INGMAR BERGMAN- FANNY ET ALEXANDRE (1982)

 

Clap de fin ...

« Fanny et Alexandre », promis juré, c’était le dernier film de Bergman. Comme n’importe quelle tournée des Stones ou d’Eddy Mitchell depuis trente ans est censée être la dernière … Mais le Maître suédois a lui à peu près tenu parole. Un court-métrage, le montage du making-of de « Fanny et Alexandre », un téléfilm (« Saraband ») qui finira par sortir au cinéma, suivront « Fanny et Alexandre ».

« Fanny et Alexandre » au départ, c’est aussi un téléfilm. D’à peine un peu plus de cinq heures. La version exploitée en salles fait deux heures de moins. Soit trois plombes. Ce qui est beaucoup. Et surtout pour Bergman. « Fanny et Alexandre » conte l’histoire d’une famille pendant quelques mois. Rappelons que « Les fraises sauvages » contait la vie entière d’un octogénaire en une heure et demie.

Bergman & Nykvist

« Fanny et Alexandre », c’est le péplum revisité par Bergman. C’est aussi le film, puisque annoncé comme son dernier, qui devait servir de résumé à sa carrière et exploiter des thèmes qu’il n’avait pas encore développés. Péplum parce qu’il y a des chiffres vertigineux (pour un film suédois s’entend). Plus gros budget jamais réuni pour une production locale, une soixantaine de rôles avec au moins une réplique, plus de mille figurants utilisés, sept mois de tournage (jusqu’alors, Bergman tournait ses films en 6-7 semaines).

On peut lire partout que « Fanny et Alexandre » est un film autobiographique. Même Bergman l’a dit. En apportant quelques nuances. Oui, Alexandre, c’est Bergman pré-ado (une douzaine d’années). Oui, certaines scènes ont été vécues par Bergman. Sauf qu’en grand-maître des émois intérieurs, c’est son état d’esprit qui est recréé par le jeune acteur à un moment donné, les événements y conduisant n’étant pas forcément autobiographiques.

Deux exemples. Au début du film, on fête le Noël 1907. Bergman est né en 1918, il y a donc un différentiel de plus de vingt ans entre les deux époques où Bergman et Alexandre avaient une douzaine d’années. Le père de Bergman était un pasteur très sévère, pour ne pas dire tortionnaire vis-à-vis de ses trois enfants. Ici, le pasteur n’est que le beau-père d’Alexandre et on a beau tourner son personnage, certes belle tête à claques, dans tous les sens, on n’arrive pas vraiment à savoir ce qu’il ressent pour son beau-fils.

Alexandre et Fanny

Beaucoup considèrent que « Fanny et Alexandre » c’est l’apothéose de Bergman. Pas moi. « Fanny et Alexandre » est décousu, Bergman part dans tous les sens, oublie parfois son histoire principale, se perd dans des histoires et des personnage secondaires, et le recours au surnaturel offre bien trop souvent des portes de sortie faciles quand le Maître s’égare dans ses digressions.

Le seul qui perd pas ses repères, c’est Sven Nykvist, son directeur photo attitré (quatorze films ensemble). C’est lui qui tient la caméra et visuellement, oui, « Fanny et Alexandre » est certainement le meilleur Bergman, il y a des plans, des scènes entières époustouflants de beauté, de fluidité. Pendant que Bergman se tient au plus près de ses acteurs, toujours à la limite du cadre, Nykvist accumule les prouesses, au milieu de décors et de costumes somptueux (logiquement, la direction artistique et les costumes auront une statuette).

