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NANNI MORETTI - LA CHAMBRE DU FILS (2001)

 

Un seul être vous manque ...

Nanni Moretti (surtout grâce à « Journal intime » son gros succès qui l’a révélé) s’était créé un personnage de barbu angoissé sur une Vespa, croisement entre Monsieur Hulot et Woody Allen. Et comme ces deux-là, il a son nom un nombre incalculable de fois au générique de ses films. A minima, il scénarise, co-produit, réalise et tient le rôle principal.

Nanni Moretti & Laura Morante

Depuis quelques temps, il a envie d’incarner un psychanalyste et de construire un film autour de ce personnage. Et le mettre dans une situation inattendue. Et quoi de plus terrible pour celui qui écoute les autres raconter leurs malheurs, que d’en vivre personnellement un, de malheur, et tant qu’à faire, un de grand. C’est la genèse de ce projet (présenté et Palme d’Or à Cannes en 2001) que tente de nous expliquer Moretti dans une paire d’interviews en bonus. Bon, autant les films de Moretti, et plus particulièrement celui-là se laissent regarder, Moretti en interview, c’est un calvaire. Il débite des trucs interminables d’un ton monocorde, et même si un journaliste tente de le titiller en évoquant le Prime Minister Berlusconi, il esquive la question par une pirouette. Ce qu’il a à dire, Moretti le dit en images (et au sujet de Berlusconi, il aura des choses à dire avec le pamphlet « Le Caïman » cinq ans plus tard).

« La chambre du fils » tourne autour de la mort accidentelle d’un ado. Un pitch assez proche de « Ordinary people » de Robert Redford ou de « Ne vous retournez pas » de Nicholas Roeg (les deux avec Donald Sutherland). Traité par Moretti de façon beaucoup moins emphatique que le premier, et moins fantastique que le second.


Giovanni (Moretti) est donc psychanalyste à Ancône, une ville moyenne portuaire. Il consulte dans un cabinet attenant à son habitation cossue. C’est un petit bourgeois à la vie familiale sans problème. Il est marié à une galeriste, Paola (Laura Morante), les deux vont vers la cinquantaine, ils ont deux enfants, l’aînée (Andrea) a dix huit ans, le cadet (Andrea) seize. Pour se nettoyer le cerveau après une semaine de rendez-vous avec refoulés, angoissés et obsédés divers, Giovanni va faire un footing dans la ville, parfois accompagné d’Andrea. Les deux gosses sont sportifs, la fille joue au basket, le garçon au tennis et les parents suivent leurs matchs.

Tout baigne dans la famille, les parents ont encore une vie de couple harmonieuse, ils sont très proches de leurs enfants dont ils prennent systématiquement le parti (quand Andrea est accusé d’avoir volé un fossile dans le labo de son lycée, Giovanni le soutient parce qu’il lui a dit qu’il n’y était pour rien). Et quand la famille part en weekend en bagnole, ils chantent tous les quatre en chœur les rengaines qui passent sur l’autoradio.

Toute cette belle vie de famille va se fracasser un dimanche matin. Giovanni a décidé Andrea à venir courir avec lui, quand le téléphone sonne. Un de ses patients, angoissé hypocondriaque (pléonasme), l’appelle et veut le voir d’urgence, il est au bout du rouleau. Giovanni se rend chez lui, le type doit passer un scanner, et donc il est certain d’avoir un cancer et est en pleine crise d’angoisse. Pendant ce temps, Andrea privé du footing avec son père, part faire de la plongée sous-marine. Et va se noyer.

Cataclysme. La famille va par force, faire face. Les parents ont perdu leur fils, la sœur a perdu son frère. Passée la sidération de la nouvelle, l’épreuve des funérailles, la vie reprend son cours. Mais tous les ressorts sont cassés, et les scènes qui se produisent viennent en miroir de celle du début du film (la mort d’Andrea a lieu peu ou prou au milieu du film). Le père est « ailleurs », ses patients soit le réconfortent, soit partent en vrille. La mère, très calme, très souriante, très posée, devient hyper irritable. Assez rapidement, le couple ne fait plus chambre commune. Leur gamine n’est pas en reste, intériorise beaucoup, avant un spectaculaire pétage de plombs lors d’un match de basket. Leur rédemption viendra grâce une amie d’Andrea dont ils ignoraient l’existence et leur reconstruction s’achèvera à Menton après un périple autoroutier de nuit.


Moretti signe un film remarquable, très humain. Un exercice périlleux, toujours sur la corde raide, et qu’il empêche de basculer soit dans la mièvrerie larmoyante, soit dans le comique de situation. Le père, qui par son travail, ne doit pas se laisser gagner par les émotions, se fissure et se désagrège lentement mais sûrement. On sait et on voit quand même un peu que Moretti n’est pas un acteur tragique, mais son personnage fort mentalement n’a pas à être très expressif, et ça évite à Moretti de partir dans une interprétation qu’il ne maîtriserait pas à la perfection. Laura Morante est une grande et belle actrice et joue juste une partition beaucoup plus compliquée, dommage que Moretti ait fait du personnage masculin le centre du film et ait donné moins de scènes à celle qui joue sa femme.

A son crédit, il a trouvé une musique fabuleusement triste, une mélodie en apesanteur de Brian Eno (« By this river » sur l’album « Before and after science ») qui s’insère magnifiquement dans un moment de bascule émotionnelle du film.

« La chambre du fils » est un film – évidemment – triste mais qui évite le piège du pathos dégoulinant. Je sais pas si comme disait Sénèque les grandes douleurs sont muettes, mais Moretti fait preuve avec un sujet délicat d’une grande pudeur et d’une grande retenue, d’une immense subtilité qu’il n’avait pas laissée apparaître jusque là.

« La chambre du fils » est peut-être son meilleur film. En tout cas son plus bouleversant.


JEAN-CLAUDE BRISSEAU - CHOSES SECRETES (2002)

 

Et qui auraient mieux fait de la rester, secrètes ...

Brisseau, c’est au mieux des films d’auteur à l’odeur de soufre. Au pire, un pervers qui finit devant les tribunaux … C’est pas moi qui vais le juger, des gens dont c’est le métier s’en sont chargé. Mais je n’en pense pas moins …

Jean-Claude Brisseau

Brisseau, c’est un prof de français qui s’est défroqué et s’est emparé d’une caméra. D’ailleurs son premier (et seul) succès public et un peu critique sera « Noce blanche » (sur lequel il n’y a pas lieu de s’extasier) avec Bruno Cremer et Vanessa Paradis, en gros un remake à l’envers de l’affaire Gabrielle Russier, qui avait traumatisé la France pompidolienne (et déjà amenée sur les écrans par André Cayatte, « Mourir d’aimer »).

