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TOM WAITS - SWORDFISHTROMBONES (1983)

 

Rupture ...

En 1983, le cas Tom Waits semblait une affaire classée. Il a trente quatre ans, a déjà publié sept disques, s’est constitué son petit public, a tourné dans quelques films, a mis un peu de beurre dans ses épinards car certains de ses titres ont été repris (notamment « Ol’ 55 » de son premier disque par les Eagles, en attendant « Jersey Girl » par le Boss himself en 84, lors des sessions de « Born in the USA », face B du single « Cover me »).

Tom Waits, qu’on parle de lui ou de sa musique, y’a un mot incontournable : bar. A cause de son style musical, pour lequel piano-bar est le qualificatif le plus évident. Et puis bar, comme ici on dirait troquet ou bistrot, parce que c’en est un client assidu rayon boissons pour hommes (on n’obtient pas son grain de voix en carburant au Perrier-tranche), et parce que c’est dans cet univers alcoolisé de piliers de comptoir qu’il trouve l’inspiration pour ses textes, suffit d’écouter ce que racontent les compagnons de biture …

Tom Marcel Waits

Avec « Swordfishtrombones », changement de décor. Pas forcément au niveau des textes, on y retrouve pas mal de ces épopées déclamées toute langue pâteuse en avant quand il y a trois heures que promis, je bois le dernier et je me casse, allez remets la mienne et j’y vais … Par contre, question musique, changement radical.

Le genre piano-bar, on en trouve encore un (tout petit) peu. Sur quinze titres, deux peuvent être rattachés à « l’ancien » Tom Waits. « Soldier’s things » vers la fin et « Johnsburg, Illinois » (chanson sur la ville de naissance de Kathleen Brennan, il sera question d’elle un peu plus loin) vers le début. Tout le reste est, comment dire, totalement barré dans un univers jusque là inconnu. Allez faire un tour sur le net, et vous verrez les qualificatifs descriptifs les plus étranges attribués à ce disque. Celui qui revient souvent, parce que relativement neutre et vague, c’est rock expérimental, répondant à un besoin maniaque de coller une étiquette sur un disque.

Bon, je suis pas musicologue et j’ai pas assez de disques sur les étagères pour définir tous les tenants et aboutissants, mais la démarche de Tom Waits me semble assez inédite. Par sa concision (quinze titres en quarante deux minutes), et par son éclatement. Tom Waits n’a pas avec « Swordfishtrombones » défini un nouveau genre musical, il a pioché et extrapolé à partir de plusieurs. Et surtout, dans un contexte instrumental assez dépouillé (la plupart des titres ne font intervenir que deux ou trois instruments), il va chercher l’étrange, le contre-emploi. Sur quelques-uns des titres, il y a du Hammond B3. Chez l’immense majorité des types qui maltraitent cette armoire normande musicale, on essaie de sonner comme Jimmy Smith (enjoué, guide mélodique du titre). Chez Tom Waits, le B3 sonne comme un harmonium (d’ailleurs quand il y a un harmonium, on fait pas vraiment la différence), il soutient une mélopée le plus souvent triste, qu’il ne serait même pas exagéré de qualifier de funèbre. Un autre exemple, les marimbas sur le morceau-titre. Les marimbas, l’extraordinaire gimmick sonore amené par Brian Jones sur « Under my thumb » (de Led Zeppelin, faut parfois vérifier si les gens lisent). Bon, écoutez « Swordfishtrombones » le morceau, et dites-moi si ça vous fait penser à « Under my thumb ». En plus de sortir certains instruments du musée, Tom Waits a rajouté l’originalité de leur utilisation à leur rareté.

Tom Waits & Kathleen Brennan

Mais comment diable en est-on arrivé là ? J’ai ma petite idée, toute personnelle et surtout pas officielle. Tom Waits me semble victime du syndrome de Yoko Ono. Rappelez-vous, quand le chien fou binoclard des Beatles a rencontré Yoyo, il a changé son style d’écriture, est devenu plus adulte, a sorti plus de titres « marquants ». Avant de virer adorateur béat de sa muse et donner souvent dans le n’importe quoi pathétique et risible. La Yoko de Tom Waits, elle s’appelle Kahleen Brennan, il l’a rencontré sur le tournage d’un film, l’a épousée, et pas perdu une occasion de dire son influence sur sa vie et on écriture. D’ailleurs « Swordfishtrombones » lui est dédié. Alors la Kathleen, si elle est certainement pour quelque chose dans le virage musical à 180° de son mari, elle va finir par prendre une place de plus en plus croissante dans ses disques, et à partir de « Frank’s wild years » (1987) cosignera bon nombre de titres, plus souvent pour le pire que pour le meilleur …

Il y a donc de tout dans ce disque, mais pas n’importe quoi. La voix, le dépouillement, et des traces de blues au milieu de rocks concassés renvoient au Captain Beefheart (exemple le plus flagrant, « 16 shells from a 30.6 »), parfois Waits titille les ambiances jazzy (sans le verbiage instrumental et la démonstration technique) comme dans « Rainbirds » (final de disque en douceur) ou « Frank’s wild years », va piocher dans les ambiances tziganes que développera plus tard Kusturica (le titre d’ouverture « Underground »), insère des bribes celtiques (l’intro de « Town with no cheer »), plonge dans l’expérimental pur et dur (« Trouble braids »).


Waits pose aussi les jalons de ce que sera la suite, notamment son disque suivant et le meilleur de sa discographie (« Rain dogs »), à savoir des rocks plus ou moins cubistes ou déconstruits (« Down, down, down »), des ballades dévastées minimalistes (« In the neighbourhood » ou « Gin soaked boy », ce dernier est un peu son « Heartbreak Hotel »).

