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BUDDY HOLLY & THE CRICKETS - THE CHIRPING CRICKETS (1958)

 

Holly soit qui mal y pense ...

25 Février 1957. Séances d’enregistrement de « That’ll be the day », paru cinq mois plus tard. 3 Février 1959. Mort de Buddy Holly dans un crash d’avion. En comptant large, 23 mois de « carrière ». Enfoncés Hendrix, Cobain, et tous les crucifiés du Club des 27 (de toutes façons Holly n’avait que vingt deux ans). Question reconnaissance posthume, Holly bat tous les records.

Parce que parmi ceux qui l’ont comme référence primordiale, y’a du lourd. Du très lourd.

Buddy Holly & the Crickets

Bob Dylan. Dans son discours (qu’il a envoyé, il a pas daigné se déplacer) à l’occasion de la remise du Prix Nobel de littérature (2016), il cite comme influence majeure (en lieu et place de tous les Guthrie, Seeger ou Leadbelly auxquels on était en droit de s’attendre) Buddy Holly. Il explique qu’à dix sept ans, il a fait 150 bornes pour le voir en concert, deux jours avant sa mort. Et qu’il a ressenti pendant le show l’émotion musicale de sa vie, que c’est grâce à Buddy Holly qu’il a voulu écrire des chansons et les jouer sur scène.

Les Beatles. Un certain John Lennon, traumatisé par son second (et dernier) disque (l’éponyme « Buddy Holly ») se fait le même look que lui, (coupe de cheveux et binocles) et baptise le premier groupe qu’il forme avec McCartney les Silver Beetles, en hommage aux Crickets, les accompagnateurs de Buddy Holly. Les Beatles reprendront « Words of love » sur « Beatles for sale » leur quatrième disque.

Les Rolling Stones. Leur troisième single anglais est une reprise de « Not fade away » (numéro 3 des charts). C’est aussi leur premier single paru aux Etats-Unis.

C’est pas tout. De tous ceux que l’on qualifie de « pionniers » du rock, Buddy Holly est un des très rares (avec le Johnny Burnette Trio) à opérer avec un backing band attitré, les Crickets. Qui faisait qu’il pouvait sortir des disques sous son nom propre ou avec son groupe (de toute façon, c’étaient les mêmes qui l’accompagnaient). Seul Rod Stewart a fait aussi bien voire mieux à l’époque des Faces, dont il était le chanteur (chez Warner), les mêmes Faces l’accompagnaient sur ses disques solo (chez Mercury). Buddy Holly, en « solo » ou avec les Crickets, était chez MCA.

Buddy Holly

Plutôt pingre, la vénérable maison ricaine. Ce « Chirping Crickets » dure 26 minutes pour 12 titres. Ce qui aurait pu laisser de la place pour rajouter quelques singles dont le Holly n’était pas avare (un tous les deux mois en moyenne, et pas des bouche-trous). Pour ne rien arranger à l’histoire, ce disque est doté d’une pochette assez repoussante. Certes, Buddy Holly et ses copains n’étaient pas des sex symbols (on leur donnerait cinquante balais chacun), mais j’espère qu’ils ont pas payé le photographe. Avec en plus d’avoir l’air totally neuneu, il manque un morceau de la tête à celui à gauche de Buddy Holly (en fait non, après avoir vu plusieurs photos sur le Net, il avait une coiffure vraiment très étrange) …

Mais comme un disque, belle pochette ou pas, c’est surtout fait pour être écouté, il y a quoi à se mettre entre les oreilles dans « The chirping Crickets » ? Au moins cinq classiques du binoclard. Avec par ordre d’apparition « Oh boy » (rockabilly aux relents de gospel), « Not fade away » (transposition en encore plus saccadée du Diddley beat), « Maybe bay » (quintessence du Buddy Holly style, premier génie pop ever, du Beatles avant l’heure), « It’s too late » (grille d’accords éternelle pour chialer dans sa bière parce la baby elle s’est barrée), et l’imputrescible « That’ll be the day », un des classiques absolus du rock des 50’s.

Ce qui permet de se rendre compte de plusieurs choses. Buddy Holly était un compositeur de génie, et un chanteur étonnant, vocalement limité à bien des égards, des limites qu’il arrive à compenser par un élan juvénile (on y va, on fonce, on verra bien …), participant à la création de ce phrasé approximatif à base de hiccups et de changements incessants d’octaves, que l’on trouve souvent dans le rock des pionniers.

Autre chose dont on se rend compte. Les trois-quarts des titres sont cosignés par Norman Petty, également producteur exécutif. On a longtemps vu dans Petty une sorte d’escroc à la Colonel Parker. Sauf que contrairement au faux bidasse d’Elvis, Petty avait déjà un petit nom dans le music business, ayant travaillé avec notamment Roy Orbison et « découvert » le tout jeune Waylon Jennings qui intègrera la dernière version des Crickets (et a eu la bonne idée de céder sa place dans l’avion qui allait se crasher au Big Bopper). Bon, sinon Petty s’est paraît-il bien gavé abusivement de droits d’auteur, mais son travail en studio est incontestable, et il n’est pas stupide d’affirmer (tendance générale) que sans Norman Petty, il n’y aurait pas eu de Buddy Holly, ou du moins pas à ce niveau-là.


Parce que Holly est un défricheur. Et un traditionnaliste à la fois. Défricheur parce qu’il a introduit dans le rock des fifties, un caractère mélodique inédit, séparé, voire déconnecté de l’aspect rythmique qui jusque là l’incluait (voir le cas d’école Chuck Berry, où c’est le rythme qui contient la mélodie). Et traditionnaliste parce que Buddy Holly part très souvent d’extrapolations de choses bien définies comme le gospel (« Oh boy ») et surtout le doo wop (« You’ve got love » et les quatre derniers titres de la rondelle, pas les plus connus et qui font un peu office de remplissage tant ils semblent déclinés à l’identique d’une même matrice).

Le remplissage final, certainement pour capitaliser sur les premiers succès des singles (« That’ll be the day ») finira dans le Top 3 des hit-parades), limite l’impact de ce premier Lp. Les progrès en termes de composition de Buddy Holly seront exponentiels, les titres d’anthologie s’enchaîneront à une vitesse frénétique. Le « Buddy Holly » paru à la fin de la même année sera meilleur.

