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FERNANDO MEIRELLES - THE CONSTANT GARDENER (2005)

 

Big Pharma, amour et Kenya ...

« The constant gardener » aurait pu être un documentaire, un pamphlet, un film romantique, et dans tous les cas, il n’aurait pas été réussi. C’est parce qu’il dose savamment ces trois genres qu’il reste un grand film marquant.

Fernando Meirelles

Adapté plutôt fidèlement d’un roman de John Le Carré (qui a publiquement reconnu qu’il s’agissait d’une des meilleures transpositions de ses bouquins à l’écran), il raconte le combat d’un couple (lui est diplomate, elle bosse dans une ONG) contre un puissant lobby pharmaceutique qui teste de nouveaux produits au Kenya en pleine crise sanitaire liée (entre autres) au SIDA.

Evacuons d’abord la thèse antivax-complotiste. Tous les Bob Kennedy du monde pourront voir dans « The constant gardener », sorti en salles deux décennies avant le Covid, les preuves de tout l’obscurantisme qu’ils défendent. Sauf que le but du film n’est pas de s’attaquer à la science, mais de montrer la cupidité mortelle des grandes multinationales, à travers ici l’exemple d’un labo pharmaceutique. On est beaucoup plus proche avec « The constant gardener » d’un film comme « La firme » de Pollack que des vidéos sur YouTube de Prof Raoult …

Rachel Weisz & Ralph Fiennes

Derrière la caméra, le Brésilien Fernando Meirelles. Révélé par un premier film au réalisme froid tourné dans les favelas de Rio (« La cité de Dieu »), il refuse les appels du pied d’Hollywood, et étudie la proposition d’un producteur indépendant (Simon Chinning-Williams) d’adapter le bouquin de Le Carré. Meirelles, en réalisateur engagé (à l’époque, il serait moins regardant depuis qu’il est en perte de vitesse artistique et commerciale), est séduit par l’idée d’aller tourner en Afrique une histoire qui se passe dans un pays où la vie est encore plus dure que dans les bidonvilles brésiliens. Quelques repérages sont faits au Kenya (l’histoire s’y déroule majoritairement), manière d’avoir des images « locales », et le film sera tourné en Afrique du Sud, où les conditions matérielles seront meilleures pour tous. Sauf que Meirelles et son producteur tombent sous le charme des paysages et de la population kenyane et décident que le film y sera tourné pour sa partie africaine. Les autres lieux seront Londres, Berlin (et Winnipeg, pour des scènes coupées au montage, une première mouture durait trois heures, la durée du film en salles sera raccourcie d’une heure).

Première scène. Un type accompagne sa femme à un aéroport. Elle se dirige vers un petit avion de tourisme en compagnie d’un Noir dont elle semble proche. Seconde scène, des militaires extraient dans un sac un cadavre à côté d’un 4X4 renversé au bord d’un lac. Troisième scène. Au Haut Commissariat britannique (équivalent de nos Consulats) de Nairobi, notre homme cultive, bouture, arrose des plantes (d’où le titre du film). Un collègue lui demande de l’accompagner à la morgue de Nairobi, pour identifier un cadavre qui pourrait être celui de sa femme. Ce qui est le cas.

Un début de film auquel on ne comprend pas grand-chose. En fait, ces scènes sont au milieu chronologique de l’histoire. Une série de flashbacks vont nous montrer comment on est arrivé là. L’homme (Ralph Fiennes) est un fonctionnaire de seconde zone. Alors qu’il remplace au pied levé un supérieur devant la presse à Londres, il est pris à partie verbalement à la fin de son intervention par une femme du public (Rachel Weisz), au discours fermement altermondialiste. Ce qui a pour effet de vider la salle de sa maigre assistance et de les laisser tous les deux face-à-face. Et de fil en aiguille, bientôt dans le même lit. Lorsque Justin Quayle, le petit fonctionnaire épris de botanique est nommé à Nairobi, sa maintenant femme Tessa fait le forcing pour l’accompagner. On les retrouve quelques temps plus tard au Kenya, lui boulotant au Haut Commissariat, elle parcourant enceinte jusqu’aux yeux (sans avoir recours aux trucages, elle attend un gosse de son mari d’alors Darren Aronofsky) la banlieue-ghetto-favela de Kibera (700 000 habitants) en compagnie d’un toubib local, s’intéressant de près à l’aide médicale censée être humanitaire qui y travaille. Toujours aussi grande gueule, elle apostrophe au cours d’un pince-fesses le ministre de la Santé du Kenya ainsi que quelques représentants d’une grosse firme pharmaceutique qui l’accompagnent, sous l’œil effaré de son mari et de ses supérieurs hiérarchiques.

Théâtre dans le ghetto de Kibera 

Dès lors, toutes les pièces du puzzle sont là. Le mari effacé, sa femme militante, la diplomatie, les barbouzes du Foreign Office, les assos humanitaires, les gros labos, … ça commence par les ragots allusifs (dis-donc, ta femme elle se taperait pas le toubib local), les pressions « amicales » sur les uns et les autres, les accointances mystérieuses des uns et des autres, … Une fois Tessa morte, Justin va essayer de comprendre, de remonter les pistes. Et à mesure qu’il dénoue l’écheveau et que les vérités se font jour au Kenya, à Londres, à Berlin, les menaces se font de plus en plus réelles. L’épilogue de l’histoire aura lieu au bord du lac où Tessa est morte …

Ce genre de pitch, le pot de terre contre le pot de fer, c’est un des thèmes les plus rebattus du cinéma. Le talent de Meirelles (et de ses acteurs, Ralph Fiennes est comme toujours économe et juste, et Rachel Weisz comme toujours sublime) c’est je l’ai dit quelque part plus haut de faire trois films dans un.

« The constant gardener », c’est un film romantique. Le coup de foudre entre le diplomate effacé et l’activiste, la dure vie de couple quand chacun fait des efforts pour que ses occupations ne soient pas préjudiciables à l’autre, un enfant conçu, et puis le drame. Dès lors il va épouser la cause de sa femme, continuer son enquête et ses combats, juste par amour pour elle, son image, ses souvenirs (de nombreux flashbacks sur les moments, surtout les bons, passés ensemble). On se retrouve face à une version humanitaire et engagée de Tristan et Iseut.

« The constant gardener », c’est un documentaire. Au milieu du ghetto de Kibera, dans des missions humanitaires perdues dans le désert, il n’y a pas de figurants. Ce sont les locaux qui jouent. Et bizarrement, ces gens qui vivent dans le dénuement complet (pas d’eau, d’électricité, des conditions sanitaires dantesques) « participent » au film (on voit pas les gosses s’agglutiner devant les caméras, ou tout le monde fixer l’objectif). Meirelles reconnaît qu’il a été beaucoup plus facile de tourner au Kenya qu’au Brésil, où la misère est beaucoup plus violente. On a droit à quelques scènes immersives dans la vie des locaux, avec notamment une stupéfiante représentation théâtrale didactique par une troupe locale pour informer sur le SIDA, où tous les personnages sont triplés, tenues, gestes similaires, et dialogues en chœur.

« The constant gardener », c’est une charge violente contre Big Pharma sous forme de thriller. Le tout dans un gigantesque jeu de dupes (qui décide, qui ordonne, qui fait quoi, qui soutient qui, …), où se mêlent labos de recherche, entreprises pharmaceutiques, politiques locaux, associations humanitaires, personnel diplomatique, services secrets, ONG, activistes, avocats, avec partout des électrons libres, des traîtres, de vrais candides et de faux désabusés. Le tout sur fond d’essais grandeur nature d’un nouveau médicament sur une population soit mourante d’autre chose, soit trop asservie pour comprendre qu’elle sert de cobayes … Et la conjonction de tous ces intérêts fait qu’on n’en est pas à quelques cadavres près, qu’il s’agisse de locaux ou pas …


Meirelles réussit à imbriquer toutes ces histoires entre elles. Et même à s’amuser avec le spectateur. Le double twist qui suit l’accouchement de Tessa est magistral, et un hommage revendiqué est rendu à Kubrick et « Orange mécanique » (le tabassage de Quayle à Berlin à coups de pieds, où un couple hyper-ringard de chanteurs allemands remplace « Singing in the rain » en fond sonore).

