THE SPECIALS - THE SPECIALS (1979)

Punky reggae party ...
Le punk, c’est bien … on a vite fait le tour, mais c’est bien quand même. Il y avait dans l’Angleterre de la fin des 70’s une alternative aux mastodontes du rock, tous ces types qui approchaient le quarantaine et qui, en plus, étaient pas au mieux artistiquement. La jeunesse prenait le pouvoir (enfin, elle le croyait). Retour au sain boucan, à l’approximation bordélique, aux fondamentaux du rock’n’roll, à la simplicité, à l’esprit de démerde (do it yourself) …
Y’avait juste un petit problème : tu fais quoi, quand t’as vingt ans en province, et que les Pistols, le pub-rock, Eddie Cochran, te gavent autant que Yes, Clapton et les Stones ? Tu fais quoi, quand t’es une bande de potes dont quelques-uns sont pas blancs ? Tu fais quoi quand les trucs que t’écoutes c’est des trucs jamaïcains de la décennie passée ? Si tu te bouges pas le cul, t’es mort, personne entendra jamais causer de toi …
Ce postulat, Jerry Dammers, leader de cette bande de potes un peu paumés et en tout cas hors sujet musicalement, l’avait parfaitement compris. Les majors s’en foutent des Specials ? On va monter un label. Comment se faire connaître ? En étant rigoureux (en bossant sur sa musique, quoi), et en étant originaux. Dammers a fait tout çà. En créant 2 Tone Records, en écrivant au moins la moitié des titres, en trouvant ce gimmick (le 2 tone) exploité à fond. Les vieilles fringues en noir et blanc, idem le logo du label, les flyers, tout à base de damiers … Quasiment à lui seul, Dammers est responsable du ska revival … L’Histoire, cruelle, fera la fortune de Madness. Pour les Specials, ne resteront que la légende (mais ça remplit pas l’assiette, la légende), et les emmerdes …

Le ska, c’est la Jamaïque, on sait … en Angleterre dès le début des années 60, les skinheads vont s’approprier la musique jamaïcaine, en faire leur chasse gardée. Les skins, au début, c’était de braves gars, prolos et de gauche. A la fin des années 70, les skins c’est des fachos proches du National Front, mais qui continuent d’écouter du ska. Ces sinistres connards se pointeront en nombre à tous les concerts ska avec leurs conséquences prévisibles (passage à tabac de tout ce qui n’est pas blanc, bastons systématiques avec les punks, etc … ). Les Specials sont à des lieues de cette idéologie nauséeuse, mais l’ambiance délétère de leurs concerts leur coûtera cher, leur carrière en fait.
Parce que le premier disque des Specials, il enfonce toute la concurrence (Madness, Selecter, Bad Manners, The (English) Beat). Parce qu’en plus d’avoir écrit trois poignées de titres sans points faibles, les Specials vont bénéficier à la production des services d’un type alors en état de grâce, le sieur Elvis Costello. « The Specials » est un régal. Pour chaque titre, il y a toujours une trouvaille sonore. Sans toutefois dénaturer le propos, la base et l’essence des titres. Déjà, sur quinze titres, plus de la moitié ne sont pas du ska. Il y a du reggae, du rock steady, du dub, du lovers rock (et non, c’est pas la même chose ...). Et parfois même un fonds rock (« Concrete jungle »), voire rock’n’roll (« Dawning of a new era »). Priorité est donnée fort justement à la rythmique (fabuleux arrangements des parties de batterie, et une basse omniprésente), à la mise en place vocale (deux chanteurs, et deux autres qui interviennent dans les chœurs) et aux mélodies nerveuses (le rythme originel de la musique jamaïcaine est très souvent accéléré).
Sur quinze titres, un seul est à mon sens raté (« Stupid marriage »), et un autre un peu hors-sujet (« Concrete jungle », avec ses rythmes tribaux à la « We will rock you » de Queen). Le reste, c’est du tout bon. Bien que des vrais hits, il n’y en ait qu’un, « Gangsters », absent du vinyle original mais rajouté depuis sur toutes les rééditions. D’autres titres, relativement anonymes pour le « grand » public, auraient mérité le haut des charts (« A message to you Rudy », « Doesn’t make it alright » sont les plus évidents. Mention particulière au long « Too much too young », reggae-ska sur une boucle rythmique de six minutes, jouant sur d’imperceptibles variations, et démontrant par là-même qu’instrumentalement les Specials assuraient (on n’était pas dans l’approximation punk), et qu’encore une fois Costello faisait des miracles à la console.

Potentiellement, les Specials avaient  tout pour réussir (les parties de guitare de Roddy Radiation sont un régal, il aborde chaque morceau différemment, les cuivres savent être discrets dans leur efficacité), et une marge de progression assez impressionnante, les amenant à préparer un second disque beaucoup plus ambitieux, débardant le cadre du reggae au sens large. C’est surtout humainement que la mayonnaise ne prendra pas. Jerry Dammers, personnage clé du groupe, est assez peu « visible » aux claviers et les ego ne vont pas tarder à prendre le dessus. Plus que la retombée de la vague éphémère du ska, c’est le clash des personnalités qui provoquera la chute des Specials.
L’héritage laissé par le groupe ne sera pas à la hauteur de son talent. Les Specials, on n’en a retenu que la matrice d’un ska festif up tempo, pénible passage obligé de tout festival qui se veut « sympathique » et « populaire », alors que dans ce premier disque, il n’y a réellement qu’un titre (« Nite Klub ») qui réponde à cette définition …

Les « vrais » Specials (plusieurs moutures du groupe avec quelques-uns des membres originaux essayent de temps en temps de revenir sur le devant de la scène, sans aucun succès) n’ont sorti que deux disques. Celui-ci est d’assez loin le meilleur …

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