« Choses secrètes », c’est une purge. Du niveau des téléfilms érotiques de feu La 5 de Berlusconi (et de ceux de CStar et M6 aujourd’hui). Avec comme gage de « qualité » l’interdiction aux moins de 16 ans. Scénario : inexistant. Acteurs : pitoyables. Mise en scène : grotesque.

Bon, reprenons dans le désordre. Brisseau, il a le niveau d’un caméraman de France 3 Périgord. Pas de technique, zéro imagination. Des raccords plus que problématiques. Dans une scène champ – contre-champ, ses deux actrices boivent de temps en temps une gorgée de champ(agne), et plus elles boivent, plus le verre est plein … Dans la scène finale, alors qu’il pleut à verse et que les deux mêmes se font face, il y en a une qui ruisselle et l’autre qui n’est pas mouillée. En étant très indulgent, on passera ça sur le budget riquiqui du film …

Coralie Revel

Le casting aussi ça craint. Deux débutantes, ou pas loin, peu frileuses devant la caméra, Coralie Revel (la brune) et Sabrina Seyvecou (la blonde). Les deux assez vite disparues des radars et condamnées à des troisième rôles de séries TV. Rayon mâles, Fabrice Deville (catastrophique) et Roger Mirmont (rebaptisé Miremont dans le générique, un peu mieux que figurant, des centaines de références à son actif, jamais un rôle majeur).

Le scénario .. pff, le scénario. Un ramassis de clichés éculés (de ta mère). L’ascension sociale à la force des poils pubiens, les promotions canapé, la décadence genre fin de l’Empire romain, un final « moral ». Faut imaginer un improbable mix de «  Emmanuelle », « Histoire d’O », un pompage ( !) éhonté de la scène de partouze de « Eyes wide shut » (un château, lumières rouges et noires, et des dizaines de participants à l’orgie), et l’inspiration du stakhanoviste Bénazeraf (le mélange de fesse et de marxisme, les deux nanas du lumpenprolétariat qui détruisent le grand méchant Kapital, tiens, moi j’aurais pris Arlette Laguillier pour jouer la brune …).

Sabrina Seyvecou

Initialement prévu pour consacrer Brisseau, « Choses secrètes » est le film qui le fera tomber (mais pas de bien haut). De sordides histoires de castings un peu trop explicites pour les rôles féminins, des plaintes, des procès, et au final des condamnations pour Brisseau.

Le problème de « Choses secrètes » c’est pas son voyeurisme malsain, sa provocation à deux balles (Pasolini, Fassbinder, pour les plus célèbres, Ken Scott, Kenneth Anger pour les moins connus mais pas moins frappadingues, sont allés beaucoup plus loin dans la transgression tous azimuts). Ce qui rend ce film insupportable c’est sa pseudo prétention « politique », l’aura sulfureuse savamment entretenue dans sa bande-annonce, ses personnages ultra caricaturaux et surjoués (le ci-dessus nommé Deville en PDG amoral et incestueux), et un trop évident manque de talent de tous les participants de cette … chose.

EBay direct …




FERNANDO MEIRELLES - THE CONSTANT GARDENER (2005)

 

Big Pharma, amour et Kenya ...

« The constant gardener » aurait pu être un documentaire, un pamphlet, un film romantique, et dans tous les cas, il n’aurait pas été réussi. C’est parce qu’il dose savamment ces trois genres qu’il reste un grand film marquant.

Fernando Meirelles

Adapté plutôt fidèlement d’un roman de John Le Carré (qui a publiquement reconnu qu’il s’agissait d’une des meilleures transpositions de ses bouquins à l’écran), il raconte le combat d’un couple (lui est diplomate, elle bosse dans une ONG) contre un puissant lobby pharmaceutique qui teste de nouveaux produits au Kenya en pleine crise sanitaire liée (entre autres) au SIDA.

Evacuons d’abord la thèse antivax-complotiste. Tous les Bob Kennedy du monde pourront voir dans « The constant gardener », sorti en salles deux décennies avant le Covid, les preuves de tout l’obscurantisme qu’ils défendent. Sauf que le but du film n’est pas de s’attaquer à la science, mais de montrer la cupidité mortelle des grandes multinationales, à travers ici l’exemple d’un labo pharmaceutique. On est beaucoup plus proche avec « The constant gardener » d’un film comme « La firme » de Pollack que des vidéos sur YouTube de Prof Raoult …

Rachel Weisz & Ralph Fiennes

Derrière la caméra, le Brésilien Fernando Meirelles. Révélé par un premier film au réalisme froid tourné dans les favelas de Rio (« La cité de Dieu »), il refuse les appels du pied d’Hollywood, et étudie la proposition d’un producteur indépendant (Simon Chinning-Williams) d’adapter le bouquin de Le Carré. Meirelles, en réalisateur engagé (à l’époque, il serait moins regardant depuis qu’il est en perte de vitesse artistique et commerciale), est séduit par l’idée d’aller tourner en Afrique une histoire qui se passe dans un pays où la vie est encore plus dure que dans les bidonvilles brésiliens. Quelques repérages sont faits au Kenya (l’histoire s’y déroule majoritairement), manière d’avoir des images « locales », et le film sera tourné en Afrique du Sud, où les conditions matérielles seront meilleures pour tous. Sauf que Meirelles et son producteur tombent sous le charme des paysages et de la population kenyane et décident que le film y sera tourné pour sa partie africaine. Les autres lieux seront Londres, Berlin (et Winnipeg, pour des scènes coupées au montage, une première mouture durait trois heures, la durée du film en salles sera raccourcie d’une heure).

Première scène. Un type accompagne sa femme à un aéroport. Elle se dirige vers un petit avion de tourisme en compagnie d’un Noir dont elle semble proche. Seconde scène, des militaires extraient dans un sac un cadavre à côté d’un 4X4 renversé au bord d’un lac. Troisième scène. Au Haut Commissariat britannique (équivalent de nos Consulats) de Nairobi, notre homme cultive, bouture, arrose des plantes (d’où le titre du film). Un collègue lui demande de l’accompagner à la morgue de Nairobi, pour identifier un cadavre qui pourrait être celui de sa femme. Ce qui est le cas.

