciter sur le manche d’un objet à forme phallique relié au secteur. Les plaisirs solitaires, c’est faute de mieux quand t’es ado, et plus tard ça relève quand même un peu (et de plus en plus avec l’âge) de tout un tas de sciences dont le nom commence par « psy » … Mais bon, tous les types connus (et même si ça en coûte à certains) ou pas, ayant gratté une six-cordes vous le diront, il y a Hendrix qui caracole loin devant et tout le reste du troupeau qui essaye de suivre (et les pires du troupeau étant bien souvent ceux qui s’en réclament le plus, voir les cas d’école Marino, Trower et SR Vaughan, copistes sans imagination …).

« Electric Ladyland » se retrouve toujours cité parmi les plus grands disques de tous les temps, tous genres confondus, et toujours vers le sommet des palmarès. Bon, pour le coup, ceux qui font qui des listes et des classements numérotés n’ont dans ce cas pas tort.

Un grand disque, ça doit commencer par une pochette qui marque les esprits. On dira que « Electric Ladyland » est a priori l’exception qui confirme la règle. La pochette officielle (celle de Reprise -Warner US) est un gros plan du visage d’Hendrix, de trois-quarts face en légère contre-plongée, figure jaunâtre et cheveux rouge incendie (photo prise lors d’un concert londonien). Hendrix n’aimait pas cette pochette, il voulait une photo de l’Experience prise avec des enfants à Central Park par Linda Eastman (qui contrairement à une légende urbaine n’est pas de la famille Eastman-Kodak, c’est une grande bourgeoise fille d’avocats, qui commence à fréquenter - et ne va pas tarder à se marier avec - un obscur bassiste gaucher anglais, un certain Paul McCartney). On retrouvera cette photo sur des rééditions tardives et expended de « Electric Ladyland ». Au pays d’Aurore Bergé, la pochette mythique est celle du pressage anglais et européen, un parterre de dix-neuf femmes nues sur fond noir. Pochette anglaise et européenne ? Non, car comme dans Astérix, Français et Béneluxois résistent aux infâmes anglo-saxons et se verront gratifiés d’une photo de pochette signée du Français Alain Dister, plutôt collector. Fouillez dans les greniers, la pochette anglaise en édition originale et état mint vaut une blinde, le pressage français chez Barclay avec la pochette Dister peut quand même se négocier plusieurs centaines d’euros … Et s’il y en a que ça intéresse (je viens juste de m’en rendre compte), j’ai une K7 de 1968 de Polydor International (pochette avec les femmes nues) destinée au marché français (avec texte en français) avec les faces des vinyles chamboulées (1.4.2.3), une K7 répertoriée nulle part, même pas dans les 441 versions du disque listées par Discogs. Faire offre (à plus de trois chiffres avant la virgule minimum, collector garanti) …

La pochette préférée d'Hendrix ?

Voilà voilà … mine de rien plus de douze centaines de mots sans un seul pour causer de la musique de cette double rondelle de plastoc …

Venons-en donc aux faits. « Electric Ladyland » est un disque fou. N’importe quel être doué de raison entame son disque par un voire plusieurs morceaux accrocheurs, de la chair à single de préférence. Hendrix non. « … and the Gods made love » est un charabia d’effets électroniques et de voix trafiquées. Il a beau ne durer qu’un peu plus d’une minute, y’a de quoi rester perplexe devant entame aussi ratée … « Have you ever been (to Electric Ladyland ») est à peine meilleur, courte ballade acoustique doucereuse, qu’on s’attendrait plutôt à trouver sur une rondelle signée Donovan, que chez le Maître es Stratocaster et Flying V. « Crosstown traffic » fut le second single extrait du disque. Pop psychédélique aux arrangements fous, réminiscent du trente précédent « Axis : Bold as love », et toujours pas de guitare folle. Cependant le premier titre « sérieux » du disque. Et ensuite, sans vraiment prévenir, premier voyage stratosphérique. « Voodoo chile », jam sur un slow blues. Quinze minutes apparemment enregistrées sans filet, live en studio (on entend des types commenter et applaudir). Et ils applaudissent pas seulement Hendrix qui livre une paire de solos cosmiques, mais aussi le prodigieux Steve Winwood, tout juste vingt ans (et déjà plus que remarqué dans le Spencer Davis Group, Blindfaith et Traffic, excusez du peu). Le minot livre un duel homérique au vieux (25 ans) Hendrix, le poussant dans ses derniers retranchements à coups de duels Hammond B3 – Stratocaster (un procédé qui sera usé jusqu’à la corde chez Deep Purple, sur « Child in time » en particulier). « Voodoo chile » marque aussi un des premiers coups de canif de Hendrix au strict trio Expérience, puisqu’outre Winwood en pièce rapportée, on note la présence de la basse vrombissante de Jack Casady, en RTT de chez la Jefferson Airplane Ltd … Une première face de vinyle encore plus mal commencée que celle de « Tommy » (et pourtant je déteste leur « Overture ») et qui finit par tutoyer les étoiles.