« Swordfishtrombones » est un foutoir sonore, une juxtaposition de pièces disparates, comme si le tracklisting avait été fait au hasard. Le genre de disques qu’on qualifie de « difficile ». Ça part dans tous les sens, il faut une grosse volonté ou un sens aigu de la compromission pour trouver tout excellent. C’est un peu le brouillon de ce que sera sa carrière par la suite, une fois qu’il aura recentré son propos autour de rocks à bout de souffle (pas un hasard si Keith Richards l’accompagnera sur trois titres de « Rain dogs ») et de ballades tristes. Il aura dès lors une nouvelle trademark Tom Waits. « Swordfishtrombones » assure seul la transition entre les deux « périodes » (comme on dit en parlant des peintres) de Tom Waits.

Alors oui, il peut parfois rebuter et ce n’est à mon avis pas la porte d’entrée idéale à sa discographie (plutôt « Blue Valentine » pour les précédents et « Rain dogs » pour les suivants), mais il montre une capacité de renouvellement et d’inventivité comme seuls les plus doués en sont capables.


Du même sur ce blog :

Closing Time
Nighthawks At The Diner
Asylum Years
Rain Dogs
Bad As Me




NICK CAVE & THE BAD SEEDS - NO MORE SHALL WE PART (2001)

 

Sad songs ...

Au bout de presque soixante-dix ans de rock, combien sont ceux qui se peuvent se vanter d’avoir laissé une œuvre irréprochable ? Déjà, pour qu’on parle d’œuvre, faut être vieux ou au moins plus très jeune et avoir sorti pas mal de disques. Nick Cave a quasiment l’âge du rock, et une vingtaine de rondelles (trois avec Birthday Party, les autres avec les Bad Seeds) à son actif, sans compter quelques projets « récréatifs » (Grinderman …) … et puisqu’on commence à employer des termes de bilan comptable, rien à son passif … Bon, je veux pas dire par là que tous ses disques sont absolument parfaits de la première à la dernière plage, mais j’ai beau chercher, je vois pas qui d’autre n’a pas fait quelque galette chelou (voire plusieurs), n’a pas traversé quelques déserts à l’inspiration aride, n’a pas fini par s’auto plagier ou s’auto caricaturer … Et là, je parle que des plus grands, des plus célèbres … Je vais pas balancer de noms, mais on peut tous les mettre dans une case (ou plusieurs) …

Nick Cave, Bad Seeds & Mc Garrigle Sisters

Et pourtant Nick Cave n’a pas inventé une formule, à laquelle il s’accrocherait depuis des lustres. Ecoutez Birthday Party, et puis son dernier à ce jour, « Ghosteen », et montrez-moi les points communs musicaux … Aucun … alors les fâcheux qui disent que Cave (parce que ce soit Birthday Party ou les Bad Seeds, c’est Cave le chef, l’auteur quasi sans partage et le chanteur exclusif de ses projets musicaux), c’est toujours pareil, ben, no comment … parce que oui, on n’est pas obligé d’aller glisser un titre de reggae, de funk, de rock celtique, de techno ou de zumba ou que sais-je pour montrer qu’on est inspiré ou dans l’air du temps …

Cave a une voix et une présence vocale. Une voix grave, de baryton, à la Johnny Cash … et le countryman n’apparaît pas par hasard, c’est une des références de Cale, et pas seulement par le registre vocal ou l’appétence pour les fringues noires, mais par les thématiques abordées. Ils regardent tous les deux la mort en face et la chantent souvent, la religion tient une grande place chez eux, bien qu’ils ne l’abordent pas de la même façon. Mais en plus, Cave écrit … des bouquins, mais aussi des chansons. C’est ici qu’il convient de glisser l’allusion à Bob Dylan, autre grosse influence de Cave. Mais à la différence du Nobel de littérature Cave est aussi un performer sur scène, où il se plaît à triturer sa grande carcasse efflanquée (esprit d’Antonin Artaud, es-tu là …), sans parler des prestations « dangereuses » à la Iggy Pop de ses débuts …

Nick Cave 2001

Je vais pas jouer les encyclopédistes, les disques de Cave je les ai pas tous (une moitié à la louche, et je suis pas sûr d’avoir écouté tous les autres), mais c’est un panier dans lequel on peut puiser les yeux fermés sans risque d’être déçu … d’ailleurs, selon à qui on a affaire, il n’y a aucun consensus pour désigner le meilleur disque de Nick Cave (si ça vous intéresse, pour moi c’est « Tender Prey » à la fin des 80’s), quasiment chacune de ses rondelles a ses fervents partisans …

Alors ce « No more … », tu vas en causer ou quoi ? Voilà, voilà … On va dire qu’il est caractéristique de sa période « apaisée ». Entendez par là que Cave met de côté l’électricité rageuse et stridente qui était une marque de famille de ses débuts. Seuls le final de « Fifteen feel of pure » et « Sorrowful life » envoient la sauce, mais à l’issue d’un crescendo pour le premier, et d’un break pour le second. Nick Cave n’est plus dans le truc rock’n’roll-punk. Par contre, tous les titres sont construits autour d’une mélodie au piano, instrument omniprésent sur ce disque. Et c’est Cave qui en joue. Les mélodies sont épurées mais travaillées (on n’est pas Chez Lang Lang, ni chez Elton John d’ailleurs).