Un début de film auquel on ne comprend pas grand-chose. En fait, ces scènes sont au milieu chronologique de l’histoire. Une série de flashbacks vont nous montrer comment on est arrivé là. L’homme (Ralph Fiennes) est un fonctionnaire de seconde zone. Alors qu’il remplace au pied levé un supérieur devant la presse à Londres, il est pris à partie verbalement à la fin de son intervention par une femme du public (Rachel Weisz), au discours fermement altermondialiste. Ce qui a pour effet de vider la salle de sa maigre assistance et de les laisser tous les deux face-à-face. Et de fil en aiguille, bientôt dans le même lit. Lorsque Justin Quayle, le petit fonctionnaire épris de botanique est nommé à Nairobi, sa maintenant femme Tessa fait le forcing pour l’accompagner. On les retrouve quelques temps plus tard au Kenya, lui boulotant au Haut Commissariat, elle parcourant enceinte jusqu’aux yeux (sans avoir recours aux trucages, elle attend un gosse de son mari d’alors Darren Aronofsky) la banlieue-ghetto-favela de Kibera (700 000 habitants) en compagnie d’un toubib local, s’intéressant de près à l’aide médicale censée être humanitaire qui y travaille. Toujours aussi grande gueule, elle apostrophe au cours d’un pince-fesses le ministre de la Santé du Kenya ainsi que quelques représentants d’une grosse firme pharmaceutique qui l’accompagnent, sous l’œil effaré de son mari et de ses supérieurs hiérarchiques.

Théâtre dans le ghetto de Kibera 

Dès lors, toutes les pièces du puzzle sont là. Le mari effacé, sa femme militante, la diplomatie, les barbouzes du Foreign Office, les assos humanitaires, les gros labos, … ça commence par les ragots allusifs (dis-donc, ta femme elle se taperait pas le toubib local), les pressions « amicales » sur les uns et les autres, les accointances mystérieuses des uns et des autres, … Une fois Tessa morte, Justin va essayer de comprendre, de remonter les pistes. Et à mesure qu’il dénoue l’écheveau et que les vérités se font jour au Kenya, à Londres, à Berlin, les menaces se font de plus en plus réelles. L’épilogue de l’histoire aura lieu au bord du lac où Tessa est morte …

Ce genre de pitch, le pot de terre contre le pot de fer, c’est un des thèmes les plus rebattus du cinéma. Le talent de Meirelles (et de ses acteurs, Ralph Fiennes est comme toujours économe et juste, et Rachel Weisz comme toujours sublime) c’est je l’ai dit quelque part plus haut de faire trois films dans un.

« The constant gardener », c’est un film romantique. Le coup de foudre entre le diplomate effacé et l’activiste, la dure vie de couple quand chacun fait des efforts pour que ses occupations ne soient pas préjudiciables à l’autre, un enfant conçu, et puis le drame. Dès lors il va épouser la cause de sa femme, continuer son enquête et ses combats, juste par amour pour elle, son image, ses souvenirs (de nombreux flashbacks sur les moments, surtout les bons, passés ensemble). On se retrouve face à une version humanitaire et engagée de Tristan et Iseut.

« The constant gardener », c’est un documentaire. Au milieu du ghetto de Kibera, dans des missions humanitaires perdues dans le désert, il n’y a pas de figurants. Ce sont les locaux qui jouent. Et bizarrement, ces gens qui vivent dans le dénuement complet (pas d’eau, d’électricité, des conditions sanitaires dantesques) « participent » au film (on voit pas les gosses s’agglutiner devant les caméras, ou tout le monde fixer l’objectif). Meirelles reconnaît qu’il a été beaucoup plus facile de tourner au Kenya qu’au Brésil, où la misère est beaucoup plus violente. On a droit à quelques scènes immersives dans la vie des locaux, avec notamment une stupéfiante représentation théâtrale didactique par une troupe locale pour informer sur le SIDA, où tous les personnages sont triplés, tenues, gestes similaires, et dialogues en chœur.

« The constant gardener », c’est une charge violente contre Big Pharma sous forme de thriller. Le tout dans un gigantesque jeu de dupes (qui décide, qui ordonne, qui fait quoi, qui soutient qui, …), où se mêlent labos de recherche, entreprises pharmaceutiques, politiques locaux, associations humanitaires, personnel diplomatique, services secrets, ONG, activistes, avocats, avec partout des électrons libres, des traîtres, de vrais candides et de faux désabusés. Le tout sur fond d’essais grandeur nature d’un nouveau médicament sur une population soit mourante d’autre chose, soit trop asservie pour comprendre qu’elle sert de cobayes … Et la conjonction de tous ces intérêts fait qu’on n’en est pas à quelques cadavres près, qu’il s’agisse de locaux ou pas …


Meirelles réussit à imbriquer toutes ces histoires entre elles. Et même à s’amuser avec le spectateur. Le double twist qui suit l’accouchement de Tessa est magistral, et un hommage revendiqué est rendu à Kubrick et « Orange mécanique » (le tabassage de Quayle à Berlin à coups de pieds, où un couple hyper-ringard de chanteurs allemands remplace « Singing in the rain » en fond sonore).

Seul reproche à faire au film, une grosse densité d’informations et de personnages secondaires dans quasiment toutes les scènes, qui rendent difficile la totale compréhension au premier visionnage. Peut-être moins coup de poing dans la face et nihiliste que « La cité de Dieu », mais tout aussi mordant sur le monde « merveilleux » de la recherche médicale …


ANIMAL COLLECTIVE - FEELS (2005)

 

Animal on est mal ...

Animal Collective furent dans les années 2000 les chouchous de Pitchfork, mag musical ricain spécialisé dans l’avant-garde pop si l’on veut être diplomate, ou dans les ectoplasmes branchouilles si l’on veut être réaliste. Ce groupe qui sortait des maxis ou des Lp à la vitesse où Bigard enchaîne les tristes blagues en-dessous de la ceinture, est originaire du Maryland, côte Ouest des States.

Chacun sa croix : Animal Collective 2005

« Feels » est leur sixième rondelle en six ans, et la première de leur tiercé consécutif prétendu « majeur » (« Feels » donc, « Strawberry jam » et « Merriweather post pavillion ». J’ai écouté les trois et believe me, y’a vraiment pas de quoi passer des nuits blanches à les mettre en boucle sur le lecteur.

Mais qui sont ces Animal Collective. Ben voyons, un « collectif ». Quatre types planqués derrière des pseudos énigmatiques et aussi couillons qu’un discours de politique générale de Bayrou, soit Avey Tare, Deakin, Geologist et la « star » Panda Bear (star parce que ce bisounours a mené de front une carrière solo remplie de disques extraordinaires – ou totalement inaudibles au choix). Pour ce « Feels », sont venus prêter main forte Kristin Valtysdottir (Islandaise, sorte de Björk du pauvre, ce qui n’est pas rien) sous le pseudo de Doctess et un violoniste d’avant-garde, forcément d’avant-garde Eyvind (Kand), un joueur d’alto, John Cale devait pas être libre, c’est ballot, ça aurait remonté le niveau.