La seconde face est la plus « facile », accessible du disque. Pour faire simple, on dira que c’est la face chansons. Certes plus ou moins barrées, farcies de psychédélisme, et de décharges électriques d’Hendrix. Comme pour se faire pardonner de ne l’avoir pas pris sur « Voodoo chile », Hendrix laisse Noel Redding chanter une de ses compos, « Little Miss Strange », titre classique par sa forme, mais rehaussé par la guitare d’Hendrix, qui commence vraiment à marquer son territoire. « Long hot summer night », les Beach Boys auraient pu en faire un titre de chanson, mais il ne leur serait certainement pas venu à l’idée (et pourtant, niveau « ailleurs », Brian Wilson était pas mal non plus) de le servir dans une interprétation aussi nerveuse, aussi méchante. « Come on » reprise à Earl King suit (en fait au dernier moment, le titre a été avancé d’une piste, il était prévu en quatrième position sur la tracklisting rédigée par Hendrix lui-même). C’est un rhythm’n’blues tirant sur le rock’n’roll, très classique par sa structure, mais distillant une paire de solos qui sont la matrice de tous les guitar héros dispensables pensant que jouer le plus de notes possibles suffit à faire un bon morceau (ce que n’a jamais compris un Alvin Lee, exemple au milieu de tant d’autres). « Gypsy eyes », c’est de la pop envapée, cosmique, et ça aussi ça assure la transition avec « Axis … ». « Burning of the midnight lamp » clôture cette seconde face, offre une approche toute particulière de la soul music, avec une voix farcie d’effets de studio, notamment du phasing.

Faire offre ...

La troisième face vinyle nous offre un Hendrix voyageur cosmique, jouant sur les ambiances plutôt que sur la violence électrique. Personne à ma connaissance n’avait encore exploré cette voie sonore, fusionnant structures rock et murmures jazzy. « Rainy day, dream away » élargit la formule trio (ils sont six crédités, un organiste, un sax très jazzy, un percussionniste et le très massif - mais plus swing que Mitch Mitchell - batteur Buddy Myles, qui accompagnera Hendrix sur le très éphémère Band of Gypsys), on dirait au début du Nat King Cole, avant un hallucinant final strident de guitare. « 1983 … » est l’autre titre épique de « Electric Ladyland ». Il dure lui aussi presque un quart d’heure, débute comme une balade psychédélique, puis évolue vers de longues séquences apaisées, bruissements jazzy que seuls viennent sortir de leur torpeur de courts solos de batterie, de basse, de guitare, et vers le final la flûte de Chris Wood (compère de Winwood dans Traffic). On peut zapper la minute de « Moon, turn the tides … » qui reprend les mêmes ingrédients inaudibles que « … and the Gods made love ». Dont à mon sens, il sert de miroir, manière de montrer que la boucle est bouclée, et le disque terminé.

Parce que la dernière face vinyle est une arnaque, du remplissage. Quatre titres, dont trois relectures de morceaux issus des faces précédentes, et une reprise d’un machin bien connu de Dylan. C’est un peu le problème des doubles albums, tu as davantage de musique que pour un simple, mais c’est dur d’arriver au bout, alors tu délayes. Sauf que ces quatre délayages d’Hendrix, c’est à peu près la meilleure face vinyle des années 60, décennie qui en a pourtant alignées de grandioses, des faces vinyles. « Still raining, still dreaming » est une relecture de « Rainy day, dream away ». Qui laisse au placard les ambiances jazzy et voit les mêmes six musiciens se lâcher dans une débauche électrique avec les fameuses phrases zigzagantes de Telecaster qui ont traumatisé des générations de gratteux. « House burning down » est une extrapolation de la mélodie de « Crosstown traffic », beaucoup plus syncopée, violente et toute guitare en avant. Et dès lors, alors que les deux premiers titres de « Electric Ladyland » sont les plus faibles, on en arrive à cette totale incongruité, les deux meilleurs se retrouvent à la fin. « All along the watchtower », c’est tellement devenu un morceau d’Hendrix qu’on en oublierait presque que c’est un single (assez succesful d’ailleurs) récent de Dylan. La tonalité est changée, la trame country folk noyée sous un rock qui serait classique s’il n’y avait pas ces deux solos extraterrestres. L’anecdote, que j’ai déjà placée (peut-être même plusieurs fois), c’est que c’est la version d’Hendrix qui est devenue la version « officielle » de la chanson et quand Bob Dylan a été intronisé au Rock and Roll Hall of Fame, lors du bœuf final, tout un tas de people plus ou moins potes ont rejoint Dylan pour jouer « All along … ». Dylan a forcément joué sa version, tous les autres celle d’Hendrix, dont notamment George Harrison, qui partageait le micro avec Dylan et a chanté le premier couplet. Quand est venu le tour de Dylan, il a bafouillé les deux premiers vers avant de se caler sur le « tempo Hendrix », tout en continuant de jouer « sa » version à la guitare (y’a les vidéos, tout ça se voit et s’entend). « All along … » sera le premier single du disque (sans grand succès d’ailleurs, les « vrais » amateurs de musique préféraient à l’époque le format album). La conclusion de « Electric Ladyland » va encore plus marquer les esprits. Décliné de « Voodoo chile » ce « Slight return », ce n’est rien de moins que la codification définitive du hard rock (après le prototype « You really got me » des Kinks et les lourdeurs psychédéliques des Blue Cheer et autres Vanilla Fudge). Il y a les Tables de la Loi dans « Voodoo chile (slight return) ». L’intro addictive, le gros riff central saturé, et les solos pentatoniques descendus sur le manche, cinq décennies de hard rock découlent de ce titre …

