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ROLAND JOFFE - LA DECHIRURE (1984)

 

La petite histoire dans la grande ...

Comment rafler trois Oscars avec un film réalisé et scénarisé par deux inconnus, avec un casting d’inconnus, voire d’acteurs amateurs ? Ben, dans le cas de « La déchirure », prendre comme point de départ des faits réels et s’y tenir (plus ou moins, on y reviendra).

Et puis, autre chose. Faut quelqu’un pour croire à un projet. Dans le cas de « La déchirure » (« The killing fields » en V.O., ce qui est nettement plus raccord avec l’histoire), celui qui va tenir l’affaire à bout de bras, il s’appelle David Puttnam. Un producteur anglais qui enchaîne les succès au box-office (« Bugsy Malone », « Les duellistes », « Midnight express », « Les chariots de feu », « Local hero », …). Il a vaguement entendu parler d’un certain Sydney Schanberg, qui obtenu le prestigieux Prix Pulitzer en 1976 pour ses reportages sur le Cambodge lors de l’arrivée au pouvoir des khmers rouges. Trois ans plus tard, un entrefilet dans la presse annonçant que Schanberg a retrouvé son guide (aujourd’hui on appelle ça un fixeur) cambodgien lors de cette période, avec tout l’aspect mélodramatique qui accompagne les retrouvailles entre le journaliste et celui que l’on croyait mort, donne à Puttnam l’idée de faire un film sur cette histoire.

Ngor, Waterston & Joffé

Il faudra cinq ans pour que son projet de film se matérialise. Mais Puttnam est obstiné. Et quand un type de ce calibre passe un coup de fil, on répond et on écoute. Il lui faut un scénariste, un réalisateur et des acteurs. Sauf que les stars contactées taperont en touche. Sujet trop d’actualité, trop brûlant, et surtout passé sous silence dans les pays occidentaux. Pour le scénario, il se rabattra sur un inconnu, qui écrit pour des séries Tv anglaises, Bruce Robinson. Qui sent qu’il a là la chance de sa vie, bosse comme un forcené (se rend à Bangkok et à proximité de la frontière cambodgienne, rencontre Schanberg et son guide Dith Pran, …) et pond trois cents pages. Côté réalisation, Puttnam contacte Costa-Gavras, Louis Malle, Jacques Demy (?), et discute même le coup avec Kubrick. Refus poli. Il va alors recruter un réalisateur dont les parents sont français, et qui grouillote lui aussi dans les séries Tv, le parfait inconnu Roland Joffé. Lequel est sommé de s’inspirer de trois films : « La bataille d’Alger », « Apocalypse now » et « Rome ville ouverte ».

Pour les acteurs, refus poli de Puttnam pour le rôle de Schanberg des propositions de Warner, qui avait signé pour la distribution du film et avait sous le coude des gens comme Dustin Hoffman ou Roy Schreider. Puttnam imposera un autre inconnu, Sam Waterston (à son actif un petit second rôle dans « La porte du Paradis »), surtout pour une similitude physique avec Schanberg. Deux autres inconnus du grand public, Julian Sands et John Malkovich, complèteront les rôles des journalistes américains. Pour Dith Pran, des centaines d’acteurs le plus souvent amateurs sont testés, et Puttnam arrête son choix sur Haing S Ngor, toubib à Los Angeles, et qui a fui lui aussi le régime khmer (il gagnera l’Oscar du second rôle). Le tournage se fera en Thaïlande. La préparation du film aura duré cinq ans.

Sainds & Malkovich

Un budget conséquent pour l’époque est amené par Puttnam, un flot d’images est enregistré, avec selon Joffé de quoi faire six films différents sur cette histoire. La version choisie, d’une duré initiale de quatre heures, sera réduite quasiment de moitié au montage.

C’est pour cela que le début du film fait intervenir une voix off, qui présente « l’environnement ». Parce que quelques rappels historiques s’imposent. Les Américains viennent de se faire salement secouer au Vietnam, sont à l’intérieur en plein Watergate, et de ce fait la révolution communiste essaie de s’étendre aux pays voisins. Principale cible, le Cambodge, où un gouvernement corrompu et mal aimé tente de survivre. Soutenu mollement par quelques soldats américains qui y disposent de bases militaires. Les khmers progressent, armée de bric et de broc recrutée dans les campagnes (beaucoup de femmes et des enfants, certains pas plus hauts que leur kalachnikov). Quand la capitale Pnom Penh est menacée, les Américains décident d’intervenir, et envoient un de leurs gros bombardiers déverser des tonnes de projectiles sur un village censé être le QG des khmers. Pas de bol, l’avion se trompe de cible, et bombarde un autre patelin (Neak Loeung). Officiellement, des dizaines d’américains tués et de centaines de civils cambodgiens.

Cet évènement est le début du film. Devant les atermoiements de l’état-major US, Schanberg et Dith Pran décident de s’y rendre en soudoyant des militaires cambodgiens. Ils vont voir les résultats du carnage, et une fois rejoints par d’autres journalistes finalement amenés par l’armée américaine, se retrouver en première ligne face à la progression des khmers rouges. De retour à Pnom Penh déjà infiltrée par les khmers (attentats), les trois journalistes et Dith Pran sont témoins de la débandade du régime officiel. L’ambassade américaine est évacuée, y compris la femme et les enfants de Dith Pran. Lui et les journalistes restent, assistent à la chute de la capitale, et se réfugient à l’ambassade de France, dernière ambassade occidentale en poste, avec des civils cambodgiens proches du régime déchu. Sauf qu’ambassade ou pas, quand t’es encerclé, faut dealer. Les khmers laisseront sortir tous les ressortissants étrangers, par contre les Cambodgiens devront se rendre. Les journaleux essayent bien dans des conditions précaires de bidouiller un faux passeport à Dith Pran, ça foire, eux peuvent partir et lui est obligé de se rendre aux khmers rouges. C’est la première partie du film.


La seconde verra Dith Pran « réinséré » dans les camps de travail (ou de concentration, au choix), se faire passer pour un paysan inculte (le régime khmer élimine tous les « intellectuels » et il en faut pas beaucoup pour passer pour un intellectuel), tenter de s’échapper à travers les « killing fields », ces charniers à ciel ouvert où sont entassés les cadavres des « opposants » (trois millions de morts sur sept millions d’habitants du Cambodge pendant la « révolution »), se faire reprendre, gagner la confiance d’un petit chef khmer, qui sentant l’épuration du Parti arriver, lui confie son gosse, quelques dollars, et un plan sommaire de la région pour l’aider à gagner la frontière thaïlandaise. L’épilogue verra les retrouvailles quatre ans après leur séparation de Schanberg et Dith Pran.

Comme Joffé l’avait filmé, on peut faire beaucoup de choses avec un tel scénario et quelques moyens.