Seul reproche à faire au film, une grosse densité d’informations et de personnages secondaires dans quasiment toutes les scènes, qui rendent difficile la totale compréhension au premier visionnage. Peut-être moins coup de poing dans la face et nihiliste que « La cité de Dieu », mais tout aussi mordant sur le monde « merveilleux » de la recherche médicale …


NURI BILGE CEYLAN - LES CLIMATS (2006)

 

Vague de froid sur un couple ...

Nuri Bilge Ceylan, c’est pas compliqué, ses six derniers films ont été sélectionnés au Festival de Cannes. Ce qui ne veut rien dire … ou beaucoup de choses. Bon, Ceylan il est Turc, et la Turquie, c’est un pays de cinéma, comme ses plus ou moins voisins l’Iran ou l’Inde. La Turquie produit essentiellement pour son marché intérieur (on ricane pas, c’est un peu le cas de la France aussi …). Le pays s’est fait situer sur les mappemondes du septième art par son premier réalisateur star, Ylmaz Güney, avec « Yol » au début des années 80, Palme d’Or à … Cannes, forcément Cannes, et qui a bénéficié d’une diffusion internationale. Aujourd’hui, concernant les réalisateurs turcs exportables, le compte reste vite fait : Fatih Akin (expatrié en Allemagne mais qui retourne parfois tourner au pays) et Nuri Bilge Ceylan (expatrié un peu partout mais revenu au pays pour tourner).

Ceylan & Ceylan

Ceylan, il est venu au cinéma un peu par hasard, il était beaucoup plus bibliothèques que salles obscures. Même s’il avoue avoir été fortement impressionné dans sa jeunesse par « L’Avventura » et « La Notte » d’Antonioni, et « Le silence » de Bergman. Il a vécu de petits boulots à l’étranger (barman à Londres), et suivi un parcours universitaire aux States, section photographie. Son rêve, c’était d’être embauché par National Geographic (le magazine, la chaîne TV dérivée n’existait pas encore). Sauf que la réalité le rattrape, sous la forme d’un appel à effectuer son service militaire en Turquie (parenthèse, dans une discussion avec Laure Adler de 2006 en bonus du Dvd, Ceylan estime avoir des devoirs – dont le service militaire – envers son pays, mais reste très elliptique, pour ne pas dire muet, sur la situation politique turque de l’époque ; actuellement, il ne porte visiblement pas Erdogan dans son cœur, fin de la parenthèse). Il revient au pays et là s’inscrit à la fac de cinéma d’Istanbul.

Tout ça a laissé des traces, notamment ses études en photographie. Les images de films de Ceylan sont somptueuses, ce qui prouve qu’il y a de superbes paysages en Turquie, que Ceylan sait les trouver, et surtout les mettre en valeur par un sens aigu du cadrage. On passe de superbes panoramiques à de très gros plans sur les acteurs. Ceci étant, le cinéma turc n’a pas les moyens d’Hollywood. Ceylan, peu connu à l’époque, n’échappe pas aux contraintes financières. « Les climats » est fait avec les moyens du bord, tout est fait avec le cercle des amis et le cercle familial. Ceylan joue le personnage principal, sa femme Ebru a le premier rôle féminin (mais elle était déjà actrice), ses parents ont même droit à une scène avec lui, dans leur propre rôle …


Ne surtout pas déduire qu’on a un machin genre potes de lycée à qui on a filé une caméra et qui présentent leur film à la classe à la fin de l’année. « Les climats », c’est un gros travail sur l’image, mais pas que. Le son est également exploité d’une manière peu conventionnelle, pour pallier de longues séquences sans dialogues. Ceylan a horreur du silence, tous les sons sont généralement suramplifiés (exemple le plus frappant, les cigarettes quand on tire une bouffée, mais pas seulement, aussi les bruits extérieurs comme les oiseaux, les insectes, le vent, la mer, les objets qu’on utilise …). Et puis, alors qu’on croirait que la proximité familiale ou amicale du casting aiderait à la spontanéité, sans cesse sur le métier les scènes sont remises. Exemple assez édifiant, après « l’accident » de scooter, une voiture s’arrête, le conducteur en descend pour porter assistance (il va se faire méchamment rabrouer). Ça dure dix secondes à l’écran, plusieurs « acteurs » ont été testés, avec plusieurs dialogues et plusieurs réactions. Mais, roulements de tambours, j’ai vu un pain : vers la fin, la scène est située au petit matin dans une chambre d’hôtel, le jour se lève, mais sur une montre on peut voir qu’elle indique quatre heures vingt-cinq, c’est le problème des gros plans quand on a pas de budget pour les retouches numériques derrière …

« Les climats » est un film taiseux. Comme à peu près tous les films de Ceylan que je connais … sauf qu’ici ça s’y prête encore plus. Le film raconte l’histoire d’un couple, Isa et Bahar (Ceylan et sa femme) qui part en vrille. Il est bien plus âgé, intellectuel (universitaire en archéologie), elle est jeune et dans l’artistique (scénariste). Il est calme, égoïste, un brin machiste et paternaliste, elle est beaucoup plus spontanée et « vivante ». On les voit déjà loin l’un de l’autre alors qu’ils visitent, pour son boulot à lui, les ruines de la cité de Kaz, dix minutes sans un mot, puis une engueulade pour des futilités lors d’une soirée chez des amis, le lendemain, elle lui masque les yeux alors qu’ils se baladent en scooter d’où gamelle et chacun se démerde de son côté et une séparation prononcée lors de trois magnifiques scènes à la plage (une rêvée, une ou ils se séparent physiquement - elle va se baigner, il reste sur le sable -  et la dernière où la séparation est prononcée et actée en paroles). Cette première partie se passe en été.

Une seconde partie se passe en automne. On suit Isa de retour à sa fac à Istanbul, avec son pote enseignant comme lui, ses parents, et puis une ex qu’il retrouve, d’abord dans une librairie avec son mec, puis seule chez elle, pour une longue scène controversée. Ceux qui avaient oublié leurs lunettes ont parlé de viol, sauf qu’elle l’aperçoit en rentrant chez elle, reste pensive et souriante, lui ouvre ensuite la porte sans problème, et fait semblant de résister lorsqu’il devient entreprenant … on dira qu’elle aime bien  les rapports physiques musclés … et d’ailleurs, c’est elle qui le recontacte et l’allume ensuite … escapade amoureuse sans lendemain, un ‘tit coup en passant pendant que le mari est en déplacement … ce qui fait que notre Isa se retrouve seul, ce qu’il n’aime pas …


Troisième partie, en hiver. Isa a facilement retrouvé la trace de Bahar qui bosse sur un film dans les neiges de l’Anatolie. Prétexte professionnel futile (y’a un tas de cailloux en ruines à côté, c’est pour son boulot), il va essayer de recoller les morceaux avec son ex … Valse-hésitation entre les deux, conclue par une dernière scène magnifique …

Bon, « Les climats » a les qualités de ses défauts, et inversement … ces personnages mutiques ne dégagent aucune sympathie, ni même empathie. Le rythme est lent comme un cortège funèbre, contemplatif, méditatif. En clair, ça manque de vie pour être prenant. Mais c’est bien filmé, bien interprété, un gros travail sur le son et l’image réussis … ce qui fait pencher la balance du bon côté, c’est que la durée du film reste dans le domaine syndical, à peine un peu plus d’une heure et demie …

Les derniers films de Ceylan, les célébrés « Winter sleep » et « Le poirier sauvage » flirtent voire dépassent les trois heures, sont esthétiquement magnifiques mais aussi plutôt chiants, et il y a évidemment nettement moins d’action que dans un épisode des Avengers …

Alors peut-être que « Les climats » est une bonne porte d’entrée pour aborder l’œuvre de Ceylan …




LEO McCAREY - ELLE ET LUI (1957)

 

Remix ...