Une bonne compilation (« The very best of Buddy Holly & the Crickets » de 1999 est parfaite) reste cependant la meilleure porte d’entrée pour l’œuvre de l’auteur le plus original des années 50.


Du même sur ce blog : 

Buddy Holly
The Very Best Of Buddy Holly & The Crickets


THE CURE - DISINTEGRATION (1989)

 

Reconstruction ...

1989. Robert Smith va avoir trente ans. Et il fait sa petite crise de la trentaine. Il gagne beaucoup de fric avec des disques qu’il n’aime pas beaucoup (comme son dernier en date « Kiss me, kiss me, kiss me » qui lui a cependant ouvert les hit parades et la lucrative tournée des arenas américaines), et pose deux options sur la table : il a fait des maquettes d’un nouveau disque, plutôt sombre, et soit il paraît sous le nom de Cure, soit il met fin au groupe et le sort sous son seul nom.


On le sait depuis déjà un moment, Robert Smith c’est Cure, ou inversement. Mais là, il fout un coup de pression supplémentaire sur les autres. Ses potes cofondateurs, Simon Gallup et plus encore Laurence (Lol) Tolhurst, qui lui a toujours été à ses côtés quand Cure était vers 83-84, réduit à l’état de duo. Sauf que Tolhurst a un gros problème, il picole beaucoup, un adjectif qui n’est pas rien quand on connaît le goût de Smith pour la dive bouteille (lors de la tournée qui suivra « Disintegration » pour tenir les trois heures des concerts, il lui faudra deux quilles de rouge et un pack de bière sur scène, ce qui donnera lieu à quelques fins de set et rappels étranges et titubants). Il n’empêche que FatBob va virer très rapidement des séances un Tolhurst épave humaine, ne consentant qu’à le créditer à la dernière ligne du casting, pour avoir joué « other instruments ». Un crédit tout diplomatique (Tolhurst n’a rien joué sur l’album), peut-être lié à des histoires de contrats ou par simple copinage pour qu’il touche quelques royalties …

Robert Smith a toujours alterné avec Cure disques que pour aller vite on qualifiera de sombres (la triplette « Seventeen seconds », « Faith », « Pornography »), avec d’autres plus enjoués, marqués par des singles lumineux (« Charlotte sometines », « Boys don’t cry », « Just like heaven », « Why can’t I be you ? », …). « Disintegration » est conçu comme la suite à « Pornography » (1982). Remarque : si pour les fans les trois cités plus haut constituent la trilogie « dark » de Cure, pour Smith c’est « Pornography », « Disintegration » et « Bloodflowers » (sorti en 1996, et le moins bon des trois).


L’heure n’est donc plus à la rigolade. Rien que le titre du disque indique la couleur. La pochette aussi. On y voit un Smith avec les cheveux courts, période « Kiss me … » (il va les laisser pousser à nouveau et va les crêper au-delà du raisonnable pour pérenniser cette excentricité capillaire qui ne le quittera plus), semblant immergé (mort ?) dans une eau saumâtre où croupissent avec lui corps morts (coquillage) ou plantes en voie de décomposition. Les cinq premiers vers du premier titre (« Plainsong ») contiennent tout le vocabulaire qui sera dupliqué tout au long des autres (« dark », « rain », « wind is blowing », « end of the world », « cold », « dead »).

Les instruments utilisés ne laissent pas de doute sur le son général. Deux guitaristes, Smith et Porl Thompson (qu’on retrouvera sur la « réunion » de Page et Plant quelques années plus tard), une rythmique (l’éternel complice Simon Gallup à la basse, et Boris Williams à la batterie). Et puis des claviers. Un attitré (Roger O’Donnell), plus Smith et Gallup. Le son de « Disintegration » est farci de synthés (qui parfois sonnent comme des guitares et vice-versa), la basse est le point d’ancrage de tous les titres, et la batterie métronomique évite le plus souvent le recours aux cymbales, ce qui rend la tonalité d’ensemble lourde et martiale. Robert Smith assure seul toutes les parties vocales, explorant tous les registres dont il est capable (certains titres sont quasiment murmurés, d’autres sont hurlés dans les aigus). Et le chant se fait attendre sur tous les morceaux, l’intro la plus courte est celle de « Lovesong » (30 secondes), la plus longue (un peu plus de trois minutes) celle de « Lovesick ». Forcément, avec de telles intros, les titres ne font pas dans la concision (six minutes en moyenne, plus d’une heure dix pour les douze), « The same deep water as you » fait plus de neuf minutes, et certains titres sont quasiment des instrumentaux « Plainsong », « Homesick », « Untitled »).



De prime abord, « Disintegration » est un disque monolithique. Des nappes lancinantes de synthés, la batterie économe et martiale sont présents partout. Sauf qu’il y a un travail sur les structures et les mélodies qui au fil des écoutes montrent que derrière cet aspect apparemment uniforme, se cache un vrai travail de composition et une recherche jamais démentie de mélodies.

 « Plainsong » ouvre donc le disque, tout d’abord par un frémissement de clochettes, et va crescendo vers une atmosphère lourde, lente, sombre, avec la voix démultipliée par l’écho, et ce son mat, compact, empli de claviers et synthés, avec une batterie sourde réduite à l’essentiel (marquer le tempo), noyée au fond d’un mix faisant la part belle aux basses… Tout prend forme sur les premiers titres. Cure est de retour vers la cold wave, qui a généré ses premiers bataillons de fans. Le son est d’une densité et d’une compacité sans faille (pas de breaks, de pauses, de silences, …), on pense à « Closer » de Joy Division, aux premiers Killing Joke (la noirceur et le côté martial). Si les claviers sont omniprésents (pas pianotés comme dans la pop new wave, ils sont sous la forme de nappes chères au krautrock), ils ne servent qu’à doubler la ligne de basse et la mélodie principale, et rajouter à l’atmosphère oppressante du disque. Ils sont aussi utilisés pour remplacer des sections de cordes comme notamment sur « Lullaby » (où ils sonnent comme des violons jouant pizzicato), « Prayers for rain » ou « The same deep water … ».