Le bilan est globalement positif, comme ils disaient en ces temps-là. Sont bien rendus le capharnaüm total dans les milieux occidentaux, les ambassades notamment, des scènes de bataille réalistes (matériel loué à l’armée thaïlandaise, ça tombe bien, c’est du matériel US, aide – a minima - d’instructeurs militaires américains pour les combats). Scènes impressionnantes (beaucoup de figurants) de l’exode des habitants de Pnom Penh qui vont se faire « rééduquer » dans les campagnes. Visions de chantiers pharaoniques (et sans aucun sens) des camps de travail, dans des carrières d’argile ou des rizières, entassement de milliers de faux cadavres dans les killing fields. Une évasion vers la Thaïlande où il faut traverser des villages pulvérisés par la guerre civile et inhabités, échapper aux patrouilles khmères, éviter de se faire sauter sur une mine (tous les fuyards ne s’en sortiront pas), … Chaos total chez les « révolutionnaires » où une gamine d’une quinzaine d’années a droit de vie et de mort sur les centaines de « rééduqués » du camp, purges « idéologiques » à tous les niveaux chez les khmers, séances de lavage de cerveau sur des gamins tout juste en âge de marcher, …

Les killing fields

Une séquence extraordinaire, lorsque les journalistes et Dith Pran se font capturer par une escouade khmère. Les occidentaux se retrouvent avec le canon des flingues sur la tempe, pendant que Dith Pran, mains jointes, essaye de négocier leur survie avec celui qui est leur chef. Cette discussion (quelques autres aussi plus tard) n’est pas traduite ou sous-titrée, on comprend rien et on sait pas ce qui va se passer. C’est fait exprès, y’a pas un bug technique, Joffé a voulu mettre le spectateur en « situation », à la place des journalistes, qui ne savent pas s’ils vont se faire dégommer ou être relâchés.

Quelques couacs aussi. Cette histoire d’amitié et de reconnaissance éternelle est quelque peu enjolivée. Schanberg n’avait guère d’estime pour Dith Pran, le traitait plutôt dans la vraie vie comme du poisson pourri, jusqu’à ce que le cambodgien lui sauve la vie. Une scène aussi, guère convaincante, n’a jamais eu lieu. Celle où Malkovich, vient, sorte de conscience à la Jimini Cricket, faire la morale à Schanberg le jour où celui-ci reçoit le Prix Pulitzer. Le plus gros foirage est la scène des retrouvailles, pathos larmoyant totalement surfait avec en fond sonore (what else ?) le « Imagine » de Lennon (alors que les reste de la bande musicale est plutôt bon, signée en grande partie par Mike Oldfield).

Malgré ces quelques réserves, « La déchirure » (quel titre imbécile en français !), est un grand et bon film, avec en toile de fond le terrible régime de Pol Pot, peu utilisé par le cinéma …


MANOEL DE OLIVEIRA - UN FILM PARLE (2003)

 

La croisière ne s'amuse pas ...

Bon, « Un film parlé » n’est pas vraiment une œuvre de jeunesse. Quand il est projeté en salles, son réalisateur Manoel De Oliveira a l’âge plus que respectable de 95 ans (il tournera encore pendant dix ans, il a établi plein de records qui seront difficiles à battre, il avait commencé du temps du muet …).

De Oliveira et une figurante française ...

Donc « Un film parlé » n’est pas une œuvre de jeunesse. Ni un film pour la jeunesse. Ne vous attendez pas à voir chez De Oliveira, un type en collants moule-burnes doté de superpouvoirs qui va sauver la galaxie. N’espérez pas non plus des gunfights, des bastons haletantes et des cascades spectaculaires. « Un film parlé », même à la direction des programmes nuit de Arte, ils doivent pas en vouloir.

« Un film parlé » est un film qui forcément, s’écoute. Mais surtout qui se regarde, et à la fin, on se sent un peu moins con ou inculte qu’au début.

« Un film parlé » c’est l’histoire d’une croisière de Lisbonne vers Bombay en 2001. Les deux personnages principaux (avant qu’arrivent les stars, on y reviendra), sont une mère et sa fille. La mère est prof d’Histoire en fac, elle va avec sa gamine rejoindre son mari pilote de ligne lors d’une escale de son avion à Bombay, où la famille doit passer ses vacances. Une aubaine pour la prof férue d’Antiquité et qui va profiter des escales du bateau pour visiter des lieux qu’elle ne connaît que par les livres, en faisant partager ses connaissances à sa fille très curieuse aux nombreuses questions pas toujours naïves. Là, on est un peu dans une version avec des images de « Emile ou l’Education » du grand Jean-Jacques (Rousseau, pas Debout). Pendant pile la moitié du film (trois quarts d’heure), on a droit à des visites commentées du port de Lisbonne, des racines grecques de Marseille, de Naples et de Pompéi engloutie par le Vésuve, de l’Acropole à Athènes, de Sainte-Sophie à Istanbul, du Sphinx et des Pyramides au Caire. La dernière escale que nous verrons sera dans le souk d’Aden.

A Marseille ...

Bon, faut aimer l’Histoire ou les vieilles pierres (ou les deux), je vous le concède, pour pas que le Dvd finisse accroché à un cerisier pour effaroucher les merles. Parce que « Un film parlé » est didactique, mais pas spectaculaire pour deux sous. Le bateau de croisière, on a juste des fois un plan de la proue qui fend l’eau, et d’autres fois une maquette secouée dans une bassine, qui fait ressembler ledit bateau aux dimensions censées être imposantes à une planche de surf qui croiserait au large du Cap Horn par gros temps. De Oliveira en bateau, c’est pas James Cameron ou Peter Weir …

A la moitié du film, on est quand même obligé de se poser une question : « Un film parlé », c’est un film ou un documentaire de Discovery Channel ? Un film, Votre Honneur. Parce que celle qui joue la mère, Leonor Silveira, c’est une actrice majeure portugaise, et quasiment la muse de De Oliveira qui figure depuis une quinzaine d’années au générique de presque tous ses films. Et à l’escale de Port Saïd – Le Caire, le touriste portugais qui lui donne la réplique est Luis Miguel Cintra, lui aussi un habitué des castings de De Oliveira. Et puis on a aperçu fugacement rejoindre la croisière à l’escale de Marseille Catherine Deneuve, à celle de Naples Stefania Sandrelli, et à celle d’Athènes Irene Papas, sans qu’elles soient par la suite d’aucune scène, et on se dit que ça peut pas durer, que « Un film parlé » finira par prendre une autre direction.

A Naples

Et effectivement, on se retrouve dans la salle de restaurant du bateau, dont le capitaine (John Malkovich) invite à sa table les passagères célèbres que sont Deneuve (une grande chef d’entreprise française), Sandrelli (actrice et mannequin italienne), et Papas (chanteuse et actrice grecque). La conversation entre ces quatre, animée par un capitaine très révérencieux pour ses convives, va tourner sur la condition féminine, leur relation à la maternité (aucune des trois n’a d’enfant), l’apport au monde des civilisations des pays traversés. Chaque convive parle dans sa langue maternelle et « officielle », et on a droit à des dialogues où alternent (sous-titrés, heureusement) anglais, français, italien et grec. Et tout le monde comprend tout le monde. Plus qu’une question d’hyperpolyglottes, on voit ressurgir le fantasme de la Tour de Babel, cet antique lieu mythique où tout le monde peut se comprendre, à condition d’être guidé par les bons sentiments. Et voilà comment le quasi centenaire de Oliveira pose sa patte humaniste sur un scénario jusque-là plutôt ronronnant.

