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THE CURE - DISINTEGRATION (1989)

 

Reconstruction ...

1989. Robert Smith va avoir trente ans. Et il fait sa petite crise de la trentaine. Il gagne beaucoup de fric avec des disques qu’il n’aime pas beaucoup (comme son dernier en date « Kiss me, kiss me, kiss me » qui lui a cependant ouvert les hit parades et la lucrative tournée des arenas américaines), et pose deux options sur la table : il a fait des maquettes d’un nouveau disque, plutôt sombre, et soit il paraît sous le nom de Cure, soit il met fin au groupe et le sort sous son seul nom.


On le sait depuis déjà un moment, Robert Smith c’est Cure, ou inversement. Mais là, il fout un coup de pression supplémentaire sur les autres. Ses potes cofondateurs, Simon Gallup et plus encore Laurence (Lol) Tolhurst, qui lui a toujours été à ses côtés quand Cure était vers 83-84, réduit à l’état de duo. Sauf que Tolhurst a un gros problème, il picole beaucoup, un adjectif qui n’est pas rien quand on connaît le goût de Smith pour la dive bouteille (lors de la tournée qui suivra « Disintegration » pour tenir les trois heures des concerts, il lui faudra deux quilles de rouge et un pack de bière sur scène, ce qui donnera lieu à quelques fins de set et rappels étranges et titubants). Il n’empêche que FatBob va virer très rapidement des séances un Tolhurst épave humaine, ne consentant qu’à le créditer à la dernière ligne du casting, pour avoir joué « other instruments ». Un crédit tout diplomatique (Tolhurst n’a rien joué sur l’album), peut-être lié à des histoires de contrats ou par simple copinage pour qu’il touche quelques royalties …

Robert Smith a toujours alterné avec Cure disques que pour aller vite on qualifiera de sombres (la triplette « Seventeen seconds », « Faith », « Pornography »), avec d’autres plus enjoués, marqués par des singles lumineux (« Charlotte sometines », « Boys don’t cry », « Just like heaven », « Why can’t I be you ? », …). « Disintegration » est conçu comme la suite à « Pornography » (1982). Remarque : si pour les fans les trois cités plus haut constituent la trilogie « dark » de Cure, pour Smith c’est « Pornography », « Disintegration » et « Bloodflowers » (sorti en 1996, et le moins bon des trois).


L’heure n’est donc plus à la rigolade. Rien que le titre du disque indique la couleur. La pochette aussi. On y voit un Smith avec les cheveux courts, période « Kiss me … » (il va les laisser pousser à nouveau et va les crêper au-delà du raisonnable pour pérenniser cette excentricité capillaire qui ne le quittera plus), semblant immergé (mort ?) dans une eau saumâtre où croupissent avec lui corps morts (coquillage) ou plantes en voie de décomposition. Les cinq premiers vers du premier titre (« Plainsong ») contiennent tout le vocabulaire qui sera dupliqué tout au long des autres (« dark », « rain », « wind is blowing », « end of the world », « cold », « dead »).

Les instruments utilisés ne laissent pas de doute sur le son général. Deux guitaristes, Smith et Porl Thompson (qu’on retrouvera sur la « réunion » de Page et Plant quelques années plus tard), une rythmique (l’éternel complice Simon Gallup à la basse, et Boris Williams à la batterie). Et puis des claviers. Un attitré (Roger O’Donnell), plus Smith et Gallup. Le son de « Disintegration » est farci de synthés (qui parfois sonnent comme des guitares et vice-versa), la basse est le point d’ancrage de tous les titres, et la batterie métronomique évite le plus souvent le recours aux cymbales, ce qui rend la tonalité d’ensemble lourde et martiale. Robert Smith assure seul toutes les parties vocales, explorant tous les registres dont il est capable (certains titres sont quasiment murmurés, d’autres sont hurlés dans les aigus). Et le chant se fait attendre sur tous les morceaux, l’intro la plus courte est celle de « Lovesong » (30 secondes), la plus longue (un peu plus de trois minutes) celle de « Lovesick ». Forcément, avec de telles intros, les titres ne font pas dans la concision (six minutes en moyenne, plus d’une heure dix pour les douze), « The same deep water as you » fait plus de neuf minutes, et certains titres sont quasiment des instrumentaux « Plainsong », « Homesick », « Untitled »).



De prime abord, « Disintegration » est un disque monolithique. Des nappes lancinantes de synthés, la batterie économe et martiale sont présents partout. Sauf qu’il y a un travail sur les structures et les mélodies qui au fil des écoutes montrent que derrière cet aspect apparemment uniforme, se cache un vrai travail de composition et une recherche jamais démentie de mélodies.

 « Plainsong » ouvre donc le disque, tout d’abord par un frémissement de clochettes, et va crescendo vers une atmosphère lourde, lente, sombre, avec la voix démultipliée par l’écho, et ce son mat, compact, empli de claviers et synthés, avec une batterie sourde réduite à l’essentiel (marquer le tempo), noyée au fond d’un mix faisant la part belle aux basses… Tout prend forme sur les premiers titres. Cure est de retour vers la cold wave, qui a généré ses premiers bataillons de fans. Le son est d’une densité et d’une compacité sans faille (pas de breaks, de pauses, de silences, …), on pense à « Closer » de Joy Division, aux premiers Killing Joke (la noirceur et le côté martial). Si les claviers sont omniprésents (pas pianotés comme dans la pop new wave, ils sont sous la forme de nappes chères au krautrock), ils ne servent qu’à doubler la ligne de basse et la mélodie principale, et rajouter à l’atmosphère oppressante du disque. Ils sont aussi utilisés pour remplacer des sections de cordes comme notamment sur « Lullaby » (où ils sonnent comme des violons jouant pizzicato), « Prayers for rain » ou « The same deep water … ».


Dans son ensemble, on pourrait qualifier « Disintegration » de disque baudelairien, « Les fleurs du mal » mises en musique. Mais il n’y a pas qu’un ciel bas et lourd chez Smith. Il y a aussi quelques éclaircies. « Pictures of you » accélère le tempo, le chant est quasi hurlé, et tout cela donne une ambiance majestueuse, solennelle. « Lullaby » est le seul titre où un petit gimmick à la guitare sert de point d’accroche, la rythmique est en contretemps, et les synthés façon section de cordes font de ce titre à mon sens le plus beau du disque.

Il sortira (comme trois ou quatre autres) en single, mais ne sera pas celui qui grimpera en haut des charts. Dans ce rôle, il y aura « Lovesong ». Seul titre réellement en rupture avec le reste de la rondelle. Un morceau clair, limpide, avec une de ces mélodies magiques comme Smith en produit parfois (« Charlotte sometimes », « Boys don’t cry »). Résolument pop, « Lovesong » comme son intitulé le dit, est adressé à Mary Poole, son ancien amour de collège, devenue depuis Mrs Robert Smith. Une des très rares chansons « positives » de Cure, et résolument dans un format radio friendly (trois minutes trente, une intro « courte »).