Leo McCarey est connu surtout pour ses comédies, dont quelques unes de premier plan, « La soupe au canard » avec les Marx Brothers (un de leurs meilleurs), et « Cette sacrée vérité » (déjà avec Cary Grant). Mais le bon Leo (enfin, le type est pas parfait, anticommuniste radical et fervent supporter du maccarthysme) a tendance à trop tourner, à visiter d’autres genres que la comédie, avec des fortunes diverses (quatre Oscars tout de même, dont trois pour l’oublié et oubliable « La route semée d’étoiles »). De plus, compositeur raté (c’était sa vocation initiale), il inclut souvent des scènes chantées dans ses films …

Leo McCarey

Mais là, au milieu des années cinquante, c’est un peu le trou noir pour McCarey. Cinq ans sans un film. Les aléas

de la vie (il est depuis longtemps en fauteuil roulant suite à un grave accident de voiture), et surtout il n’a plus confiance en lui (il est lucide et sait qu’il a tourné quelques furieux navets). Il va pas trop se fouler pour faire son nouveau film, il va tourner une nouvelle version d’un de ses anciens films de 1939, qu’il estimait raté, « Elle et lui » (pas vu, mais je veux bien croire que c’était pas un chef-d’œuvre, si McCarey lui-même le dit).

Ce nouveau « Elle et lui » (« An affair to remember » en V.O.) se divise en deux parties distinctes. Moitié comédie (romantique) au début, et mélodrame ensuite. Le début est très réussi, la suite beaucoup moins, et la scène la plus poussive est la dernière, ce qui n’est jamais idéal … 

Elle et Lui

« Elle et lui », c’est l’histoire de deux célibataires sur la même croisière dont la destination est New York, où leurs futures moitiés les attendent. Lui, c’est la star de la croisière. Les premières scènes nous montrent des journalistes radio ou télé annoncer le futur mariage de Nick Ferrante, playboy de renommée mondiale avec une très riche héritière américaine. Elle, c’est Terry McKay, chanteuse de cabaret, qui doit épouser un riche industriel newyorkais. Evidemment, ils vont se rencontrer sur le bateau, lui va forcément la draguer, elle va résister tant bien que mal, avant de lui céder. Ils se donnent six mois pour éventuellement expédier leurs fiancés respectifs, et si c’est le cas, se retrouver à une date et une heure bien précises au dernier étage de l’Empire State Building (celui de King Kong). Il y sera, attendant bien après l’heure prévue jusqu’au dernier ascenseur, mais elle ne viendra pas (on sait pourquoi, même si ça se passe hors champ).

Un petit champagne rosé ?

Dès lors, on va les suivre, lui obligé de travailler dans la peinture (sur toile ou en bâtiment), répondant là à sa vocation enfantine, elle donnant des cours de chant pour des gosses dans une paroisse. Tous les deux ne sont pas mariés avec leurs fiancés respectifs, ne se sont pas revus. Ils ne se retrouveront qu’à la dernière scène …

Lui, c’est Cary Grant. L’immense Cary Grant. Capable de tout jouer à la perfection, mais jamais aussi excellent que dans la comédie. Un jeu très british (il est anglais de naissance avant de s’être fait naturaliser américain vers la quarantaine), très économe de gestes, tout passe par un plissement de front, de sourcils, une esquisse de sourire, un regard, un petit mouvement de tête, …).

Elle, c’est aussi une citoyenne britannique, Deborah Kerr, grande actrice à la filmographie longue comme un jour sans pain, avec une bonne dizaine de grands films à son actif. Généralement pas dans le registre comique. Dans « Elle et lui », elle fait ce qu’elle peut, mais est quelque peu écrasée dans ce domaine par Cary Grant. Elle rétablit l’équilibre dans la seconde partie, malheureusement pas très captivante …

McCarey, pour ce que j’en ai vu, ne transcende rien. C’est juste un technicien sans imagination, qui pose une caméra et met ses acteurs devant. Même s’il arrive quand même à trouver un angle intéressant pour magnifier le superbe paysage en contre-bas à Villefranche-sur-Mer, lors d’une escale de la croisière et d’une visite de Ferrante et McKay chez la grand-mère de Ferrante, lors de la seule pause émotion d’une première partie très alerte … Par contre, la manie de McCarey des parties chantées est ici loin d’être une bonne idée. Cary Grant n’a que quelques vers, et on le sent très mal à l’aise, Deborah Kerr s’en sort mieux bien qu’étant doublée. On a droit à un chant par une chorale de gosses plutôt longuet et pathétique et qui finit par mettre mal à l’aise quand les deux seuls gosses Blacks de la chorale se livrent à quelques pas d’une danse censée être africaine mais qui fait évoque lourdement les piteuses « revues nègres » …

Scène finale

Le film est porté tout entier par Grant et Kerr, les seconds rôles sont tout juste des figurants améliorés, seule une autre anglaise, Catleen Nesbitt, dans le rôle de la grand-mère de Grant (pourquoi la grand-mère, elle n’a dans la vraie vie que seize ans de plus que lui, et on ne parle jamais des parents de Ferrante), a droit à une paire de jolies scènes. On a parfois comparé « Elle et lui » aux meilleurs films de Douglas Sirk (manque quand même les scènes épiques tire-larmes), voire à « Love Story » (??) … Bah non, « Elle et lui » est le cul entre deux chaises entre comédie et mélo, et finalement « n’imprime » pas vraiment.

McCarey a tourné pour les grands studios (longtemps sous contrat avec la Columbia, celui-ci est chez la Fox) et fait partie de ces réalisateurs aujourd’hui oubliés, une bonne partie de son œuvre n’a jamais été rééditée sur support physique. Et quand c’est fait, c’est un travail bâclé. La version Dvd du film que j’ai (pourtant de la Fox) parue en 2001 a une qualité d’image pire qu’une VHS, on passe pendant la lecture d’une version française à des scènes en V.O. sous-titrées … c’est pas avec des supports comme ça qu'on va le réhabiliter le Leo …



Du même sur ce blog :


TAKASHI MIIKE - AUDITION (1999)

 

Télénovela et scie à fil …

Takashi Miike, japonais de son état, fait partie de ces cinéastes culte, vénéré par les adorateurs de films de séries B à Z. Signes distinctifs de Miike : une propension pour le gore et le sexe, et bien souvent les deux ensemble ; une cadence infernale : entre trois et six films par an. Donc assez loin des thématiques et du rythme de travail d’un Terence Malick, si vous voyez ce que je veux dire.