D’autant plus qu’il semble y rajouter une vision portugaise de la civilisation européenne, mise en avant notamment par le poète Camoés dans « Les Lusiades » (fin du XVIème siècle). Comme il y a peut-être des gens qui ont pas lu ce pavé en vers de plusieurs centaines de pages, je vous la fais rapide, l’auteur explique que les grands navigateurs venus du Portugal ont découvert et civilisé le monde non-européen. Tout ça dans de grands élans lyriques patriotiques et religieux, malgré un « ennemi » présent partout dans les contrées lointaines, le Maure (une théorie plutôt gênante, reprise trois siècles plus tard par Ernest Renan dans sa «Vie de Jésus », où ce très catholique historien, dézingue toutes les sornettes bibliques, mais rend les Arabes responsables de tous les maux de la région proche-orientale depuis des siècles) … Oh Jésus Marie Joseph, qu’est-ce que tu viens nous raconter Lester, Camoés et Renan, wtf ? Ben, j’essaye l’ellipse pour pas spoiler la fin (dernière escale Aden, film paru en 2003, allez cherchez bien) …

Malkovich et ces dames ...

Oui, Papy De Oliveira n’a pas fait un film historique ou intello rempli de verbiages courtois et galants, il a fait un film qui colle à l’actualité du moment en donnant sa vision des grandes civilisations qui sont issues de la Méditerranée et des luttes (pas seulement d’influences) qu’elles ont soutenu entre elles.

Alors oui, la fin du film pourrait plaire à tous ceux qui sont à droite, voire plus, et conforter leurs idéologies rances. Sauf qu’à mon sens, De Oliveira ne dénonce pas, il explique, dans ce voyage à travers des siècles d’Histoire, qu’au final, ce sont la culture et l’innocence qui payent la folie des hommes et des religions.

« Un film parlé » si logiquement il s’écoute plus qu’il ne se regarde, à la fin il finit par poser des questions essentielles … et le vieux cinéaste portugais est aussi un vieux sage …





WILLIAM DIETERLE - LA VIE D'EMILE ZOLA (1937)

 

La débâcle ?

Oui, c’est facile, citer en gros le titre du bouquin le plus polémique et politique de Mimile Zola pour ouvrir cette notule. Et en plus c’est pas vrai, « La vie d’Emile Zola » n’est pas une purge. Encensé et oscarisé à sa sortie, c’est peu de dire qu’il est quelque peu oublié aujourd’hui. Et pas seulement le film lui-même, mais aussi la plupart de ceux qui y ont contribué.

William Dieterle

« La vie d’Emile Zola » est un film historique hollywoodien. Avec tout ce que cela suppose comme prérequis. Les Etats-Unis dans les années 30 ont une Histoire d’un peu plus d’un siècle et demi. Ce qui est peu par rapport à tous les autres pays où l’industrie cinématographique est présente. Et quand les cinéastes américains s’intéressent à l’Histoire ou du moins des éléments historiques qui ne leur appartiennent pas, ils le font avec leur point de vue, non sans tenir compte de l’aspect financier et du tout-puissant code Hays.

Bon, il y a bien un carton au tout début du film qui précise que tout ce qui est montré dans « La vie d’Emile Zola » n’est peut-être pas rigoureusement exact, et que certains personnages, certaines situations ont pu être « arrangées » pour coller à la dramaturgie de l’œuvre. Mais faute avouée n’est pas forcément à pardonner. D’autant que « La vie … » n’est pas un biopic « traditionnel », une heure et demie sur les deux heures du film étant consacrés à l’affaire Dreyfus. Sujet sensible et encore dans les années 30 hautement inflammable, surtout en France mais pas que …

Cézanne, Zola & "Nana"

Mais pourquoi pas. Dieterle a bien le droit de montrer ce qu’il veut. Dieterle … citoyen allemand de son propre aveu exilé « économique » aux States (no comment de sa part sur Tonton Adolf et le nazisme). Dieterle est là pour faire du cinéma, rien que du cinéma. Mais pourquoi ne jamais évoquer dans « La vie … » que Dreyfus était Juif, et que ce qui lui est arrivé avait (certes entre autres choses) à voir avec l’antisémitisme de certains de ses accusateurs. Du coup l’affaire Dreyfus traitée par Dieterle est une simagrée historique (plus grosse bavure : faire coïncider au jour près la réintégration de Dreyfus dans l’armée avec la mort de Zola, il y a quatre ans d’écart entre les deux événements). On pourra toujours objecter que si on veut du fait historique indiscutable (quoi que), au lieu de regarder des films en noir et blanc de 1937, on n’a qu’à mater les chaînes Histoire du câble. Mais voilà, je regarde ce que je veux et je dis ce que j’en pense.

Zola est joué par Paul Muni. Acteur star de la première décennie du parlant, révélé par des rôles de truands (le « Scarface » de Hawks, « Je suis un évadé » de Mervyn LeRoy, deux films où il est excellent), et oscarisé pour un biopic (déjà) sur Louis Pasteur réalisé par (déjà) Dieterle. Muni en Zola en fait des caisses, entend montrer à chaque plan quel grand acteur il est. Perso, je suis pas fan de ces interprétations cabotines où le jeu de l’acteur prend le pas sur tout le reste, tire en permanence la couverture à soi (sa lecture emphatique de son « J’accuse » au siège du journal l’Aurore, sa plaidoirie lors de son procès, …). Cherchait-il une nouvelle statuette ? De ce côté-là c’est raté, c’est le très oublié Joseph Schildkraut qui l’aura pour son second rôle de Dreyfus. Un des trois Oscars de « La vie … », meilleur film (?) et meilleur scénario (??).

La dégradation de Dreyfus

Tout est caricatural dans ce film. On commence par montrer un Zola limite SDF partageant un taudis sous les toits avec Cézanne pour à la fin nous le montrer grand bourgeois (il n’était certes pas très riche aux débuts, mais n’a pas fini non plus milliardaire). Autre exemple : sa « découverte » de la prostitution lorsque par hasard il soustrait à une rafle une fille, Nana, va lui donner le titre et le scénario de son premier best-seller. Totalement faux, Zola préparait ses bouquins en multipliant les fiches sur les lieux et les gens qu’il comptait mettre en scène par écrit, et le personnage de Nana est une compilation de plusieurs femmes « mondaines », dont aucune ne se prénommait Nana… et on pourrait égrener jusqu’à plus soif les demi-vérités ou pire les contre-vérités qui se succèdent dans « La vie … »

En fait, celui qui pour moi sauve le film de la débâcle, c’est Dieterle. Qu’il ne viendrait à l’idée de personne de citer comme un réalisateur majeur. La plupart du temps, il se contente du service minimum mais lors des scènes « de foule », dans la (fausse, très peu d’extérieurs) rue, dans les cours de caserne, dans les séances au tribunal, lors de la scène finale de l’hommage mortuaire à Zola rendu par son disciple-élève-ami Anatole France, ses plans larges avec beaucoup de figurants sont réussis. Rajoutez la partition lyrique de Max Steiner pour les séquences émotion, et nul doute qu’à l’époque, les spectateurs devaient faire comme les acteurs du film, essuyer la larmichette au coin de l’œil.

Le procès de Zola

Evidemment, ce film qui critique l’armée française, est resté interdit par ici une quinzaine d’années (même sort que « Les sentiers de la gloire », « La bataille d’Alger », etc …). Dans le pays des libertés, faut pas prendre celle de critiquer nos institutions et nos faits d’armes peu glorieux, axiome qui n’a pas oublié de traverser les décennies.