Stop. Ça suffit … il y aurait encore beaucoup à dire sur la production d’Hendrix (proche celle de Syd Barrett sur le premier Floyd, ces sons tourbillonnants qui passent du fond au mix au premier plan, ces effets stéréo très psychédéliques), sur son approche unique de la guitare (disséquée par des milliers de gratteux, mais jamais dupliquée), sur des textes qui au milieu d’un fatras acide expérimental restent en phase avec l’actualité (les émeutes raciales, le Vietnam, …), sur l’évolution musicale d’Hendrix (« Electric Ladyland » c’est le point d’orgue et final de la musique psychédélique, on va maintenant passer à plein d’autres choses, tout en continuant à se défoncer copieusement…), sur l’impact d’Hendrix sur la culture populaire (quarante mois entre la sortie de « Are you experienced » et sa mort, et son nom toujours cité à tout bout de champ), …

Citius, altius, fortius, j’avais dit au début … Je persiste et signe …


Du même sur ce blog :

Are You Experienced



THE BAND - THE BAND (1969)

 

Les profs d'Histoire ...

Le Groupe, l’Orchestre … Traduisez ça comme vous voulez en français, en aucun cas ça va sonner flashy ou sexy … un des patronymes les plus neuneus de la longue aventure du wockandwoll. Pour tout arranger, une des pochettes les plus moches de l’histoire du vinyle. Monochrome vaguement sépia, pas de titre, juste « The Band » au milieu en haut, et une photo des types en bas. Et je vous assure c’est bien eux en 1969, ils se sont pas déguisés, ils étaient vraiment comme ça, avec leur look de Mormons du XIXème siècle, voire de méchant de Tintin (Garth Hudson, le plus barbu du lot, de toutes façons ils sont tous barbus ou moustachus). Pour ne rien arranger, ils sont même pas des U.S.A. (à part Levon Helm, le barbu blond), mais Canadiens, et on sait bien que les Ricains, ils peuvent être bien ouverts d’esprit, mais poussent généralement pas cette ouverture jusqu’à faire entrer dans leur Panthéon des étrangers … et pour finir, The Band a eu droit à une épitaphe cinématographique (pourtant signée par un fan et un pote – de défonce – de Robertson, Martin Scorsese), aussi longue qu’indigeste, pleine d’amis guère concernés invités, « The last waltz » …

Ceci posé, il n’en reste pas moins que cette rondelle sans titre est une des meilleures et des plus cruciales de tous les temps. Et comme dirait Macron, je vais vous le démontrer, et interdit de ne pas être de mon avis …


Faut commencer par remonter dans le temps. Les types du Band ne sont pas nés de la dernière pluie quand ils font paraître ce disque, leur second, à l’automne 69. Les Canadiens du lot ont commencé par accompagner un expatrié américain, Ronnie Hawkins (dont il n’est pas stupide de ne rien savoir) sous le nom de The Hawks (déjà un nom très imaginatif, Hawkins – The Hawks). Cela leur permit de se faire remarquer par Bob Dylan qui en prit une paire en studio, puis tout le reste par copinage. C’est dans le foutoir qu’étaient les séances studio de Dylan qu’ils rencontreront Levon Helm, et l’accompagneront notamment sur la fameuse tournée « électrique » de 65-66. Ils le suivront dans sa convalescence après l’accident de moto du côté de Woodstock, où ils emménageront communautairement dans une ferme, Big Pink. Les types retranchés dans cette ferme (les Hawks + Helm) deviendront The Band, jammeront avec Dylan (les « Basement Tapes » parues en 75), et commenceront à enregistrer leur propre disque.