Takashi Miike

Miike sera au sommet de sa créativité et de sa carrière au tournant des années 2000. Notamment grâce à deux films, « Itchi the killer » en 2001 et « Audition » deux ans plus tôt. En trois ans (de 1999 à 2001), Wikipedia recense 20 sorties de films signés Miike, et il a tout juste quarante ans à cette époque… tous ces chiffres définissent obligatoirement des préalables, à savoir ne pas chercher chez Miike des scénarios minutieusement ficelés, des mouvements vertigineux de caméra, et de grands acteurs dans des performances inoubliables … Même si c’est pas bâclé … on n’est pas dans le format film de 80 minutes, mauvais raccords, micros visibles à l’image … Miike, c’est mieux travaillé, mieux « fini » que Ed Wood par exemple …

« Audition » dure presque deux heures et peut être séparé en trois parties à peu près égales. Au début, une mièvrerie romantique calamiteuse, une partie centrale où malaise et tension s’installent tout doucement, avant un final d’une sauvagerie ahurissante. « Audition », c’est un peu « Love Story » dont les dernières bobines seraient filmées par le Wes Craven de « La colline a des yeux ».

Alors au début on s’emmerde ferme à suivre Aoyama à l’hôpital où sa femme est en train de claquer, à le voir seul élever son gosse de sept ou huit ans, tout en continuant de gérer avec le moral en berne sa société de production … Accélération temporelle, on retrouve le même type sept ans plus tard, le moral toujours autant dans les chaussettes, toujours avec sa boîte de prod, et son fiston ado qui est intéressé par les dinosaures et les flirts avec les petites collégiennes en jupette … Un des potes d’Aoyama directeur de casting lui suggère de se remarier pour reprendre goût à la vie en se servant de leurs métiers : suffit d’organiser un faux casting féminin pour un machin qui se tournera jamais, et là, devant ces tas de chair jeune et fraîche qui va défiler, y’aura forcément la femme idéale … Evidemment, on le voit arriver de loin le coup tordu, la jeunette choisie sera pas vraiment la femme idéale …

Un casting ...

D’autant plus qu’Aoyama aurait dû se méfier : elle a le total look de la gamine de « Ring », filiforme, toute de blanc vêtue, même longue chevelure noire (mais là coiffée au cordeau), et même mutisme. Cette fille est jouée par Eihi Shiina, top model chez Elite, qui débutera avec ce film une carrière au cinéma très oubliable … Dans « Audition », c’est une orpheline qui a dû abandonner la danse classique suite à une blessure, a tenté une carrière dans la chanson, et qui bosse de temps en temps dans un bar des quartiers mal famés de Tokyo, c’est du moins ce qu’il y a sur son CV. Coup de foudre immédiat du producteur qui se lance dès lors dans une campagne de séduction romantique (on boit un verre ensemble, puis un restau, puis un weekend au bord de la mer où là, ils finiront dans le même pieu), malgré les mises en garde de son copain directeur de casting qui a vérifié que l’école de danse a fermé, que son agent dans la maison de disques a disparu sans laisser de traces depuis des mois, et que la bar a mauvaise réputation …

Là, commence à s’installer une ambiance anxiogène. Aoyama, dingue amoureux de la midinette, mène cependant sa petite enquête, apprend et voit plein de choses qui devraient l’inciter à la prudence : son ancien prof de danse est en fauteuil roulant avec des prothèses de pieds faites maison, le bar où elle est censée bosser est fermé depuis longtemps, sa propriétaire ayant été retrouvée découpée en petits morceaux, et qu’en plus il y avait des morceaux en trop (genre langue, oreille, doigts, pieds, …). Et pendant ce temps, la brunette attend prostrée à côté du téléphone à même le plancher dans son appartement vide (y’a juste un grand sac à patates dans un coin) le coup de fil du producteur amoureux …

Pour un truc tourné à l’arrache, c’est quand même pas si mal foutu que ça : cette historiette d’amour insignifiante qui devient intrigante, puis inquiétante, puis carrément malsaine. Bon, évidemment, c’est trop long, filmé à la va-vite, le jeu des deux protagonistes principaux est hyper stéréotypé, mais Miike fait bien sentir qu’on va basculer vers autre chose. Un jumpscare assure la transition lorsque le téléphone sonne chez la belle, elle relève lentement la tête et derrière ses cheveux se dessine sur ses lèvres quelque chose qui tient plus du rictus que du sourire et … je vous dis rien, mais effet choc garanti …

... qui va mal finir

Dès lors c’est parti pour une dernière demi-heure où faut quand même s’accrocher. On a droit à tous les clichés et fantasmes de BDSM, la robe d’infirmière blanche avec tablier de boucher en cuir par-dessus, gants et bottes en latex, les petits cris de jouissance suraigus, et tout l’attirail pour jouer au Dr Mengele (les seringues, les longues aiguilles d’acupuncture, les ustensiles de bricolage divers, et scie à fil pour couper les quartiers de viande). Heureusement que c’est fauché, que les effets spéciaux ont vingt ans de retard, qu’on voit bien les trucages et le latex … mais enfin, lors de la première, étaient fourni aux spectateurs des sacs à vomi floqués avec l’affiche du film, et paraît-il que de nombreux ont été les sacs qui ne sont pas sortis vides de la salle de projection.

Y’a quand même des trous dans la raquette … à mesure que les séquences limite soutenables s’enchaînent, Miike perd les pédales de son histoire, multiplie flashbacks et fantasmes, rêves et réalité (censés « expliquer » l’histoire), comme si l’ultra violence n’était là que pour faire passer un scénario, de toutes façons de quatre lignes, au second plan. Et c’est pas le double twist final qui sauve l’affaire …

« Audition », c’est le film de genre par excellence. Avec tous les codes qui ravissent les fans, et font grincer les dents de tout le reste de l’humanité. N’étant pas spécialement porté sur ce genre de trucs, j’ai du mal à le situer dans sa catégorie. Il me semble quand même que Gaspar Noé doit le connaître. La boîte homo de « Irréversible » (Le Rectum, no comment …) est en sous-sol et toute éclairée de lumière rouge. Tout comme le bar où était censée travailler la fille de « Audition » … et ce qui s’est passé dans les deux y est assez similaire …


ROBERT BENTON - KRAMER CONTRE KRAMER (1979)

 

And the winner is …

Kramer, forcément (un Oscar pour le film, un pour Hoffman, un autre pour Meryl Streep). Mais aussi le réalisateur Robert Benton (deux statuettes, meilleur film et meilleure adaptation). Et le producteur Stanley Jaffe qui a pas dû regretter d’avoir mis des dollars dans cette affaire, le film ayant cartonné en salles, et pas seulement aux Etats-Unis …

Lequel Stanley Jaffe, qui après avoir acheté les droits du bouquin d’un certain Avery Corman (aucun lien avec le Roger du même nom) dont sera tiré le film branche son pote Benton sur son adaptation au cinéma. Bon, soyons clair, on a affaire là à des seconds couteaux de l’industrie du cinéma, Benton n’ayant comme titre de gloire à son CV qu’une participation au scénario de « Bonnie & Clyde », et Jaffe rien de notable (et guère mieux par la suite, à l’exception du gentiment scandaleux « Liaison fatale »).

Hoffman, Streep & Benton


Les deux compères veulent une star pour le premier rôle, et se mettent vite d’accord sur le nom de Dustin Hoffman, qu’ils vont démarcher illico. Problème, le film est centré sur une histoire de divorce et Hoffman est justement en train de divorcer, et n’a pas spécialement envie de jouer devant une caméra ce qu’il vit au quotidien. Il finit par accepter, moyennant un droit de regard et de réaménagement du scénario, ce dont il ne se privera pas quelques fois, improvisant quelques scènes … L’autre moitié sera Meryl Streep, remarquée pour un second rôle chez Cimino (l’extraordinaire « Voyage au bout de l’enfer »). Boulimique de travail, elle joue en même temps au théâtre, tourne pour Woody Allen (« Manhattan »), et donc aux côtés de Dustin Hoffman, qui fidèle à ses habitudes, la regarde de haut, même si en l’occurrence elle est plus grande que lui. 