« Feels » en Cd, c’est un machin cartonné, avec les six pseudos des zozos, la liste des titres, un code-barres, et les trois lignes de mentions légales de copyright du label. Un packaging royal, et que les mecs viennent pas chouiner que les gens sont pas sympas, ils téléchargent gratos plutôt que d’acheter de la musique. Sans parler du contenu, soignez un peu le contenant et ça ira peut-être moins mal …


Derrière les neuf titres du disque, y’a un puissant concept. Partir d’un open tuning de guitare très désaccordé, et caler tous les autres instruments (rythmique, piano, synthés) sur cette guitare qui joue faux. Et rajoutez sur quelques titres des impros en une prise du violoneux. Vous l’entendez arriver le truc ?

Niveau écriture, Animal Collective donne dans la pop tendance symphonique (ou pompière, c’est selon) avec deux types de morceaux : un sur un mid tempo et un sur un down tempo, mais vraiment down. Manière de bien achever les chevaux, ces titres seront étirés à la limite du supportable grâce à des intros et surtout des outros interminables, le tout mixé façon shoegazing (tous les instruments et les voix sont passés à travers moultes bécanes pour aboutir à une sorte de brouillard sonore d’où émerge … rien de bon en fait). Parce que se prendre pour My Bloody Valentine rejouant « Pet sounds » au petit matin blême après une nuit passée sous substances (les Animal Machin ont avoué chercher l’inspiration dans le LSD), c’est une chose, arriver à un résultat audible, c’en est une autre …

Le résultat, sur lequel un certain nombre de sourds se sont extasiés, ressemble à de l’Arcade Fire sous Lexomil pour les morceaux « rapides » (« Did you see the words », « Grass », et « Turn into something ») les six autres plus ou moins à du Devendra Banhart (barde folk velu contemporain).


Ma préférence va nettement pour les titres les plus enlevés qui sont écoutables voire plaisants avec mention spéciale pour « Grass », pas forcément parce que c’est le meilleur, juste parce que c’est le plus court. Le plus intéressant (« Did you see the words ») ouvre le disque. On est intrigué par ce son étrange qui devient quand même assez vite crispant, ça ressemble donc à Arcade Fire, ou à des Beach Boys qui tels Adjani, seraient au fond de la piscine (l’atmosphère mate, aquatique). « Turn into something » clôture la rondelle, c’est plutôt enlevé (surtout par rapport à la grosse demi-heure qui a précédé), il peut être – toutes proportions gardées – considéré somme le titre folk-rock de l’album.

Les six autres titres, ils me gavent sévère. Certains (« Daffy Duck » (?), « Banshee beat ») flirtent avec les huit minutes, et s’apparentent à de longues ruminations invertébrées., « Bees » réussit l’exploit d’être à la fois et sinistre et minimaliste, « Loch raven », ça commence agonisant, et ça finit en état de mort cérébrale (ou l’inverse), « Flesh canoe », c’est du brouillard sonore, léthargique et minimaliste. J’aurais aimé rajouter à la liste des titres à sauver « The purple botlle », amusant avec son chant à l’hélium, son tempo frénétique et minimaliste à la Devo, mais il est beaucoup trop long (plus de six minutes) et comme chacun sait, les plaisanteries les plus courtes sont les meilleures …  

Allez, poubelle direct, et toutes mes excuses à Gérard Manset dont le titre d’un de ses meilleurs morceaux ne méritait pas d’être associé à pareille chose…


MANOEL DE OLIVEIRA - UN FILM PARLE (2003)

 

La croisière ne s'amuse pas ...

Bon, « Un film parlé » n’est pas vraiment une œuvre de jeunesse. Quand il est projeté en salles, son réalisateur Manoel De Oliveira a l’âge plus que respectable de 95 ans (il tournera encore pendant dix ans, il a établi plein de records qui seront difficiles à battre, il avait commencé du temps du muet …).

De Oliveira et une figurante française ...

Donc « Un film parlé » n’est pas une œuvre de jeunesse. Ni un film pour la jeunesse. Ne vous attendez pas à voir chez De Oliveira, un type en collants moule-burnes doté de superpouvoirs qui va sauver la galaxie. N’espérez pas non plus des gunfights, des bastons haletantes et des cascades spectaculaires. « Un film parlé », même à la direction des programmes nuit de Arte, ils doivent pas en vouloir.

« Un film parlé » est un film qui forcément, s’écoute. Mais surtout qui se regarde, et à la fin, on se sent un peu moins con ou inculte qu’au début.

« Un film parlé » c’est l’histoire d’une croisière de Lisbonne vers Bombay en 2001. Les deux personnages principaux (avant qu’arrivent les stars, on y reviendra), sont une mère et sa fille. La mère est prof d’Histoire en fac, elle va avec sa gamine rejoindre son mari pilote de ligne lors d’une escale de son avion à Bombay, où la famille doit passer ses vacances. Une aubaine pour la prof férue d’Antiquité et qui va profiter des escales du bateau pour visiter des lieux qu’elle ne connaît que par les livres, en faisant partager ses connaissances à sa fille très curieuse aux nombreuses questions pas toujours naïves. Là, on est un peu dans une version avec des images de « Emile ou l’Education » du grand Jean-Jacques (Rousseau, pas Debout). Pendant pile la moitié du film (trois quarts d’heure), on a droit à des visites commentées du port de Lisbonne, des racines grecques de Marseille, de Naples et de Pompéi engloutie par le Vésuve, de l’Acropole à Athènes, de Sainte-Sophie à Istanbul, du Sphinx et des Pyramides au Caire. La dernière escale que nous verrons sera dans le souk d’Aden.

A Marseille ...

Bon, faut aimer l’Histoire ou les vieilles pierres (ou les deux), je vous le concède, pour pas que le Dvd finisse accroché à un cerisier pour effaroucher les merles. Parce que « Un film parlé » est didactique, mais pas spectaculaire pour deux sous. Le bateau de croisière, on a juste des fois un plan de la proue qui fend l’eau, et d’autres fois une maquette secouée dans une bassine, qui fait ressembler ledit bateau aux dimensions censées être imposantes à une planche de surf qui croiserait au large du Cap Horn par gros temps. De Oliveira en bateau, c’est pas James Cameron ou Peter Weir …

A la moitié du film, on est quand même obligé de se poser une question : « Un film parlé », c’est un film ou un documentaire de Discovery Channel ? Un film, Votre Honneur. Parce que celle qui joue la mère, Leonor Silveira, c’est une actrice majeure portugaise, et quasiment la muse de De Oliveira qui figure depuis une quinzaine d’années au générique de presque tous ses films. Et à l’escale de Port Saïd – Le Caire, le touriste portugais qui lui donne la réplique est Luis Miguel Cintra, lui aussi un habitué des castings de De Oliveira. Et puis on a aperçu fugacement rejoindre la croisière à l’escale de Marseille Catherine Deneuve, à celle de Naples Stefania Sandrelli, et à celle d’Athènes Irene Papas, sans qu’elles soient par la suite d’aucune scène, et on se dit que ça peut pas durer, que « Un film parlé » finira par prendre une autre direction.