Leur premier, « Music from the Big Pink », sera sous forte influence Dylan (trois titres écrits ou co-écrits par le Maître) plus un single, « The Weight » devenu d’autant plus culte qu’il sera intégré au soundtrack du road movie hippie « Easy Rider ». Un bon disque, voire plus, mais rien de comparable à « The Band ».

Le principal pourvoyeur de titres est le guitariste Robbie Robertson. Parenthèse. C’est lui qui est crédité des douze titres du disque, ne partageant les crédits que sur quatre (trois avec Richard Manuel, un avec Levon Helm). Aux dires des autres protagonistes, la réalité ne serait pas aussi simple, si Robertson amenait bien l’ossature des morceaux, tout le monde participait à l’écriture. Et donc fatalement, une fois les liens humains quelque peu distendus (assez vite, vers 73-74), les rancœurs et inimitiés sur fond de droits d’auteur vont apparaître, entraîner la dissolution du groupe et de nombreuses tensions lors des tentatives (plutôt bien foirées artistiquement) de reformations. Fin de la parenthèse. Et si on sait pas trop qui a écrit quoi, c’est un peu la même énigme sur qui joue quoi (ils sont à peu près tous multi-instrumentistes et laissent volontiers leur instrument de prédilection à un collègue). Ils chantent aussi (ou font des chœurs) tous, mais là, c’est un peu plus facile à identifier (Manuel, Helm et Danko se partagent à peu près équitablement les voix lead).


S’il fallait définir rapidement « The Band », et pour prendre un point de repère archi-connu, il convient de citer « Déjà Vu » de Crosby, Stills, Nash & Young paru l’année suivante. « Déjà Vu » est un classique incontestable et indépassable. « The Band » est aussi bon, mais va plus loin dans le passé, ne se contentant pas de raccrocher la culture hippie aux racines folk et country. Le Band va y rajouter des sources d’inspiration beaucoup plus antiques, qui remontent à la musique que jouaient les premiers colons non hispaniques du continent. Le Band, c’est pas des types nés vieux qui jouent de la musique pour des vieux, c’est des types nés vieux qui jouent de la musique pour des morts depuis des siècles … Le premier disque de synthèse de toutes les musiques nées sur le continent américain, ce genre passéiste et nostalgique qu’on appellera vingt ans plus tard americana c’est celui-là.

« The Band » est un disque rustique, campagnard. Même s’il a été écrit dans la cambrousse de l’Etat de New York, le disque a été enregistré dans une villa d’Hollywood, ayant eu comme locataires ou propriétaires Sammy Davis et Judy Garland, pas les plus sobres du show-biz. En cela la tradition a perduré avec le Band, qui derrière leur look de prêcheurs baptistes d’un autre siècle, étaient de furieux alcoolos et toxicos.

Le disque commence par un contre-pied, un titre léger, joyeux et festif (« Across the great divide ») qui tranche avec l’aspect tristos de ses auteurs et de la pochette. « Across … » comme à peu près tout ce qui va suivre, est un foutoir total, où le groupe a jeté des bribes de rock, de folk, de funk, de country. Quiconque s’essaie à ce genre de mix finit généralement avec une bouillasse inaudible. Sauf que les types du Band sont des musiciens accomplis et « sérieux » (Hawkins, mais surtout Dylan ne toléraient pas les médiocres et étaient des chefs d’orchestre, savaient ce qu’ils voulaient et attendaient de chacun). Tous les titres de « The Band » sont évidents, on a l’impression de les avoir entendus mille fois, alors que ce sont tous des compositions originales. « Rag mama rag » arrive ensuite, c’est comme son titre l’indique basé sur du ragtime, cet ancêtre du jazz, tout juste actualisé par un accompagnement électrique discret. Titre « difficile » pour l’époque (et ne parlons pas d’aujourd’hui), qui fut étrangement choisi comme single, à croire que les gens de Capitol, qui finançaient la rondelle, voulaient pas gagner d’argent avec …