Autour du piano et de la voix de Cave, les usual suspects habituels, les Bad Seeds. Dont on a l’impression que ce sont les mêmes types depuis un éternité … ben non, on passe en général beaucoup de temps dans les Bad Seeds, mais on finit par en partir. Ici, les anciens historiques Mick Harvey et Blixa Bargeld seront bientôt sur le départ, Warren Ellis et Jim Sclavunos font quasiment figure de bleubites, alors que Thomas Wilder et Conway Savage, rarement cités comme des rouages essentiels seront finalement ceux qui auront passé le plus de temps au sein du groupe. Les Bad Seeds ne sont pas seuls derrière Cave sur ce disque. Des cordes classiques sont présentes sur de nombreux titres et les sœurs Mc Garrigle viennent en renfort aux backing vocaux. Ce qui au total fait du monde … mais tous restent discrets, quasiment effacés (par exemple les frangines folkeuses ne se font vraiment remarquer que sur le final de « Hallelujah » où leurs voix à l’unisson finissent par se substituer à celle de Cave…). Tout le monde est au service des titres et de la vision qu’en a son auteur, pas d’ego surdimensionné chez ces gens-là … Et pas non plus d’ego chez Nick Cave, « No more … », on dirait un disque solo qui se cache derrière un groupe, et c’est une tendance qui ne fera que se renforcer avec les parutions suivantes, mais Nick Cave a besoin d’être accompagné dans tous les sens du terme.

Live 2001

Ceux qui ont eu la patience de lire jusqu’ici doivent se poser une question : du piano et une grosse voix grave en avant, y’a déjà un autre rachitique longiligne qui fait ça, il s’appelle Tom Waits. Oui, M’sieur, bien vu, mais les univers n’ont rien à voir. Waits, c’est le type bourré, le pif dans le verre, qui raconte des histoires à son voisin de comptoir. Cave, c’est le toxico en voie de sevrage qui raconte ses combats intérieurs entre Bien et Mal à son psy … Et le plus dépressif des deux n’est pas celui que l’on croit …

Alors les titres de ce « No more … » égrènent les peurs (de la mort, de la souffrance, de la solitude, …) mais de façon onirique, elliptique (Nick Cave et Robert Smith ont bien des points communs, et pas seulement par le fait de l’étiquette gothique de leurs débuts). « No more … » est un bloc homogène. Les titres sont longs (presque une heure dix pour douze morceaux), il y a incontestablement une unité de ton et musicale. Mais plus que jumeaux, les titres sont cousins. Certains sont plus épurés (quasiment piano-voix comme « Love letter »), d’autres donnent l’impression d’être surchargés (« Oh my Lord »), les plus « noirs » sont pour le final (« Gates to the garden », « Darker with the day »). Difficile de trouver des morceaux faibles, et tout autant d’en trouver qui se détachent du lot. Ceux que je préfère sont l’introductif « As I sat sadly by her side » qui donne le ton de tout ce qui va suivre, « Hallelujah » (pas celui de Leonard Cohen), avec ses couplets en forme de prière et son refrain en forme de prière, et « God in the house « (à rapprocher du « With God on his side » de Dylan ?), qui nous sert la plus belle mélodie du disque …

Un indispensable de plus de Nick Cave, et un indispensable tout court …


Des mêmes sur ce blog :




ELLIOTT MURPHY - JUST A STORY FROM AMERICA (1977)

 

L'homme aux semelles de vent ...

Elliott Murphy, c’est un voyageur … ou un exilé. En tout cas une trajectoire étrange …

La première fois que j’ai vu son nom, c’était sur les notes de pochette du « Live 69 » du Velvet Underground (bien après sa parution, je suis très vieux, mais pas à ce point …). Je savais aussi qu’il y avait un Elliott Murphy qui faisait des disques, mais j’avais pas la moindre idée de ce à quoi ça pouvait bien ressembler, et j’avais pas fait le rapprochement entre les deux … qui étaient évidemment la même personne. Je me suis (un peu) rattrapé depuis …


Murphy, c’est un new-yorkais littéraire, d’où les notes de pochette du Velvet. Il fait aussi de la musique et son premier disque (« Aquashow ») sort en même temps que le premier d’un de ses potes, un brave gars du New Jersey, Springsteen de son nom, Bruce de son prénom. Et comme le Bob Dylan, grosse influence pour les deux, n’est pas au mieux dans ce premier tiers des années septante, on les présente bien sûr comme les nouveaux Bob Dylan …

On connaît la suite pour Springsteen … on sait aussi que c’est un mec bien qui n’oublie pas ses vieux copains et il a fait monter sur scène plusieurs fois Elliott Murphy quand ses tournées passent par la France. Parce que Murphy est maintenant depuis une quarantaine d’années le plus français des new-yorkais ou inversement …

Alors, oui, Murphy il aurait pu être Springsteen à la place du Boss, … si tant est qu’il en ait eu envie. Parce qu’au départ, il avait tout pour lui, la culture, la belle gueule d’ange blond (s’ils ont fait des virées ensemble, avec le Bruce, pas difficile de savoir qui rentrait accompagné et qui retournait seul se palucher dans sa piaule de Hoboken), et il écrivait des chansons impeccables … sans vendre des disques. D’où une carrière de voyageur, un disque, un label …

« Just a story from America » est son quatrième. Cette fois-ci chez la vénérable maison Columbia, celle de Dylan … mais aussi de Springsteen et de Billy Joel … autrement dit, ça faisait beaucoup de types qui faisaient à peu près la même chose au même endroit au même moment … comme dans le film « Highlander », il a fallu procéder par élimination … là aussi, on connaît le vainqueur …

E Murphy et .... Slash ? Bruce Springsteen ? Faites vos jeux ...