Les six premiers titres (l’album original en comptait dix, « Last dance » et « Homesick » ont très vite été rajoutés, d’abord en Cd puis en rééditions vinyles) sont globalement plus concis. Par la suite, les morceaux vont avoir tendance à s’étirer, devenir plus « atmosphériques », plus lancinants. On commence avec « Fascination Street » (en référence à Bourbon Street, la célébrissime rue de La Nouvelle Orleans) qui n’a rien de cajun ou de zydeco, avec son tempo assez rapide et sa saturation dans les aigus qui renvoie à « Pornography ». Suit ce que les aficionados considèrent comme l’apex du disque, la triplette « Prayers for rain », « The same deep water as you » et « Disintegration », longs titres (entre six et neuf minutes), ensemble cohérent d’incantations plutôt désespérées d’une tragique beauté. « Prayers … » à l’ambiance « Seventeen seconds », avec synthés imitant une section de cordes, son tempo lent et ses vocaux dans un halo brumeux tout juste compréhensible, est quasiment enchaîné avec « The same deep … », dans lequel Smith qui vient de prier pour la pluie, introduit et termine le titre (joke ?) par des bruits d’orage et d’averses copieuses, sur fond de tempo très down. Pour beaucoup « Disintegration » le morceau, avec son gimmick lancinant comme un abcès dentaire, est une longue plainte de souffrance et constitue un sommet dépressif de toute la disco des Cure.


Manière de montrer que ce disque agit pour Smith comme une thérapie, retour de rayons de soleil (bien voilés les rayons, quand même) avec les deux derniers titres. « Homesick », son intro au piano et sa voix susurrée et un apaisement certain dans le son, impression d’apaisement confirmée par l’ultime « Untitled » (pas besoin de lui donner un titre, il reprend tous les tics sonores du Cure « dark », mais là aussi de façon bien apaisée …

Bon, on rembobine. Smith a conçu « Disintegration » comme une réponse et une antithèse à la dérive pop et commerciale de son groupe. Dans une sorte de geste artistique bravache et romantique (dans le sens du mouvement poétique littéraire français), il confirme que dixit Musset « les plus désespérés sont les chants les plus beaux … ».

Résultat de cette plongée dans l’esprit sombre et tortueux de Robert Smith : « Disintegration », œuvre dans la lignée des grands disques dépressifs genre « Tonight’s the night » de Neil Young ou « Red » de King Crimson, devient dès sa parution le disque le mieux vendu des Cure, succès jamais démenti au fil des décennies …

Top 10 d’office …



Des mêmes sur ce blog :

RED HOT CHILI PEPPERS - BY THE WAY (2002)

 

Affadis ...

De 89 à 99, en quatre disques (« Mother’s milk », « Blood sugar sex magik », « One hot minute » et « Californication »), les Red Hot Chili Peppers sont devenus des mastodontes du rock américain. Ils ont vendu des disques par millions, ont pris le temps d’assurer leur service après-vente par de gigantesques tournées des stades … Le problème avec le succès démesuré, c’est qu’il est beaucoup plus facile à perdre qu’à atteindre.

Frusciante, Flea, Smith & Kiedis : RHCP 2002

« By the way » va en fournir un bel exemple. Artistiquement parlant. Parce que commercialement, la machine RHCP va continuer à dépoter du skeud en quantité. Mais « By the way » … comment dire …

L’entreprise RHCP a souvent vogué par gros temps. Et dans des océans poudreux, ce qui aide pas forcément à souder un groupe, quand égos, histoires de cœur, événements tragiques, viennent se rajouter à la naturelle pression ambiante. La décennie à succès évoquée sera marquée entre autres faits extra-musicaux par une addiction démesurée de Kiedis et Frusciante, ce dernier allant même se « reposer » pendant la période « One hot minute », disque charnière débiné par les premiers fans, à cause du « remplaçant » Dave Navarro venu des « rivaux » Jane’s Addiction (pour moi « One hot minute » est leur meilleure rondelle, mais je suis pas fan des RHCP, donc mon avis ne vaut rien).

Pour « By the way », Frusciante non content d’être revenu (depuis « Californication »), entend être le leader et « l’influence » du groupe, sous prétexte qu’il a tartiné des dizaines de démos guitares + synthés, le tout avec pour objectif de faire paraître un disque « punk » (?). Le vieux complice Rick Rubin va essayer de mettre un peu de raison, d’ordre, de bon sens dans la musique, et pratiquer la câlinothérapie à forte doses dans tous ces egos démesurés qui s’affrontent. Et c’est bien le producteur qui s’en sort le mieux. « By the way » devrait être écouté en boucle dans les écoles qui forment les types à pousser des boutons dans un studio, parce que niveau production et arrangements, c’est un vrai bijou. Et c’est d’autant plus visible que le matériau de base (les chansons) est d’une rare indigence …


« By the way » est un pavé de quasiment une heure dix pour seize titres. Et quand on fait le bilan, on a en tout et pour tout entre deux et quatre titres à sauver de ce naufrage. Les deux indiscutables ouvrent et ferment le disque. « By the way » le morceau est un condensé de tout ce qui a fait le succès des Red Hot jusque là. Intro caoutchouteuse, une mélodie très voisine de « Under the bridge » (un de leurs premiers gros succès sur « Blood sugar … »), de gros riffs de guitare, un rap à toute blinde, un refrain-slogan mélodique, en fait un best of du groupe en un seul titre. Autre grand titre, le dernier, « Venice queen », chanson-hommage de Kiedis à sa thérapeute récemment décédée et qui l’avait aidé à vaincre ses addictions, notamment à l’héroïne. Un titre de six minutes qui pour une fois démontre un réel effort d’écriture et de composition. Ma magnanimité légendaire qui me perdra me fait rajouter à cette doublette « The zephyr song », très (trop ?) sucré single à succès à la mélodie addictive, bien que très voisine de celle de « Californication » (le morceau). Citation bienveillante également pour « Don’t stop » (no Fleetwood Mac cover), qui avec son intro funky, son phrasé rap et son refrain mignon, renvoie aux meilleures heures passées du groupe …


Le reste ? Des trucs fadasses, des ballades molles qui encombrent la moitié de la rondelle (« Dosed », « I could die for you », « Midnight », « Tear », « Don’t forget me », …) comme Coldplay en tartinait à longueur d’albums à l’époque, quelques sorties de route risibles comme l’espagnolade « Cabron » (dites pas ça à un hispano, ça va pas lui plaire), le ridicule ska « On Mercury », la bien nommée « Minor thing », … j’en oublie et des pas meilleures.