Dans son ensemble, on pourrait qualifier « Disintegration » de disque baudelairien, « Les fleurs du mal » mises en musique. Mais il n’y a pas qu’un ciel bas et lourd chez Smith. Il y a aussi quelques éclaircies. « Pictures of you » accélère le tempo, le chant est quasi hurlé, et tout cela donne une ambiance majestueuse, solennelle. « Lullaby » est le seul titre où un petit gimmick à la guitare sert de point d’accroche, la rythmique est en contretemps, et les synthés façon section de cordes font de ce titre à mon sens le plus beau du disque.

Il sortira (comme trois ou quatre autres) en single, mais ne sera pas celui qui grimpera en haut des charts. Dans ce rôle, il y aura « Lovesong ». Seul titre réellement en rupture avec le reste de la rondelle. Un morceau clair, limpide, avec une de ces mélodies magiques comme Smith en produit parfois (« Charlotte sometimes », « Boys don’t cry »). Résolument pop, « Lovesong » comme son intitulé le dit, est adressé à Mary Poole, son ancien amour de collège, devenue depuis Mrs Robert Smith. Une des très rares chansons « positives » de Cure, et résolument dans un format radio friendly (trois minutes trente, une intro « courte »).

Les six premiers titres (l’album original en comptait dix, « Last dance » et « Homesick » ont très vite été rajoutés, d’abord en Cd puis en rééditions vinyles) sont globalement plus concis. Par la suite, les morceaux vont avoir tendance à s’étirer, devenir plus « atmosphériques », plus lancinants. On commence avec « Fascination Street » (en référence à Bourbon Street, la célébrissime rue de La Nouvelle Orleans) qui n’a rien de cajun ou de zydeco, avec son tempo assez rapide et sa saturation dans les aigus qui renvoie à « Pornography ». Suit ce que les aficionados considèrent comme l’apex du disque, la triplette « Prayers for rain », « The same deep water as you » et « Disintegration », longs titres (entre six et neuf minutes), ensemble cohérent d’incantations plutôt désespérées d’une tragique beauté. « Prayers … » à l’ambiance « Seventeen seconds », avec synthés imitant une section de cordes, son tempo lent et ses vocaux dans un halo brumeux tout juste compréhensible, est quasiment enchaîné avec « The same deep … », dans lequel Smith qui vient de prier pour la pluie, introduit et termine le titre (joke ?) par des bruits d’orage et d’averses copieuses, sur fond de tempo très down. Pour beaucoup « Disintegration » le morceau, avec son gimmick lancinant comme un abcès dentaire, est une longue plainte de souffrance et constitue un sommet dépressif de toute la disco des Cure.


Manière de montrer que ce disque agit pour Smith comme une thérapie, retour de rayons de soleil (bien voilés les rayons, quand même) avec les deux derniers titres. « Homesick », son intro au piano et sa voix susurrée et un apaisement certain dans le son, impression d’apaisement confirmée par l’ultime « Untitled » (pas besoin de lui donner un titre, il reprend tous les tics sonores du Cure « dark », mais là aussi de façon bien apaisée …

Bon, on rembobine. Smith a conçu « Disintegration » comme une réponse et une antithèse à la dérive pop et commerciale de son groupe. Dans une sorte de geste artistique bravache et romantique (dans le sens du mouvement poétique littéraire français), il confirme que dixit Musset « les plus désespérés sont les chants les plus beaux … ».

Résultat de cette plongée dans l’esprit sombre et tortueux de Robert Smith : « Disintegration », œuvre dans la lignée des grands disques dépressifs genre « Tonight’s the night » de Neil Young ou « Red » de King Crimson, devient dès sa parution le disque le mieux vendu des Cure, succès jamais démenti au fil des décennies …

Top 10 d’office …



Des mêmes sur ce blog :

MOLINA TALBOT LOFGREN YOUNG - ALL ROADS LEAD HOME (2023)

 

Chevaux (Fous) de retour ...

En préambule et en guise d’avertissement, il y a un piège dans ce disque. Parce que, hein, avouez que vous y avez cru. Voir accolés à la suite les noms de Ralph Molina, Billy Talbot, Nils Lofgren et Neil Young, on pense bien évidemment à un disque du Canadien et de ses comparses, avec une coquetterie littéraire qui a juxtaposé leurs noms au lieu d’un habituel Neil Young & Crazy Horse. Ben non, vous avez tout faux.

Ralph Molina

Ce « All roads lead home » c’est une compilation au sens le plus strict du terme. Et pas une compilation de ce que les quatre ont fait paraître ensemble. Non, une compilation de titres solo enregistrés par les papys (ben oui, comment voulez-vous les appeler, ils ont 308 ans à eux quatre au moment de la parution du disque) lorsqu’ils étaient bloqués chez eux pendant la pandémie du Covid. Le pire est quand même évité, ils ont beau être vieux, ils savent (ou quelqu’un dans la baraque sait pour eux) se servir d’internet, ont fait circuler des fichiers à des potes ou à leur band, chacun à rajouté sa partie instrumentale, et on n’a pas à se farcir dix titres acoustiques …

Quoique … Neil Young, que l’on a connu moins chiche (voir la cadence effrénée à laquelle il sort de nouveaux trucs ou fait paraître ses archives musicales), balance seulement une version acoustique (guitare, harmonica, voix) de « Song of the seasons », titre paru en version « orchestre » sur une de ses dernières rondelles « Barn ». Rondelle que j’avais oublié d’écouter (Neil Young a tendance depuis bien trente ans à faire du Neil Young d’avant, en moins bien). Une fois le titre original youtubé, verdict : la version de « Barn » est meilleure que celle de « All roads … » qui rajoute une minute et demie à la version d’origine de six minutes, pas vraiment concise … Au mieux un fonds de tiroir, au pire du remplissage tendance foutage de gueule …

Billy Talbot

Les trois autres se montrent moins chiches, et a priori nous honorent de titres originaux (difficile de savoir pour Nils Lofgren, que ce soit en solo ou avec d’autres, il a dû sortir trois cents douzaines de disques) avec un remarquable esprit d’équité (trois titres chacun). Autant en venir à la conclusion, l’ensemble est assez décevant.

Pourtant, on a affaire à trois types qui ont quand même fréquenté deux backing bands parmi les meilleurs des douze derniers siècles (Crazy Horse pour les trois, le E Street Band en plus pour Lofgren).

