LEONARD COHEN - SONGS OF LEONARD COHEN (1968)

To old to rock ...
Cohen, c’est un cas un peu à part dans la musique des 60’s. Alors que la musique pour jeunes était faite par des gens de leur âge (le plus vieux, ce devait être Chuck Berry, mais vers la fin des 60’s, il était comme qui dirait passé de mode), Leonard Cohen s’attaquait aux hit-parades avec ce « Songs of … » à trente deux ans. Et alors que les cheveux poussaient jusqu’à la démesure et que les fringues se bariolaient exagérément, lui se pointait avec son look de clerc de notaire, son air de chien battu et ses stricts costards noirs. Conclusion : adeptes du glam-rock, Cohen n’est pas exactement un précurseur de votre musique favorite.
Quoi que pour être aussi rigoureux qu’un banquier qui calcule vos intérêts débiteurs, y’avait déjà eu le nom de Leonard Cohen dans les charts. Dans les crédits de « Suzanne », petit hit par l’oubliée Judy Collins, chanson qu’il avait écrite mais pour laquelle il n’avait pas touché un rond, ayant dû renoncer à ses droits pour se voir publié. Comme quoi, y’a pas que les niggas qui se font arnaquer dans le showbiz. Parce que Cohen, c’est un peu un accident sa carrière de chanteur. Il commençait à se faire un petit nom dans l’underground canadien (sa nationalité) et américain comme poète et écrivain.
C’est John Hammond qui le signera et lui fera enregistrer sa première rondelle, ce « Songs of … ». John Hammond, il peut être bon de le rappeler aux fans de M Pokora, c’est le type qui a découvert et signé quelques demi-sels comme Billie Holiday, Aretha Franklin ou Bob Dylan, excusez du peu. Un type qui avait un peu l’oreille quoi. Un peu aussi le sens des affaires pour son label Columbia. Parce que chez Columbia, en 1968, on était un peu dans l’expectative rayon folk. La star maison incontestée du genre, le sieur Dylan se remettait entouré de musiciens au look de paysans mormons (The Band) d’un soi-disant accident de moto. Et à une époque où faire paraître deux trente-trois tours par an était la norme, le Zim était silencieux depuis plus d’un an. Et même si le talent de Cohen se suffit, la semi-retraite du Zim n’est certainement pas pour rien dans sa signature chez Columbia et les moyens assez conséquents mis en œuvre pour en faire la nouvelle « rock-star » du folk…
Rare : l'artiste hilare ...
Même si Cohen, c’est comment dire … Ardu … Faut se motiver avant de l’écouter, quoi. Pas exactement les chansons qu’on entonne à la fin d’un repas de chasseurs … Et puis faut faire l’effort de pas se contenter de quelques machins connus et plus ou moins radiophoniques des 80’s (« First we take Manhattan », ce genre). Cohen, pour l’écouter à son meilleur, faut le prendre aux débuts, avec « Songs of … » et son quasi siamois « Songs from a room ». Parce que chez Cohen, Môssieur, y’a du texte. A peine un peu moins elliptique et énigmatique que chez Dylan, c’est-à-dire qu’à moins de Bac+10 en anglais, Cohen, c’est souvent aussi clair que du bouillon de légumes.
Mais Cohen, bizarrement pour un littéraire pur et dur, a un sens de la mélodie assez extraordinaire. Les chansons de Cohen, pour musicalement squelettiques qu’elles soient, elles sont évidentes. Il y a sur ce premier disque trois bombes mélodiques qui sont trois classiques folk. Sa propre version de « Suzanne », depuis reprise par des dizaines de gens plus ou moins ténébreux et mélancoliques (cas type, Bashung). « Sisters of Mercy » religieuses ou prostituées, allez savoir, mais qui servira de nom de baptême au groupe gothique caricatural d’Andrew Eldritch dans les 80’s. L’échevelée (dans le contexte du disque) « So long, Marianne » dans laquelle Cohen se lâche, allant jusqu’à chanter (juste) et mettant une batterie sur le devant du mix, ou pas loin.
Parce que faut préciser que les disques de Cohen, c’est pas exactement de la sunshine pop chatoyante. De la guitare acoustique pleine d’accords compliqués qui sonne comme un piano, y’en a partout. Et puis, un peu comme chez Simon & Garfunkel, par touches infinitésimales, quantité d’autres instruments, venus plus souvent de la musique de chambre ou classique que du rock basique. Mais faut tendre l’oreille pour les écouter, et quand par hasard ils sont mis en avant (quelques notes de guitare saturée dans « Master song »), ils font l’effet d’une déflagration. Une des autres trademarks indissociables de Cohen, c’est aussi ces chœurs virginaux ( ? ) éthérés, qu’il a fini au long des disques à mettre trop en avant pour cacher ses faiblesses vocales mais qui là tombent juste où il faut quand il faut et rajoutent cet aspect de mélopée céleste qui fait toute la beauté de ses premiers disques.
Parce que oui, les premiers disques de Cohen sont beaux, semblent régis mathématiquement par cette pureté et ce dénuement mélodiques souvent imités et bien peu égalés. La démarche sera la même sur le suivant (« Songs from a room »), encore plus engoncé dans son austérité rigide, ce jusqu’auboutisme décharné qui malgré tout en fera, quelque peu à son corps défendant, une « star » du rock.

« Songs of Leonard Cohen », c’est d’entrée une pièce maîtresse de Cohen. Qui elle n’a pas pris une ride…

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