Qu’est-ce qu’on pourrait dire pour défendre cette rondelle ? Le boulot colossal de production déjà évoqué, le fait que Kiedis soit devenu un très bon chanteur, la basse élastique de Flea, sa symbiose rythmique avec Chad Smith, la relative discrétion de Frusciante alors que ce disque était censé être son projet ? Certes, mais tout ça suffit pas.

On sent les types rincés, en panne totale d’inspiration et d’imagination, pensant noyer le poisson sous un déluge de titres interchangeables et laisser penser qu’ils ont quelque chose à dire …

« By the way » se retrouve en équilibre très instable sur le rebord de la poubelle …


Des mêmes sur ce blog : 

Blood Sugar Sex Magik






STEPHEN FREARS - THE QUEEN (2006)

 

Lizzy face à son destin ...

« The Queen » est centré sur la semaine du Dimanche 31 Août 1997 au Samedi 6 Septembre de la même année. C’est-à-dire entre l’accident parisien qui lui a coûté la vie et l’enterrement de Diana Spencer, plus connue comme Lady Di.

Ceci étant dit, j’ai jamais été abonné ni même lu les torchons sur les people et les têtes couronnées genre « Gala », « Point de vue » et assimilés, et la saga et les frasques de la famille royale britannique, je m’en tape complètement. « The Queen », heureusement est un film qui fait intervenir les people, mais n’est pas un film sur les people royaux. C’est un film que je qualifierai de politique. Dont les premières scènes montrent l’arrivée au pouvoir de Tony Blair (une paire de mois avant que la Merco aille s’encastrer sur un poteau du souterrain du Pont de l’Alma), et les dernières une rencontre protocolaire entre le Prime Minister et la Queen Mom deux mois après les funérailles de Lady Di.

Mirren & Frears

C’est pour moi cette entrée en matière et le final du film qui sont les plus importants. Le reste, la semaine évoquée plus haut, a été tellement commenté et documenté, que mis à part des immersions (réussies) au 10 Downing Street, au domaine privé écossais de Balmoral et à Buckingham Palace, lieux de résidence de la famille royale, ça n’apporte pas grand-chose à l’histoire, celle qu’on écrit dans les livres. « The Queen » n’est pas une version « alternative » de l’Histoire comme peuvent l’être le « JFK » d’Oliver Stone ou le « Farenheit 11/9 » de Michael Moore. « The Queen » nous montre en continu, de façon chronologique (la date est précisée chaque fois que l’on change de journée), ces jours qui ont failli faire vaciller la monarchie britannique, et ses siècles de pouvoirs héréditaires.

Derrière la caméra, Stephen Frears, évidemment Sujet de Sa Très Gracieuse Majesté. Quasiment une quarantaine d’années derrière la caméra en 2006, parsemées de quelques aimables succès critiques et populaires (« My beautiful Laundrette », « Les liaisons dangereuses », « High fidelity », …), sans pour autant être reconnu comme un cador des plateaux de tournage. Il signe avec « The Queen » ce qui est certainement son meilleur film. Et pas qu’un peu aidé par une prestation époustouflante d’Helen Mirren, qui prouve enfin, à plus de soixante balais, qu’elle peut tenir un grand rôle dans un grand film, cantonnée qu’elle a été dans des séries B plus ou moins navrantes (je vais pas faire la liste, y’a Wikipedia qui le fait très bien). Un Oscar (mérité) viendra couronner (c’est bien le mot) sa performance en Reine d’Angleterre face à une crise morale, sociale, politique et institutionnelle.

Evidemment, et c’est précisé à la fin du générique, « The Queen » est une fiction basée sur des faits réels. Les seules versions de l’histoire ne venant que du camp de Tony Blair, campé dans le film par Michael Sheen, choisi pour une vague ressemblance. C’est lui le maillon faible du casting, alors que sa femme Cherie (Helen McCrory), ou les membres de la famille royale (eux aussi castés pour des similitudes physiques) s’en sortent mieux (le futur King Charles, son père Philip, la mère d’Elisabeth).

Tony Blair prête serment

« The Queen » mélange scènes d’archives télé et pour l’essentiel des reconstitutions, avec parfois les acteurs superposés aux images d’actualités. Inutile de préciser que rien n’a été tourné aux abords du Ritz, au Château de Balmoral, à Buckingham Palace, ou dans la cathédrale de Westminster. Mais comme vous et moi et pas grand-monde n’a jamais foutu les pieds dans ces endroits prestigieux, le subterfuge était facile (pour la cathédrale de Westminster, images d’archives et plans serrés sur les acteurs suffisent à entretenir l’illusion du réel).

« The Queen » a ceci d’efficace, qu’il nous montre deux choses. Le chaos dans lequel s’est enfoncé des jours durant la Reine et sa famille, et un Tony Blair qui très vite va finir beaucoup plus mal que ce qu’il avait commencé. Est-ce en filigrane un règlement de comptes de Frears avec celui qui a quand même bien trahi ses idéaux (et ses électeurs), il se pourrait bien.

Dans quasiment tout le film, c’est pourtant Blair qui a la main et « sauve » la Reine. Sauf que … On débute par une Elisabeth majestueuse qui pose en tenue de grand apparat pour un portrait en pied (enfin, assise) pour le peintre (officiel ?) du régime. La scène a lieu le jour des élections qui vont voir la victoire du Labour de Blair. Dans la discussion (très protocolaire) le peintre glisse que thanks God, il n’a pas voté travailliste. Plus fine, la Reine lui fait remarquer qu’elle n’a pas le droit de vote, mais on sent bien que ... vous m’avez compris … Et déjà, on voit que « The Queen » ne sera pas un pensum historique pesant. La finesse, l’ironie, le second degré, le tongue-in-cheek sont souvent de la partie. Grand numéro d’équilibriste de Frears et de son scénariste Peter Morgan, d’autant plus que les faits évoqués ne sont pas vraiment légers et ont traumatisé toute une nation. Quelques jours après les élections, entrevue officielle et en privé de Blair et Elisabeth pour l’investiture du premier Ministre. Blair, d’apparence joviale, décontractée et souriante, est intérieurement tétanisé par la solennité du moment. Beaucoup plus que sa femme, qui le rejoint dans la foulée (dans la famille Blair, et pas seulement dans le film, c’est elle qui était à gauche). On voit déjà l’instinct politique de la Reine qui a auparavant demandé à son chef du protocole de venir l’appeler au bout d’un quart d’heure pour ne pas éterniser la rencontre avec les prolos Blair, à qui elle n’a pas manqué de rappeler que son premier Premier Ministre fut un certain Winston Churchill …

Débordée par l'actualité ...