Cette doublette introductive est d’un très bon niveau, mais pas de quoi sauter au plafond non plus. Et là, tout à coup, sans crier gare, le Band va aligner à la suite une demi-douzaine de titres stupéfiants, parfaits … « The night they drove Old Dixie down » a été perçue comme la chanson « engagée » du Band. Ouais … sauf qu’au lieu de parler comme tout le monde à l’époque de la guerre du Vietnam, elle met en scène un soldat sudiste lors de la fin de la Guerre de Sécession, qui en même temps que la défaite voyait la fin d’un monde, de son monde. Chantée par un Américain du Sud et fier de l’être (Levon Helm), certains ont voulu y voir ce qui n’y était pas (un regret des « valeurs » sudistes, notamment l’esclavagisme). Rarement mélancolie et tristesse de la musique ont été aussi raccords avec les paroles. « When you’re awake » semble tout bancal, tout de guingois, hésitant, se mettant progressiveemnt en place. Mélodie géniale que n’aurait pas renié un McCartney de la même époque … « Up on cripple creek », un mid-tempo pépère, déconcertant de simplicité, avec un affolant gimmick d’un prototype de clavinet (cf « Superstition » de Stevie Wonder). Ce titre, bien qu’imparable, ne fera qu’une modeste carrière en single (25 au Billboard). « Whispering pines » clôture la première face vinyle. C’est la ballade sixties en apesanteur, dans la lignée de « Nights in white satin » et « A whiter shade of pale », le côté légèrement pompier des Moody Blues et de Procol Harum en moins. La voix lead aigue est celle de Richard Manuel, tout comme dans « Jemina surrender » chanson triste et nostalgique (les forêts de conifères du Canada) qui louche vers le country & western. « Rockin’ chair » conclut cet enchaînement de titres parfaits, c’est du country folk qui aurait pu figurer sans problème chez C, S, N &Y …

Les quatre derniers titres ne sont pas fabuleux, ils sont juste excellents. « Look out Cleveland » est un rock’n’roll hurlé par Rick Danko, à mi-chemin entre ceux des pionniers et ceux qui sont en train d’être revisités par les premiers groupes de hard à grands coups de Gibson reliées aux amplis Marshall. « Jawbone », parce qu’il en faut toujours un, on dira que c’est le maillon faible de la rondelle, malgré l’originalité du mix sonore entre pop et rhythm’n’blues. « The unfaithful servant », c’est le morceau ensoleillé du disque (écrit par Robertson à Hawaï, ça sent les vacances), chez lequel certains musicologues ont décelé l’influence du jazz de Bill Evans (si les musicologues le disent, amen …). Last but not least, « King Harvest » (has surely come) » est une ruade rock & soul, le seul titre où Robbie Robertson balance des accords et des solos de guitare stridents. Le titre serait inspiré d’un obscur machin des débuts de Stevie Wonder, du temps où la Motown mettait en avant son petit prodige Little Stevie.

Dylan & The Band Isle of Wight 1969

« The Band » ne va pas vraiment conquérir les foules. A sa parution, le groupe vient de jouer en voisin à Woodstock dans l’indifférence générale, tous les hippies présents croyant dur comme fer qu’ils assisteraient à un concert de Dylan accompagné du Band. Evidemment, Dylan, en roi de la pirouette inattendue, n’est pas venu … La suite sera une lente et sûre dégringolade jusqu’au concert d’adieu de 76, pour la dispensable dernière valse …

Forcément, ce disque hors de son temps sera réhabilité et plus tard considéré comme une pierre angulaire du rock américain. Une sorte de disque maudit, que tout le monde cite, mais que peu ont un jour écouté ou acheté …

Belle réédition en 2000, avec un inédit, plus des versions alternatives des meilleurs titres.

Bon, voilà on a fait le tour. On fait quoi, maintenant ? Ben on se repasse le disque, encore et encore …





DAVID BOWIE - THE RISE AND FALL OF ZIGGY STARDUST AND THE SPIDERS FROM MARS (1972)

 

Passer au niveau supérieur ...

1972 … David Jones rebaptisé Bowie essaie depuis huit ans (« Liza Jane », 1964) de capter la lumière des projecteurs de la célébrité. Il s’est beaucoup dépensé, a suivi beaucoup de courants musicaux, seul ou avec des groupes. Il a même eu un hit, « Space Oddity », surfant sur la vague « 2001, Odyssée de l’Espace ». Il vient de signer un grand disque (« Hunky Dory ») accueilli favorablement par la critique, nettement moins par le public … La preuve, le titre imparable qu'il contenait (« Life on Mars ») a fait un bide en single (ce titre ressortira en 73 et il finira cette fois en haut des charts). Et pire pour l’amour-propre de Bowie, son pote Marc Bolan avec qui il rêvait de conquérir les charts, est devenu l’idole des jeunes anglais (et des très jeunes anglaises) avec ses chansons pour lesquelles on a créé le terme de glam-rock …

David Bowie début 1972

Rétrospectivement, on peut dire que Bowie va tenter un coup de poker fabuleux, de ceux qui peuvent à jamais te ridiculiser ou faire de toi une superstar. Parce que, réfléchissons cinq secondes, comment faire gober a priori un concept fumeux aussi con que celui de Ziggy Poussière d’Etoile et ses Araignées de Mars, à un public anglo-saxon qui a connu les Beatles et voit les Stones au sommet de leur art (pour ne citer que les deux grands groupes de la perfide Albion) ? Bonne question, camarade, j’ai bien peur qu’elle reste à jamais sans réponse … C’est peut-être à ce genre d’intuitions géniales qu’on reconnaît les meilleurs, les plus grands … renverser la table et repartir de zéro …