Les trois vieux ont au moins deux problèmes majeurs. Ils ont peu composé (oui, je sais, Lofgren et sa kyrielle de disques, les meilleurs sont ceux des débuts, dans les seventies, j’en ai une paire que j’écoute jamais, et je dois pas être le seul), et on peut pas dire qu’ils avaient des titres fulgurants sous le coude à glisser sur « All roads … ». Pour finir de gâter la sauce, tous les trois n’ont plus de voix, si tant qu’ils en aient eu une un jour. A ce jeu, le pire est Ralph Molina.

Nils Lofgren

Le problème, c'est que ces trois vioques, ils ont joué tellement de fois tellement de bons morceaux dans leur vie, qu’il en reste forcément quelque chose. Et surtout dans un registre classic rock, ballades pépères, mid tempos enjoués, des trucs avec une intro, des couplets, un refrain, un p’tit solo quand il faut (Lofgren est le plus démonstratif à la guitare, même s’il n’y a rien qui donne envie de balancer les superlatifs). Molina est celui qui compose le mieux, ses titres sont intrinsèquement les meilleurs, mais bon, le malheur c’est qu’il chante. Lofgren est le plus concis, dépassant rarement les trois minutes, et se conduisant en Rémy Bricka du folk-rock-machin. Il joue de tous les instruments sur ses trois titres, avec le renfort sur un titre d’un autre Lofgren (son frère ? son fils ?) et d’un bassiste sur un autre morceau. Et Talbot, sans faire de vagues ou crisser les pneus, nous sert trois morceaux centristes, dont à mon avis le meilleur de la rondelle, ce « Rain » (rien à voir avec l’homonyme des Beatles) placé en ouverture.

Outre ce « Rain », qu’est-ce qui mérite qu’on jette une oreille distraite sur ce disque ? « It’s magical » de Molina qui n’est pas spécialement magique (et cette voix !), est cependant une jolie ballade up tempo, « Cherish » de Talbot accroche grâce à son intro hendrixienne, avant de tourner vinaigre, la faute à un tempo mollasson inadapté à la stridence des guitares. A demi convaincante aussi, une autre compo de Molina, « Just for you », jolie ballade triste avec son sax pleurnichard.

Neil Young

Les rares bonnes choses sont le « Rain » déjà évoqué, le « Fill my cup » de Lofgren qui grâce à une rythmique vaudou-tribale, amène un peu d’originalité à un ensemble prévisible et ronronnant, et l’assez concerné mid tempo rock de « Look through the eyes of your heart » de Molina.

Ce qui fait quand même assez peu pour des types dont le nom clignote en haut de la chose folk-rock depuis des décennies. J’aurais aimé tartiner des feuillets pour dire du bien de cette rondelle qui n’apportera rien à l’œuvre de ses auteurs. Il faudra certainement attendre qu’ils sortent un disque où ils jouent vraiment ensemble pour trouver quelque chose de consistant à se mettre entre les oreilles …




U2 - THE JOSHUA TREE (1987)

 

Zabriskie Point ...

Quand commence la seconde moitié des années 80, U2 écrase toute forme de concurrence en Europe. Les quatre potes Irlandais sont devenus le groupe rock phare du Vieux Continent. Avec une musique pleine d’hymnes aux guitares carillonnantes, un chant tout en lyrisme (pompier disent les détracteurs, détracteurs qui n’ont pas toujours tort), et une production toute batterie en avant qui les fait instantanément reconnaitre au bout de trois mesures. Pour leur défense, on peut aussi dire qu’ils ont tenté (et réussi si l’on s’en tient au strict résultat commercial), un virage assez risqué en allant se faire produire par le Canadien Daniel Lanois et surtout Brian Eno, maltraiteur de sons en chef (leur quand même assez décousu « The unforgettable fire »).

The Edge, Larry Mullen, Adam Clayton, Bono : U2 1987

Avec « The Joshua Tree », les U2 ne changent pas une équipe qui gagne, mais décident de placer la barre beaucoup plus haut, l’objectif après l’Europe étant de conquérir le marché américain, soit devenir the next big thing around the world. Mission accomplie. Et fait assez rare pour être souligné, sans se compromettre éhontément dans le « commercial », et sans rien renier de ce qui avait fait U2 depuis ses débuts. Alors oui, « The Joshua tree » est un disque américain, en tout cas le disque le plus américain de toute la discographie de U2.

Ça commence avec la pochette. Toujours signée Anton Corbjin, en totale rupture avec leurs précédentes. Très arty, à l’opposé du gosse (le même) en gros plan (« Boy », « War »), de la photo passe-partout des quatre (« October »), du vieux château so british envahi par le lierre (« The unforgettable fire »). La photo de « The Joshua tree » a été prise en Californie, dans la désertique Death Valley, et précisément au Zabriskie Point, son endroit le plus célèbre et touristique (et pas seulement à cause du film d’Antonioni). Le joshua tree est un végétal qui pousse dans le coin, à mi-chemin entre l’arbuste et le cactus. Celui qui est au verso de la pochette est devenu un quasi-lieu de pèlerinage (il a fini par crever de soif, et un gros finaud l’a abattu à la tronçonneuse, gros émoi du U2 fan-club).

Joshua Tree Tour 1987

« The Joshua tree », avant même de l’écouter, il suffit de regarder la tracklisting pour voir à quel point ce disque se veut américain. Tous les titres de chansons pourraient être des titres ou des répliques de western. Et ces titres sont agencés dans un ordre particulier derrière lequel il y a une histoire. Si tous les titres ont été produits par Eno et Lanois, certains mixages de morceaux ont été réalisées par leur historique metteur en sons, Steve Lillywhite. Une fois son boulot terminé, une soirée familiale a été organisée avec les U2. A laquelle participait Kirsty MacColl, chanteuse anglaise (cf son succesful duo avec Shane McGowan des Pogues « Fairytale of New York »), à la ville Mme Lillywhite. Elle est autorisée à écouter les bandes, et classe les onze titres du disque en fonction de ses goûts personnels, du meilleur au moins bon. Quand ils voient cette liste, les U2 (et leur management, maison de disques, …) décident de la conserver telle quelle pour l’ordre des titres du disque. Force est de reconnaître que dame MacColl avait des goûts personnels raccord avec ceux du public, puisque les trois premiers titres ont été les trois plus gros succès du groupe lorsqu’ils sont sortis en single.