Zola et l’affaire Dreyfus sont des personnages ou des faits plutôt franco-français. J’imagine la perplexité du public américain (et d’ailleurs) des années 30, devant les noms de Cézanne, Anatole France, Charpentier, Labori, Clémenceau, Dreyfus, Picquart, Esterhazy, les hauts gradés militaires, tous partie prenante du scénario …

Pas sûr que ce film ait fait grimper les ventes des bouquins de Zola …

Dernière remarque. Le « Napoléon » d’Abel Gance, et « La vie d’Emile Zola », biopics sur deux figures majeures françaises sont disponibles (en cherchant bien) en vieilles versions Dvd (ils existent pas en Blu-ray il me semble) mais pas en version française … allez Rachida, démissionnaire chargée d'expédier les affaires courantes, au boulot, ça te changera …





GABRIEL AXEL - LE FESTIN DE BABETTE (1987)

 

Service unique ...

Les Danois, ils ont pas la réputation d’être des boute-en-train … Le pays d’Hamlet et de Carl Theodor Dreyer … Les Danois, ils auraient été Noirs, ils auraient inventé le blues … bon, on est pas dans la rubrique zique, on va causer d’un réalisateur danois.

1988 : Gabriel Axel et sa statuette

Ils sont pas nombreux, les manieurs de caméra de Copenhague ou environs à être passés à la postérité. J’en connais que cinq. Le Dreyer susnommé, grand maître d’un cinéma en noir et blanc austère et glacial, tout en huis clos psychologiques, à faire passer son voisin nordique Bergman pour Philippe de Broca. Lars Von Trier, dont les films n’incitent pas non plus à la franche rigolade, lui prétendant qu’il a de l’humour, mais c’est à peu près le seul à s’en être aperçu. Thomas Vintenberg, à côté d’eux, c’est Frankie Vincent, et il accumule les succès grâce à des films « adultes » pour grand public (les fabuleux « Festen » et « Drunk »). Reste deux éphémères « stars », Bille August, avec « Pelle le Conquérant » palmé et oscarisé en 1989. L’année d’avant, c’est « Le festin de Babette » de Gabriel Axel qui avait gagné la statuette. August et Axel étaient à peu près inconnus avant leur récompense et n’ont rien tourné de vraiment marquant depuis …

Axel, c’est un Danois qui a passé une trentaine d’années en France. Et quand il est dans son brumeux pays, il coche plein de cases dans le milieu du cinéma, acteur, producteur, scénariste, réalisateur pour le petit ou le grand écran, sans même être une star locale. Il a un projet qu’il traîne depuis des années : adapter au cinéma « Le festin de Babette », une nouvelle de Karen Blixen. Karen Blixen, dont le film multi-oscarisé « Out of Africa » est censé raconter une partie de sa vie. Du coup, quelques banquiers prêtent l’oreille au projet d’Axel. Qui finit par récolter quelques thunes, au Danemark et en France. En France ? Oh, pas parce qu’il y a vécu, mais parce qu’il a décidé de donner le premier rôle à Stéphane Audran, depuis peu ex Mme Chabrol. Une Stéphane Audran qui l’avait fortement marqué dans « Violette Nozières » (de Chabrol), quasiment une décennie plus tôt.

Babette et les filles du pasteur

Stéphane Audran accepte ce projet assez suicidaire : tourner en danois, avec un metteur en scène inconnu, et un casting de seconds couteaux locaux (quelques-uns ont tourné avec Dreyer dans les années cinquante, ce qui n’ouvre pas évidemment les portes de la gloire mondiale), dont les seuls noms connus à l’international sont Bibi Anderson (une des actrices fétiches de Bergman, elle ne fait qu’une apparition dans une scène) et Jarl Kulle (un second rôle récurrent dans – aussi – des films de Bergman). Quant à l’histoire, un truc austère sur plusieurs décennies dans la seconde moitié du XIXème siècle situé dans un patelin du Jutland (Nord du Danemark) aux abords de la mer, on a connu plus sexy comme projet d’adaptation.

Stéphane Audran est la « star » du casting, même si elle n’apparaît qu’après le premier tiers du film. L’histoire est en fait centrée sur les deux vieilles filles (dans tous les sens du terme) d’un pasteur, qui fut une sorte de gourou dans son village de quelques masures du Jutland, cornaquant ses deux filles d’une main de fer, et dont le souvenir est entretenu des années après sa mort par une petite communauté de vieillards qui se réunissent chez ses deux filles. Ses deux filles qui auraient pu vivre une autre vie : l’une fut courtisée par un officier suédois (le Danemark était une province suédoise), joueur et buveur, contraint à une disgrâce et un exil passagers forcés à cause d’un mode de vie peu conciliable avec le métier des armes, sa sœur, chanteuse occasionnelle à la voix de cristal, prise en charge par un chanteur d’opéra français ayant fui la Révolution de 1848. L’ombre tutélaire du pasteur empêchera ces deux idylles naissantes de perdurer, et les deux frangines resteront célibataires et se consacreront à des œuvres charitables, servant d’infâmes brouets de pitance locale aux nécessiteux du village.

Les années passent, et après la purge qui suit la Commune en France, accompagnée d’une lettre de recommandation du chanteur d’opéra, se pointe chez les sisters une Française, Babette Hersant, qui fuit la répression parisienne, qui veut bien être leur servante sans gages (les combles d’une chaumière seront sa maison), et qui paraît-il sait cuisiner. Ce qui n’empêche pas les frangines de l’initier sous ses regards suspicieux à la gastronomie peu ragoûtante du Jutland. Le seul lien que Babette a conservé avec la France est un ticket de loterie qu’elle renouvelle chaque année.

C'est mal parti pour faire tourner les serviettes ...

Et quelques années plus tard, bingo, elle gagne le gros lot (dix mille francs), et décide, à l’occasion du centenaire de la naissance du pasteur, de préparer un repas « à la française » à la clique de vieillards qui continuent tant bien que mal de célébrer leur gourou disparu. Evidemment, chez ces ploucs qui voient Babette rappliquer avec venues de France, tortues, cailles, victuailles mystérieuses et force caisses de pinard, le signe de la tentation diabolique est évident et tous se jurent d’assister au repas, mais de se montrer taiseux et surtout de ne pas faire le moindre commentaire sur ce qu’ils auront dans l’assiette ou le verre. Un invité de dernière minute, l’ancien officier exilé devenu un général célébré, fera partie de la tablée. Et à mesure que défilent dans les assiettes caviar, foie gras, truffes et dans les verres Clos Vougeot et Veuve Cliquot, le général, qui a longtemps vécu à Paris et fréquenté ses grandes tables, comprend que Babette, avant d’être la boniche des deux sœurs, était quelqu’un d’autre, et soupçonne sa véritable identité. Et les vieux bigots commencent à se dérider, à oublier leurs bisbilles décennales, à se réconcilier, et à profiter de ce moment unique qu’ils sont en train de vivre.

« Le festin de Babette », est une nouvelle certes, mais aussi une fable, à des lieux de « La grande bouffe » par exemple. Comme dans toutes les fables, il y a une morale (pas forcément celle qu’on attend). D’ailleurs « Le festin de Babette » est un film moral, qui souligne le bon côté des gens, une sorte de feelgood movie austère.

Un film plaisant certes, d’un humanisme simple. De là à être considéré comme une œuvre majeure de son temps come l’a décrété l’Académie des Oscars, c’est peut-être pousser le bouchon (de champagne) un peu loin …


FRANCOIS TRUFFAUT - LE DERNIER METRO (1980)

 

Le meilleur vers la fin ...