Ces décennies de pratique et de finesse politique vont se fracasser deux mois plus tard lors de l’accident de Diana. Lorsque le décès est confirmé, les certitudes et les siècles de tradition volent en éclats. Charles, bien qu’ex-mari cocu (la réciproque est aussi vraie) sent que toute la famille royale doit rendre hommage à celle qui fut femme de l’héritier du trône, d’autant plus qu’elle est adorée par le pays. Il va trouver en face lui la Reine, son époux et sa grand-mère (en gros « c’est pas une Windsor, c’est plus ta femme, que sa famille – les Spencer – se démerdent »). Toute la famille royale est au moment du décès en villégiature dans sa propriété privée de Balmoral en Ecosse et il n’est pas question de retourner à Londres, de faire quelque discours ou intervention que ce soit et d’organiser des funérailles d’apparat. Le futur King Charles (étrangement, Frears ne fait jamais apparaître ni ne cite la Camilla) doit s’appuyer sur Blair pour faire rapatrier le corps avec un minimum de solennité en Angleterre.

Blair et son équipe sentent bien que la pression populaire est en train de monter contre la Reine et les coups de téléphone se multiplient entre Downing Street et Balmoral où toute la famille Windsor continue ses activités champêtres et bucoliques (la pêche, la chasse, les grillades, les ballades en Land Rover) comme si de rien n’était. Ces face à face par British Telecom interposés sont passionnants, entre un Blair qui s’affirme de plus en plus et une Queen qui s’agace de son attitude mais commence à douter. C’est la pression populaire, cumulée à des sondages (secrets) calamiteux pour la monarchie attaquée par toute la presse sans exception, qui conduira à son retour à Londres, ses déambulations devant les tonnes de fleurs entassées devant les grilles de Buckingham Palace, son message de deuil à la Nation, les obsèques nationales avec Elton venu entonner un « Candle in the wind » (on l’entend pas mais on le voit entrer dans la cathédrale), enfin tout ce que les télés du monde entier (passage de temps en temps de vrais extraits de JT d’un peu partout) ont montré non stop et en direct pendant toute la semaine.

Blair calling : Allo, non mais allo quoi ...

La monarchie a tremblé, la popularité de la Reine s’est effondrée, Blair triomphe (sa fameuse expression de « Princesse du peuple » lors d’un discours d’hommage à Diana). Mais le film s’appelle « The Queen » et pas « Tony ». Quelques semaines plus tard, lors des rencontres hebdomadaires avec son Premier Ministre (2500 à ce moment-là, comme le lui rappelle Blair), on voit celle à qui il est interdit de faire de la politique avoir repris les choses en main, et humilier (toute en sourires et formules malicieuses) un Tony Blair qui lui est déjà sur la pente descendante …

Helen Mirren est époustouflante dans son rôle, et pas pour seulement pour son apparence similaire (l’allure, les fringues terriblement désuètes, paraît-il sa façon de s’exprimer, mais là je peux pas dire, j’ai pas de Cds de la Queen Elisabeth). Elle rend magnifiquement le désarroi d’une femme devant laquelle tout le monde s’est toujours courbé, et qui se retrouve face à une situation qui fait voler toutes ses certitudes en éclats. Mention particulière également à James Cromwell excellent dans le rôle de son mari, qui présente la facette la plus conservatrice de la famille, à grand renfort de réparties cinglantes (et donc ridicules).

Deux anecdotes pour finir.

Aussi méticuleux qu’ait voulu être Frears, il a laissé passer un pain au montage. A un moment, on voit la Reine partir se balader en 4X4 et elle fait monter deux clébards noirs (des labradors ?) dans la voiture. A la scène suivante, lorsqu’elle rouvre la portière, il en descend trois. L’autre énigme du film, ce sont les deux face à face de la Reine avec un cerf gigantesque, le premier alors qu’elle en panne avec sa vieille Land Rover, et le second alors qu’il a été abattu par des chasseurs d’un domaine voisin. Les spéculations les plus étranges se sont multipliées sur la symbolique sous-entendue. Frears affirme que ça fait partie des scènes sans aucune signification, juste là pour leur rendu visuel, et donner une durée « décente » au film (une heure quarante) …


PUBLIC IMAGE - PUBLIC IMAGE (1978)


 Bad Religion ?

Tout commence avec les Sex Pistols … ou plutôt tout commence avec la fin des Sex Pistols. Le plus célèbre – provocateur – vendu (rayer la ou les mentions inutiles) orchestre punk, une fois paru son manifeste « Nevermind the bollocks » part vite en sucette (merci au crétin ingérable Sid Vicious, et aux divagations managériales de Malcolm McLaren), de toute façon, comment aurait-il pu en être autrement, les Sex Pistols par définition et essence n’étaient pas faits pour durer …

Walker, Levene, Wobble & Lydon : Public Image 1978

Le premier à claquer la porte (il ne supportait pas McLaren) et signer de fait la mort du groupe est Johnny Rotten. Qui reprend son état-civil (John Lydon), et entend montrer à la Terre entière que son génie n’a pas besoin d’un groupe de bras cassés et de McLaren pour éclater à la face du monde … Lydon étant quelque peu connu, il n’a pas trop de mal à monter un groupe. Et tant qu’à faire, il choisit pour l’accompagner des gens qu’il connaît depuis longtemps. Keith Levene à la guitare. Pote de Vicious et ayant fait partie d’une des formations du Clash avant qu’ils enregistrent leur premier disque pour CBS. Jah Wobble tiendra la basse. Lui et Lydon se connaissent depuis des années, il a appris la basse de façon autodidacte parce qu’il est fan de reggae et de dub, et n'a pas la réputation d’un type commode, ses poings étant son principal outil de communication … Le batteur (Jim Walker) sera recruté via une petite annonce.

Au départ et encore plus une fois la machine Public Image en marche, il sera évident que c’est le groupe de Lydon. Il faut des envies de généalogiste pour recenser tous ceux qui participeront au groupe, censé être encore en activité, même si ses parutions sont très épisodiques depuis le début des années 90. La première formation n’échappe pas à la règle du turn-over. Le batteur ne fera qu’un album, Jah Wobble se fera virer en 1980, et Keith Levene en 83, ces deux-là gardant une rancune certaine à Lydon …

« Public Image » le single inaugurera la carrière de Public Image le groupe. Et assure la transition avec les Pistols. On est en terrain sonore connu (la voix de Lydon, la pulsation rock brute de décoffrage), avec un petit côté grinçant et répétitif en plus. Ce titre ouvrira la seconde face du vinyle original.