Par ordre d’apparition, d’abord « Where the streets have no name », qui pose la trame de tout ce qui va suivre. Des nappes discrètes de synthés, une note de guitare répétée, puis la rythmique se met en place et « lance » le titre ; il faut attendre 1’45 pour entendre la voix de Bono. Même si c’est la plus longue intro du disque, toutes les autres sont minutieusement usinées, installant une atmosphère avant que le riff ou la mélodie s’installent. « The Joshua tree » est un disque très travaillé, où tout a été pesé, mesuré (idem pour toutes les fins de titres, aucun shunt brutal ou fading). Et ça fonctionne. La comparaison qui me vient à l’esprit pour le côté ultra chiadé, c’est « Dark side of the moon » du Floyd. Bon, « The Joshua tree » n’atteindra pas les mêmes scores intersidéraux de vente, mais il s’en dépotera quand même une grosse vingtaine de millions dans le monde, ce qui le situe largement dans le Top 50 des disques les plus vendus de tous les temps.


Second titre et second hit « I still haven’t found what I’m looking for » fait évidemment partie des classiques de U2, en forme d’hymne qui pour une fois reste sobre et permet de mesurer à quel point Bono est devenu un très grand chanteur.

Bono est encore à la manœuvre et éclabousse « With or without you » de sa présence vocale. Une ballade de format tout ce qu’il y a de classique avec son crescendo, et même si elle ne vaut pas « One » sur « Achtung baby », reste un des incontournables du groupe.

Bon, et une fois qu’on a passé les trois classiques, il reste quoi de bon dans « The Joshua tree » ? Ben m’sieur, à peu près tout le reste.

Perso, j’aurais tendance à zapper « In God’s country » énième single paru, parce que c’est le titre qui renvoie le plus à ce qui avait fait le succès et la trademark sonore des Irlandais. Ce titre aurait pu figurer sur n’importe lequel de leurs disques précédents, il n’est pas indigne, mais à mon sens en deçà de tous les autres.

Dans le même registre (qui assurent la transition avec le passé), mais avec la touche d’originalité qui fait la différence « Exit » (morceau mené une fois n’est pas coutume par la basse avant l’explosion tachycardique), et le lyrique « Red hill mining town » (dans la lignée « War » - « Unforgettable fire »).

J’ai une tendresse particulière pour « Bullet the blue sky », avec son gros riff de guitare saturée, son tempo lourd, sa batterie en avant, pour un rendu très post-punk, pas très éloigné dans l’esprit de ce que faisait Nick Cave du temps des Birthday Party.


« « Running to stand still » est le titre le plus américain de ce disque très américain. Intro au dobro, ballade country crépusculaire et mutante, hantée par les yodels de Bono et son final avec harmonica en avant.  Un harmonica qu’on retrouve sur « Trip through your wires », couplée à un gros son de batterie très Lillywhite style, et une mélodie qui il me semble bien sera décalquée sur l’un de leurs hits à venir, « Angel of Harlem » (sur le disque suivant, le foutraque « Rattle and hum »).

« One tree hill » est une ballade en hommage à Greg Carroll (à qui le disque est dédié), un Australien membre de leur staff de tournée et qui a fait une Duane Allman. C’est une chanson au rythme triste (le contraire eût été malvenu), mais qui évite le piège du lamento larmoyant.

Le dernier titre de la rondelle (« Mothers of the disappeared ») est le titre politique du disque. Il fait référence à toutes ces femmes argentines, qui après le coup d’Etat de Videla qui avait fait disparaître (emprisonnés ou pire) leurs enfants, maris, parents, tournaient tous les jours en rond sans un mot sur la Plaza de Mayo à Buenos Aires (toute manifestation ou revendication étant évidemment interdite). Cette dignité révoltée et silencieuse avait fortement marqué le groupe lors d’une tournée en Amérique du Sud et ils en ont tiré une chanson, longue ballade triste. Ce titre dans l’esprit de « Sunday bloody Sunday » est une incursion de U2 dans la « politique ». Pour le meilleur et pour le pire, Bono n’en sortira pas intact et va dans les années suivantes se prendre pour un chef d’Etat et aller discutailler d’égal à égal avec les grands de ce monde. Pas sûr que ce soit ni sa place ni son rôle …

N'empêche quel grand disque que ce « Joshua tree » …


Des mêmes sur ce blog :

War
Achtung Baby
All That You Can't Leave Behind






THE ROLLING STONES - STICKY FINGERS (1971)

 

Définir la décennie ...

Les Stones au début des 70’s sont quelque part, là, tout en haut. Parce que leurs amis rivaux des Beatles ont décidé que les egos ne sauraient s’accommoder de ratiocinations collectives, et ont laissé libre le titre de « plus grand groupe pop-rock-machin-truc … du monde ». Mais les Stones n’ont pas gravi l’Olympe sans quelques dégâts, leur lutin blond fondateur a fini au fond d’une piscine, et ce qui devait être leur consécration américaine (un festival organisé par eux, pour eux et autour d’eux) à Altamont a été un fiasco meurtrier. Et puis leur manager, l’escroc Allen Klein est parti avec la caisse, les droits d’auteurs et les royalties qui vont avec de leur catalogue des années soixante.

Jagger, Jimmy Miller, Richards & Watts

Et même si « Sticky fingers » fait partie de leur bloc discographique majeur qui va de « Beggars banquet » à « Exile on Main St », il marque un tournant. Economiquement, les Stones se prennent en main. Ils créent leur label, Rolling Stones Records, avec son célébrissime logo à la langue rouge. Musicalement, ils intègrent tout à fait officiellement Mick Taylor qui devient le cinquième Stones. Ce qui n’empêche pas tous les autres cinquièmes Stones (Ian Stewart, Bobby Keys, Nicky Hopkins, Jim Dickinson, Billy Preston, Jim Price, voire Jack Nitzche et Ry Cooder) d’être présents sur le disque. La même ribambelle d’ingés-son (Jimmy Johnson, Andy Johns, Chris Kimsey, Glyn Johns, ...) est toujours là, sous la supervision de Jimmy Miller à la production (et occasionnellement aux percussions).