J’ai un point commun avec Depardieu … enfin, presque deux … j’aime bien le (bon) pinard, sans trop de modération, mais dans des proportions nettement moins pantagruéliques que le Gégé. Ce qui m’évite par exemple d’avoir des réflexions avinées sur la supposée humidité de l’entrejambe de cavalières nord-coréennes de dix ans … bon, je fais comme lui, je m’égare …

Revenons donc au point commun cinématographique avec le Gégé. Il avoue d’entrée, dans les bonus du Blu-ray du « Dernier métro », que quand Truffaut lui a proposé le rôle principal, il a pas sauté au plafond. Depardieu, il reconnaît du talent (et de l’importance) à Truffaut, mais toute sa filmo, qu’il s’agisse des « historiques » des débuts ou des années 60, ou des autres plus récents, ça le laissait assez froid. Perso, je pense que « Le dernier métro » est d’assez loin ce que Truffaut a fait de mieux. Pour plein de raisons, mais je vais pas comparer à ceux d’avant, je vais m’en tenir à celui-là …

Depardieu, Deneuve & Truffaut

« Le dernier métro », il fonctionne à plein de niveaux.

C’est un film sur les relations humaines, c’est un film sur les acteurs, c’est un film sur l’Occupation. Et quel que soit le côté de la lorgnette par lequel on l’appréhende, ou dans sa globalité, ça confine à la copie parfaite.

Mais avant le premier tour de manivelle (dans une usine désaffectée de la région parisienne transformée en studio), faut du boulot en amont. Un scénario dans lequel Truffaut s’est énormément impliqué, Paris occupé, il l’a connu dans son enfance (il est né en 1932). Il a mis son propre fric dans la production, il s’est entouré de proches (Delerue pour la musique, Jean-Louis Richard et Marcel Berbert, habitués de ses génériques, pour des seconds rôles). Et surtout, il a pris en tête d’affiche les deux meilleurs acteurs de l’époque, en voie d’icônisation. Deneuve est déjà la star féminine du cinéma français depuis presque deux décennies, et Depardieu depuis quelques années n’en finit plus de signer de grandes performances (dans l’année qui précède « Le dernier métro », on l’a vu dans des rôles principaux dans « Buffet froid » de Blier, « Mon oncle d’Amérique » de Resnais et « Loulou » de Pialat, rien que ça …). Le reste du casting est composé de « valeurs sûres » de l’époque (Andréa Ferréol, Jean Poiret, Paulette Dubost, Maurice Risch, et les petits « nouveaux », Sabine Haudepin, et une paire de scènes pour Richard Bohringer). J’ai pas cité (volontairement) dans la liste ci-dessus Heinz Bennent, pourtant troisième rôle majeur du film (Lucas Steiner), dont le personnage est plutôt passif et sous-employé, et pas interprété d’une façon transcendante.

Depardieu, Poiret, Deneuve & Haudepin

« Le dernier métro » c’est un film sur un triangle amoureux. Steiner et sa femme Marion (Deneuve), pourtant unis dans l’adversité, vont voir leur couple mis à mal avec l’arrivée de Bernard Granger (Depardieu). De regards fugaces en gênes réciproques, on voit les braises qui couvent se transformer en brasier, les baisers rapides, les gifles monumentales, avant l’aveu réciproque. Et un final équivoque, qui renvoie à Jules et Jim (le dernier plan), alors que Truffaut s’est déjà auto-cité (des répliques issues de « La sirène du Mississippi » sont la conclusion de la pièce de théâtre). Mais l’amour ne concerne pas que les acteurs principaux, les seconds rôles ont aussi leur vie affective (Andréa Ferréol est homosexuelle, occasionnellement en couple avec Sabine Haudepin, Jean Poiret est aussi homo, Maurice Risch aimerait se taper des gonzesses, il ne réussit qu’à se faire vamper par une voleuse qui en pince pour les beaux uniformes allemands, …).

« Le dernier métro », c’est un film sur les acteurs. Les acteurs de théâtre et leur « monde ». On ne compte plus déjà à l’époque les films sur le cinéma. Ceux sur le théâtre sont plus rares, et le parallèle (pour de multiples raisons) avec le Lubitsch de « To be or not to be » (« Jeux dangereux » en V.F.) est le plus évident. « Le dernier métro » nous montre tout le processus de création, de mise en scène, de répétitions, de gestion des espèces sonnantes et trébuchantes, … et aussi des égos qui se retrouvent et parfois s’affrontent en coulisses. Ce qui implique que les acteurs doivent jouer différemment dans le monde « réel » du film et ensuite sur les planches du théâtre, parfois à la suite dans la même scène. A ce jeu-là, Depardieu est impressionnant, et Deneuve, qui a une peur panique du théâtre et n’a jamais joué dans une seule pièce, s’en tire plus que bien. Le tout dans un contexte particulier, celui du Paris de 1942-1943, sous l’Occupation allemande.

Deneuve & Bennent

Et c’est à ce niveau-là que « Le dernier métro » est le meilleur. Les personnages principaux du film n’ont pas existé, la pièce qu’ils montent non plus, mais certaines scènes qu’ils jouent sont vraies et reposent sur des faits ou anecdotes historiques certifiées. Eléments validés (à une paire de détails mineurs près) dans les bonus par un historien (Jean-Pierre Azéma) spécialiste du Paris occupé . Le personnage historique central est Daxiat (interprété par Jean-Louis Richard), rédacteur en chef du journal pro-nazi « Je suis partout ». Ce journal (crée par Brasillach et quelques autres extême-droitards dans les années 30), a réellement existé et Daxiat est un pseudo juridique pour Alain Laubreaux (rédacteur omnipotent des pages culture, aux nombreuses accointances avec les miliciens, les gestapistes et la Wehrmacht, exilé en Espagne au moment du tournage et condamné à mort en France par contumace). Et la scène où Daxiat est pris à partie par Depardieu et finit par se faire rosser avec sa propre canne, est le copier-coller d’une vraie rouste infligée par Jean Marais à Laubreaux qui venait de dégommer dans « Je suis partout » la dernière pièce de Cocteau. Autre exemple de souci maniaque du détail, quand Marion Steiner se rend au QG des Allemands et demande à voir un officier supérieur, elle finit par apprendre qu’il vient de se suicider. L’historien, au vu des dates, a le vrai nom du type … ça, c’est pour le cours d’Histoire de haut niveau. Truffaut situe aussi tous ses personnages dans le Paris occupé des années 1942-1943, et nous montre tous les cas de figure. Ceux qui sont Résistants ou vont rejoindre la Résistance (Depardieu), les Juifs pourchassés (Lucas Steiner), et les retombées pour leur famille (Marion Steiner), les collabos (Daxiat), les débrouillards (Maurice Risch), les arrivistes (Sabine Haudepin, la copine de Risch), ceux qui ménagent la chèvre et le chou (Poiret), les miliciens (Bohringer), …

Le tout dans le contexte de l’époque (le dernier métro qui donne son titre au film, c’est la rame vers laquelle on se précipite avant minuit, heure du couvre-feu), avec le marché noir, les tickets de rationnement, les coupures d’électricité, les alertes de bombardement par les Anglais, … et puis, dans le milieu artistique bourgeois et friqué, ces virées toute la nuit (faut juste pas être dans la rue entre minuit et six heures du matin) dans les clubs chicos au milieu des denrées inaccessibles au vulgum pecus (champagne à volonté) et des gradés allemands …


Toute la réussite du « Dernier Métro », est due à son accessibilité (la lecture peut se faire à plusieurs niveaux, mais au premier degré, ça fonctionne déjà parfaitement), et Truffaut, novateur rétrograde, académiste révolutionnaire, signe ce qui est pour moi sa masterpiece. Depardieu, méfiant au début, est bluffé, se donne à fond, passe du queutard entreprenant de la première scène à l’amoureux sans espoir de sa partenaire tout en risquant gros avec ses machines infernales qu’il bricole et son engagement dans la Résistance. Truffaut décidera d’en faire son acteur fétiche, multipliera les projets pour lui, la maladie en décidera autrement, seule « La femme d’à côté » paraîtra. Deneuve, au sommet de sa beauté, trouve là un de ses meilleurs rôles, toute en incandescence glaciale, dans un personnage à la « Belle de jour ». Hormis Bennent, le reste du casting fait ce qu’il peut pour se hisser au niveau de ces deux grosses prestations.

