EDDIE COCHRAN - SOMETHIN' ELSE THE FINE LOOKIN' HITS OF EDDIE COCHRAN (1998)

Cette compilation-là, elle est terrible ...
Et c’est pas Jojo H. ou Eddy M. qui me contrediront. Eux qui ont repris (et adapté) « Somethin’ Else » de Cochran.
Eddie Cochran … Un des mythiques crucifiés du rock. Mort à vingt deux ans en Angleterre, la faute à un chauffeur de taxi qui se prenait pour Lewis Hamilton. Gene Vincent, autre passager de ce corbillard improvisé, s’en sortira vivant, mais c’est pas ce carton qui rétablira sa patte folle, ni relancera sa carrière … Comme je vois les fans de Calogero perplexes, et qui se demandent ce que Cochran foutait en Angleterre, je vous explique le truc.
Aujourd’hui, Cochran fait partie des noms qui reviennent systématiquement dès qu’on se met à causer pionniers du rock’n’roll. Pas forcément le premier cité, plutôt après les Elvis Presley, Jerry Lee Lewis, Little Richard, et autres Chuck Berry. Et ce bien qu’en termes strictement mercantiles, sa carrière n’ait rien à voir… seulement huit titres classés dans les charts US (et guère mieux chez les British), et dans le lot, un seul Top 10 (« Summertime Blues »). En clair, Cochran ramait dans son pays. Et son management l’avait envoyé en Europe malgré sa frousse de l’avion explorer de nouveaux territoires et se chercher un nouveau public. Cochran était beaucoup moins connu de son vivant qu’une fois refroidi … Injustice ? Faut voir …
Ecce Homo ...

