Gus Van Sant, c’est un type dont les films ne
laissent pas indifférent, et ça, c’est un sacré bon point. Il arrive à faire de
personnages quelconques des héros, et de faits divers des épopées. Sans tomber
dans la grandiloquence. Il a sorti plus souvent qu’à son tour des trucs
marquants, appréciés par la critique et le public (« Drugstore cowboy »,
« My own private Idaho », « Will Hunting », « Elephant »,
« Harvey Milk »), d’autres choses moins réussies (le reste de sa
filmo). Et entre les deux, ce « Last days » très clivant.
Chef-d’œuvre noir pour les uns, navet soporifique
pour les autres … Pour moi, « Last days » n’est pas un ratage total,
c’est juste un film très chiant.
Par la forme. Informe. Couleurs pisseuses, lenteur,
caméra parfois sur l’épaule, scénario improvisé. Le type qui a les moyens et qui
s’essaye au film d’auteur débutant. Un film terminé en quatre semaines montage
compris, avec des scènes et des dialogues souvent improvisés. Désolé, mais toute cette approximation
technique et d’écriture, ça sonne vite faux, fait exprès.
Van Sant & Pitt |
Par le fond. Qui est touché. Ou comment faire un
biopic imaginaire qui se veut réel. « Last days », c’est la fin en
sucette de la vie de Kurt Cobain vue par Van Sant. Mais comme Van Sant n’est
pas con et que de toute façons il doit avoir de bons avocats, il a fait gaffe,
a biaisé, fait rentrer les petites histoires sans intérêt dans une dont il l’a
avoué plus tard, il ignorait (comme tout le monde d’ailleurs) presque tout. Il est
assez pathétique de voir s’inscrire au générique cette phrase : « Bien
que ce film soit inspiré des derniers jours de Kurt Cobain, il s’agit d’une œuvre
de fiction ». Oh mec, t’as eu peur des procédures de Courtney ? Plutôt
que de donner ta version des « faits », tu pratiques l’ellipse, le
démarquage onirique. Mais en multipliant les allusions crève-l’œil.
Ton acteur principal (Michael Pitt, à temps perdu
indie-rocker de quatrième zone, et qui en profite pour caser ses compositions
blettes dans la BO), il est coiffé comme Cobain, pas rasé depuis trois
semaines, porte des fringues informes, des lunettes de soleil en plastoc, raide
def la plupart du temps, s’habille parfois en femme, joue avec des flingues, écrit
dans des carnets d’écolier, et traîne comme un boulet son incompréhension du
monde dans lequel il vit. Ce qui fait quand même beaucoup de points communs
avec le Seatlle boy. Manque juste le fauteuil d’infirme dans lequel il s’est
pointé au festival de Reading pour réunir tous les clichés sur lui.
On dirait quand même ... Non ? |
Mais les clichés, Van Sant les multiplie comme un
footeux les erreurs de syntaxe et de grammaire dans une interview. Mettant en
scène des amateurs complets (le publicitaire des Pages Jaunes, c’est vraiment
son boulot dans la vraie vie, les deux frangins cathos pentecôtistes ou un truc
du genre avaient seulement quelques prestations de théâtre amateur auparavant),
battant le rappel de gens censés à plus ou moins juste titre être « rock’n’roll ».