Dans « Just a story … », il y a évidemment du Springsteen en filigrane, mais d’autres choses aussi. Mais c’est surtout de l’Elliott Murphy. Le gars sait composer, aborde plein de genres de ce qu’on appellera classic rock. Le résultat est superbe à deux exceptions près. A la batterie, il y a Phil Collins, qui à l’époque ne dédaignait pas de cachetonner entre deux bouses de Genesis. Je vais pas dire que le type n’y comprend rien, mais le rock, c’est pas manifestement son truc. Présence envahissante, plein de technique, et aucun feeling. Il n’y a qu’un titre où il ne joue pas, et ça s’entend, et la comparaison n’est pas à son avantage, même si le dénommé Barry DeSouza, qui officie sur ce « Caught short in the long run », n’est pas le plus connu (doux euphémisme) des batteurs des seventies …

Et s’il faut aller chercher des poils sur des œufs, on peut parler de la voix de Murphy. Impeccable sur les ballades et les mid-tempo, ça se complique sur les rythmes rapides et quand il faut lâcher les watts. Là, Murphy souffre du syndrome vanne EGR encrassée, ça manque de puissance (putain, si après pareille comparaison, je suis pas contacté par AutoPlus pour la place de rédac’chef, c’est que la presse écrite automobile va vraiment mal …). Ce manque de coffre (!) est particulièrement audible sur des titres comme « Think too hard » ou « Darlin’ (and she called me) ».


Il y a sur ce « Just a story … » de bien belles choses. « Drive all night » pour commencer. Un petit rock sautillant sympa, des riffs de cuivres (pour la seule fois sur le disque), dans une ambiance à la « Speedy Gonzalez ».  Oui, je sais, y’a un titre de Springsteen qui s’appelle « Drive all night ». Les deux n’ont rien en commun (si ce n’est ce goût de la conduite nocturne), et celui du Boss sortira trois ans plus tard …

Les deux moments forts de la rondelle s’appellent « Rock ballad » et « Anastasia ». Le premier bénéficie (et le mot trouve ici tout son sens), d’une intervention lumineuse de Mick Taylor et jette une passerelle entre Stones et Boss. Le second (sur la fin des Romanov) passera quelques fois sur les radios françaises (tard la nuit), et il y a un chœur gospel, on pense forcément à « You can’t always get what you want » (le classique des Louise Attaque) et la mélodie évoque celle de « Rock’n’roll suicide » de Maître Gims (c’est ça les réflexes automatiques, on commence par citer Genesis, et puis on finit par lister tous les trucs qu’on déteste …).

Pour être exhaustif, une mention pour la ballade « Summer house » et le mid tempo « Let go », dans le haut du panier du genre. Un mot pour le morceau-titre, étrange trame reggae (dans le sens où ça n’a pas grand-chose à voir avec les Jamaïcains, c’est pas non plus du reggatta de Blancs à la Police, on est plus près des tentatives dans le genre de Tatie Elton John ou d’Elvis Costello). Et Last but not least, la ballade springsteenienne qui clôt le disque, qui se nomme « Caught short in the long run », et qui par sa construction évoque « Jungleland » …

Comme ses prédécesseurs « Just a story … » sera une gamelle commerciale. Murphy s’exilera à Paris, recueilli dans un premier temps par (qui d’autre à l’époque) les gens de New Rose … Il se produit encore aujourd’hui accompagné depuis des années par son fils à la batterie et Olivier Durand (un ancien de la Story de Little Bob aux guitares). Il a le cheveu moins blond et plus rare, mais une sacrée présence live et ses concerts peuvent durer très très longtemps … Elliott Murphy écrit aussi des livres …

Un artiste majuscule en somme …


LEE HAZLEWOOD - FORTY (1969)


 An American in London ...

Celui-là, le Lee Hazlewood, on l’oublie tout le temps quand il s’agit de causer des génies musicaux des sixties. Peut-être parce qu’il y en avait beaucoup des génies. Peut-être parce qu’on parle plutôt de ceux qui sont morts jeunes … Ou de ceux qui se sont cramés le cerveau … Ou de ceux qui ont eu le plus de succès … Alors forcément Lee Hazlewood ne rentre dans aucune de ces trois catégories. Quoique … Enfin, pas dans la première en tout cas, il est mort à presque quatre-vingts balais.

Pour les deux autres, il pourrait participer sans pour autant être sur le podium. Lee Hazlewood, c’est pas Syd Barrett ou Roky Erickson, et pas non plus Paul McCartney ou Mick Jagger. Même si …


Lee Hazlewood, il a forty years en 1969. Et comme vous avez pas eu Blanquer comme instit, vous en déduisez donc qu’il est né en 1929, et que c’est un très vieux de la vieille dans le monde du wockanwoll (il ne doit y avoir que Ed Cassidy, le batteur de Spirit à être plus grabataire que lui). Même si du wokanwoll, Lee Hazlewood n’en a jamais vraiment fait. Mais comme c’est un sacré auteur de chansons, il a vite compris tous les codes du truc. Comme Gainsbourg …

Et comme le Serge avec la Bardot (« Harley Davidson », « Bonnie & Clyde »), Hazlewood a créé un des couples sonores les plus fantasmatiques du siècle d’avant. Dès le milieu des années 60, Hazlewood va mettre en scène dans tous les sens du terme Nancy Sinatra, la fille de son père. Officiellement rien de physique entre eux, juste la fille à Blue Eyes qui chante seule ou en duo les compos du Lee. Et quelques années avant BB, on a eu droit à une blonde sexy en mini-jupe et cuissardes affolant tous les mâles en susurrant des « These boots are made for walking » ou « Some velvet morning » avec leurs paroles pleines de sous-entendus résonnant très fort au niveau des braguettes masculines. Ça, c’était l’aboutissement commercial de la carrière de Lee Hazlewood, commencée dès la fin des années 50 avec … Duane Eddy et Johnny Burnette. De plus, Hazlewood est un des rares songwriters de l’époque à assurer devant un micro, grâce une superbe voix de baryton (Nick Cave reconnaît qu’il lui doit beaucoup).