Bon, attention, je vais pas refaire l’Histoire ou une contorsion révisionniste. Cochran était différent de la plupart de ses contemporains-concurrents. Il chantait (certes comme tous les autres), jouait de la guitare (plutôt bien et généralement sur une Gretsch), composait lui-même nombre de ses titres. Tiens, déjà à ce stade, ne reste plus en course que Chuck Berry. Et Cochran se mêlait du travail sur le son en studio. Et là, y’a plus personne en face …
Cochran fut un précurseur, un des premiers, sinon le premier à vouloir tout gérer de sa production musicale.
Et là on en revient à cette compile. Vingt titres dans un ordre chronologique, quarante minutes, tous les incontournables, avec son très correct. Un début de carrière à dix neuf ans dans le duo des Cochran Brothers (avec un homonyme, Hank Cochran, qui n’avait aucun lien de parenté avec lui). Un premier single (chez Ekko, le reste de ses productions sortiront en très grosse majorité chez Liberty), « Tired & sleepy », proto-rockabilly assez mal foutu, sans aucun succès. La suite en solo, avec l’aide de son manager et co-auteur (pour de vrai, pas seulement pour empocher sans rien faire des royalties) Jerry Capehart, débute par le titre « Skinny Jim », batterie très en avant pour l’époque, et nouveau flop. Bifurcation dès lors vers les reprises. « Long tall Sally » de Petit Richard. Mauvaise idée, on ne se frotte pas impunément à son répertoire si l’on n’a pas un gosier en acier et Cochran, bien que bon chanteur, n’est pas au niveau (de toutes façons, il n’y a que trois personnes au monde capables de reprendre Little Richard sans se couvrir de ridicule, Wanda Jackson, John Fogerty et Paul McCartney). La reprise suivante « Sittin’ in the balcony » (J.D. Loudermilk) tourne le dos au rock’n’roll pour s’engager en territoire doo-wop. Bingo, les charts frémissent comme on dit. Rebelote doo-wop avec « Drive-in show », pourtant meilleure mais qui se vautre …
Période section de cuivres ...
Et puis, alors que Cochran semble se diriger vers les poubelles de l’Histoire, un de ses titres (« Twenty flight rock ») est choisi pour figurer dans la B.O. de « La blonde et moi » (« The girl can’t help it » en V.O. »), nanar désolant mettant en scène ou en musique toute la faune du rock’n’roll de l’époque, et gros succès cinématographique. Et là, plein de gens qui vont devenir le futur du rock flashent sur ce titre. Dont McCartney et les Stones qui le reprendront des lustres plus tard en public … « Twenty flight rock » est l’arcfhétype du rock rageur, brutal et syncopé. Pas plus con qu’un autre, Cochran surfe sur ce petit buzz et va exploiter le filon, engendrant une suite de classiques.
« Jeanie Jeanie Jeanie » rockab énervé figurera en bonne place vingt ans plus tard sur le premier Stray Cats. Le duo de singles successifs « Summertime blues » et « C’mon everybody » font aujourd’hui partie du patrimoine mondial du binaire. Le premier est l’antithèse de ce qui fera le fonds de commerce des Beach Boys, l’histoire de ce mec qui malgré le soleil, les plages et les filles qui rodent, finira la journée seul. Son thème et sa violence rythmique ne laisseront pas les Who live at Leeds indifférents, et Pete Townsend se souviendra pour « Who’s next » qu’à l’instar de « C’mon everybody », on peut sortir des riffs qui déchirent leur race à la guitare acoustique …
Avec ces deux titres, Eddie Cochran se fait un (petit) nom. Il ne résistera pas à la tentation d’exploiter le filon. « Nervous breakdown » est un pâle ersatz de « Summertime blues », mais Cochran voit plus loin, plus ambitieux, plus élaboré. Il rêve en studio d’orchestrations plus fouillées, plus travaillées. Les cuivres arrivent dès « My way » (rien à voir avec the Cloclo song), sont encore plus présents avec un solo de sax sur le doo-wop énervé mais dispensable « Teenage heaven ». Les choristes féminines sont réquisitionnées pour « Weekend » (bof …), avant le « recentrage » et retour au rock de ce qui sera le dernier classique de Cochran de son vivant, l’imputrescible « Somethin’ else ». Un titre qui végète dans les charts et qui signe le début de la fin pour Cochran. Suivront une reprise façon big band du « Hallelujah I love her so » de Ray Charles, un instrumental surf tout aussi quelconque (« Guybo ») malgré un travail sur le son peu commun à l’époque, une sorte de marche militaire ( ?! ) (« Cherished memories ») d’un mauvais goût étonnant. Avant l’équipée anglaise et la D.A.O. qui suivra.
Rock star, un métier de tout repos ...
Le posthume « Three steps to heaven » assez subtil mélange de doo-wop et de Fats Domino style et sa belle mélodie viendront rappeler à ses fans éplorés que Cochran pouvait à l’occasion rivaliser avec les plus grands. Et il semble qu’il ne comptait pas s’arrêter là en matière « d’innovation », témoin l’autre titre posthume qui clôture la compilation (« Cut across Shorty »), mélange détonnant de country (les couplets) et de rockabilly (le refrain), assez proche du « I gotta know » de Wanda Jackson.
Cette notoriété qui lui avait à peu près échappé de son vivant, Cochran allait l’atteindre une fois refroidi. Aujourd’hui, Cochran symbolise le jeune rebelle (les fans de rockab, les plus exigeants des rockies le vénèrent à l’égal du Johnny Burnette Trio, tous les plus grands noms des 60’s l’ont repris), celui qui a « durci » le ton et le  son du rock’n’roll originel. Le traitement sonore de ces chansons (la mise en place de la batterie, l’utilisation jamais répétitive de la guitare) avait bien cinq ans d’avance, ce qui était énorme en ces temps-là très « codifiés ». Et puis, même si cet aspect-là était pudiquement passé sous silence, Cochran était un furieux allumé. La tournée anglaise avec Gene Vincent (autre déglingo notoire) voyait les deux hommes gavés d’amphétamines faire une bringue totale, le visage tartiné de fond de teint, parce qu’ils ne trouvaient pas le temps de se laver, et encore moins de dormir.

Rock’n’roll Eddie Cochran ? Ah que oui …