La pochette de « Sticky fingers » est une des plus iconiques du rock. Signée Andy Warhol, gros plan pelvien avec vraie braguette sur les vinyles originaux (ce qui avait le désavantage de ruiner le dos du disque suivant dans l’étagère, qui si l’on était bien ordonné dans son rangement, était celle de « Exile … »). La braguette s’ouvrait laissant apparaître ce qu’on trouve derrière un jean, des jambes forcément et éventuellement un slip (ici, dans un coton très fin sixties – début seventies). Qui était le modèle ? On n’en sait officiellement rien mais Joe d’Allesandro (la connexion Warhol – Factory) a prétendu que c’était lui.


Le son et la direction musicale générale de « Sticky fingers » marquent aussi un tournant. Même si la patte de Jimmy Miller (ce brouhaha sonore qui donne l’impression que toutes les pistes se parasitent mutuellement et qui rend inefficace toutes les remasterisations possibles) est toujours là, le disque est au moment de sa parution le plus américain du groupe. On est dans le basique, dans une version « améliorée » de leurs premiers disques constitués de reprises. Finis les fanfreluches des arrangements de Brian Jones, les titres pop ou psyché ayant culminé avec respectivement « Aftermath » et « Satanic Majesties », remisés au placard les systématiques boogies en open tuning de Keith Richards dont est (trop) rempli leur live « Get yer ya-ya’s out », on se réoriente vers le blues, le rhythm’n’blues et la soul, souvent soulignés par des cuivres.

En ouverture de « Sticky Fingers », un des trois (cinq ? dix ?) titres essentiels des Stones, « Brown sugar ». Naturellement signé Jagger – Richards, mais en fait totalement écrit par Mick Jagger (fait très rare, sinon unique dans toute leur discographie). Un riff d’anthologie, suramplifié par le sax de Bobby Keys, et une merveille d’ambiguïté des paroles, peu consensuelles quelque soit l’angle sous lequel on les envisage (brown sugar, c’est une jeune beauté noire à la peau douce qui bosse dans une maison de passe, ou le surnom d’une certaine forme d’héroïne en argot américain).

« Sway » qui suit c’est la ballade virile, voire violente, qui vu son intro donne l’impression d’avoir été enregistrée live en studio (mais même si tel était le cas, le titre a été overdubbé par la suite). C’est l’occasion d’entendre aussi le premier solo sur le disque de Mick Taylor.

« Wild horses » est une autre ballade, dans le registre country-soul (les racines américaines du disque). Un des meilleurs morceaux du disque, avec un Jagger qui force dans les aigus, et se met en danger vocalement. A noter que c’est sur « Sticky … » et « Exile … » qu’il trouvera et définira son registre vocal, que depuis plus de cinquante ans il s’attache à reproduire, certaines fois de façon quasi caricaturale …

La pièce de bravoure du disque, c’est « Can’t you hear me knocking », pièce de bravoure et par sa longueur (plus de sept minutes, un des quatre ou cinq titres studio les plus longs des Stones), et par son final épique. Introduit par un des riffs les plus sauvages de Richards tout en saturation, mélange de plein d’influences sonores (rock, rhythm’n’blues, soul, gospel, …), et les deux derniers tiers du titre amenés par un fouillis percussif (Jimmy Miller), donnent lieu façon jam à un solo furieux de sax de Bobby Keys (soutenu par Jagger à l’harmonica), avant une démonstration virtuose de Mick Taylor qui signe là sa meilleure partie de guitare stonienne. Titre essentiel, archétype du « son » seventies des Stones, et évidemment une fois Taylor parti, peu ou pas joué en live, car sans faire injure à Keith ou Ronnie, ils ont pas le niveau pour entreprendre ce genre de solo …


La face vinyle se conclut par « You gotta move », antique blues des années 40 de (Mississippi) Fred McDowell et moultes fois repris depuis. Les Stones en livrent une version avec une approche sonore très voisine du traitement appliqué au « Love in vain » de Robert Johnson sur « Let it bleed ».

« Bitch » est un boogie « sérieux », violent, sans fioritures, aux riffs de guitare doublés par les cuivres (Bobby Keys et Jim Price). Pas le titre le plus imaginatif de leur carrière, mais le but n’était pas de faire preuve d’audace musicale, juste de montrer qui étaient les boss … et à ce jeu-là (les Stones qui font du Stones), ils n’ont forcément pas d’équivalents.

Et je maintiens cette théorie que les Stones de 71 font du Stones de la première moitié des années 60 - en mieux - à l’écoute de « I got the blues » qui semble un lointain cousin de « Heart of stone », un des premiers titres composés par Jagger et Richards, sur l’édition anglaise de « Out of our heads » en 1965.


« Sister Morphine », c’est avec « Brown sugar », l’autre titre de légende de la rondelle. Un peu la ballade des soins palliatifs, puisqu’elle évoque les appels désespérés du malade souffrant à son infirmière pour qu’elle lui injecte un peu de morphine pour soulager ses douleurs. Le titre avait été enregistré par Marianne Faithfull deux ans plus tôt en face B d’un de ses singles resté à peu près anonyme, et co-écrit avec Mick Jagger (elle les paroles, lui la musique). L’amour rendant souvent con, elle l’avait laissé paraître sous la signature Jagger-Richards. Ici il est repris par les Stones plus les accompagnateurs de la version originale, Ry Cooder à la slide magique et Jack Nitzche au piano. Ce titre est un classique absolu des Stones, mais ils le traîneront comme un boulet pour avoir spolié lors de la sortie de « Sticky fingers » Marianne Faithfull de ses droits d’auteur. Il faudra attendre de longues années pour que Lady Marianne apparaisse sur les crédits lors des innombrables rééditions du disque (à ce jour, le site de référence Discogs en recense la bagatelle de 587 versions).

« Dead flowers » est un intéressant patchwork sonore où se mêlent passé et futur des Stones. Le titre est un country rock assez classique (un genre musical plus américain tu peux pas), une orientation qui sous l’influence du nouveau pote de biture et de défonce de Keith, un certain Gram Parsons, sera au cœur des inspirations sonores qui aboutiront à la création de « Exile … ». Les traces de leur passé se trouvent dans le refrain très mélodique du titre, qui renvoie à leur période pop-chansons circa 66-67 (« Ruby Tuesday », « Out of time », « Under my thumb », …).