A Naples

Et effectivement, on se retrouve dans la salle de restaurant du bateau, dont le capitaine (John Malkovich) invite à sa table les passagères célèbres que sont Deneuve (une grande chef d’entreprise française), Sandrelli (actrice et mannequin italienne), et Papas (chanteuse et actrice grecque). La conversation entre ces quatre, animée par un capitaine très révérencieux pour ses convives, va tourner sur la condition féminine, leur relation à la maternité (aucune des trois n’a d’enfant), l’apport au monde des civilisations des pays traversés. Chaque convive parle dans sa langue maternelle et « officielle », et on a droit à des dialogues où alternent (sous-titrés, heureusement) anglais, français, italien et grec. Et tout le monde comprend tout le monde. Plus qu’une question d’hyperpolyglottes, on voit ressurgir le fantasme de la Tour de Babel, cet antique lieu mythique où tout le monde peut se comprendre, à condition d’être guidé par les bons sentiments. Et voilà comment le quasi centenaire de Oliveira pose sa patte humaniste sur un scénario jusque-là plutôt ronronnant.

D’autant plus qu’il semble y rajouter une vision portugaise de la civilisation européenne, mise en avant notamment par le poète Camoés dans « Les Lusiades » (fin du XVIème siècle). Comme il y a peut-être des gens qui ont pas lu ce pavé en vers de plusieurs centaines de pages, je vous la fais rapide, l’auteur explique que les grands navigateurs venus du Portugal ont découvert et civilisé le monde non-européen. Tout ça dans de grands élans lyriques patriotiques et religieux, malgré un « ennemi » présent partout dans les contrées lointaines, le Maure (une théorie plutôt gênante, reprise trois siècles plus tard par Ernest Renan dans sa «Vie de Jésus », où ce très catholique historien, dézingue toutes les sornettes bibliques, mais rend les Arabes responsables de tous les maux de la région proche-orientale depuis des siècles) … Oh Jésus Marie Joseph, qu’est-ce que tu viens nous raconter Lester, Camoés et Renan, wtf ? Ben, j’essaye l’ellipse pour pas spoiler la fin (dernière escale Aden, film paru en 2003, allez cherchez bien) …

Malkovich et ces dames ...

Oui, Papy De Oliveira n’a pas fait un film historique ou intello rempli de verbiages courtois et galants, il a fait un film qui colle à l’actualité du moment en donnant sa vision des grandes civilisations qui sont issues de la Méditerranée et des luttes (pas seulement d’influences) qu’elles ont soutenu entre elles.

Alors oui, la fin du film pourrait plaire à tous ceux qui sont à droite, voire plus, et conforter leurs idéologies rances. Sauf qu’à mon sens, De Oliveira ne dénonce pas, il explique, dans ce voyage à travers des siècles d’Histoire, qu’au final, ce sont la culture et l’innocence qui payent la folie des hommes et des religions.

« Un film parlé » si logiquement il s’écoute plus qu’il ne se regarde, à la fin il finit par poser des questions essentielles … et le vieux cinéaste portugais est aussi un vieux sage …





RED HOT CHILI PEPPERS - BY THE WAY (2002)

 

Affadis ...

De 89 à 99, en quatre disques (« Mother’s milk », « Blood sugar sex magik », « One hot minute » et « Californication »), les Red Hot Chili Peppers sont devenus des mastodontes du rock américain. Ils ont vendu des disques par millions, ont pris le temps d’assurer leur service après-vente par de gigantesques tournées des stades … Le problème avec le succès démesuré, c’est qu’il est beaucoup plus facile à perdre qu’à atteindre.

Frusciante, Flea, Smith & Kiedis : RHCP 2002

« By the way » va en fournir un bel exemple. Artistiquement parlant. Parce que commercialement, la machine RHCP va continuer à dépoter du skeud en quantité. Mais « By the way » … comment dire …

L’entreprise RHCP a souvent vogué par gros temps. Et dans des océans poudreux, ce qui aide pas forcément à souder un groupe, quand égos, histoires de cœur, événements tragiques, viennent se rajouter à la naturelle pression ambiante. La décennie à succès évoquée sera marquée entre autres faits extra-musicaux par une addiction démesurée de Kiedis et Frusciante, ce dernier allant même se « reposer » pendant la période « One hot minute », disque charnière débiné par les premiers fans, à cause du « remplaçant » Dave Navarro venu des « rivaux » Jane’s Addiction (pour moi « One hot minute » est leur meilleure rondelle, mais je suis pas fan des RHCP, donc mon avis ne vaut rien).

Pour « By the way », Frusciante non content d’être revenu (depuis « Californication »), entend être le leader et « l’influence » du groupe, sous prétexte qu’il a tartiné des dizaines de démos guitares + synthés, le tout avec pour objectif de faire paraître un disque « punk » (?). Le vieux complice Rick Rubin va essayer de mettre un peu de raison, d’ordre, de bon sens dans la musique, et pratiquer la câlinothérapie à forte doses dans tous ces egos démesurés qui s’affrontent. Et c’est bien le producteur qui s’en sort le mieux. « By the way » devrait être écouté en boucle dans les écoles qui forment les types à pousser des boutons dans un studio, parce que niveau production et arrangements, c’est un vrai bijou. Et c’est d’autant plus visible que le matériau de base (les chansons) est d’une rare indigence …


« By the way » est un pavé de quasiment une heure dix pour seize titres. Et quand on fait le bilan, on a en tout et pour tout entre deux et quatre titres à sauver de ce naufrage. Les deux indiscutables ouvrent et ferment le disque. « By the way » le morceau est un condensé de tout ce qui a fait le succès des Red Hot jusque là. Intro caoutchouteuse, une mélodie très voisine de « Under the bridge » (un de leurs premiers gros succès sur « Blood sugar … »), de gros riffs de guitare, un rap à toute blinde, un refrain-slogan mélodique, en fait un best of du groupe en un seul titre. Autre grand titre, le dernier, « Venice queen », chanson-hommage de Kiedis à sa thérapeute récemment décédée et qui l’avait aidé à vaincre ses addictions, notamment à l’héroïne. Un titre de six minutes qui pour une fois démontre un réel effort d’écriture et de composition. Ma magnanimité légendaire qui me perdra me fait rajouter à cette doublette « The zephyr song », très (trop ?) sucré single à succès à la mélodie addictive, bien que très voisine de celle de « Californication » (le morceau). Citation bienveillante également pour « Don’t stop » (no Fleetwood Mac cover), qui avec son intro funky, son phrasé rap et son refrain mignon, renvoie aux meilleures heures passées du groupe …


Le reste ? Des trucs fadasses, des ballades molles qui encombrent la moitié de la rondelle (« Dosed », « I could die for you », « Midnight », « Tear », « Don’t forget me », …) comme Coldplay en tartinait à longueur d’albums à l’époque, quelques sorties de route risibles comme l’espagnolade « Cabron » (dites pas ça à un hispano, ça va pas lui plaire), le ridicule ska « On Mercury », la bien nommée « Minor thing », … j’en oublie et des pas meilleures.