L’histoire autour de laquelle s’articulent toutes les autres, c’est celle de la famille Ekdahl. Il y a la grand-mère, ancienne gloire locale (le film se situe à Uppsala) de théâtre, ses trois fils, un prof marié à une Allemande qu’il déteste, un coureur de jupons frénétique (il pioche ses conquêtes parmi les employées de maison, avec la bénédiction de sa femme), et celui qui a repris le théâtre familial (Oscar, piètre acteur), aidé par sa femme (Emelie, bonne actrice). On les voit tous réunis (ils habitent à des étages différents dans la même très grande bâtisse cossue familiale) pour fêter Noel 1907. Des signes d’essoufflement d’Oscar préfigurent la crise cardiaque qui va bientôt l’emporter, laissant Emelie passer sous la coupe d’un évêque spartiate, et ses deux enfants, Fanny (la plus jeune) et Alexandre en proie à leurs solitudes et leurs imaginations. Quand leur mère épousera l’évêque (luthérien, il a le droit de convoler), les deux enfants suivront les mariés dans ses appartements austères de l’évêché, au milieu d’une belle-famille rigide et de leurs domestiques guère plus accommodants. Alexandre entrera le premier en résistance (et en conflit) avec son beau-père. Et Fanny ? Même si elle partage le titre du film, elle n’a que deux ou trois répliques (ça se comprend, elle n’a que sept ou huit ans), se contentant de suivre son frère dans ses « aventures ».

Le film est divisé en deux parties, le téléfilm en cinq, aux intitulés explicites (Un Noel chez les Ekdahl, Le Spectre, La rupture, Les événements de l’été, Les démons). Parce que l’histoire, classique pendant à peu près une heure, bascule par la suite vers « autre chose ». Le père mort revient « guider » son fils, « discuter » avec la grand-mère, de lourds secrets semblent entourer l’évêque, les enfants lui sont soustraits (scène absurde, digne des gags de Scapin chez Molière), par Jacob, un théologien Juif ami-amant de la grand-mère, qui vit dans un musée de marionnettes pas si inanimées que ça, avec ses deux neveux (l’un magicien, l’autre doté de dangereux pouvoirs paranormaux et tenu – en principe, mais Alexandre ira le voir - sous clef). Tout ça se terminant (enfin, il reste une demi-heure de film) par des auto-combustions (?) de l’évêque et de sa sœur impotente. Le tout entrecoupé des « aventures » du reste de la famille.

L'évêque ( Jan Malmsjö) et Emelie (Ewa Frolling)

Le rôle principal (Emelie) est tenu par une actrice (blonde, évidemment) venue du théâtre (Ewa Frolling), comme d’ailleurs une grande partie de la distribution. A laquelle se rajoutent quelques « historiques » de Bergman (Jarl Kulle, Erland Josephson pour des rôles majeurs, et Harriet Andersson pour un petit second rôle). Pour moi, celle qui s’en sort le mieux est l’actrice de théâtre Gunn Wallgren (la grand-mère), et ce bien que très diminuée par un cancer qui l’emportera l’année suivante.

« Fanny et Alexandre », perso, il me laisse une impression mitigée. Côté positif, c’est visuellement magnifique, toutes les thématiques chères à Bergman sont là (les relations familiales, la mort, la religion). Coté négatif, un manque évident de scénario avec notamment un point crucial « oublié » : comment cette veuve, femme forte et déterminée tombe sous le charme de cet évêque psychorigide et sous la coupe de sa famille bien tarée (avant elle aussi de se rebeller). A voir le film, on pourrait supposer que des éléments majeurs se trouvent dans la version pour la télévision. Ben que nenni …

Erland Josephson & Gunn Walgren

« Fanny et Alexandre » a été des années introuvable en France sur un support avec langue française. C’est la Gaumont, distributrice du film lors de sa sortie, qui a fait le boulot, réunissant dans un même package (5 DVDs quand même), le film, la version télé, le making-of supervisé par Bergman et autres bonus. Les deux heures supplémentaires n’apportent rien de compréhensible à la version de trois heures, certaines très longues scènes – dispensables pour la très grande majorité – sont là pour mettre en valeur quelques amis de Bergman (nombreuses scènes au théâtre, très long face-à-face à la limite de l’absurde entre les deux beaux-frères d’Emelie et l’évêque, …).

« Fanny et Alexandre » a été le plus gros succès commercial de Bergman, même si succès commercial et Bergman n’ont jamais bien rimé. Pour moi, c’est loin d’être son meilleur. Au mieux son testament artistique. Et les testaments, c’est bon pour les notaires, moins pour les (télé)spectateurs …



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