« Concept » et musique chemineront de pair. Ziggy Stardust est l’antithèse du Major Tom de « Space oddity ». Major Tom partait vers les étoiles dans sa fusée, Ziggy est un alien qui arrive sur Terre. Bon, je vous l’accorde, faut avoir cinq ans ou pris les bonnes drogues pour trouver le concept intelligent voire intéressant (et je vous fais cadeau des paroles des chansons (de l’alligator bisexuel de « Moonage daydream » au temps qui prend une cigarette dans « Rock’n’roll suicide », y’a de quoi se gratter l’occiput …). Le personnage de Ziggy Stardust est un mix improbable de Vince Taylor, (forcément) Iggy Pop, et de l’excentrique countryman Legendary Stardust Cowboy. Bowie se coupe les cheveux, les teint en jaune citron, commence à rechercher des tenues extravagantes en suivant de près les créateurs de mode japonais. C’est ce look qu’il arbore sur la pochette de « … Ziggy Stardust … » (si le pèlerinage londonien des pochettes de disques vous intéresse, après le passage clouté devant les studios au 3 d’Abbey Road, rendez-vous au 23 Heddon Street pour celle de « … Ziggy Stardust … »). Ne pas s’y tromper, le meilleur est quand même ce qu’il y a à l’intérieur de la pochette …

Le même, quelques mois plus tard

« … Ziggy Stardust … » a été enregistré dans la foulée de « Hunky Dory ». Six mois jour pour jour séparent les deux disques (Décembre 71 pour le premier et Juin 72 pour le second, ça on peut pas l’ignorer, tellement les célébrations du cinquantenaire de la parution ont été médiatisées). Et la tournée qui suit la parution de « Hunky Dory » qui débute en Février 72 sera basée sur les titres à paraître … Imagine-t’on de nos jours une quelconque « vedette » issue des télécrochets sortir un disque tous les six mois et tourner avec un tiers d’inédits au répertoire ? Répondez pas tous en même temps, mais quelque part on a les idoles qu’on mérite …

« … Ziggy Stardust … » a une place particulière dans la discographie de Bowie. Tout en haut … alors que la période Ziggy n’a duré que de Février 72 au 3 Juillet 73 (« mort » officielle de Ziggy Stardust lors du concert documenté par un live au Hammersmith Odeon). La raison est toute simple, ce disque est incontournable parce qu’il est excellent, un des marqueurs essentiels du rock seventies et du rock tout court.

Bolder, Woodmansey, Bowie & Ronson : Spiders from Mars

Des points faibles ? En cherchant bien, une paire. Le cœur du disque, « It ain’t easy » et « Lady Stardust » (sur le vinyle dernier titre première face et premier seconde face) est constitué par les deux morceaux qualitativement en retrait par rapport aux autres. Le premier, une reprise du peu connu Ron Davies (compositeur américain « tout-terrain » venu de la country) dénote avec la tonalité générale de l’album et la seconde, ballade bien dans le concept du disque, mais composition prévisible. Ces deux titres ne seront quasiment jamais joués sur scène tout du long de la carrière de Bowie. Autre point discutable, le choix délibéré de Bowie de chanter très haut dans les aigus, alors qu’il a une palette vocale beaucoup plus étendue … bon, fin de la rubrique « cherchons des poils sur les œufs » …

Alors, il y a les compositions dont un bon paquet font partie de ce que Bowie a fait de mieux. Une mise en place sonore qui est un modèle du genre. Captation d’un quatuor « basique » (basse-batterie-guitare-chant) sur lequel les ajouts (sax, piano, orchestre à cordes) semblent couler de source. Le tout en glorieuse stéréo seventies (des effets très clairs entre droite et gauche), une voix de Bowie souvent doublée sur les refrains, et des mises en avant de la guitare de Ronson quand celle-ci prend le jeu à son compte, qu’il s’agisse de riffs ou de solos. Aux manettes, Ken Scott, venu des studios Abbey Road qui a fait ses premières armes comme assistant de George Martin sur les disques des Beatles, ce qui donne quand même quelques idées sur la façon d’utiliser du matériel d’enregistrement. Et nul doute que si officiellement ce sont Bowie et Ronson qui sont crédités aux arrangements, Ken Scott y est aussi pour quelque chose. Quelques exemples, le fade-in de batterie sur l’intro de « Five years », les riffs colossaux de Ronson sur « Soul love », ceux de « Moonage daydream » qui shuntent le fading de « Soul love », le crescendo à apprendre dans les livres d’histoire de « Rock’n’roll suicide ».