Qu’est-ce qu’on pourrait dire pour défendre cette rondelle ? Le boulot colossal de production déjà évoqué, le fait que Kiedis soit devenu un très bon chanteur, la basse élastique de Flea, sa symbiose rythmique avec Chad Smith, la relative discrétion de Frusciante alors que ce disque était censé être son projet ? Certes, mais tout ça suffit pas.

On sent les types rincés, en panne totale d’inspiration et d’imagination, pensant noyer le poisson sous un déluge de titres interchangeables et laisser penser qu’ils ont quelque chose à dire …

« By the way » se retrouve en équilibre très instable sur le rebord de la poubelle …


Des mêmes sur ce blog : 

Blood Sugar Sex Magik






JASON REITMAN - IN THE AIR (2009)

 

Pas vraiment stratosphérique ...

Par le réalisateur de « Juno », c’est écrit en gros sur la jaquette du Dvd. « Juno », jamais vu mais je sais à peu près de quoi il retourne, une comédie sur une gamine en cloque. Le réalisateur, donc, c’est Jason Reitman. Un fils de. En l’occurrence Ivan Reitman, lui aussi manieur de caméras, auteur de quelques comédies plutôt neuneues mais à succès (« Ghostbusters »), et souvent avec Schwarzenegger à contre emploi (« Junior », « Jumeaux », « Un flic à la maternelle », ce genre …).

Clooney & Reitman

Ce qui est aussi écrit en gros sur la jaquette, c’est le nom de George Clooney. Et au final on se pose la question : « Mr Nespresso peut-il tenir un film à bout de bras ? » Yes, he can … Et donc « In the air » est un bon film ? Euh, comment dire, ça se discute …

Ouvrons donc la discussion.

La thématique de base du film aurait pu être mieux exploitée. Le scénario est tiré d’un bouquin de Walter Kirn (il fait une paire d’apparitions, dans les réunions de cadres, il est assis à côté de Clooney) « Up in the air » (titre du film en V.O.). Le personnage central est Ryan Bingham, cadre sup dans une entreprise (jamais nommée) spécialisée dans les licenciements expéditifs. En gros quand une boîte fait un plan « social », elle fait appel à des gens comme Bingham pour procéder aux entretiens de licenciements. Et aux States, ça rigole pas, t’as la journée pour faire tes cartons et dégager le plancher quand Bingham tout en sourire compatissant te convoque dans un bureau, te sort un baratin convenu et transposable à tous les cas, t’explique qu’on n’a plus besoin de toi, te remet un fascicule pour t’aider à « rebondir », coche ton nom sur la liste et appelle le suivant. A noter que dans « In the air », la plupart des licenciés sont des acteurs amateurs qui ont connu cette situation.

Bingham passe sa vie dans les avions, il a une carte coupe-file dans les aéroports, il a bien un appart quasi vide où il ne passe que quelques jours par an, et vit seul hormis quelques coups d’un soir au gré des escales. Il est aussi conférencier, sorte de gourou new age qui veut insuffler à ses auditeurs un mode de vie dégagé de contingences matérielles et affectives, de fait son mode de vie à lui. Son but secret, qu’on n’apprend que vers le milieu du film, est d’avoir la carte Gold personnalisée chez American Airlines, qu’on n’obtient qu’après avoir parcouru dix millions de miles sur les lignes de la compagnie. Quand il débarque dans une nouvelle ville, il descend à l’hôtel Hilton du coin où il a aussi le statut de VIP et peut profiter des cadeaux, avantages et soirées privées, destinées à des personnalités importantes comme lui.

Clooney & Farmiga

Ça coince un peu, là. Au lieu de chercher à comprendre les tenants et aboutissants de son boulot de coupeur de têtes, tout cet aspect où il y aurait quand même beaucoup à dire (et à montrer), que dalle. Par contre, on a quelquefois l’impression plutôt gênante que « In the air » est une pub (on n’est même plus dans le placement de produits) non stop pour American Airlines et Hilton, et la vie « merveilleuse » qu’ils proposent à leurs plus fidèles clients. Sans oublier leur Blackberry que les protagonistes tapotent à tout moment … Evidemment, Clooney, toujours dans des costars impeccables, donne une touche de glamour sexy à son personnage, et pour ça, force est de reconnaître qu’il sait faire, il est quasiment de toutes les scènes.

C’est là que le manque de courage (?), d’ambition (?) de Reitman devient criard. « In the air » aurait pu être une parabole sur ce capitalisme sauvage qui justifie l’existence de gens comme Bingham et les fait prospérer sur la misère qu’ils créent. Le côté professionnel n’est pas éludé, il est quand même bien biaisé quand est recrutée une jeune surdiplômée Natalie Keener (interprétée par Anna Kendrick), qui entreprend d’optimiser la rentabilité de la boutique. Exit les déplacements en avion onéreux, et place au licenciement par visio grâce à internet, ce qui évidemment ne fait pas les affaires de Bingham et de ses millions de miles. Là aussi, Reitman préfère nous montrer la gamine se frotter à la vraie vie plutôt que s’appesantir sur ce qu’elle représente.

On se retrouve pour « meubler » avec une amourette de Bingham et d’une commerciale croqueuse de miles comme lui, Alex (Vera Farmiga). Ils se rencontrent of course au bar d’un Hilton, font connaissance en étalant sur une table leur cartes de crédit, d’abonnement, master, VIP, etc … (scène la plus drôle du film), se donnent des rendez-vous au gré de leurs déplacements et escales … et contrairement à ce que professe Bingham dans ses conférences, il va s’attacher à Alex et envisager de faire sa vie avec elle. L’atterrissage sera violent. Entre-temps, elle l’aura accompagné au mariage de sa sœur avec un quidam qui hésite au dernier moment. Cadeau-gage des participants au mariage : faire comme dans « Amélie Poulain » avec le nain de jardin (le plagiat est énoncé), prendre des photos du couple de fiancés (en carton) dans le plus d’endroits possibles des States (ce qui donnera le gag navrant et ultra prévisible de Clooney qui tombe à l’eau lors d’une séance de shooting).