Qui atteint pile les quarante syndicales minutes. Au prix de quelques délayages. Faut dire que le budget alloué par Branson et Virgin a surtout servi en « remontants » divers et variés, et que cette bande d’ingérables n’est pas forcément la bienvenue dans un studio d’enregistrement (la légende – mais en est-ce une – prétend que Jah Wobble démolira un ingé-son tatillon et pas convaincu de sa technique à la quatre-cordes). D’où des titres à rallonge (quatre titres sur huit flirtent où dépassent les six minutes, voire les neuf pour « Theme »), assez loin des formats punks de 2’30 alors de rigueur, des mixages étonnants (« Attack » beaucoup plus mat et étouffé que ce que l’on avait entendu jusque-là, ou « Fodderstompf » le reggae-dub expérimental et mutant final) montrent que du personnel qualifié et compétent n’est pas inutile en studio, surtout quand le trio a eu l’idée saugrenue de produire la rondelle …

Il n’en reste pas moins que « Public Image » constituera une déflagration non négligeable dans le landernau musical londonien. Par facilité linguistique, on appellera ce nouveau son post-punk, étiquette facile et qui permettra de ranger tous ceux qui s’en inspireront (… ou pas, il suffira qu’ils ne respectent pas les « règles » originelles du punk pour s’en trouver affublés).

« Public Image » n’invente rien, mais pioche et assemble des choses que l’on n’avait pas l’habitude de voir frayer ensemble (un peu de musique industrielle, de rock, de krautrock, de punk-rock, de prog même, le Johnny est très fan de Peter Hammill le chanteur de Van der Graaf Generator, et ça s’entend parfois). Technique musicale rudimentaire oblige, on est dans le lancinant, le crissant, le grinçant et le répétitif. Hormis des schémas de batterie saccadés, l’approche musicale est assez souvent celle du reggae, avec basse en avant et guitare à contre-temps (mais jouée façon tronçonneuse). Maintenant on a entendu des millions de groupes (pas forcément les plus doués) jouer comme ça, mais force est de reconnaître qu’en 1978, c’était plutôt novateur.

Et puis, ne surtout pas oublier que Lydon, en plus d’une technique de chant assez particulière, genre muezzin qui appelle les fidèles à la prière, est un type qui n’a pas la langue dans sa poche (avoir affaire à lui en interview ou en conférence de presse était un exercice attendu – et redouté – par tous les journaleux rock), et un certain sens des punchlines qui dépasse largement les capacités de Praud, Bouleau, Salamé ou Polony.


Sur « Public Image » le thème central est la religion (chrétienne en l’occurrence, mais Lydon les déteste toutes). Le Paradis est appelé à aller se faire foutre dès le premier titre (« Theme »), titre noirâtre sur la mort (le verbe « to die » revient bien une vingtaine de fois). C’est encore pire sur les deux « Religion ». Le « Religion I » est juste un court speech ultra-violent (1’25) contre l’Eglise catholique. Et manière d’enfoncer le clou dans les paumes des mains ou la plante des pieds de ceux qui auraient pas saisi, les mêmes paroles sont mises en musiques sur « Religion II ». Et cerise confite sur l’hostie rance, « Annalisa » sur une trame de rock assez simple et basique, donne le point de vue de Lydon sur Anneliese Michel, jeune allemande prétendument possédée et exorcisée 67 (!) fois, jusqu’à ce qu’elle meure la vingtaine à peine dépassée …

Pour être tout à fait exhaustif, mentionnons « Low life » qui ne vaut que pour les psalmodies nasillardes de Lydon.

Lequel, quoi qu’il ait pu en dire, n’a pas atteint avec Public Image l’aura naturellement indépassable des Sex Pistols. Livré à lui-même, avec des comparses extatiques aux ordres, Public Image (qui s’appellera selon les circonstances Public Image, Public Image Ltd, ou P.I.L.) deviendra vite une carricature de son premier disque (« Metal Box » est aussi bon, la suite ne sera que dégringolade artistique), n’obtenant son seul vrai succès qu’avec le single bâclé et (donc forcément) répétitif « This is not a love song » …


OASIS - BE HERE NOW (1997)

 

Stadium rock ...

Plus dure sera la chute … Quatre ans après s’être extirpés du néant, la bande des frères Gallagher est à peu près devenue la plus grosse attraction musicale du monde dit libre. Il y en a qui arrivent à gérer ce statut et tout le gigantisme dans tous les domaines qui va avec, comme au hasard les Stones. Mais pas Oasis …

D’abord parce que les types sont ingérables. Enfin, les deux qui comptent, les deux frangins. Avec mention particulière à Liam, oscillant en permanence entre Sid Vicious et Mr Bean, capable de réparties incendiaires et parfois drôles, mais aussi de boxer sa gonzesse. Tout ceci hypertrophié par beaucoup d’alcool et de coke. Mais ça fait vendre du tabloïd (la pseudo guéguerre Blur-Oasis), et donc entretient la surmédiatisation du groupe.

Oasis 1997

Qui peut s’appuyer sur ses deux premiers disques plus que bien torchés, reprenant les choses là ou Beatles et Stones les avaient laissées en 68, et Who et Faces en 71. A la manœuvre, et donc à l’écriture, Noel, lider maximo de la bande. Qui a trouvé un gimmick au niveau du songwriting qui fait que ça accroche. Des mélodies mid tempo (qu’il suffit d’accélérer ou de ralentir pour avoir un nouveau titre), des guitares lourdes, une rythmique qui enclume, et des arrangements et des constructions de titres (à peu près toujours les mêmes) qui semblent être ce que le peuple (celui qui contribue à faire des chiffres de vente colossaux) a envie d’acheter à ce moment-là.

Alors, qu’est-ce qui les a pris avec ce « Be here now » ? J’en sais rien et je m’en fous, mais je m’en doute un peu. Tout le monde (le Noel, toujours responsable de tous les titres, le reste du groupe, le management, le label, …) a pris le melon. A voulu faire un disque qui marque l’Histoire. A la manière d’un Michael Jackson qui écrivait tous les jours sur le miroir (qu’on imagine grand comme un parking de supermarché) de sa salle de bain « 100 millions », soit le nombre de disques qu’il voulait en vendre alors qu’il s’attelait au successeur de « Thriller ». Et si le Michou se shootait à l’oxygène dans un caisson hyperbare, les Oasis carburaient à des trucs qui te déglinguent aussi les neurones.

Comment personne, parmi tous ceux qui étaient concernés avant que le disque sorte, n’a été foutu de se rendre compte qu’il y avait un gros souci avec « Be here now ». Peut-être quelqu’un a-t-il osé faire la remarque aux sourcilleux frangins, mais il est sûr qu’il n’a pas été écouté …

Deux frères ...

Tout dans « Be here now » empeste la mégalomanie. De la pochette à « messages » et énigmes, à cette litanie de titres interminables. Le lecteur de Cd affiche 71’38’’ pour onze titres. Presque six minutes par morceau, et il y en a même un (« All around the world ») qui dépasse les neuf minutes. Et comme les types sont pas des virtuoses, ça mouline à l’infini le même accord, et c’est pas les claviers (qui rejouent généralement les accords de guitare) qui viennent aérer ce son. Toutes ces couches instrumentales empilées, mixées tous les potards sur onze, ça fait beaucoup plus de bruit que de musique. Parce que la partie musicale de l’affaire est réduite au strict minimum, des trucs qu’on a déjà entendus sur les deux disques précédents, en plus concis et plus imaginatif (la bonne trouvaille de la scie musicale sur « Wonderwall » par exemple). En gros le son de « Be here now » est peu ou prou celui du magma de guitares saturées qu’on trouvera un peu plus tard sur le live « Familiar to millions ». Qui lui a tout de même l’avantage d’être aussi un greatest hits live.