Bowie & Ronson live at Santa Monica

« … Ziggy Stardust … » est le disque qui a fait de Mick Ronson un des guitaristes marquants des années 70. Capable de s’effacer, de se faire rythmique et discret, et puis d’exploser dans les tweeters pour des riffs d’anthologie (« Soul love », « Moonage daydream », « Star », « Suffragette City »), ou de solos marquants (le final de « Moonage daydream », celui de « Hang on to yourself »).

Avec ce disque, Bowie règle définitivement son compte à Bolan. Certes, T. Rex sera en Angleterre et en Europe un plus gros vendeur. Mais Bolan se verra dépassé sur son aile gauche. A grands coups de déclarations tapageuses so shocking pour la société de l’époque (« je suis bisexuel »), de maquillages peu discrets, et d’excentricités capillaires et vestimentaires en tout genre, Bowie va pousser le bouchon beaucoup plus loin que son ami-rival. Mais là où Bowie fera la différence, c’est qu’il va aller (alors que commercialement il n’y est rien) « démarcher » le public américain, multipliant les tournées Outre-Atlantique. En une paire d’années, il y deviendra, sinon une superstar (trop clivant, imaginez l’effet du look Ziggy – Diamond Dogs dans le Midwest et le Sud profond), en tout cas quelqu’un de connu …

Comme c’est écrit au verso de la pochette, « to be played at maximum volume » … et le plus souvent possible …


Du même sur ce blog :

LED ZEPPELIN - LED ZEPPELIN II (1969)

Le bon numéro ?

A moment donné, faut faire preuve de pédagogie, se servir de ses cheveux blancs pour éduquer les générations futures. Ainsi, à la question de savoir quel est le meilleur Led Zeppelin, il faut répondre : « Le II ». Après sept ans de réflexion peut-être, mais sans hésiter. En plus, la même réponse peut servir pour plusieurs questions, du genre quel est le meilleur disque de Robert Plant ou de Jimmy Page depuis un demi-siècle… Surtout Jimmy Page …

Parce que parler de Led Zeppelin sans mettre au premier plan son guitariste serait une faute professionnelle. Non pas parce que Page est guitariste, on s’en fout … quoique s’il avait joué du tuba, du balafon ou du triangle, on aurait peut-être moins causé cinquante ans pile poil après les faits de ce dirigeable-là. Mettons les poings dans ta gueule et accessoirement sur les i, sans Jimmy Page, Led Zeppelin serait aussi célébré aujourd’hui que Vanilla Fudge ou Granicus, si vous voyez ce que je veux dire. Alors que le Zep, ça résume à lui seul les années septante dix (j’aime écouter le son des Gibson, le soir au fond des bois), dans tout ce qu’elles ont eu de meilleur, et aussi de pire. Dans cette décennie-là (j’y étais), écouter de la musique était un acte culturel, à la limite un choix politique à lui seul, fallait choisir son camp, se laisser pousser les cheveux tout ça, et ne jamais être d’accord avec ses parents. Et puis tout ça est parti en sucette, tous nos héros sont devenus aussi cons et aussi hors sol que le premier Macron venu qui aurait gagné une élection présidentielle (mauvais exemple, lui et sa mafia de polytechniciens étaient aussi cons avant de la gagner la putain d’élection …)
Parce que Page a inventé et défini … le son ultime du rock, tout simplement. Parce qu’il faut écouter les Stones de « Exile … » en vinyle, Dire Straits en Cd, le Floyd en Blu-ray multicanaux (alors qu’avant c’était en vinyle), Led Zep, tu peux l’écouter comme tu veux, quand tu veux et sur n’importe quoi, sur le radio K7 d’une 4 L si ça te chante (ou pire en playlist sur Spotify), ça va te coller au plafond. Tu peux rééditer le catalogue, le remixer, le remastériser, rien n’y fera, ça envoyait la foudre y’a cinquante ans et ça n’a pas pris une ride.
Un exemple parmi mille : fin 1965, les Beatles laissent tomber leurs petits costards, leurs cheveux se mettent à pousser, et ils sortent « Rubber Soul », pas exactement une galette insignifiante. Moins de quatre ans (oui, quatre ans, ce doit être aujourd’hui le temps moyen entre deux rondelles soporifiques de n’importe quelle plus ou moins légende octogénaire du rock) après « Rubber Soul », sortait « Led Zeppelin II ». Un monde et une éternité séparent ces deux disques cruciaux, sans qu’il soit besoin de ressortir le couplet historique pourtant pertinent (fin 69, Altamont, la fin d’une époque autant que d’une décennie, …). Autant les Beatles ont révolutionné leur monde en proposant des choses très jolies minutieusement mises en place, autant le Zeppelin se positionne du côté de la provocation et de l’outrage. Et tous les Peter Grant du monde n’auraient servi à rien si derrière il n’y avait pas eu, comment dire, de la matière.

