THE GUN CLUB - MIAMI (1982)


Racines hantées ...

Le Gun Club, c’est tellement invraisemblable, toute l’histoire, et surtout les débuts du groupe, ça tient de la mythologie du binaire. Au départ c’est une histoire de fans, et même de fan-clubs. Le Gun Club fut fondé par le président du fan-club des Ramones, Kid Congo (Powers),  et par celui du fan-club de Blondie, Jeffrey Lee Pierce. Bizarrement, le Gun Club (nom choisi parce que lors de son arrivée à Los Angeles, Pierce avait été surpris du foisonnement de ces clubs d’entraînement au maniement des armes, vivier intarissable de sympathisants de la sinistre NRA, d’électeurs républicains, et d’apprentis serial-killers dans les centres commerciaux, les églises ou les écoles – fin de la parenthèse), n’a que peu à voir avec Blondie ou les Ramones.
The Gun Club 1982
C’est avant tout un groupe nostalgique, composé d’éboueurs sonores, passant leur vie à fouiller dans les poubelles du blues, de la country, du rock’n’roll, … afin d’y dénicher quelques pépites un peu bizarres, faites par des gens un peu cinglés, tout cela constituant les alluvions qui vont servir à sédimenter le son du Gun Club.
En se focalisant sur l’aspect sordide, noirâtre, de cette musique. Ceux qui suivent sont en train de hurler le nom des Cramps. Oui, mes petits chéris, mais les Cramps s’arrêtaient au côté rockab et ’n’roll et pour Lux et Ivy tout disque paru après 1960 était suspect de modernité trop mise en avant. Et dans leur genre, les Cramps étaient les meilleurs. Le Gun Club lui ratisse plus large au niveau palette sonore, les deux groupes étant à leurs débuts rigoureusement indispensables.
« Miami » est un des meilleurs disques des 30 derniers siècles. Et pour accoucher d’un Cd comme ça, il faut être « différent ». Or Jeffrey Lee Pierce, le leader du Gun Club est « différent ». Il est hanté, possédé, envoûté par sa musique et cela s’entend. Et désormais, même si « Miami » n’est que le second disque du Gun Club, seul maître à bord (Kid Congo a quitté le groupe avant la parution de « Fire of love », l’également incontournable premier disque, pour aller rejoindre les « rivaux » des Cramps). Pierce est un auteur assez étonnant, remplissant ses titres d’un minimalisme épique. Pour faire simple, c’est de l’ultra basique, mais la puissance conférée à ces titres leur donne des allures de super production. Une super production pas en Technicolor scintillant, ici la palette explorée serait dans un nuancier de gris sombre et de noir. Tiens, puisqu’on parle de production, elle est signée Chris Stein, guiatariste et co-leader de Blondie (Debbie Harry apparaît dans les chœurs sur un titre), et c’est le couple Stein-Harry qui a permis au Gun Club d’être distribué par Chrysalis, et qui a mis quelques dollars dans la marmite pour que ce disque puisse voir le jour.
Jeffrey Lee Pierce
Ce disque, plus encore que le précédent du Club, a fait l’effet d’une bombe. Avec un Jeffey Lee Pierce en Adonis peroxydé et déglinguo, encore beau et tout juste un peu enveloppé, multipliant attitudes chamaniques et poses langoureuses sur scène. Récoltant au passage des comparaisons avec Jim Morrison et le Brando d’« Un tramway nommé Désir ». Des comparaisons qui seront longtemps valables, avant que les quantités industrielles de boissons pour hommes et de poudres blanches consommées par Pierce le fassent également s’épaissir physiquement. Et puisqu’on parlait de Désir (elle est pas grosse, la ficelle ?), on rappellera aux plus jeunes que Noir Désir a à peu près tout pompé sur le Gun Club, ce qu’ils ont d’ailleurs toujours reconnu, allant même jusqu’à faire un « Song for JLP » qui se passe de commentaires …
Il est question avec « Miami » d’exploration des racines de la musique populaire américaine : blues, country et leur progéniture illégitime, le rock’n’roll. Et dans sa démarche, ce disque se rapproche du « L.A. Woman » des Doors (vous ai-je déjà dit le parallèle qui avait été fait entre Pierce et Jimbo ? … c’était pour voir si tout le monde suivait). Jeffrey Lee Pierce part des des transes épileptiques au moindre prétexte, atteignant en intensité certaines prestations bien allumées d’Iggy Pop.
La reprise de « Run through the jungle » de Creedence (peut-être le plus grand groupe de rock’n’roll américain) est à la hauteur de l’original et le transcende par sa noirceur tragique et désespérée. Le lancinant « Texas serenade » et le « crampsien » « The fire of love », se détachent à peine d’un disque dense et compact qui est à aborder dans son intégralité, c’est une œuvre homogène, épaisse, lourde, parfois tragique et désespérée, et pas un assortiment de bric et de broc de titres mis les uns à la suite des autres pour arriver à garnir 40 minutes de plastique noir …
Les fans (peu nombreux, de quelque côté de l’Atlantique qu’on se situe) s’entêteront à trouver des œuvres majeures dans les disques qui suivront (pas beaucoup du Gun Club, quelques-uns de Pierce en solo, le compte est pas facile à faire, beaucoup de matériel étant plus ou moins « non officiel »). Les fans (par définition) ne sont pas lucides. La quintessence du Gun Club, le seul incontournable du groupe, c’est « Miami » …