Scénario construit autour d’un divorce donc. Et pour que la fête soit complète, il fallait un enfant (de six ans au début du film, presque huit à la fin). Le choix se portera sur un certain Justin Henry (seul rôle majeur de sa carrière qu’il poursuivra pour quelques nanars direct to Dvd), dont Hoffman s’occupera vraiment. Un peu normal, le film tourne autour de leur relation.

Une famille en or ...


Par tradition, le cinéma américain est peu friand de mélos familiaux, Douglas Sirk et Cassavettes étant à peu près les seuls à avoir construit une filmographie sur ce genre. « Kramer vs Kramer » est à mi-chemin entre les deux, un peu de la mièvrerie de Sirk et quelques pétages de pétages de plombs hystériques à la Cassavettes, témoin la scène des « retrouvailles » entre Hoffman et Streep, conclue par un verre fracassé sur un mur de restaurant (personne à part le chef opérateur n’était au courant que la scène finirait ainsi, Hoffman l’ayant improvisée sans en avertir Benton et Streep). En fait « Kramer … » s’apparente plutôt au cinéma français, champion du monde de l’observation d’histoires d’amour intimistes qui finissent mal en général (on peut penser à toute la filmo de Claude Sautet par exemple).


Même si « Kramer … » offre une histoire un peu abrupte que l’on prend en chemin. Les trois premières scènes montrent Joanna Kramer faire ses valises et ses adieux à son fils endormi, Ted Kramer obtenir une belle promotion dans son agence de pub, et lorsqu’il rentre chez lui partager cette bonne nouvelle avec sa femme, c’est pour assister à son départ. On ne saura pas grand-chose de ce qui a pu conduire à cette désagrégation du couple. Tout juste se rendra-t-on compte que le mari ne s’est jamais occupé de tâches domestiques et paternelles (quelques scènes plutôt drôles où on le voit préparer et rater pitoyablement le petit-déjeuner, ou arriver au boulot les bras chargés de courses), et que sa femme est psychologiquement tourmentée (elle fait allusion à une thérapie qu’elle a suivie, et le twist final est certes spectaculaire mais assez incompréhensible). Et ce final laisse aussi le spectateur sur sa faim (ah bon, c’est fini, et il se passe quoi maintenant ?). Entretemps, on aura vu une mère qui a abandonné mari et enfant (se contentant pendant des mois d’envoyer de rares cartes postales à son fils), revenir demander sa garde au tribunal, ce qui revient à dire qu’on lui fait quand même jouer le sale rôle d’un scénario quelque peu macho …

L’essentiel du film nous montre cet apprentissage de paternité solitaire de Dustin Hoffman, qui doit apprendre à connaître et apprivoiser son fils. Hoffman, archétype des acteurs de l’Actors Studio, trouve là un rôle sur mesure, évolutif, celui d’un père qui doit tout gérer seul (il tente bien de draguouiller voisine ou collègues de bureau, mais ne refait pas vie avec une autre femme), et doit élever son fils (l’histoire se déroule sur un an et demi). Et le petit Justin Henry s’en sort ma foi plutôt bien, certaines scènes reposant beaucoup sur lui (celles de la crème glacée, ou de son passage aux urgences de l’hôpital). A noter une similitude physique évidente du jeune Justin Henry (les mignonnes chères têtes blondes) avec le gosse qui joue le petit Anakin Skywalker dans le premier (ou le quatrième, ça dépend comment on compte) épisode de la saga Star Wars …

Un verre ça va, deux verres bonjour les dégâts ...


Et comme toujours, Meryl Streep crève l’écran. De toutes façons, qu’est-ce qu’il y à dire sur Meryl Streep ? C’est une sinon la meilleure des actrices en activité, elle pourrait rendre intéressant un personnage dans un film Marvel … Et preuve que le Benton, c’est pas un cador, elle avoue dans les bonus, alors qu’elle n’était qu’une quasi-débutante, qu’elle l’avait poussé à lui laisser réécrire ses réponses lors de la scène du tribunal, pour qu’elles sonnent féminines …

« Kramer contre Kramer » s’apparente souvent à du théâtre filmé, l’action se déroule quasiment toute dans l’appart des Kramer, dans la boîte de pub de Ted, dans un jardin public et dans une salle d’audience de tribunal. Perso, ce que je trouve le plus intéressant, c’est pas l’histoire en elle-même, vague machin larmoyant sur une cellule familiale qui vole en éclats, mais ce qui est évoqué au second plan. A savoir le monde impitoyable de l’entreprise (« on est super-potes, vachement contents de toi, mais tu passes trop de temps à t’occuper de ton mouflet, ça gêne le bon fonctionnement de la boîte, alors t’es viré »), et celui guère plus reluisant de la justice qui se monnaye très cher aux States (les avocats, machines procédurières sans âme et leurs questions, embarrassantes même pour ceux qu’ils défendent).

« Kramer contre Kramer », bien que servi par deux énormes interprètes, se situe quand même un peu en deçà de toutes les louanges qu’on lui a tressées … juste un bon film pour soirée confinée …


VICTOR FLEMING - AUTANT EN EMPORTE LE VENT (1939)