Keener & Clooney

« In the air » avait pourtant bien commence, avec son générique fait d’un montage de vues aériennes et en fond sonore une reprise pour le moins tonique du « This land is your land » (de Woody Guthrie) par Sharon Jones & The Dap-Kings. Mais bon, c’est une gentillette comédie douce-amère, la dureté du monde dans lequel évoluent les personnages n’est là qu’en filigrane (les plans fugaces sur des entassements de chaises et de téléphones mis au rebut après les plans sociaux, le suicide d’une femme virée sans ménagement par Natalie n’est semble t-il là que pour donner une « conclusion » à son personnage). « In the air » serait un film français, on aurait Souchon au générique, comme acteur il y a quelques années, avec ses chansons maintenant, voire les deux (double peine, c’est quand même plus marrant de voir une Natalie bourrée chanter étrangement sur un karaoké le « Time after time » de Cyndi Lauper).

On sourit quelques fois, avec l’impression du verre à moitié plein ou vide, car il y avait matière à une belle comédie, ou à un brûlot sociétal. Encore eut-il fallu faire des choix, ce que Reitman n’a pas voulu (ou pas osé). Si j’en crois son suivant (« Young adult », avec une magnifique Charlize Theron), cette « transparence » semble être sa marque de fabrique. Reitman n’imprime pas …




JIMMIE VAUGHAN - DO YOU GET THE BLUES ? (2001)

 

Big Brother ...

Donc Jimmie Vaughan est le frère aîné de Stevie Ray Vaughan (vous savez le Texan affublé d’un Stetson à sequins qui se prenait pour Jimi Hendrix et qui a mouru dans un accident de coléoptère). Et si le Stevie Ray a donné dans le belouze, c’est peut-être grâce à Jimmie. Qui a commencé à faire parler de lui au tout début des années 80 au sein des Fabulous Thunderbirds, dont il était guitariste et chanteur, tout comme l’homme de base du groupe, Kim Wilson, le seul qui persiste de la formation originale.


Si vous regardez sur Wikimachin, on vous dira que les Fab T-Birds sont un groupe de blues. Soit. J’ai une paire de leurs rondelles, fort recommandables au demeurant, et si le blues est là, c’est surtout à travers sa descendance « modernisée », le rhythm’n’blues, le rock(‘n’roll), les sons mis au goût du jour, un peu l’équivalent dans le rustique genre que ce que les Stray Cats faisaient au rockab ou les Lone Justice à la country … Tout ça pour situer les origines du bonhomme Jimmie Vaughan.

Quand son frangin a fait une Balavoine, Jimmie a raccroché un temps les guitares, quitté les Thunderbirds, et quelques années plus tard, commencé à publier des disques solo. Il est raisonnable de penser qu’il n’a jamais envisagé de se reconvertir dans le djying techno, blues un jour, blues pour toujours.

Déjà rien que le titre de la rondelle (sa troisième solo) annonce la couleur. Et la liste des remerciements, longue comme l’annuaire d’Austin à la page des Smith, commence par John Lee Hooker, et pour ceux qui donnent dans la musique, recense un tas de gloires passées ou encore en activité des douze mesures. « Do you get the blues ? » a pourtant peu à voir avec le Hook et ses disciples. En fait, c’est un disque plutôt plaisant (non pas que Hooker et ses descendants n’aient pas fait de grandes choses), différent des blues roots que tout un tas de laborieux (catalogue sur demande) s’acharnent à copier et faire perdurer.

« Do you get the blues ? » risque de décontenancer les ayatollahs des douze mesures et des guitar heroes grimaçants qui vont avec. Jimmie Vaughan n’a pas une voix exceptionnelle, et surtout c’est un guitariste beaucoup plus rythmique que soliste. Oubliez les descentes de manche supersoniques, la saturation à tous les étages, le Jimmie il s’accompagne à la guitare électrique et laisse la virtuosité à ceux qui n’ont que ça…

C’est pas non plus le roi de l’écriture, n’espérez pas trouver ici le morceau qui va changer votre vie. Jimmie Vaughan, c’est pas le trois étoiles Michelin guindé et ignoré, c’est la brasserie du coin, où le patron est sympa, l’ambiance bonne, le morceau de barbaque goûteux et le pinard pas (trop) cher …

La formation de base qui joue sur ce disque, c’est le Jimmie donc, plus le batteur George Rains et le manieur de Hammond B3 Bill Willis. Auxquels se rajoutent de temps en temps un bassiste (sur deux titres), un sax ou un percussionniste (sur un titre). Et pour rester dans la famille, fiston Tyrone vient gratouiller sur un morceau, et la section rythmique de Double Trouble, feu groupe de Stevie Ray (Shannon et Layton), sur la reprise du « In the middle of the night » de Johnny Guitar Watson.

Lou Ann Barton & Jimmie Vaughan

« In the middle of the night », c’est la masterpiece du disque. Parce qu’en plus y’a la Lou Ann Barton venue en voisine (la connexion texane) pousser la goualante. Ah, Lou Ann Barton. Il y a quelques décennies un physique impeccable et des cordes vocales en acier. Autre chose que l’encensée rondouillarde tatouée Beth Hart (seule ou avec le pénible Bonamachin). Barton, à presque cinquante ans au moment des faits, reste encore une voix qui semble s’être bonifiée avec le temps. Et elle illumine deux autres titres (« Power of love », reprise de je ne sais qui, merci si quelqu’un a l’info, et le premier qui dit Céline Dion, Frankie Goes to Hollywood ou Huey Lewis se prend une torgnole), et fait des chœurs époustouflants sur « Out of the shadows ». En fait c’est elle qui justifie l’achat de ce disque …

Parce que le reste, c’est sympa sans plus, en tout cas pas exceptionnel. Avec des passages obligés, la partie de slide sur « The deep end », le titre au tempo ralenti ah que ça fait mal parce qu’elle est partie (« Without you »), le clin d’œil funky (« Let me him »), une paire d’instrumentaux prévisibles où le B3 se taille la part du lion (« Dirty girl », « Slow down blues »), une sortie de route vers une sorte de bouzin afro-cubain (« Planet bongo ») …


La production est près de l’os, y’a pas eu des kilomètres de bandes d’overdubs, pas de sorcier des consoles de mixage recrutés, ça a été enregistré beaucoup dans le Texas, un peu dans le Tennessee, c’est paru sur un petit label (Artemis Records), distribué parcimonieusement par Epic qui on le sent, n’a pas fait de ce disque sa priorité commerciale.

« Do you get the blues ? », ça figurera pas sur les listes de disques indispensables, c’est un peu longuet sur la durée (plus de cinquante minutes pour onze titres), c’est sauvé du quelconque par Lou Ann Barton. Face aux grosses machines du genre promues à grands coups de qualificatifs superfétatoires, ça fait figure d’artisanal. Et l’artisanat, ma foi, j’ai rien contre. Disque mineur, sans prétention, mais somme toute plutôt sympathique …


GUS VAN SANT - ELEPHANT (2003)

 

Bowling for Columbine ...