Sauf que, comme dit plus haut, Hazlewood a facile quinze ans de plus que ceux qui chantent ses compos et beaucoup plus encore que ceux qui achètent ses disques. Il est de la « vieille école » et tous ces chevelus qui se défoncent en poussant les Marshall sur onze, c’est pas son truc. Il a détesté le flower power et tous les hippies de Frisco, et quand arrivent les Blue Cheer, Vanilla Fudge et consorts, il décide de mettre les voiles, quitter les States, direction la Suède. Sur le chemin, il s’arrête à Londres, croyant que l’Angleterre est tout entière dévouée à Dusty Springfield ou Donovan. Sauf que c’est vers 68-69 le royaume des shows hyper bruyants de Who, que Pink Floyd assourdit et aveugle le public du club UFO, et que Jimmy Page, Jeff Beck et Clapton se tirent la bourre à grands riffs de Gibson.


Et Lee Hazlewood va mettre en chantier un disque totalement suicidaire. Il recrute Shel Talmy pour produire (oui, celui des Who et des Kinks, mais plutôt à cause de « Pictures of Lily » ou « Waterloo sunset » que de « My generation » ou « You really got me ») et un trio d’arrangeurs de cordes et de cuivres, John Arty, Big Jim Sullivan et surtout David Withaker. Et Hazlewood, un des meilleurs auteurs de son temps va sortir une rondelle exclusivement composée de reprises. Et des reprises de chansons dont certaines sont encore plus vieilles que lui et n’ont évidemment strictement rien à voir avec l’air du temps.

Parenthèse. J’ai déjà causé quelque part plus haut de Gainsbourg. Et à moins d’être sourd, il faut bien reconnaître qu’il y a des similitudes sonores entre « Forty » et « Melody Nelson ». Mais pas seulement. « Forty », on sait qu’il y a derrière Talmy et Whitaker. « Melody Nelson », on connaît le boulot de Jean-Claude Vannier aux arrangements. Mais pour ces deux disques, le reste du casting est à peu près inconnu (tout juste sur la réédition 2017 de « Forty », Talmy avance-t-il sans en être certain les noms de Clem Cattini, Nicky Hopkins, et encore plus incertain, Jimmy Page). Certains ont lancé l’hypothèse que Gainsbourg, aux grandes oreilles toujours ouvertes sur la sono mondiale, avait embauché les zicos de « Forty » pour « Melody Nelson ». Cinquante ans après les faits, au vu des rares déclarations crédibles des protagonistes potentiels sur le sujet, il semble bien que les sessionmen des deux disques ne sont absolument pas les mêmes. Fin de la parenthèse.

« Forty » donc (on y arrive, on y arrive …). Qui s’ouvre par une reprise de, tiens donc, un titre gravé par Frank Sinatra (« It was a very good year »). On sait que The Voice accompagnait souvent fifille Nancy quand elle était en studio avec Hazlewood, et que ce dernier a quelquefois emboîté le pas au Rat Pack lors des virées nocturnes dans les bars. Mais je suis pas psy, et ne me demandez pas pourquoi ce titre d’entrée … Toujours est-il qu’il pose les bases du reste. Une chanson hors d’âge (ou du temps), totalement désuète et magnifique en même temps, portée par cette voix dans les graves et le miel au milieu des mirifiques arrangements de Withaker.


Et les neuf titres qui vont arriver sont du même tonneau. Le suivant, « What’s more I don’t need her » est au moins aussi bon, et avec ces chœurs féminins qui susurrent dans le fond, on est dans les stratosphères sonores visitées parfois par Leonard Cohen. On touche au sublime avec « The night before » (la chanson que le Nick Cave apaisé des dernières années doit rêver de sortir), le spleen du crooner triste réhaussé par une discrète et fabuleuse trompette.

Le reste est à l’avenant avec une majorité de titres inconnus (même les sites encyclopédistes dédiés aux covers ne connaissent pas les versions originales). Seuls titres à la genèse connue, outre celui de Sinatra, la reprise de « September song » écrite par Kurt Weill dans les années 20, et deux composés par Randy Newman (très jeune par son âge et très vieux par sa façon d’envisager l’écriture, Hazlewood avait reconnu en lui un frère d’armes). Rien à jeter dans ce disque, avec prix spécial du jury et Palme d’Or décernés à « Mary » qui clôt la rondelle (mélodie imparable sur fond easy listening).

Inutile de préciser que « Forty » ne s’est pas vendu par millions. Il a quasiment disparu de la circulation après sa sortie, a passé des lustres sans être réédité (et valait donc une blinde d’occase), à tel point que quand une paire d’années plus tard Hazlewood arrivera en Suède (où il restera longtemps) sur son premier disque « nordique » (« Cowboy in Sweden »), il reprendra à nouveau dans des versions quasi à l’identique trois titres de ce « Forty ». Lequel a été publié sur un label « à compte d’auteur », LHI (pour Lee Hazlewood Industries). Il ne sera réédité qu’en 2017 par les maniaques de Light in the Attic Records avec une paire de titres en bonus issus des mêmes sessions mais moins bien finis (l’un est quasiment instrumental).

Si les soirées de confinement (ah zut, il faut pas prononcer le mot) vous semblent longues, une seule solution, « Forty » en boucle …


PHIL OCHS - PLEASURES OF THE HARBOR (1967)

Balance ton port ?