Juste un (petit) reproche : la dernière scène (celle de l’hôpital) hésite (volontairement, on peut pas laisser passer de tels pains au montage) entre réel (quand Deneuve entre dans la salle commune, il y a un arrière plan « vivant », les gens se déplacent, fument dans le bâtiment derrière les fenêtres) et théâtre (quand elle rejoint Depardieu, l’arrière-plan est un décor), du coup le twist final perd un peu son effet …

« Le dernier métro » est le recordman absolu des César (dix). Ce qui ne veut pas forcément dire que c’est le meilleur film des quarante dernières années, mais que c’est tout de même un très grand film …


Du même sur ce blog : 

Tirez Sur Le Pianiste




STEVEN SPIELBERG - LINCOLN (2012)

 

Bigger than life ...

Spielberg le dit lui-même, il avait quatre ou cinq ans quand on l’a amené visiter le mémorial de Lincoln, et la statue massive du 16ème Président des Etats-Unis qui en orne l’entrée l’avait très fortement impressionné. Un film sur Lincoln, il a toujours voulu le faire. Plus de soixante ans après sa visite scolaire, ce sera chose faite …

Day-Lewis & Spielberg

Sauf que … on ne s’attaque pas impunément caméra au poing à une grande figure historique (en l’occurrence la plus grande des USA), on risque gros (n’est-ce pas Ridley ?) … Et puis, bon, je connais le topo. Chaque fois qu’un artiste dans la littérature, la musique, le cinéma, parle de sa dernière œuvre, c’est toujours pour dire que c’est le projet qu’il avait en tête depuis longtemps, qu’il en est très fier, et que c’est son meilleur … Alors je sais pas si « Lincoln » traînait depuis des décennies parmi les envies de film de Spielberg, ni s’il en est vraiment fier … Est-ce que c’est son meilleur ? Pas grand-monde le pense, faut dire qu’il en a fait tellement de meilleurs les uns que les autres, que le choix est difficile. Je vais pas faire un numéro vain et prétentieux pour démontrer que le Steven il a jamais fait mieux, par contre c’est un film qui conservera une place singulière dans sa filmo. Parce qu’il est à part. Spielberg, c’est un peu comme Bowie en musique, il a touché à plein de genres, et dans plein de genres, il a laissé des œuvres marquantes et à succès.

« Lincoln » donc. Dont la vie et l’œuvre politique ont modifié à jamais les Etats-Unis et qui continue, au moment où le film est mis en chantier, près de cent cinquante ans après sa mort, à être une source inépuisable de publications, historiques pour la plupart, tout ce qu’il y a de plus sérieuses. Lincoln a beaucoup écrit, ses proches aussi, et il y a matière à détailler et affiner ce que l’on sait de lui. Spielberg va éviter l’exercice casse-gueule de la fresque biographique. Après la lecture d’un bouquin, « Team of rivals » de l’historienne Doris Kearns Goodwin, Spielberg décide que son film sera centré sur les derniers mois de la vie de Lincoln, soit la fin de 1864 qui commence à voir le déclin militaire des confédérés (en un seul mot), le tournant du 31 Janvier 1865 (vote du XIIIème amendement), et sa mort en Avril 1865. Le seul écart à cette chronologie sera la dernière scène, un flashback sur le discours d’investiture de Lincoln à l’occasion de son second mandat en Mars 1865.

M et Mme Lincoln

Spielberg a un bouquin sérieux comme point de départ. Anecdote. Spielberg, en galant homme, a souvent convié la Goodwin sur le plateau (elle avait un vague titre de consultante). Il faut voir cette intellectuelle, la soixantaine bien tassée, s’extasier comme une enfant devant les décors, les costumes, les dialogues, recréant à la perfection un pan d’Histoire de son pays. L’adaptation du bouquin en scénario sera l’œuvre de Tony Kushner, partenaire de Spielberg sur « Munich », qu’on retrouvera également sur « West Side Story » et « The Fabelmans ».

Ironie (volontaire) du sort, « Lincoln » sera en tourné en Virginie (l’Etat confédéré où ont eu les lieu les combats les plus violents de la Guerre de Sécession), et la Maison Blanche sera recrée à Richmond (la capitale de la Confédération), non par provocation, mais car le Palais du Président dissident sudiste avait été construit comme une quasi réplique de la Maison Blanche, y’avait juste les colonnes d’entrée à rajouter.

« Lincoln » commence comme « Il faut sauver le soldat Ryan ». Par une scène de guerre, une bataille dans un marais entre des Sudistes et un détachement de l’Union (les Nordistes) composé uniquement de Noirs. Là, dans la gadoue, ça finit au corps-à-corps et on s’achève à l’arme blanche. Le parallèle entre les séquences introductives des deux films n’est sûrement pas dû au hasard, mais la baston apocalyptique de « … Ryan » devient ici beaucoup plus soft (pas de sang qui gicle sur l’objectif, pas de sang tout court d’ailleurs). Non pas que Spielberg ne soit pas capable de récréer une boucherie militaire, mais dans « Lincoln » ce n’est pas le propos. Il y a la guerre, c’est tout sauf glamour, il faut situer, mais « Lincoln » n’est pas un film-spectacle ou spectaculaire.

« Lincoln » est un film de dialogues et d’acteurs.


Et là, il est temps de parler de Daniel Day-Lewis qui joue Lincoln. Rectification, Daniel Day-Lewis ne joue pas Lincoln, il est Lincoln. Mais vraiment. Comme à son habitude, il s’est extrêmement documenté, fouinant dans les bibliothèques universitaires, lisant quantité de discours de Lincoln, scrutant ses photos, … pour au final opérer sa mue en Président des USA des années 1860 (on peut dire des 60’s, ça marche pour tous les siècles ?). Les anecdotes, certaines ni confirmées ni infirmées, sont légion concernant Day-Lewis sur le tournage. Il aurait banni à titre perso tout moyen de communication qui ne soit pas d’époque (no phone, no internet, …), communiquait volontiers par écrit sur le papier à en-tête de la Maison Blanche utilisé dans le film, exigeait que tout le monde sur le plateau (Spielberg compris) l’appelle uniquement « Président » ou « Monsieur le Président », … ça peut évidemment paraître too much, voire stupide, mais c’est en opérant à peu près de la sorte sur chaque film, qu’on devient (à mon avis) le meilleur acteur de sa génération et aussi de toutes celles d’avant … Daniel Day-Lewis porte le film à bout de bras. Parce que « Lincoln » n’est pas « facile ». Tourné en lumière « d’époque », c’est-à-dire avec des intérieurs sombres ou dans la pénombre, des costumes qui ont peu à voir avec ceux de la tournée d’adieux (qui a dit enfin ?) de Kiss, et des acteurs-personnages qui s’ils furent les héros de leur temps, ne se conduisent pas exactement comme les Avengers …