Alors, le « II » … Ne jamais oublier non plus que le 1er Led Zep est paru il n’y a même pas dix mois. Le groupe tourne sans relâche, visant d’entrée l’hégémonie mondiale. Les titres du « II » sont la plupart écrits sur la route, et enregistrés vite fait entre New York, Londres et Los Angeles. Et malgré tout, ce qui frappe, c’est l’unité sonore. Aucun autre disque du Zeppelin ne sera aussi homogène… Parce que le Zep est trop doué pour s’en tenir à un seul genre, en un morceau bégayé pendant toute une carrière. Led Zeppelin écrira des titres fabuleux qui n’ont rien à voir avec son fonds de commerce (« Gallows Pole », « Stairway to heaven » ou « Kashmir » ne sont pas des décalques de « Dazed and Confused ») laissant transparaître des influences celtiques, heroic fantasy ou orientales.
Il y a dans le « II » les prémisses de ces explorations qui arriveront dès le suivant. Mais ici traitées par l’homéopathie (pauv’ Juliette) comme ces sonorités celtiques que n’arrivent pas à cacher le fonds bluesy et le B3 de Jones sur « Thank you », ou cette place laissée à l’acoustique sur « Ramble on ».
Bon, il y a comme un air de déjà vu avec le « I », ne serait-ce que pour l’inspiration / pillage (rayer la mention inutile, mais les deux fonctionnent) des bluesmen (Willie Dixon sur « Whole lotta love », Howlin’ Wolf sur « The Lemon Song »), ou sur le dernier titre, « Bring it on home » patchwork sonore d’obédience bluesy comme l’était son siamois « How many more times » sur le « I ».
Et puis, même si c’est sur le « IV » qu’on trouvera les morceaux les plus connus du dirigeable, les meilleurs titres sont bel et bien sur le « II ». « Whole lotta love » pour commencer, avec d’emblée sa guitare reptilienne, la basse grondante de Jones, la voix hurlée de Plant, et le Bonzo qui écrabouille ses fûts. Avec son intermède rempli d’arrangements futuristes pendant que Plant simule l’orgasme et que Page se prépare sournoisement à envoyer une foudre à base de riffs monstrueux … « What is … » offre un quiet / loud d’anthologie (les Pixies ou Nirvana n’ont pas inventé ça, d’ailleurs le minot Cobain a appris à jouer de la guitare en reprenant du Led Zep) d’une complexité mélodique ahurissante, striée par les killers riffs de Page qui se répondent en écho sur la stéréo … Led Zeppelin est un maître de la tension sonore sur « The Lemon Song » dont le côté bluesy nonchalant ne sert que d’introduction à une accélération de dragster ponctuée par douze milliards de notes lâchées par Page en moins de temps qu’il n’en faut à un député de LaRem pour trouver une idée de nouvelle taxe … « Thank you » dont il a déjà été question clôture une de ces faces de vinyle comme on aimerait en entendre plus souvent.
Peter Grant, Ahmet Ertegun & Led Zeppelin
La seconde commence sur le même niveau d’excellence. Par « Heartbreaker » un truc tout simple (par la construction) mais d’une mortelle précision chirurgicale, avec deux solos de la mort qui tue sa race de Page, le premier inventant toute la phraséologie qui fera la fortune d’Angus Young et le second lancé comme un défi au faux-ami mais vrai rival Jeff Beck. Titre quasiment enchaîné avec « Living loving maid » qui une fois qu’on l’a gravé dans son cerveau permet de reconnaître à la première note Jimmy Page. Je rêve pas la nuit de guitar-heroes dont la prétention n’a souvent d’égale que la vacuité démonstrative, mais quand ces types trouvent un son, une manière unique de faire sonner leur instrument, je suis client, et le Jimmy Page fait partie de ces rares qui offrent beaucoup plus qu’un stéréotype de chevelu grimaçant sur le manche de son phallus à cordes … Intermède acoustique donc ensuite avec « Ramble on » avant le titre que j’ai le plus tendance à zapper, ce « Moby Dick » qui sert de vitrine à Bonham. Que ce type soit un des plus grands batteurs du rock, OK, mais remplacez trois lignes au-dessus solos de guitare par solo de batterie, et vous aurez mon avis sur la question. Et puis si on trouve ça bien, on peut tomber dans les drogues dures et s’extasier de performances longues comme un jour sans Pastis à Marseille de tous ces Ginger Baker, Billy Cobham, Christian Vander, j’en passe et des plus pénibles avec leurs kits de fûts, toms et cymbales genre château de cartes défiant les lois de l’équilibre, de l’architecture et du bon sens …
Et donc à la question de savoir quel est le meilleur Led Zep, il fallait bien répondre le « II ». Ce qui ne doit surtout pas empêcher d’en écouter quelques autres …


Des mêmes sur ce blog :
Led Zeppelin