Phil Ochs est bien oublié aujourd’hui (il a passé l’arme à gauche, forcément à gauche en 1976). Mais même de son vivant et dans sa meilleure période (les sixties), il jouait en seconde division. La faute à Dylan, qui a tellement écrasé la décennie de ceux qui chantaient en s’accompagnant d’une guitare en bois, et traumatisé ceux des générations suivantes qui voulaient s’adonner à cet exercice. A l’instar de tous ces Paul Simon, Leonard Cohen, Donovan (et je cause là que du très haut du panier), il y avait Dylan et les sous-Dylan.
Qui a dit que personne écoute Phil Ochs
Ochs a commencé dans un style très rustique (like Dylan), avant d’évoluer (like Dylan again). Mais là où le petit frisé recrutait de rudes soudards qui faisaient rugir les Marshall (Bloomfield, Robertson), Phil Ochs s’est orienté vers des arrangements à base de cordes, de vents, de piano, … avec un rendu qui fait souvent penser à de la musique de chambre, ce machin pour les nobles joué dans les palais royaux vers les XVIème et XVIIème siècles. Forcément ça n’a pas plu à tout le monde. L’encyclopédiste et pontifiant Robert Christgau, auto-proclamé pape indiscutable de la critique rock américaine des années 60 et suivantes, a décrété à propos de ce « Pleasures … » que Ochs avait dans les cordes vocales un demi octave et qu’il jouait de la guitare avec des mains palmées. Ce qui est pas très gentil … même s’il y a un peu de ça …
Ochs n’est pas Roy Orbison, on est d’accord. Il interprète tous ses morceaux de la même façon, ballade folk mid ou down tempo. C’est son style, son approche du genre, et on pourrait faire le même reproche à plein de chanteurs, de folk ou d’autre chose. Malgré ses limites, il fait vivre ses chansons, et c’est bien là l’essentiel. Quant à sa technique à la guitare, faut avoir l’oreille plus que fine pour en trouver trace dans ce disque. Elle n’est présente que sur un seul morceau, celui qui donne son titre à l’album. Et on peut lire un peu partout que c’est pas Ochs qui en joue, mais le tout jeune Warren Zevon (Warren qui ? Pfff, laissez tomber …), même si c’est écrit nulle part sur la pochette du disque.
Ah ouais, je vous ai pas encore dit. Déjà que les galettes de Ochs sont pas vraiment en tête de gondole dans les Leclerc, « Pleasures … », assez souvent débiné par tous ceux qui en causent, est encore plus rare que les autres, et ne se rencontre semble-t-il plus que d’occase en vinyle à un prix abordable.
N’écoutant que mon courage en ces temps de pensée nivelée par le bas du gilet jaune, j’affirme que « Pleasures … » est un disque superbe. Il n’y a de fait qu’un titre à jeter, le dernier, « Crucifixion », dans lequel Ochs passe en revue quelques martyrs célèbres, dont JFK, sur un fond de synthés préhistoriques, avec voix hiératique à la Nico – Scott Walker et instrumentation idoine, ce qui ne ravira que les fans de la chuteuse de vélo et du faux frère Walker, autrement dit pas grand-monde … Mais le reste, désolé, ça tient la route et plus que bien à considérer que quel que soit le talent de Dylan, il n’est pas l’alpha et l’oméga de la musique populaire américaine à lui seul.

Il y a fort à parier que ceux qui aiment Leonard Cohen (qui à l’heure où Ochs était supposé sur le déclin commençait à peine sa carrière) ou le Neil Young « symphonique » de « A man needs a maid » ou « There’s a word » du partout adulé « Harvest » devraient jeter une oreille sur ce « Pleasures … ». Ils y entendraient des mélodies à fleur de peau first class (« Cross my heart », « Flower lady », « I’ve had her », « Pleasures … ») sur des titres superbes car pas parasités par les arrangements millimétrés des instruments classiques (alors qu’on peut trouver que le pourtant génial Jack Nitzsche a eu la main plutôt lourde avec le London Symphonic Orchestra sur « Harvest »).
Il y a une similitude de tons et de sons, certes (mais qui à part moi, reproche à Canned Heat de faire le même titre depuis 50 ans ?), même si les digressions restent possibles et de bon goût. Lorsque l’on crie au génie du Band quand ils s’attaquent au dixie (« The night they drove Old Dixie down »), il faut aussi s’agenouiller devant « Outside of a small circle of friends » de Ochs, bien parti pour un faire un hit jusqu’à ce qu’on s’aperçoive d’un « smoking marijuana » au détour d’un vers, ce qui même en 1967, suffisait pour faire interdire une chanson d’antenne. Même si musicalement Ochs vient de New York (et des clubs du Village), il est capable d’aller chercher pour enluminer ses titres du jazz genre piano bar (« The party ») et laisser un virtuose de l’instrument, Lincoln Mayorga apporter une touche de technique avant-gardiste à la manière d’un Mike Garson chez Bowie. La touche jazzy peut se faire plus grivoise genre New Orleans sur « Miranda ».
Pour finir, y’a autre chose qui peut rebuter, c’est la longueur des titres. Cinq (sur huit) dépassent les six minutes, ce qui en matière de folk comme de la plupart des autres genres écoutables, peut paraître un peu longuet, d’autant que les ponts censés aérer les titres ne sont pas de ceux qui s’incrustent dans les mémoires.
Et donc, je vais de ce pas soumettre (mais à qui ?) que soit organisé un RIC afin que soit rééditée à prix gilet jaune l’intégrale de Phil Ochs.



ELVIS COSTELLO & THE IMPOSTERS - LOOK NOW (2018)

Alors regarde ...