Tara et Taratata ...
« Autant en emporte le vent » (« Gone with the wind », ce qui n’est pas exactement la même chose en VO) est un des films les plus célèbres et célébrés de cet art qu’on appelle 7ème. Pour plein de raisons, généralement meilleures les unes que les autres. Le mètre-étalon du mélo et de la saga familiale depuis plus de 70 ans …
C’est pourtant d’un kitsch ultime, ça empile les clichés romantiques, sociaux, racistes pendant quasiment quatre heures (trois heures cinquante trois sur la version BluRay dite du 70ème anniversaire, avec une superbe image restaurée dans le 4/3 d’origine respecté, mais revers de la médaille, avec des filtres, des superpositions d’images et des trucages bien voyants).
Vivien Leigh & Clark Gable
« Autant … » est l’adaptation d’un roman à succès tout récent (1936 pour le roman, fin décembre 1939 pour la première mondiale du film) de Margaret Mitchell, racontant la vie mouvementée et les amours tourmentées d’une riche héritière de grands propriétaires du Sud des Etats-Unis, sur fond de Guerre de Sécession. Le rôle féminin principal est tenu par une Anglaise peu connue, Vivien Leigh, choisie après un interminable casting, pittoresque et plein d’anecdotes. Pour lui donner la réplique, une star confirmée, Clark Gable. Les deux formeront à l’écran le couple devenu mythique Scarlett O’Hara et Rhett Butler. Malgré la durée du film, ces deux personnages sont les seuls assez fouillés, même s’ils se résument assez facilement à l’exposition de deux superbes têtes à claques.
Selznick, Fleming, Leigh & Gable
Elle, hautaine et infantile, multipliant maris de circonstance et entendant voir le monde tourner autour de sa petite personne. Lui, coureur, dragueur sûr de son charme, naviguant à vue dans la guerre au gré de ses intérêts personnels. Les deux passent le film à se croiser, se séduire, se détester, se marier, se séparer, imbus d’eux-mêmes, semant morts et couples brisés, comme des Bonnie and Clyde de comédie galante … Ils finissent tous les deux plus ou moins alcoolos, préfigurant dans une scène de dispute les Richard Burton et Liz Taylor de « Qui a peur de Virginia Woolf ? ». Les autres personnages (le couple Ashley-Melanie notamment) sont taillés à la hache (la sainte qui se sacrifie pour le bonheur des autres et le simplet romantique incapable de choisir entre les deux femmes de sa vie), de toute façon une bonne moitié des seconds rôles meurt avant la fin, manière d’entretenir la larme à l’œil du spectateur. Détail cocasse (ou saugrenu, au choix), dans ce film censé raconter entre autres l’effondrement d’un monde et d’une société sudiste raciste, suprématiste et prétentieuse, dans une guerre civile qui a permis entre autres la fin de l’esclavage et l’émancipation des Noirs, ces derniers semblent tous sortis de la Revue Nègre ou des sinistres pubs Banania (ils roulent de gros yeux, sont très bêtes et naïfs, et sont doublés en français d’une façon tragique, on comprend pas un mot de ce qu’ils racontent). Comme quoi, même si les Yankees ont gagné, soixante ans après la fin de la Guerre de Sécession, y’avait encore du boulot en ce qui concernait l’image de tous ceux qui n’étaient pas Blancs…
De belles images ...
« Autant … » est réalisé par Victor Fleming (un vieux de la vieille de la MGM qui a débuté au temps du muet), c’est du moins ce qui est écrit dans le générique. En fait, l’histoire est connue et archi-connue, trois réalisateurs se sont succédé derrière la caméra (George Cukor, Sam Wood et Fleming), mais c’est bel et bien le magnat producteur David O. Selznick qui a fait la pluie et le beau temps sur le plateau, c’est lui dont le nom apparaît le premier au générique, et « Autant … » est avant tout son film à lui. Selznick a mis du pognon dans cette affaire, pas à perte, « Autant … » est aujourd’hui considéré comme le film le plus vu de tous les temps et celui qui en dollars (corrigés par l’inflation) a rapporté le plus de pognon.
De beaux travellings ...
Faut reconnaître que c’est bien foutu. Tout a été travaillé, pensé pour en foutre plein les oreilles (la musique de Max Steiner et ses violons lyriques larmoyants, maintes fois plagiés depuis dès qu’il s’agit de jouer sur la corde sensible du spectateur), mais surtout les yeux. Les plans larges sont somptueux, les couleurs malgré l’époque superbement maîtrisées, les costumes remarquables (il faudra attendre « My Fair Lady » pour voir mieux) et quelques plans font partie à tout jamais de la légende du cinéma. Tels ce travelling arrière dans la gare d’Atlanta, dévoilant des centaines de blessés et de mourants (pas que des figurants, mais ça en jette un max), ou les scènes de l’incendie d’Atlanta (ils ont cramé de vieux décors, et les acteurs ne traversent pas les flammes, ça se voit, mais qu’importe, c’est assez saisissant et ça donne même quand l’attelage a quitté la ville de superbes fonds de ciels rougeoyants sur lequel Rhett et Scarlett échangeront leur premier baiser …). Les deux fermes (la Tara des O’Hara et les Twelve Oaks chez Ashley) ont de la gueule, les scènes d’intérieur se passent dans des décors et des reconstitutions grandioses, comme la scène du bal à Twelve Oaks (qui vaut pas celle du « Guépard » mais quand même), où la Tara reconstruite grâce au pognon héritée par la veuve Scarlett et celui acquis dans des conditions douteuses par Butler.
Les Oscars sont tombés comme à Gravelotte sur le film (huit statuettes, plus deux prix spéciaux ou un truc du genre), en fait la seule surprise de cette œuvre magistrale bien que consensuelle, c’est que Clark Gable n’ait pas gagné dans la catégorie du meilleur acteur. Malgré des dialogues très théâtraux, le côté suranné de ce monde et de ses amourettes, malgré … une multitude de petits défauts, « Autant en emporte le vent » reste un monument.

De kitsch, certes, mais un monument quand même …


Du même sur ce blog :

DAVID LEAN - LA ROUTE DES INDES (1984)

Sortie de route ?
Même si un film de David Lean, ça reste un film de David Lean, « La Route des Indes » sera son clap de fin. Peut-être parce qu’il en avait ras la casquette des tournages (Lynch a soixante seize ans quand sort « La Route … »), peut-être aussi que les réactions critiques (assez mitigées) sur « La Route … » lui ont fait comprendre que la fin du siècle cinématographique n’était pas pour lui … Un peu de tout ça, vraisemblablement …
Alec Guinness & David Lean
Lean, les films pour lesquels il est le plus connu et reconnu (en gros la triplette « … Kwaï », « Lawrence d’Arabie », «  … Jivago ») sont typiques et d’une époque et d’une certaine forme de cinéma. Une décennie (55-65) marquée par une génération qui trouvait du boulot, avait un peu d’argent dans les poches, et se précipitait en nombre (et en famille) dans les salles de cinéma. Pour y voir des films familiaux à grand spectacle. Et ça, Lean savait faire, torcher de grandes fresques romanesques dans des décors naturels à couper le souffle. Le spectateur en avait pour son pognon, il passait trois heures dans le ciné et en prenait plein les mirettes.
Au début des années 80, le public, ses goûts, et les films qu’il va voir ont changé. La sci-fi à grands renforts d’effets spéciaux triomphe (« Le retour du Jedi », « E.T. », « Blade runner », « Terminator »). Pas vraiment le monde de Lean. Hasard, « La Route des Indes » sort quelques mois après le « Gandhi » d’Attenborough, avec lequel in partage bien des points communs. Et avec lequel il souffre de la comparaison. « Gandhi » était pour son réalisateur le film de sa vie, il avait disposé de moyens colossaux (des centaines de milliers de figurants pour la reconstitution des obsèques). « La Route des Indes », quel que soit le niveau d’implication de Lean, est un film de plus dans sa carrière. Et pour ce qui est des moyens, même si c’est pas un film de fauché, on sent qu’il n’a pas eu une enveloppe illimitée. Les scènes de foule sont filmées en plan serré (avec moins de monde on remplit l’écran) et laissent même apparaître des « trous » (dans la scène de l’arrivée du train au début, il manque du monde en bas à gauche de l’image).
Les décors grandioses : la Lean touch ...
Parce que comme son nom l’indique, « La Route des Indes » se passe en Inde. Vers 1920 dans un comptoir colonial britannique (quand ailleurs dans le pays, Gandhi commence à faire localement parler de lui). Sur fond de domination déconnectée de la réalité des Anglais et en face une prise de conscience que l’Indien mérite mieux que le sort qui lui est réservé. Lean fait se mélanger romance sentimentale et thématique de l’émancipation du peuple Indien.
Côté cœur, on est loin de « …Jivago ». D’ailleurs, une fois le générique final passé, on n’a toujours pas compris de qui Adela était vraiment amoureuse (pas de son fiancé magistrat, c’est évident, peut-être de Fielding, ou passagèrement du Dr Aziz, faites vos jeux …). Côté social, c’est encore plus problématique, on est trop dans la caricature de l’asservissement au début de l’histoire pour que le revirement spectaculaire (Aziz devient hautain et méprisant vis-à-vis des Anglais) des réactions soit crédible.
La Lean touch (suite) : Davis & Ashcroft dans un train ...
Le plus gros reproche, il est à mon sens global. La visite des grottes de Marabar est certes l’articulation de l’histoire et se situe au milieu du film. Mais quid des personnages ? Un de ceux que l’on croyait principaux (Mrs Moore) disparaît, un autre que l’on pensait secondaire (Fielding) devient le personnage central. Etrange, même si le film est l’adaptation (fidèle paraît-il) d’un bouquin réputé (refrain connu) inadaptable à l’écran, ce procédé est curieux. « La Route des Indes » manque pour moi de souffle, de lyrisme, d’une histoire et de personnages forts.
Bon maintenant, si ça passe à la télé, faut pas zapper pour aller regarder « Plus belle la vie », hein… Lean, même en fin de carrière, ça reste un sacré manieur de caméra et un remarquable faiseur d’images. Il est en Inde comme un poisson dans l’eau, parce que l’Inde, c’est le pays du train roi. Et Lean aime le monde du rail, c’est le moins qu’on puisse dire. Depuis son premier gros succès (« Brève rencontre » en … 1945, tout de même), Lean filme des gares, des trains, et en fait un des éléments essentiels de ses films. On a donc droit dans « La Route … » à quelques superbes plans montrant des trains qui semblent minuscules dans des paysages grandioses. Des plans qui n’apportent strictement rien à l’histoire, mais juste pour le plaisir des yeux, c’est déjà beaucoup …
V Benerjee, A Guinness, J Davis
Lean peut aussi s’appuyer sur un casting qui tient la route, avec des personnages crédibles dans leurs rôles. Pas de stéréotypes à la hache pour les rôles principaux, tout ces personnages, au contact de l’Inde ou des situations qu’ils vivent, sonnent vrai, ne surjouent pas. D’autant que le casting est international. Dans le quatuor majeur du film, on trouve deux Anglais, Peggy Ashcroft (Mrs Moore) et James Fox (Fielding), l’Australienne Judy Davis (Adela Quested), et l’Indien Victor Banerjee (Aziz). Tous se mettent au service du film, et évitent d’en faire des brouettes (et à peu près tous se sont affrontés avec plus ou mois de véhémence au dirigisme strict de Lean, les relations en fin de tournage n’étant pas au beau fixe entre le metteur en scène et ses acteurs). Ne pas oublier celui qui est peu l’électron libre du scénario, un méconnaissable Alec Guiness, qui est le Professeur Godbole, un Indien philosophe et lunaire. Guiness, pourtant habitué des plateaux de Lean, que certains critiques ont confondu lors de la sortie du film avec Peter Sellers (malheureusement bien mort à cette époque-là), une méprise qui perdurera (le déguisement de Sellers en prince hindou dans « La Party » y étant certainement pour beaucoup).
Lean montre beaucoup de choses. La cohabitation qui ne pourra que devenir impossible entre une Angleterre victorienne transposée sous les tropiques et une population locale traitée par-dessus la jambe, le psychodrame intime qui concerne les quatre acteurs principaux, le mysticisme et ses lieux étranges de l’Inde… Mais Lean survole tout cela, laissant dans son histoire de nombreux points d’interrogation. Le seul qui se justifie étant de savoir  ce qui s’est passé dans la frotte entre Adela et Aziz. Pour les autres (une fin qui n’en est pas vraiment une, ces revirements d’attitude des personnages majeurs, le procès étrange tant dans son déroulement que dans son verdict de la part d’une institution judiciaire à la botte des Anglais …).
« La Route des Indes » sera le dernier film de Lean. Au vu de ceux des décennies précédentes, on était en droit d’en attendre un peu plus. Lean fait du Lean, c’est bien le moins. Mais en moins bien qu’avant … 