Le disque s’achève avec « Moonlight mile ». Et on peut pas dire que tout est bien qui finit bien parce que ce titre est à mon sens la sortie de route de la rondelle. Pas qu’il soit foncièrement mauvais, mais cette sorte de mantra avec arrangements de cordes rompt avec l’unité sonore de ce qui précède et renvoie à une période (celle de « Satanic Majesties Request ») qui n’est, doux euphémisme, pas la plus célébrée du groupe.

Avec « Sticky fingers », les Stones vont obtenir leur plus gros succès commercial depuis leurs débuts et confirmer leur position de rock band number one in the world. Effet domino, maintenant qu’ils gèrent en direct la partie financière de leur carrière, le fisc anglais va leur tomber dessus et leur réclamer des sommes faramineuses au titre de l’impôt. Ils choisiront l’exil fiscal pour échapper aux percepteurs, et se réfugieront dans le sud de la France pour enregistrer « Exile on Main Street », le successeur de « Sticky fingers » … Mais c’est une autre histoire …


Des mêmes sur ce blog : 


FLASH CADILLAC AND THE CONTINENTAL KIDS - FLASH CADILLAC AND THE CONTINENTAL KIDS (1972)

 

Sooner or later ...

Ils étaient pas forcément au bon endroit (le Colorado, c’est pas l’Etat qui a fourni le plus de musiciens célébrissimes), mais surtout ils étaient pas là au bon moment. Flash Cadillac & The Continental Kids (joke on ne peut plus ricaine, nom à base de bagnoles, la marque Cadillac et la Lincoln Continental, j’y connais pas grand-chose, mais je crois que c’est un mix des deux sur la pochette), ils ont commencé dans les seventies et ont eu leurs cinq minutes de gloire en tant que Herby and the Heartbeats (le groupe de la scène de bal dans « American Graffiti » le film de George Lucas).


Flash Cadillac, déjà en 72, ils regardent dans le rétroviseur. A peu près pile poil dix ans en arrière, soit vers 1962, époque, on nous l’a appris à l’école, où la musique américaine était pas au mieux. Les antiques pionniers de la fin des 50’s étaient soit morts physiquement soit, pire, artistiquement. Bob Dylan, les Byrds, la Tamla, Spector, … n’en étaient au mieux qu’à leurs premiers vagissements. Les charts étaient occupés par de jeunes (voire très jeunes) gens (blancs) BCBG, mêlant avec une précision d’experts comptables relents de doo-wop et restes de rock, et généralement prénommés Frankie (Avalon, Valli, voire Lymon bien que ce dernier soit – ô scandale – noir). C’est cette génération et cette époque qu’on voit dans au cinéma « American graffiti », et un peu plus tard dans « Grease ».

Donc Flash Cadillac etc … ils sont un peu dans un no man’s land revival, coincés entre Sha Na Na (sorte d’ancêtres américains de Au Bonheur des Dames, célèbres pour s’être égarés au milieu des hippies à Woodstock), et le revival rockab initié à partir de 75 par Robert Gordon et jackpotisé au début des 80’s par les Stray Cats. Les six Flash Cadillac sont soit des attardés musicaux, soit des précurseurs, en tout cas totalement hors sujet et à peu près sans équivalents dans l’Amérique du début des 70’s.


La descendance des teen idols est clairement affichée au verso de la pochette de ce disque, leur premier, avec une dédicace encadrée d’Annette Funicello, toute jeune star maison de Disney des années cinquante (en 72 en grosse perte de vitesse sinon oubliée), sorte de grand-mère virtuelle des Britney Spears ou Zendaya … Assez étrangement, alors que le décorum renvoie à de l’hyper consensuel, c’est beaucoup moins évident à l’écoute de « Flash Cadillac … ».

Quand ils donnent dans le rockabilly, ils font pas penser au gentil Ricky Nelson, mais plutôt au Johnny Burnette Trio (« Reputation »), voire à Eddie Cochran (« Nothin’ for me », étonnante de similitudes). Mieux, sur un titre comme « Endless sleep », Flash Cadillac etc … sonne en 72 comme les Cramps de 82. Faut fouiner dans les crédits (maigres, sur certaines rééditions, dont la mienne, y’a même pas les auteurs des chansons) pour trouver écrit en petit que le producteur de « Flash … », c’est nul autre que cette grande asperge déjantée de Kim Fowley, grand amateur de « coups » musicaux qui verra son obstination à truster le haut des charts par groupes (manipulés) interposés, obtenir le jackpot avec les gamines trashy et rock’n’roll des Runaways (Joan Jett, Lita Ford et consorts …). Pourquoi le groupe ou Epic, leur label, sont-ils allés chercher Fowley, mystère et boule d’opium …

Les Flash Cadillac ont beau être six, ils écrivent peu (à eux deux, le claviers et le guitariste ont signé trois titres sur douze). « Flash … » est donc surtout un disque de reprises. Et l’on s’aperçoit vite que c’est pas « l’authenticité » qui compte, mais plutôt la façon de sonner, de jouer qui importe. C’est léger, ludique, parfois trop, mais ça fait partie du concept. Les Flash Cadillac sont au rock’n’roll des origines ce que Madness des débuts sera à la musique jamaïcaine.

Côté loufoquerie, ça commence d’entrée avec la reprise de l’antique « Muleskinner blues (Blue yodel # 8) » vieille scie du countryman Jimmie Rodgers, reprise déjà de multiples fois (de Woody Guthrie à Dolly Parton qui venait d’en faire un hit national). Après le « Reputation » évoqué plus haut, les Flash Cadillac font un mauvais, très mauvais sort à « Crying in the rain », une des plus belles chansons du monde créée par les Everly Brothers. La filiation gaguesque avec Sha Na Na frappe les oreilles avec le sautillant « Betty Lou », que les au Bonheur des Dames ont dû écouter, tant leur « Oh les filles » va lui ressembler … Une reprise instrumentale (comme l’original) de « Pipeline » des Chantays n’apporte rien à ce classique de la surf music.