L’autre Elvis, quand il a débuté dans la tornade punk, il a aligné pendant quelques années des dizaines de titres, au moins un album par an pendant dix ans. Point culminant : « Imperial bedroom » en 1982. Et jetés façon rafale de kalachnikov deux follow-ups « Punch the clock » (de grands titres surproduits) et « Goodbye cruel world » (de mauvais titres surproduits). Et puis il est passé à plein d’autres choses, produisant ( après le premier Specials, le premier Pogues), s’est rêvé en King of America, a fait des rondelles avec plein de gens (de Sir Paul McCartney à la cantatrice Anne Sofie Von Otter, ça ratisse large), a épousé la bassiste des Pogues puis Diana Krall, et continué à sortir des disques à la pelle.
Elvis Costello 2018
Dont j’ai acheté quelques-uns, sur la foi de types qui juraient leurs grands dieux que là, ça y était, le grand Costello était de retour. Des galettes que j’ai écouté en travers (qui étaient  peut-être meilleures que les deux-trois d’avant) et qui depuis prennent la poussière sur une étagère. Ce coup-ci, avec « Look now », les exégètes du bonhomme ressortent le baratin habituel dans lequel le mot chef d’œuvre revient à chaque phrase. Ils ont tort, évidemment, mais beaucoup moins que d’habitude.
Parce que « Look now » est d’abord une grosse surprise. Il y a quelques mois, Costello interrompait une tournée pour se faire opérer selon ses termes « d’un cancer agressif ». Rémission en vue ou chant du cygne, j’en sais rien, mais le gars Elvis a visiblement jeté toutes ses forces dans cette rondelle. Entouré de ses vieux briscards de toujours (Pete Thomas aux fûts, Steve Nieve aux claviers, soit les deux tiers de ses historiques Attractions, plus son bassiste habituel depuis longtemps Davey Faragher), il a même décroché sa première collaboration avec une de ses idoles, Burt Bacharach (90 ans, et toujours bon pied et bonnes mains, puisqu’il joue du piano sur les trois titres qu’il a co-écrits). Les titres co-écrits avec Bacharach sont pas une pièce rapportée, ils s’inscrivent parfaitement dans la logique et dans la tonalité générale de « Look now ».
Costello & The Imposters
Bacharach, c’est une des institutions du Brill Building (cet immeuble de Manhattan qui servait de repaire aux auteurs-compositeurs dans les années 60). Parce qu’à l’époque, au siècle dernier encore vierge de toutes les saloperies voyeuristes du Net, genre Instagram, Facebook et consorts, la situation aux States était simple : hormis les blueseux et les folkeux (et dans une moindre mesure quelques rockers), il y avait ceux qui chantaient et ceux qui leur écrivaient les chansons. Ce sont les anglais, Beatles et Stones, qui ont inventé la notion de groupe où très vite, les types se sont mis à chanter leurs propres morceaux. Les Américains ont suivi, bien sûr, avec un petit temps de retard, mais la lignée des auteurs-compositeurs a eu encore de beaux jours, soit qu’il soient mercenaires ou qu’ils soient salariés par un label (Stax, Motown, …). Bacharach est un des plus illustres (des hits à la pelle pour plein de gens, dont son interprète fétiche Dionne Warwick). Toute cette digression pour dire que pour Costello, qui a toujours tourné autour de la chansonnette, travailler avec Bacharach, c’est atteindre le Graal …
« Look now » est un disque de chansons, n’ayant plus rien à voir avec le punk, le rock, le reggae, la pop, autant de genre déjà abordés il y a des décennies par Costello. Pour situer, faut envisager cette galette comme celles publiées par les grandes voix, genre Presley de la fin ou Sinatra de toujours. Le gros problème de Costello, c’est que s’il est capable d’écrire tout seul des choses d’un classicisme tarabiscoté, il lui manquait la présence et l’assurance vocales nécessaires à l’exercice. Et là pour le coup, il chante mieux que jamais, des mélodies parfois complexes où il faut cumuler technique et feeling.
Burt Bacharach 2018
Il y a des choses d’une évidence absolue, la chanson-titre (Costello et son Band plus juste Bacharach au piano), le dépouillement de quelques ballades éternelles down-tempo (« Stripping paper », « Photographs can lie »). En règle générale, les compos sont excellentes. Sauf que parfois, manière de rentabiliser tous les musicos additionnels (une armée de violons et de claviers, des vents, des cuivres, des choristes), les arrangements sont à limite de l’étalement ostentatoire de richesse. A comparer avec la production de « Imperial bedroom » (Costello aidé par rien de moins que Geoff Emerick, l’ingé-son de George Martin à Abbey Road), qui laissait respirer les chansons. Sur « Look now », les mélodies croulent, voire sont étouffées sous les arrangements. Quelquefois, il aurait fallu que Costello se souvienne que less is more, il suffit de comparer la finesse incroyable de « I let le sun go down » avec « He’s given me things » (la moins bonne des trois cosignées avec Bacharach), où pourtant l’instrumentation pléthorique est la même.
Malgré ces réserves, il reste de grands titres. Parce que tous sont pas des minots, sont des compositeurs de très haut niveau (Costello), des instrumentistes de haut vol (Steve Nieve), que tout le monde est depuis longtemps à l’abri des pressions du music business se plaît à exercer sur ceux qui débutent. Et tant qu’on en est à causer troisième âge, signalons la présence à l’écriture sur un titre, l’excellent « Burnt sugar is so bitter » d’une autre très grande du Brill Building, Carole King.
« Look now » est couplé dans sa version Deluxe avec un EP quatre titres (« Regarde maintenant ») de facture et de ton similaires, mais qui donne l’occasion d’entendre Costello chanter en français (« Adieu Paris »). Enfin on sait qu’il chante en français en lisant les paroles, parce que c’est encore plus incompréhensible que la VF du « Heroes » de Bowie, ce qui n’est pas rien …
« Look now » un bon disque de Costello ? Affirmatif. Du niveau de ses meilleurs ? Euh, faut pas pousser …



Du même sur ce blog :
My Aim Is True

RICHARD HAWLEY - STANDING AT THE SKY'S EDGE (2012)

Qu'a fait Hawley ?