Du même sur ce blog :

DELBERT MANN - MARTY (1955)

La beauté cachée des laids, des laids, ...
… se voit sans délai, délai, dixit Gainsbourg. Qui n’avait pas exactement un physique de playboy, mais s’est révélé excellent séducteur. Les deux personnages principaux de « Marty », le film de Delbert Mann, sont plutôt moches et n’ont rien de séduisant. Bourrés de complexes, de gaucherie, s’entêtant à mettre des bâtons dans les roues de leur chétive amourette …
Delbert Mann (chemise blanche), l'équipe technique, Blair & Borgnine
Le résultat est pourtant superbe. Pas vraiment à cause de la romance à deux balles qui est au cœur du film, mais surtout grâce au contexte de cette histoire (le quartier italien de New York dans les années 50), et plus encore grâce aux acteurs. Betsy Blair (pas si moche que ça, en fait, mais pas non plus une bombe sexuelle sortie des studios américains, certes …), parfaite en  prof fille à papa, trop timide et coincée pour oser prendre sa vie en mains. Et surtout l’inattendu (dans ce rôle-là) Ernest Borgnine, garçon boucher au cœur d’or, empêtré dans les traditions du petit peuple rital et embrouillé par ses potes niais et grandes gueules.
Ouais, Borgnine. Trapu et court sur pattes, regard bovin de petite frappe. Jusque là remarqué pour des seconds rôles de méchant, de salaud, dans des grands films comme « Et tant qu’il y aura des hommes » (au passage, c’est Burt Lancaster, qui co-produit le film et présente la bande-annonce américaine de « Marty »), « Johnny Guitare », « Vera Cruz », « Un homme est passé ». Dans « Marty », il est à total contre-emploi (mais y gagnera la statuette de meilleur acteur). Il est Marty Piletti, apprenti boucher, vivant la trentaine bien sonnée chez sa vieille mère quand tous ses frères et sœurs cadets sont mariés. Affable, travailleur, complexé par son physique, traînant sa timidité et son mal de vivre dans les bistrots et les « dancings » le samedi soir … Pote avec d’autres traine-savates à l’existence aussi morne que la sienne, mais dont il redoute le regard et les quolibets quand il démarre son idylle avec Clara (Betsy Blair).
Marty & Clara
Qu’il a osé aller consoler alors que sous prétexte de mocheté, elle venait de se faire abandonner dans un dancing par un bellâtre coureur.
« Marty », du peu connu Delbert Mann (bien que ce film, phénomène assez rare dans les annales cinématographiques, lui ait valu la même année Palme d’Or et Oscar), est un film court (moins d’une heure et demie), au rythme nonchalant et indolent, comme ses personnages principaux. Il est pourtant d’une grande richesse, grâce à une merveille de scénario qui nous immerge dasn la communauté (voire le communautarisme) italien de New York, et une galerie de personnages secondaires fouillée, faisant ressortir des caractères mémorables, comme la mère de Marty (excellente Esther Minciotti), la tante fouteuse de merde, le couple à problèmes et disputes de son cousin comptable, le pote bien relou Angie, …
Il n’y a pas d’action (au sens Chuck Norris du terme) dans « Marty ». Pas non plus une galerie de portraits plombante comme un casting de Dreyer (grand réalisateur qui a fait de grands films, mais qui te foutent le moral dans les chaussettes encore plus sûrement qu’un discours de Fillon sur les soins palliatifs en fin de vie). « Marty » est un film vivant, qui trouve le rythme parfait entre les personnages et leur histoire (le temps que va passer Marty à essayer de rouler une pelle à sa chérie, qui évidemment va au dernier moment détourner la tête et le regard…). « Marty » est un film qui rend crédibles et réalistes des personnages et des situations sur lesquels on a quelque peu forcé les traits (les merveilleuses scènes entre la mère et la tante de Marty, entre Marty et Angie).
Marty & Angie
Aujourd’hui, « Marty » est un film quelque peu oublié (on ne le trouve par ici que dans une version DVD assez bâclée sans bonus), certainement plus à cause de la carrière en demi-teinte qu’ont effectué Mann, Borgnine et plus encore Blair, que de ses qualités intrinsèques.