« Lincoln » est fascinant parce qu’il nous montre que rien n’arrive par hasard. Lincoln (l’homme) n’est pas un chanceux qui a eu les bonnes idées au bon endroit au bon moment. Lincoln a mûri ses projets, ses visions et s’est donné les moyens de les mener à terme. Il n’a pas subi ou profité des circonstances, il a écrit de façon méthodique l’Histoire. « Lincoln » est un film politique, qui montre et dissèque les arcanes du pouvoir, les visions et les convictions des uns et des autres. Et au milieu, en précurseur des Churchill ou Mitterrand à venir, celui qui d’en haut tire les ficelles. Passionnant de voir le trio d’hommes de l’ombre qui vont « chercher » les votes par le chantage, l’intimidation, la corruption … Passionnant de voir Lincoln lui-même mettre les mains dans le cambouis (sa visite nocturne à un sénateur), chercher à convaincre des proches parfois réticents par la démonstration méthodique ou par la force (« je suis le Président des Etats-Unis, j’ai des pouvoirs immenses et je vais les utiliser »).

Malgré sa complexité, ses multitudes d’enjeux et de personnages secondaires, le récit reste fluide. Ben oui, c’est Spielberg, qui évite l’écueil de mettre en images une thèse d’histoire, qui fait un film, qui alterne des scènes fortes (celle, somptueuse, de Lincoln à cheval traversant lentement un champ de bataille jonché de cadavres dans un brouillard bleuté, est une des plus belles qu’il ait jamais tournées), avec des passages plus légers (quasiment toutes celles avec ses trois truculents hommes à tout faire). Spielberg qui choisit également de mettre en avant le cercle familial de Lincoln, les relations parfois compliquées avec sa femme (jouée par Sally Field), son fils (Joseph Gordon-Lewitt), ses soutiens politiques (Thaddeus Stevens, là aussi gros travail d’acteur de Tommy Lee Jones), ses moments de décompression (il raconte des histoires drôles quand les évènements ne le sont pas, comme Louis XVI il bricole des horloges). Lincoln n’a pas été qu’un visionnaire politique, c’est par la force des choses un chef de guerre, appliquant les théories de Clausewitz (« la guerre n’est que le prolongement de la politique par d’autres moyens »). Et par-dessus tout, Lincoln ne quitte jamais son but : rajouter à la Constitution un XIIIème amendement, celui qui abolit l’esclavage. Avec l’aide de son chef militaire, Ulysses Grant (qui deviendra Président quelques années plus tard), il profite de son avantage sur le terrain pour retarder au maximum les négociations de paix avec un Sud exsangue, et faire voter son amendement sachant que celui-ci serait forcément une monnaie d’échange si une fin de guerre était discutée. En quelque semaines, Lincoln réussit un échec et mat sur les plans militaire et institutionnel … fin de la leçon d’histoire …


Mais tout ça pour dire qu’il faut du talent derrière et devant la caméra pour pas endormir le spectateur. Spielberg n’utilise aucune des grosses ficelles qui lui tendaient les bras. Juste une séquence émotion lors du vote au Sénat. Plus fort, et véritable coup de génie, l’assassinat de Lincoln n’est pas montré (juste une annonce et le regard hagard de son plus jeune fils), on voit juste son cadavre sur un lit, éclairé et avec une disposition des personnages qui rappelle les tableaux ou les sculptures de Pietà de la Renaissance (ou la pochette du « Closer » de Joy Division).

Perso, la scène qui m’a le plus marqué, elle est pas dans le film, mais dans les bonus du Blu-ray. Après la première scène de bataille dans la gadoue nécessitant quelques dizaines de figurants, on voit Spielberg qui serre la main et dit un petit mot à tous ces obscurs qui passent devant lui façon procession et sans qui les films ne pourraient pas se faire.

Une anecdote racontée par Spielberg. Une fois la dernière scène tournée, il a tenu à aller voir et féliciter son acteur principal pour sa performance hors-norme et son immersion totale pendant des semaines dans son personnage. A sa grande stupéfaction il n’a pas vu Lincoln, mais Daniel Day-Lewis qui avait retrouvé son accent irlandais et ses manières de gentleman britannique, qui était redevenu « normal » en l’espace de quelques minutes. Cette rencontre et cette métamorphose en quelques minutes l’a encore plus soufflé que sa performance dans le film …

Conclusion : quand le plus grand cinéaste de son temps rencontre le plus grand acteur de son temps, ça peut pas être mauvais …

Conclusion-bis : les réacs et rétrogrades, ceux qui voyaient l’avenir en regardant dans le rétroviseur étaient Sudistes et Démocrates. Lincoln était Républicain. Quand on voit que les Républicains d’aujourd’hui mettent en avant un clown pathétique à perruque orange, on se dit que les choses ont bien changé au pays de l’Oncle Sam …


Du même sur ce blog :


LUCHINO VISCONTI - LE GUEPARD (1963)

 

Pour qui sonne le glas ? ...

… Pour quelque miséreux, à qui le prêtre et un petit sacristain viennent d’apporter l’extrême onction. Le Prince Salina s’agenouille, se signe, et reprend son chemin vers son château, après une nuit passée dans une fastueuse réception … Et ce glas, c’est pas seulement pour un péquenot du village qu’il sonne, il annonce aussi la fin d’un certain monde, celui de Salina …

Cardinale, Visconti & Delon

« Le Guépard », c’est la masterpiece de Visconti, et le Luchino, c’est peut-être bien le meilleur cinéaste italien (désolé Fellini, Antonioni, De Sica, et il reste encore du boulot à Sorrentino s’il veut lui piquer la place) et « Le Guépard », c’est sa superproduction et par bien des points son film autobiographique …

D’ailleurs beaucoup de gens lui disaient qu’en plus de réaliser, il devait prendre le rôle principal. Finalement, après l’échec des pistes Brando et Laurence Olivier, c’est un Américain pur jus, qui n’a jamais tourné avec un « étranger » qui sera choisi. Choix a priori étrange que celui de Burt Lancaster pour incarner un prince sicilien, lui qui ne parle qu’anglais et qui paraît-il ignorait jusqu’à ce qu’ils se rencontrent (à New York), l’existence même de Visconti …

« Le Guépard », c’est d’abord un bouquin, le seul du Prince de Lampedusa, paru en 1958. Pour la petite histoire, « Le Guépard » est, c’est le moins que l’on puisse dire, largement inspiré par le roman de Federico de Roberto, « Les Princes de Francalanza ». Les deux romans situent l’action à partir de 1860 en Sicile, et les principaux protagonistes font partie de l’aristocratie sur le déclin de l’île … Ce déclin des aristos siciliens, fervents soutiens d’une monarchie qui va être balayée par les Républicains (en gros Garibaldi le militaire qui débarque une petite armée insurrectionnelle en 1860 en Sicile, et Cavour le politique sur le continent, bien que les deux hommes se détestent).