Comme Lukas Haas, qui comme Pitt fait à temps perdu de l’indie-rock bancal,
Asia Argento qui en bonne fille destroy de son destroy de père fait admirer
ses ma foi fort jolies fesses. Ou encore Kim Gordon, la bassiste de Sonic Youth
(son mec Thurston Moore « supervise » la musique), le groupe qui a
repéré Nirvana quand Cobain et ses potes faisaient du bruit blanc chez Sub Pop et
leur a obtenu la signature chez Geffen, la major qui publiera « Nevermind »…
« Last days », c’est le film des
borborygmes, des gémissements parce que le manque de dope se profile, du repli
sur soi névrotique, des gens qui se côtoient (la plupart des protagonistes
vivent en tas un manoir délabré en pleine cambrousse) sans se voir ou se parler,
engoncés dans leurs mutismes opiacés… Même les personnages « extérieurs »
ont l’air d’avoir les neurones baisés, leur monde à eux est rendu par Van Sant « comique »
avec des sortes de saynètes plutôt incongrues (les Pages jaunes, les frangins
prêcheurs, le détective et ses histoires tordues de magiciens, les parasites qui
veulent se faire refiler une chanson par Kurt – pardon Blake, puisque c’est
comme ça qu’il s’appelle dans le film –, ou les dealers chelous). Enfin, cerise
sur le fix d’héro, il y a dans « Last days » une paire de scènes
comment dire, allégoriques, qui perso me font gratter l’occiput. Le clip MTV
des Boyz II Men (boys-band de soupe r’n’b) que mate sans le voir Blake, et cette enveloppe
charnelle (lui à poil) qui se détache de son cadavre dans l’abri de jardin. De la
symbolique de collégien, comme si Van Sant avait des flashbacks du tournage de « Elephant »
sur le carnage du lycée de Columbine.
Non, non, c'est pas Courtney Love ... |
Qu’est-ce qui reste de positif là-dedans selon moi ?
Ben, malgré son aspect totalement bancal, ce film est homogène. Chiant mais
homogène. Il met le doigt sur l’envers du décor du monde merveilleux des stars
du rock, pressés comme des citrons, sollicités de toutes parts par toutes les
formes d’hypocrites parasites qui ne sont là que pour la thune (le final, édifiant, qui voit les « potes » de Blake se casser au plus vite du manoir pour
éviter les questions des flics, surtout ceux des Stups). Et Van Sant préfère
les images sans chichis de ses personnages rétamés plutôt que les sempiternels
et pénibles effets de kaléidoscope ou d’objectif fish-eye que tout le monde
emploie dès qu’il s’agit de montrer l’univers des camés. Et pour qui s’intéresse
un peu au rock, outre les brailleries dispensables de Pitt qui s’imagine nous
faire croire que ses compos pénibles sont des inédits de « In Utero »,
on a droit, mixé très en avant dans la bande-son, à deux passages de « Venus
in furs », du Velvet Underground, premier groupe à avoir mis en paroles et
musique toute la face sombre, noire, glauque et perverse du rock. Comme quoi
Van Sant (ou le couple de Sonic Youth) connaissent leur sujet, savent de quoi
il est question quand le présent et l’avenir ne sont qu’un trou noir sans fond…
En fait, si on ne voyait pas Cobain partout dans ce
film où il n’est pas censé être, « Last days » serait un exercice de
style assez réussi, un petit frère fauché de « The Wall » d’Alan
Parker sur la déchéance de ces stars adulées et solitaires du rock…
Un film à réserver … à qui en fait ? je me
demande… En tout cas pas selon moi la meilleure façon d’aborder l’œuvre de Van
Sant…
Vu y'a longtemps, à la télé. Assez d'accord avec toi. J'ai le souvenir d'un film confus, chiant parfois. Mais avec aussi des scènes réussies, sur la solitude, l'ennui, la dépendance, et au final, comme tu le dis, un film qui parlait bien du Rock'n'Roll, dans ce qu'il a de moins visible et de festif, l'arrière cour... J'avais été décontenancé aussi de voir un Kurt Cobain, qui n'en était pas vraiment un... Je pense que la production s'est protégée pour éviter des procès, mais je crois que de la part de l'auteur, de Van Sant, il ne s'agissait que d'une évocation. Je me sers de Cobain, mais moins pour parler de lui, que de tous les autres. Cobain comme filtre, fédérateur... C'est gonflé, et cela a dû troubler les spectateurs. C'est pour cela que le film déçoit, au début, et puis au bout d'une heure, on comprend que le sujet n'est pas Kurt Cobain, et on peut commencer à regarder le film autrement. Sauf qu'il est déjà un peu tard...
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