Bon, des hits, il y en a deux de corrects sur « Be here now ». Pas forcément par hasard, ce sont deux ballades très typées 70’s, où il faut le reconnaître, Oasis excelle. « Don’t go away » ne déroutera pas les fans des Red Hot Chili Peppers, n’est point trop assourdissante, et a l’immense mérite d’avoir un final à la guitare acoustique, ce qui offre une pause bienvenue pour les oreilles …  « Stand by me », elle, figure dans la poignée des meilleurs titres d’Oasis, avec sa montée progressive vers un refrain qui sait se faire désirer. Dans à peu près le même registre, un bon point également au morceau-titre, qui ne marque tout de même pas autant les esprits … Des titres dont la construction convient parfaitement au style vocal de Liam Gallagher, jamais aussi à l’aise que dans les tempos lents. Ce qui nous amène à souligner son inaptitude souvent criante lorsque le rythme s’accélère. Le lad suprême est à la ramasse sur le up tempo de « My big mouth », et la plupart du temps est obligé de gueuler plutôt que de chanter pour pas se faire écrabouiller vocalement par le mur de guitares.


Du coup, tout ce que les détracteurs d’Oasis avaient d’emblée mis en avant se trouve ici de façon exacerbée. Le manque d’imagination de l’écriture de Noel, la manque de souplesse vocale de Liam, la technique musicale rudimentaire de l’ensemble, les citations-hommages-pastiches un peu trop voyants (Lennon et les Who sur l’insignifiant « Fade in – Fade out », « It’s getting better » qui cite par son intitulé les Beatles de « Sgt Pepper’s … » mais est un des plus mauvais de la rondelle avec l’épouvantablement strident « I hope, I think, I know »). Pour tenter de sauver la face, Oasis va même jusqu’à s’autoparodier (« The girl in the dirty shirt » reprend tous les tics d’écriture de Noel et tous les tics vocaux de Liam entendus jusque là).

En fait un seul titre résume l’affaire. Le premier, « D’you know what I mean ? ». Une intro avec bruit d’avions (on se croirait dans « The Wall » ou « The final cut » de Waters / Pink Floyd), des borborygmes de synthés … Il faut attendre une minute pour que le titre « démarre », avant que s’enchaînent clins d’œil appuyés à tout ce qui a fait le succès du groupe, sans que jamais celui-ci ne semble mettre un terme à cet enchaînement de grosses ficelles (7 minutes 42 secondes au compteur).

Un mot sur l’ésotérique pochette. On voit bien qui « commande ». Noel au premier plan, Liam un peu en retrait, les trois autres loin derrière. Un calendrier qui indique la date de sortie dans le pays concerné, une Rolls dans une piscine (référence à une anecdote avinée de Keith Moon), une montre sans aiguilles (là, ça m’étonnerait que ça fasse allusion au film de Bergman « Les fraises sauvages » où on en voit une similaire), la Vespa, le vieil électrophone (la nostalgie, camarades, c’était mieux avant), la mappemonde du premier disque, et puis plein de détails que seuls peuvent assimiler les fans hardcore … Il paraît que c’est une des pochettes les plus chères de l’histoire du rock … bâillements …

La suite de l’aventure ne sera pas meilleure, loin de là. Vladimir Gallagher devra lâcher du lest, laissant les autres (malheureusement) écrire des chansons, en contrepartie de quoi il passera (malheureusement) occasionnellement derrière le micro, le tout dans une ambiance de guerre civile fratricide qui durera une dizaine d’années avant le sabordage parisien.

Bien que globalement très médiocre, « Be here now » est le dernier disque studio encore écoutable d’Oasis …


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THE SMITHS - THE QUEEN IS DEAD (1986)

 

Rois et Reine ...

Et s’il ne devait en rester qu’un des disques des Smiths, ce serait celui-là. Loin, très loin au-dessus des autres, n’en déplaise au fan-club (ou aux Inrocks, ce qui revient au même). Et pourtant, quand il sort, ce « The Queen is dead », troisième disque du groupe, les Smiths n’ont déjà plus rien à prouver. Et il n’y a même pas deux ans et demi qu’ils ont fait paraître leur inaugural album éponyme.


Entre-temps, ils sont devenus une institution en Angleterre, dernière sensation de rock indé à guitares. Dans un paysage musical gangréné par de la pop à synthés, ils s’obstinent dans une formule guitare-basse-batterie-chant … Bien aidés pour atteindre les sommets par les machins de plus en plus pompiers que publient les acclamés une paire d’années plus tôt U2 et Simple Minds (de toutes façons disqualifiés pour le titre de meilleur groupe anglais, les premiers sont Irish et les seconds Scottish). Tous les magazines musicaux anglais vouent une vénération aux Smiths. Faut dire que les Anglais aiment bien le rock, surtout quand c’est eux qui le font. Et donc, plus les groupes forcent sur le « so british », plus le public local leur fait un triomphe. Après les Jam et en attendant Oasis, c’est l’heure des Smiths … même Londres, pourtant souvent jalouse et aimant afficher une supériorité arrogante vis-à-vis des ploucs provinciaux, s’entiche de ces Mancuniens. Ailleurs dans le monde, que dalle, au mieux un succès d’estime… Un peu normal, les Smiths ne sont pas les Beatles, et ne cultivent pas l’universalisme musical.

Et ne changent rien avec « The Queen is dead ». Qui débute par le morceau éponyme, rengaine uchronique (et un des plus longs titres enregistrés par les Smiths, plus de six minutes) se moquant du grand dadais de Charles, appelé à régner maintenant que sa mère est morte. Caustique et moins direct que le « God save the Queen » des Pistols, mais pas moins malin. On reste au second degré (un Anglais digne de ce nom ne doit pas s’attaquer de quelque façon que ce soit à la Couronne). Ce ne sera pas toujours le cas. Morrissey deux ans plus tard sur son premier disque solo chantera un peu équivoque « Margaret on the guillotine » (vous me direz, Thatcher était pas Reine …).