Plus qu’un vague mélo 50’s, « Marty » est une belle tranche de vie sur une génération et une époque prétendues « dorées », mais où derrière le vernis de l’insouciance, se trouvaient déjà les fêlures et le mal-vivre de ceux qui n’entraient pas dans le moule idéal du « rêve américain » …


DAVID LEAN - LE DOCTEUR JIVAGO (1965)

Mélo au pays des Soviets ...
« Le Docteur Jivago », c’est le genre de films que les programmateurs de télé nous sortent pour les fêtes de fin d’année. Pour plusieurs raisons. D’abord il a été tellement diffusé que les droits doivent plus être très chers. Ensuite, comme il dure trois heures vingt, t’as vite fait de remplir tes plages horaires de l’après-midi. Et puis, programmer « … Jivago », ça mange pas de pain. Du grand spectacle, de grands sentiments, du politiquement correct. Ouais, présenté comme ça, tu zappes, comme si c’était un vulgaire nanar avec Fernandel. Sauf que « … Jivago », c’est signé David Lean.
Et avec Lean, tu te retrouves à l’épicentre d’un certain type de cinéma. Celui qui se limite à son essence : montrer des images qui racontent une histoire. Lean doit être un arbitre refoulé, ne prend pas parti, n’essaie pas de délivrer un « message » (la marotte de ceux qui privilégient le fond sur la forme). Lean, image après image, veut faire de ses films le spectacle le plus beau possible.
David Lean bien entouré ...
Lean, c’est la triplette consécutive incontournable, « Lawrence d’Arabie », « Le pont de la rivière Kwaï », « … Jivago », celle des succès populaires énormes (durant la fin des années 50 et le début des années 60, lorsque des foules compactes se pressaient sans discontinuer dans les salles obscures), celle des budgets aux montants indécents, celle des montagnes de statuettes gagnées aux Oscars. Le genre d’apothéose dans une carrière dont beaucoup, même s’ils préfèreraient mourir que l’avouer, rêvent. De ces trois films, « … Jivago » est peut-être le plus abouti. Parce qu’il combine les points forts de « Lawrence … » et « … Kwaï », la gigantesque fresque centrée sur un personnage, et l’étude des relations humaines dans un petit groupe d’individus. Avec comme dénominateur commun à tous cette mise en scène dans des espaces vierges démesurés …
Faut dire qu’à la base de « … Jivago », y’a du matos. L’œuvre du même du nom, considérée comme la meilleure de Boris Pasternak, tout auréolé de, excusez du peu, un récent Prix Nobel de littérature. Autrement dit, les fondations du scénario sont plutôt solides. « … Jivago », le bouquin, je l’avais lu au collège, des années avant de voir le film, et j’avais gardé un grand souvenir de cette épopée romanesque. Le film, au début, il m’avait déçu. Il ne commençait pas comme le bouquin par cette scène poignante de l’enterrement de la mère de Youri Jivago, mais par la fin chronologique de l’histoire, la quête par demi-frère de Jivago (haut dignitaire du Parti Communiste) de sa nièce … Et puis, « … Jivago », le film, c’est un truc qui s’apprivoise, ces trois cent minutes la première fois te filent le vertige, le tournis. Tu sais plus où donner des yeux et des neurones et tu subis, t’apprécies pas …
Pas mal, le casting ...
« … Jivago » est un film où rien n’est laissé au hasard. Pas une image, pas un plan, pas une scène, n’est là par accident. C’est la quête de la perfection, du détail dans les grands espaces, qui en font un truc assez unique. Lean s’efface devant ses personnages et leur histoire, met toute sa technique (et des moyens financiers assez conséquents, il faut bien dire) à leur service. Lean s’efface même devant l’Histoire, la vraie, la grande, et pourtant tout le film s’articule autour d’un des événements les plus cruciaux du siècle passé, la Révolution Russe. Y’avait de quoi s’embourber dans « l’interprétation politique » à deux balles, subjective comme c’était possible en ces temps de Guerre Froide, et on connaît, et pas des moindres, qui ont fait sombrer leurs films dans la ridicule analyse manichéenne à deux balles ou le maccarthysme le plus vil …
Lean suggère plus qu’il nous montre vraiment la vie fastueuse des salons bourgeois du temps des Romanov, la boucherie de la Première Guerre Mondiale, la folie sanguinaire des premières années révolutionnaires. Lean ne prend pas parti, mais s’attache à reconstituer avec une minutie de détails des années historiques cruciales. La reconstitution (en Espagne et en Finlande) de quartiers entiers de Moscou, allant même jusqu’à suivre, à mesure que le temps passe, les changements qui affectent l’écriture cyrillique sur les panneaux signalétiques ou les vitrines des commerces, c’est le genre de choses que peuvent même pas se permettre des Cameron ou des Scorsese aujourd’hui. Lean est un maniaque total, plus encore que son compatriote Kubrick. Bon, faut dire que derrière, aux pépettes y’a du lourd. Rien moins que Carlo Ponti, stakhanoviste des productions, toujours prêt à dégainer son chéquier, qu’il s’agisse d’un film tchèque indépendant ou d’un blockbuster annoncé comme « … Jivago ». Inconvénient (enfin façon de parler, c’est le genre d’inconvénient que des millions d’hommes auraient voulu dans leur plumard), la femme de Ponti s’appelle Sophia Loren et Ponti exige qu’elle ait le rôle féminin principal, celui de Lara. Laquelle Lara a dix-sept ans lors des premières scènes où elle apparaît, la Sophia la trentaine plutôt sonnée.
Le mari, la femme et la future amante ...
Il faudra tout le flegme britannique, mais aussi la diplomatie et la persuasion de Lean pour imposer dans le rôle de Lara, la peu connue Julie Christie. Qui s’en sort mieux que bien, il y a au cœur de sa beauté blonde indolente un regard et deux yeux d’une expressivité hors norme par lesquels passe toute la panoplie des sentiments, de la résignation de ses débuts dans le monde aux bras du pervers Komarovsky, à sa détermination à survivre avec sa fille dans un monde hostile pour tous, en passant par cette passion qui la dévore lorsqu’elle retrouve Jivago. Jivago, c’est Omar Sharif, passé en quelques années d’une ascension fulgurante des films à l’arrache égyptiens de Chahine, à un second rôle dans « Lawrence d’Arabie » avant que Lean en fasse la vedette de « … Jivago ».
Youri Jivago, c’est le type qui subit tant qu’il n’est pas fou d’amour pour cette Lara qu’il n’a fait qu’apercevoir à Moscou, avant de la retrouver professionnellement comme infirmière volontaire sur le front, et puis des années plus tard dans une petite ville perdue de l’Oural, où se cache celle qui est devenue la femme de Strelnikov, bolchevik sanguinaire qui traque les Blancs dans les immenses étendues enneigées. A partir de là, Jivago va prendre son destin en main, lui le bourgeois marié et aimé (excellente Géraldine Chaplin), sombrer dans une passion dévorante et tout risquer (foutre sa famille en l’air, déserter quand il est réquisitionné, vivre en marge du pouvoir alors que son demi-frère en est un haut dignitaire qui voudrait l’aider).
Un certain sens des paysages et du cadrage ...
Le cœur de l’histoire c’est évidemment le mélodrame qui se joue entre Jivago et Lara, rythmé par un thème musical obsédant, et gros succès en tant que tel, signé de Maurice Jarre (une statuette pour lui aussi). Mais pas seulement, puisque le film débute lorsque Jivago a sept ans et se termine après sa mort, prenant l’allure d’une fresque sociale, humaine, sur un demi-siècle politique et historique en Russie.
Et puis les films de Lean, c’est comme ceux de John Ford. Même si t’aimes pas les personnages et l’histoire qu’ils racontent, il te reste quand même une succession d’image et de plans plus grandioses les uns que les autres. Autant l’Anglais que l’Américain sont les grands maîtres des perspectives et des arrière-plans démesurés de ces années 50-60, qui constituent l’apogée et l’âge d’or du cinéma « classique ».
« Le Docteur Jivago », dûment restauré et remastérisé est maintenant proposé dans une version BluRay assez exceptionnelle. Seul reproche, les bonus (notamment une version commentée du film par Sharif, la fille de Lean et quelques autres est en VO, et là, faut avoir un sacré courage ou un super niveau en anglais pour tenir plus de trois heures) sont pas vraiment à la hauteur de ce film d’exception…


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