La face B (oui, on cause bien 33 RPM, ce disque n’a jamais été réédité en Cd) débute avec « She’s so fine », un des deux « classiques » de Flash Cadillac, qui figurera l’année suivante sur la B.O. de « American graffiti » (en compagnie de « At the Hop », autre titre du groupe et leur plus gros succès, qui sera sur l’album suivant, ces deux morceaux étant il me semble bien les deux seuls à être postérieurs à 1962, année où se déroule l’action du film). A propos de « At the hop », le dernier titre du disque « Up on the mountain » semble en être le brouillon avec son rythme doo-wop accéléré. Le reste de la face, hormis le plagiat ? - hommage ? de Cochran déjà évoqué ne mérite pas de passer à la postérité …

Et tant qu’on parle de postérité, celle de Flash Cadillac & the Continental Kids n’a pas traversé les décennies. Certes cet album et le suivant, boostés par « American graffiti » se vendront un peu, un troisième paraîtra (en fait une compilation des deux précédents), un autre fera un four monumental, et vers 75, le groupe se dispersera (avant des tentatives avortées de reformation à destination du marché nostalgia pendant des décennies). Aucun membre du groupe ne connaîtra par ailleurs succès et gloire. Pire, quand le revival rockab initié par les Stray Cats explosera, ils ne seront jamais cités comme influence par quelque porteur à banane de blouson de cuir.

Les Flash Cadillac ont joué la carte du gag sonore, ils n’auront jamais aucune reconnaissance ni crédibilité. Une page anecdotique du rock américain des 70’s …





RED HOT CHILI PEPPERS - BY THE WAY (2002)

 

Affadis ...

De 89 à 99, en quatre disques (« Mother’s milk », « Blood sugar sex magik », « One hot minute » et « Californication »), les Red Hot Chili Peppers sont devenus des mastodontes du rock américain. Ils ont vendu des disques par millions, ont pris le temps d’assurer leur service après-vente par de gigantesques tournées des stades … Le problème avec le succès démesuré, c’est qu’il est beaucoup plus facile à perdre qu’à atteindre.

Frusciante, Flea, Smith & Kiedis : RHCP 2002

« By the way » va en fournir un bel exemple. Artistiquement parlant. Parce que commercialement, la machine RHCP va continuer à dépoter du skeud en quantité. Mais « By the way » … comment dire …

L’entreprise RHCP a souvent vogué par gros temps. Et dans des océans poudreux, ce qui aide pas forcément à souder un groupe, quand égos, histoires de cœur, événements tragiques, viennent se rajouter à la naturelle pression ambiante. La décennie à succès évoquée sera marquée entre autres faits extra-musicaux par une addiction démesurée de Kiedis et Frusciante, ce dernier allant même se « reposer » pendant la période « One hot minute », disque charnière débiné par les premiers fans, à cause du « remplaçant » Dave Navarro venu des « rivaux » Jane’s Addiction (pour moi « One hot minute » est leur meilleure rondelle, mais je suis pas fan des RHCP, donc mon avis ne vaut rien).

Pour « By the way », Frusciante non content d’être revenu (depuis « Californication »), entend être le leader et « l’influence » du groupe, sous prétexte qu’il a tartiné des dizaines de démos guitares + synthés, le tout avec pour objectif de faire paraître un disque « punk » (?). Le vieux complice Rick Rubin va essayer de mettre un peu de raison, d’ordre, de bon sens dans la musique, et pratiquer la câlinothérapie à forte doses dans tous ces egos démesurés qui s’affrontent. Et c’est bien le producteur qui s’en sort le mieux. « By the way » devrait être écouté en boucle dans les écoles qui forment les types à pousser des boutons dans un studio, parce que niveau production et arrangements, c’est un vrai bijou. Et c’est d’autant plus visible que le matériau de base (les chansons) est d’une rare indigence …


« By the way » est un pavé de quasiment une heure dix pour seize titres. Et quand on fait le bilan, on a en tout et pour tout entre deux et quatre titres à sauver de ce naufrage. Les deux indiscutables ouvrent et ferment le disque. « By the way » le morceau est un condensé de tout ce qui a fait le succès des Red Hot jusque là. Intro caoutchouteuse, une mélodie très voisine de « Under the bridge » (un de leurs premiers gros succès sur « Blood sugar … »), de gros riffs de guitare, un rap à toute blinde, un refrain-slogan mélodique, en fait un best of du groupe en un seul titre. Autre grand titre, le dernier, « Venice queen », chanson-hommage de Kiedis à sa thérapeute récemment décédée et qui l’avait aidé à vaincre ses addictions, notamment à l’héroïne. Un titre de six minutes qui pour une fois démontre un réel effort d’écriture et de composition. Ma magnanimité légendaire qui me perdra me fait rajouter à cette doublette « The zephyr song », très (trop ?) sucré single à succès à la mélodie addictive, bien que très voisine de celle de « Californication » (le morceau). Citation bienveillante également pour « Don’t stop » (no Fleetwood Mac cover), qui avec son intro funky, son phrasé rap et son refrain mignon, renvoie aux meilleures heures passées du groupe …


Le reste ? Des trucs fadasses, des ballades molles qui encombrent la moitié de la rondelle (« Dosed », « I could die for you », « Midnight », « Tear », « Don’t forget me », …) comme Coldplay en tartinait à longueur d’albums à l’époque, quelques sorties de route risibles comme l’espagnolade « Cabron » (dites pas ça à un hispano, ça va pas lui plaire), le ridicule ska « On Mercury », la bien nommée « Minor thing », … j’en oublie et des pas meilleures.

Qu’est-ce qu’on pourrait dire pour défendre cette rondelle ? Le boulot colossal de production déjà évoqué, le fait que Kiedis soit devenu un très bon chanteur, la basse élastique de Flea, sa symbiose rythmique avec Chad Smith, la relative discrétion de Frusciante alors que ce disque était censé être son projet ? Certes, mais tout ça suffit pas.

On sent les types rincés, en panne totale d’inspiration et d’imagination, pensant noyer le poisson sous un déluge de titres interchangeables et laisser penser qu’ils ont quelque chose à dire …

« By the way » se retrouve en équilibre très instable sur le rebord de la poubelle …


Des mêmes sur ce blog : 

Blood Sugar Sex Magik