Morrissey & Marr

Fidèles à leur réputation friendly gay, les Smiths mettent un beau mâle sur la pochette (Alain Delon, photo tirée du peu connu film « L’insoumis » d’Alain Cavalier), et reconduisent une méthode gagnante. Marr compose toutes les musiques, Morrissey tous les textes, Stephen Street est à la console (même si cette fois-ci Marr et Morrissey co-produisent avec lui). Les progrès viennent d’une qualité mélodique supérieure, sans titres de remplissage un peu bâclés, d’un chant tout en micro-nuances de Morrissey (finies les pénibles montées dans les aigus), et d’un Johnny Marr qui se lâche à la guitare. Sans foutre les Marshall sur onze, sans se perdre dans des solos pentatoniques à rallonge (d’autant plus que les Smiths ont très peu à voir avec les gammes bluesy) « The queen is dead » est le disque qui permet de comprendre pourquoi ce type discret et taiseux est considéré comme le meilleur guitariste des années 80 ;

Et il contraste avec l’exubérance de Morrissey au niveau des textes, qui prend un malin plaisir à cultiver une sorte d’impressionnisme loufoque (la mélodie la plus enjouée, celle de « Cemetary Gates », est une visite des pierres tombales des grands poètes romantiques anglais, Wilde, Yeats, Keats). Le gars est capable d’hommages littéraires, mais ne dédaigne pas le nonsensique complet (« Frankly Mr Shankly » et sa mélodie sautillante, l’exubérant « Somme girls are bigger than others »). Comme souvent, Morrissey est là où on ne l’attend pas, Marr a plusieurs fois évoqué sa surprise de le voir écrire des paroles légères sur des rythmes tristes et inversement, de mettre les refrains sur ce qu’il avait composé comme couplets, … ce sont ces contrastes surprenants qui participent aussi au charme des Smiths …

Mais point n’est besoin d’une licence de musicologie ou d’une maîtrise parfaite de la poésie de la langue anglaise pour apprécier ce disque. Il y a des choses d’une évidence immédiate. « I know it’s over » par exemple, la ballade sixties revisitée façon crooner avec un  Morrissey sur les traces vocales de Sinatra. Quand on sait combien se sont vautrés dans le pathos ou la grandiloquence dans ce genre d’exercice, on apprécie d’autant plus ici le résultat.


Les Smiths, comme les plus grands sont aussi un groupe à singles. Pas forcément présents sur les albums, même si ici on a trois qui ont bien marché dans les charts : « Bigmouth strikes again », le meilleur selon moi avec un grandiose Johnny Marr, « There is a light that never goes out », et son riff présentant des similitudes troublantes avec celui de « There she goes again » du Velvet Underground, et « The boy with the thorn on his side », un peu surchargé à mon goût, sur la thématique de la jalousie passionnelle meurtrière. Je lui préfère le loufoque, enjoué et moqueur « Vicar in a tutu ». Et s’il faut trouver un maillon faible à cette rondelle, ce sera « Never had no one ever » (un peu trop) tourbillonnant et (un peu trop) lyrique …

« The Queen is dead » sera l’apogée des Smiths. Un autre disque suivra qui sent l’épuisement du filon (« Strangeways, here we come »), Marr aura envie d’explorer d’autres horizons musicaux, Morrissey (ancien président du fan-club anglais des New York Dolls) voudra mettre un peu de paillettes glam dans ses chansons, et la section rythmique Rourke et Joyce en aura assez de jouer les faire-valoir anonymes des deux stars qui se partagent l’écriture …


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The Smiths


FEVER RAY - PLUNGE (2017)

Sister Ray ?

Comme son nom ne l’indique pas, Fever Ray n’est pas un groupe. C’est le nom de scène d’une allumée suédoise, répondant au patronyme de Karin Dreijer, connue (?) comme étant la partie chantante d’un duo fraternel The Knife (jamais entendu, ou pire, aucun souvenir).


Donc la Karin à travers son avatar Fever Ray se la joue perso. Pas de manière boulimique, quasiment dix ans séparent son premier disque (qui contient son titre le plus connu « If I had a heart » qu’on trouve dans plein de séries et de films), de celui-ci. Elle fait ses rondelles toute seule, c’est-à-dire en empilant des couches de programmations, de synthés et de bidules bruyants divers. Comme pas mal de monde aujourd’hui… Et quand par hasard il y a un être humain qui se pointe (oh, pas souvent, un peu de flûte sur un titre, de violon sur un autre), on voit pas franchement la différence.

Ce qui saute par contre aux oreilles, c’est la voix de la demoiselle (enfin demoiselle qui a dépassé la quarantaine quand paraît ce « Plunge »), pitchée au-delà du raisonnable. En gros, le pitch, c’est pousser des boutons sur une console ou un plug-in pour changer la tonalité de la voix, généralement pour la monter dans les aigus. Comme Major Lazer ou DJ Snake qu’ils disent sur Internet. Comme si quelqu’un doté d’une paire d’oreilles en état de fonctionner savait qui sont ces deux types … D’autres plus cultivés (?) citent un titre de Rihanna dans les 90’s comme exemple de voix pitchée… Tant qu’à faire … Il n’est venu à l’idée de personne apparemment de se référer à Camille, le faux double féminin de Prince sur le fantastique album « Sign the times » (en 1987). Comme quoi ceux qui vous balancent des noms récents n’ont jamais écouté un bon disque de leur vie, CQFD …

Et pour être sûre de pas passer inaperçue, la Karin a le crâne rasé (esprit de Sinead O’Connor, es-tu là ?) et se tartine le museau de peintures baveuses diverses et peu variées (en gros du rouge, du blanc et du noir), comme si elle allait tourner un film de zombies péruvien, et fringuée comme si elle sortait d’un sarcophage … ceci étant, les goûts et les couleurs, hein … précision, c’est elle sur la pochette du disque, maquillée (?) sobrement (?) avec du chocolat. A moins que ce soit du caramel ou du Nutella …

Macron, on t'a reconnu ...

Une voix suraiguë sur des machines, ça fait de suite penser à Björk (et un peu à Kate Bush). Evident sur quelques titres (« Wanna sip », « Red trails »), et toujours en filigrane. J’ai décelé aussi de forts relents du Depeche Mode « dark » des débuts (« Mustn’t hurry », « An itch », « This country »). La demoiselle cite fréquemment Aphex Twin (les synthés chelous sans aucune mélodie), grand bien lui fasse. Moi je pousse le vice à citer Phil Collins, ou au moins la mélodie de la scie « In the air tonight » sur « Falling ».

Parce que des mélodies, ben y’en a pas trop. Un peu plus sur la seconde partie (seconde face vinyle ?) du disque, où elle force un moins sur le pitch de la voix (le morceau-titre qui casse pas des briques est pas trop mal, normal c’est un instrumental), « To the moon and black » est le titre le plus facile, évident de la rondelle, « Mama’s hand » très typé techno 90’s se laisse écouter les soirs de déprime …

Je vais encore passer pour un blaireau rétrograde, mais je vois pas grand intérêt à ce « Plunge ». C’est pas infect, mais bon … C’est de l’art, c’est une performeuse, me souffle-t-on … sans rire ? D’après quelques vidéos live, elle bouge autant que Bob Dylan sur scène, toujours dans l’obscurité (merci Tricky) d’où ne ressort que la trace blafarde de son visage maquillé …

Comme je vois pas grand-chose d’agréable à dire sur ce machin, on va en rester là … Who’s next ?