20 avril 1999 à Columbine, petite ville (25 000 habitants) du Colorado. Deux lycéens de 18 ans se rendent lourdement lestés d’armes de guerre et d’explosifs dans leur école et tirent sur tout ce qui bouge. Bilan : treize morts, vingt et un blessés.

18 mai 2003. « Elephant » de Gus Van Sant, « inspiré » par la tuerie est projeté au Festival de Cannes. Quelques jours plus tard, il y recevra la Palme d’Or et le prix de la mise en scène.

Gus Van Sant Cannes 2003

Quelques mois plus tôt, un film documentaire de Michael Moore, « Bowling for Columbine », utilisait la tuerie pour un plaidoyer contre la libre circulation des armes aux USA.

Autant dire que ce massacre a bouleversé (un temps, ce genre de carnage est récurrent aux States, c’est sûr ce coup-ci on va s’attaquer au problème des ventes d’armes, vous allez voir ce que vous allez voir, et puis on passe à autre chose) la société, pour que le monde du cinéma s’en empare si vite et à deux reprises.

« Elephant » est le dixième film de Van Sant, qui a accumulé succès critiques et commerciaux (« Drugstore cowboy », « My own private Idaho », « Will Hunting », « Psycho » entre autres, je cite ceux-là parce que je les aime bien), et inaugure un dyptique avec son successeur « Last days ». A savoir que ces deux films sont très fortement inspirés par des faits réels (le suicide de Kurt Cobain pour « Last days »), mais ne sont en aucun cas des reconstitutions des faits évoqués, la licence poétique, ce genre de choses, s’est justifié Van Sant, enfin certainement pour éviter procès et procédures.


« Elephant », d’abord pourquoi ce titre ? En référence à un film anglais homonyme d’Alan Clarke (c’est là que se pointe le fan de Bowie, Alan Clarke ayant réalisé pour la télé au début des 80’s une adaptation de « Baal » de Bertold Bretch avec l’ex Ziggy dans le rôle-titre, parce que le reste de ses travaux à l’Alan Clarke, ça me dit strictement rien). Lequel film montre une série de meurtres sans motifs, et son titre fait référence à l’expression « elephant in the room », littéralement, tout le monde identifie le problème bien visible, mais personne ne cherche de solution.

Bon, c’est quoi l’éléphant dans la pièce chez Van Sant ? Ce qu’aujourd’hui on appelle harcèlement scolaire (le plus déterminé, le « cerveau » du carnage est brimé et rejeté par les autres lycéens). Le libre accès aux armes, y compris de guerre. On commande sur internet, on est livré à domicile, et c’est le jour où les deux reçoivent leur dernier fusil d’assaut maousse qu’ils passent à l’action. Malin, Van Sant ne se contente pas des faits établis qui ont généré le massacre de Columbine. On a des allusions au jeux vidéo de FPS (en gros, on flingue tout ce qui bouge, en « étant » le personnage qui tire), Van Sant avait voulu utiliser une franchise bien connue (« Doom ») qui a mis son veto. Un truc basique en noir et blanc vite créé par un informaticien de passage est montré dans le film, un des deux tueurs y joue (sans conviction, il balance assez vite son ordi portable). On a aussi en attendant le camion de livraison qui amène le dernier flingue, un reportage, un documentaire historique sur la montée du nazisme qui passe à la télé, mais les deux ados ne le regardent pas vraiment, un des deux sait même pas à quoi ressemble Hitler. On a aussi la notion de rite sacrificiel, les deux se promettent de ne pas en réchapper, et toutes leurs frustrations d’ados rejetés se traduisent par un baiser échangé sous la douche avant de s’équiper de treillis et de trimbaler leur arsenal dans des sacs. Van Sant évoque de possibles et plausibles mobiles du passage à l’acte, il n’en définit aucun comme crucial. D’ailleurs, pour brouiller les pistes, les deux tueurs semblent (sans que cela soit explicité) deux fils de bonne famille, le « leader » Alex vit (avec ses parents ?) dans une maison cossue aux grands espaces, et joue bien du piano (en l’occurrence des sonates de Beethoven qui servent de B.O. au film).


La présentation des deux tueurs (les derniers moments avant la commission de l’acte) est située vers la fin du film, et apparaît comme la litanie des causes pouvant générer un massacre de masse. Van Sant n’analyse pas, il livre des éléments.

« Elephant » ne se résume pas aux derniers préparatifs du duo d’assassins et au carnage dans le lycée, le film nous fait vivre quelques moments de différents lycéens victimes – ou pas – du gunfight. Avec un procédé original, la caméra suit souvent les protagonistes (donc filmés de dos) dans l’enfilade de couloirs du lycée et nous les présente (juste leurs prénoms) par un intertitre. Et comme certains des élèves se croisent, échangent quelques mots, on a droit à la même scène filmée sous deux angles différents (parfois trois même, on a le blond peroxydé et le photographe qui discutent quelques secondes pendant que passe en courant la moche complexée) et en faisant la plupart du temps abstraction de toute chronologie). Le contraste est saisissant entre la banalité du train-train quotidien de lycéens (les trois jeunettes amatrices de ragots, qui touchent à peine à leur plateau-repas par peur de grossir avant d’aller se faire vomir dans les chiottes, ce qui se révèlera être une bien mauvaise idée).


« Elephant », c’est aussi un casting de jeunes amateurs (de Portland, ville fétiche de Van Sant dans laquelle il a longtemps vécu et où ont été tournés nombre de ses films) dont bien peu ont continué leur carrière devant la caméra. Le seul qui a vraiment fait « carrière » (dans des rôles mineurs et souvent dans des films de seconde zone) est John Robinson (celui qui joue John, le blond peroxydé à tee-shirt jaune imprimé d’un taureau), Alex Frost (celui qui joue Alex, quasiment tous les acteurs ont gardé leurs vrais prénoms) s’étant contenté de quelques rares apparitions dans des séries B).

A noter qu’une des personnes les plus impliquées dans le projet « Elephant » est Diane Keaton, l’ex et principale égérie de Woody Allen, qui a mis des billets pour la production du film. Lequel est un peu à part dans la filmo de Van Sant, sorte de film « politique », « engagé », deux genres auxquels il ne s’est guère frotté, mis à part avec le biopic « Harvey Milk » sur l’activiste homosexuel candidat à la mairie de San Francisco.

A noter que malgré la répétition des scènes (même si elles sont filmées avec des angles différents), « Elephant » ne dure même pas une heure vingt. Comme quoi on peut être concis et dire (ou sous-entendre) beaucoup de choses.

Film crucial de Van Sant, à ranger à côté de son autre coup de poing en images « Drugstore cowboy » …


Du même sur ce blog :

Last Days