La famille Salina

Les éléments historiques sont présents dans « Le Guépard ». Dans une des premières scènes, Tancrède (Alain Delon), neveu du Prince Salina (Burt Lancaster donc), annonce au patriarche de la famille qu’il va aller rejoindre les troupes de Garibaldi qui marchent sur Palerme. Déjà se mettent en place les deux personnages principaux, le vieil aristo lucide qui sent confusément que des siècles d’histoire vont être balayés et son neveu qui entend se faire une place dans ce monde nouveau plus par opportunisme que pour une conversion aux valeurs républicaines. Ce qui vaudra cette réplique d’anthologie de Tancrède : « Si nous voulons que tout reste pareil, il faut que nous changions tout ».

Le scénario du « Guépard » aurait pu donner un film intimiste, genre théâtre filmé. Sauf que Visconti est vénéré en Italie et il entend faire de son film quelque chose de marquant. « Le Guépard » sera le plus gros budget jamais engagé par une production italienne (la colossale somme pour l’époque de trois milliards de lires) et va aller jouer dans la même cour que les superproductions américaines. La version intégrale du film dépasse les trois heures, celles distribuées par Pathé pour la France (Palme d’Or à Cannes) et la Fox pour le reste du monde la raccourcissent d’à peu près un quart d’heure. Les dernières éditions Dvd et Blu-ray proposent la version intégrale, dont notamment une belle scène entre le régisseur / garde-chasse (excellent Serge Reggiani) et le prince Salina. Ces scènes « supplémentaires » n’ont jamais été doublées et sont donc en V.O. sous-titrée, on les reconnaît facilement …

La bataille de Palerme

Alors oui, « Le Guépard » est une superproduction avec son budget « no limit ». Esthétiquement et par certaines scènes-clés, la comparaison qui me semble la plus évidente est avec « Autant en emporte le vent ». Le chaos de la bataille de Palerme à grands coups d’effets pyrotechniques en tout genre, évoque les scènes de la bataille d’Atlanta, notamment le fuite de Rhett et Scarlett dans la ville en flammes, et les deux films comportent chacun une homérique (par la durée, les décors, les costumes, le grand nombre de figurants) scène de bal.

Bon, je vais vous donner mon avis, ferme, définitif, etc … « le Guépard » est trop long, à cause justement de cette scène de bal qui n’apporte plus grand-chose à l’intrigue, et est en grande partie là comme une démonstration virtuose pour en foutre plein les mirettes du spectateur. L’histoire est déjà finie à ce moment-là, les protagonistes principaux sont tous arrivés où leur destin les a conduits. Il n’en demeure pas moins que « Le Guépard » est une réussite magistrale.

Parce qu’il y a de grands acteurs. Lancaster surprend, lui qui était plutôt cantonné au rôle de bon soldat américain, forcément américain (« Tant qu’il y aura des hommes » était jusque-là sa prestation la plus aboutie). Il est ici ce patriarche écrasé par des siècles de prééminence qui comprend que le monde change et que cette Italie en train de naître n’a pas besoin de gens comme lui (superbe scène avec l’émissaire du gouvernement qui lui propose un poste de sénateur, et qui donne lieu à une fulgurante réplique de Salina « Nous étions les guépards, ceux qui nous remplaceront seront les chacals »). Il a compris que malgré les honneurs que les villageois lui rendent encore (autre superbe scène lorsque le cortège familial qui fuit en calèches Palerme en insurrection pour son château à la campagne, est accueilli en grandes pompes avec fanfare et messe immédiatement célébrée en leur honneur à laquelle ils assistent tout poussiéreux du voyage dans leurs immenses sièges réservés), son mode est en train de s’écrouler.

L’inexorable déclin de l’aristocratie sicilienne va de pair avec celui des ecclésiastiques, montré à travers la figure drolatique du prêtre de la famille, forcé de s’adapter aux bouleversements politiques et moraux de l’époque. Le contexte historique est bien saisi, avec les arrivistes, les profiteurs de révolution qui prennent à toute berzingue ce que l’on n’appelait pas encore l’ascenseur social (Tancrède bien sûr, qui passe aisément de républicain à royaliste « libéral », mais aussi le maire du patelin, autre personnage comique, paysan mal dégrossi qui devient immensément puissant et riche).

Mais « Le Guépard » n’est pas seulement politique ou social. Il y aussi une love story qui occupe une grande part du film. Celle entre Tancrède (Delon a-t-il été plus beau, mieux mis en valeur que dans ce film ?) et Angelica, la fille du maire parvenu. Angelica, c’est Claudia Cardinale (elle a déjà tourné avec lui sous la direction de Visconti dans « Rocco et ses frères »). Son apparition (au bout de pile une heure de film, Visconti sait nous faire attendre) fait partie de ces visions qui se doivent de provoquer d’étranges sensations chez tout mâle normalement constitué (même si avec cinq ans de plus et quelques kilos en moins elle sera encore plus belle dans « Il était une fois dans l’Ouest »). Va donc se mettre en place une parade amoureuse au détriment de l’ancienne promise, l’effacée Concetta, une des filles de Salina (un personnage effacé, proche de celui qu’interprétait Olivia de Havilland dans, comme par hasard, « Autant en emporte le vent »).

Cardinale & Lancaster

Comme déjà dit quelque part plus haut, il y a beaucoup du Guépard chez Visconti. Il est descendant d’une illustrissime famille noble, très riche de naissance, et très respecté. C’est lui, l’aristo qui a placé le premier le cinéma italien sur la carte du monde avec « Ossessione » (« Les amants diaboliques » en français), relecture noire et fauchée de « Le facteur sonne toujours deux fois », inventant de toutes pièces dans une Italie qui commençait à être malmenée militairement (le film est sorti en 1942) un genre de cinéma fait avec des bouts de ficelle qu’on appellera le néo-réalisme. C’est Visconti qui a ouvert la porte dans laquelle allaient s’engouffrer Rossellini et De Sica. Le temps et la reconnaissance aidant, même si Visconti n’est pas un stakhanoviste des tournages (moins de quinze films en plus de trente ans), c’est lui qui le premier, inconsciemment sûrement, jettera les bases d’un cinéma européen, allant chercher capitaux et acteurs hors de l’Italie. A ce propos, il faut voir un Delon humble (pas fréquent tant le type a le melon) en 2003 ne pas tarir d’éloges sur celui qui a le plus contribué à en faire une star …

« Le Guépard » aurait dû avoir une suite. C’était pas difficile à envisager, parce qu’elle existait dans le livre de Lampedusa, la dernière partie du bouquin étant située trente ans après ce qui nous est montré dans le film. Visconti, quoique très handicapé (des AVC à répétition l’avaient condamné au fauteuil roulant) était partant, Burt Lancaster (même le Prince Salina était mort dans la suite du bouquin) aussi, et Delon aussi. C’est Claudia Cardinale qui en refusant le scénario a entrainé l’abandon du projet …

De l’avis de tous les intervenants, Visconti était extrêmement exigeant avec son casting, mais aussi toute son équipe. Le tournage de la scène dite du bal (en fait une réception avec un bal) a duré un mois, toujours de nuit, et en lumière naturelle, au grand dam des producteurs qui se faisaient livrer tous les deux-trois jours des semi-remorques plein de chandelles pour éclairer un espace immense …

La bande-son et notamment le thème principal, sont de Nino Rota. Même si c’est considéré comme un des soundtracks légendaires du cinéma, c’est assez surchargé et pas à mon sens ce que Nino Rota a fait de mieux …

Voilà, si vous avez trois heures six minutes de disponibles, vous savez ce qu’il vous reste à faire : revoir « Le Guépard ». Parce que venez pas me dire que vous l’avez jamais vu …