ROXY MUSIC - FOR YOUR PLEASURE (1973)

 

Crossroads ...

Comme indiqué en sous-titre, « For your pleasure » est « the second Roxy Music album ». Et même si une demi-douzaine suivra, « For your pleasure » sera le dernier de la formation d’origine. Avec Brian Eno s’entend. Autant commencer par lui … ce type me laisse assez circonspect avec ses théories (les stratégies obliques, comme si dans le rock il fallait être un stratège, ceux qui l’ont inventé ne connaissaient même pas l’existence de ce mot), sa litanie de disques ambient, pour les aéroports, … qui remplacent avantageusement les somnifères … Tout ça pour le côté obscur de la farce … Parce qu’en face, on le retrouve très impliqué (souvent comme producteur, ou metteur en sons, comme on veut) de quelques rondelles pas dégueulasses, genre les Bowie période Berlin, les meilleurs Talking Heads ou U2, et … « For your pleasure » sans oublier une poignée de disques à lui superbes dans les 70’s … Difficile de dire avec précision la part d’Eno sur « For your pleasure », parce que Roxy a un sacré leader maximo, en la personne de Bryan Ferry, qui signe, ce qui n’est pas rien, la quasi-totalité des musiques et des textes. Mais ces chansons sonnent toutes d’une façon étrange, inédite, inouïe, quand Eno les a tripatouillées (tout un tas de bruitages, de sons passés à travers des ordis ou des synthés), que ce soit en studio ou sur scène (lors des concerts, il est à la table de mixage, pas sur les planches).


Roxy est un groupe étrange, dans ce début des seventies où la bizarrerie la plus extravagante est la norme. Cité juste après Bolan et Bowie lorsqu’il s’agit de définir le glam-rock, on le retrouve en bonne place sur toutes les compilations prog seventies. Vous me direz, c’est en ratissant large qu’on trouve le plus de fidèles. A mon sens, Roxy penche beaucoup plus vers le glam que vers le prog (cette funeste engeance a tendance à vouloir rattacher à sa chapelle plein de choses et de gens qui n’ont rien à voir avec Genesis, Yes, les types de Canterbury and so on …). Même si on retrouve chez Roxy Music, l’espace de quelques mesures les sonorités alambiquées et les arrangements tarabiscotés qui font tout le charme (?) des progueux … Et de toutes façons, niveau glam, les Roxy écrasent toute la concurrence au moins visuellement (voir leurs tenues sur la pochette intérieure), à faire passer Bowie pour un attaché parlementaire du Modem …


Tiens, et puisqu’on parle pochette, autant causer de celle-ci, une des plus connues du rock. Parce que d’emblée Roxy Music s’est plus fait remarquer par ses pochettes que par sa musique. La légende prétend que le groupe a été signé par Chris Blackwell sur Island au vu du projet de maquette pour la pochette de son premier album, une mannequin allemande façon playmate Playboy sur une pochette en recto et verso (gatefold). Pour « For your pleasure », le principe est le même. Pochette gatefold, même photographe (Karl Stoecker). Autant la précédente était lumineuse, autant celle-ci est sombre. Elle est captée dans un grand studio (pour y faire rentrer une limousine), vinyle noir sur le sol, décor Las Vegas by night. Le modèle choisi est Amanda Lear. Bustier, robe fourreau et longs gants de cuir noir, talons aiguille vertigineux, cambrure de gymnaste des pays de l’Est, panthère noire tenue en laisse. Un peu au second plan, Bryan Ferry (chauffeur ?, compagnon ?) semble l’attendre à la portière d’une limousine. Amanda Lear n’est pas vraiment une inconnue. Muse-amante de Salvador Dali dans un improbable triangle amoureux (l’autre sommet du triangle est Gala, épouse légitime de Dali), ancienne compagne de Brian Jones (la chanson « Miss Amanda Jones » sur « Between the buttons »), et à l’époque de la photo, compagne (en pointillés) de Bryan Ferry. Cette pochette marquera bon nombre de personnes. Dont particulièrement un chanteur anglais, qui se renseignera sur cette blonde longiligne, la contactera et se mettra en couple avec elle pendant quelques années. Que ceux qui ne savent pas qu’il s’agit de David Bowie se fassent connaître, il n’y a rien à gagner …


Et la musique, au fait, dans ce disque ? bonne question, garçon, j’y viens … « For your pleasure » débute par une cavalcade glam, « Do the strand », avec un sax façon corne de brume (dans la lignée « Fun house » des Stooges, ou de Bowie) et un piano annonciateur du style Mike Garson (bientôt chez Bowie). « Beauty queen » est la ballade épique très 70’s, « Strictly confidential » est le titre qui fait que parfois Roxy est associé au courant prog (on dirait du Genesis supportable, donc à peu près du Van der Graaf Generator). « Editions of you » est le titre le plus méchamment rock, avec un solo de sax traité par Eno qui le fait ressembler à un solo de guitare. Ce titre fait penser au « Suffragette City » de … Bowie (décidément) et le malin Damon Albarn devait bien l’avoir en tête quand il a composé « Song 2 ». La première face du vinyle se terminait par « In every dream home a heartache », ballade reposant au début sur des sonorités électroniques avant un grand final d'électricité rugissante, et chanson d’amour adressée à … une poupée gonflable « I blew up your body, but you blew my mind ».

La seconde face est plus expérimentale, entamée par « The Bogus man » longue (presque dix minutes) mélopée lancinante, pas très éloignée du krautrock de Can. « Grey lagoons » revisite la face glam avec sax et guitares saturées en avant, dans la lignée de ce faisait Elton John à la même époque (l’album « Goodbye yellow brick road »). Fin des hostilités avec le morceau-titre, ballade malade (traitement des sons de sax et de batterie) sur fonds de synthés inquiétants, anxiogènes.


Il ressort de tout ça que Ferry est un grand auteur-compositeur (le format chansonnette de trois minutes est pulvérisé, mais ça reste facile d’accès) doublé d’un grand chanteur, à la palette vocale étendue, comme une sorte de Sinatra glam. Que le band derrière tient la route (Phil Manzanera est un grand guitariste et sera par la suite un sessionman très recherché, la rythmique est efficace dans des schémas pourtant parfois compliqués, le sax de MacKay se démarque des plans archi-rebattus du rhythm’n’blues). Et que Eno confère une étrangeté sonore (ça sonne bizarre, sans être expérimental – prise de tête).

Cette formation et ce disque seront l’apogée de Roxy Music. Certes le groupe sera populaire, reconnu commercialement, les disques suivants se vendront bien mieux que ce « For your pleasure », mais aucun n’atteindra sa beauté étrange et vénéneuse  …



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