Ben ouais, quoi … quand on  a réussi à se faire un (petit) nom dans le music business, qu’on a son (petit) public, quand son patronyme est immédiatement assimilé à une forme d’expression musicale, faut pas chercher à comprendre, faut passer sa vie à refaire le même disque sous peine de retomber dans l’anonymat.
Mais voilà, Richard Hawley n’est pas – au hasard – Chris Isaak. Il aurait pu être ad vitam aeternam un crooner anglais triste, torchant des rondelles dont chacune serait la photocopie de la précédente ou de la suivante, avec comme seul point de différenciation un état de grâce dans la composition qu’on atteint parfois. Ses états de grâce à Hawley s’appelaient « Cole’s corner » qui lui valut le Mercury Prize (sorte de prix Goncourt british du rock-pop-machin) et « Truelove’s gutter » sur lequel sa recette patiemment mise en place touchait au sublime.
En train de raconter une histoire un peu Hawley Hawley ?
« Truelove’s gutter » est le disque précédant ce « Standing … ». Et Hawley qui ne doit être ni sourd ni con a dû se dire qu’il avait placé la barre tellement haut qu’il serait vain de vouloir la dépasser. Et des évènements extérieurs lui ont collé une sorte de rage, contenue, mais la rage quand même. Selon lui, ces idées noires lui seraient venues de la mort d’un ami proche et de l’exercice du pouvoir calamiteux (what else ?) des conservateurs revenus aux affaires en Angleterre. Parce que Hawley est Anglais, peut-être pas autant musicalement que Ray Davies, mais Anglais quand même, est originaire de Sheffield, vieux bastion industriel du Labour Party, à l’activité saccagée par les années Thatcher …
Hawley s’est aussi souvenu qu’il avait été guitariste en tournée et parfois en studio du Pulp de Jarvis Cocker et que ce dernier venait de le rappeler quelques mois plus tôt pour remonter une énième mouture de son groupe. Parce que Hawley, c’est un de ces guitar heroes anglais, reconnus par leur pairs (comme tous ces Chris Spedding, Albert Lee, Richard Thompson, Bert Jansch, liste infinie) mais condamnés à passer leur vie dans l’obscurité qu’ont posé sur leurs successeurs la Sainte Trinité des 60’s des Beck, Clapton et Page. Et Hawley oubliant sa trademark et sa petite notoriété publique, a fait un disque de guitariste. Pas même besoin d’écouter la rondelle, suffit de voir l’intérieur du (maigre) livret rempli de gros plans sur des détails de guitares qu’on suppose prestigieuses et vintage …
La plupart des habitués de la maison Hawley furent déçus par ce « Standing … » de rupture. Ils ont dû l’écouter en travers, cette rondelle. Qui si effectivement n’a que peu à voir avec les précédentes, vaut plus que largement le coup d’oreille. D’abord parce que Hawley n’est pas un guitariste brise burnes reléguant les autres musicos au fond du mix pour placer plein centre de la stéréo un solo que l’on imagine toutes grimaces en avant de douze mille milliards de notes à la seconde. Non, Hawley mixe sa guitare à un volume tout à fait déraisonnable tout le temps, et ne se hasarde que très rarement à des solos égomaniaques (les deux sur le premier titre « She brings the sunlight » étant l’exception qui confirme la règle), qui de toute façon misent tout sur le rendu sonore plutôt que sur l’agilité des doigts le long du manche. En gros, si vous aimez le Neil Young énervé et grand-père du grunge de la fin des 80’s, ce disque est pour vous. Dans un registre de chansons tout à fait différent de celles du canadien …
Je vous avais dit qu'il était guitariste ?
Le domaine de prédilection de Hawley, c’est la ballade down ou mid tempo. Dont il s’éloigne parfois pour faire des machins beaucoup plus rentre dedans. Ainsi « Down in the woods » dont le riff rappelle le « 1969 » des Stooges (pas besoin d’en dire davantage, le seul nom des Stooges vaut plus que de longs discours). Ou « Leave your body behind you », qui avec son gros riff qui dépote et sa voix aérienne ramène au shoegazing (Angleterre, quelques mois vers la fin du XXème siècle, avec My Bloody Valentine et Ride en tête de gondole, mais que sont ces gens devenus ?). On pense aussi de loin aux Jesus & Mary Chain pour ces mélodies pur sucre noyées sous des guitares toutes en reverb, feedback et larsens …
Ce qui nous amène à parler du chanteur Richard Hawley. On sent qu’il chante parce qu’il en faut bien un qui s’y colle et comme c’est son disque, c’est tombé sur lui. Faut être clair, dans le genre ballade triste, il se situe à des années lumière de l’expressivité d’un Roy Orbison, si vous voyez ce que je veux dire … Et quand les titres s’emballent, Hawley n’a pas le coffre pour accompagner la musique. C’est le seul gros reproche qu’on peut faire à cette rondelle, avec la faiblesse relative par rapport au reste du morceau « The wood collier’s grave ».  Parce que il y a dans « Standing … » de la matière. Hawley compose bien, évite le monolithisme donnant parfois dans l’ambiance floydienne (le crescendo de « Don’t stare at the sun » même si son jeu de guitare n’a rien à voir avec celui de Gilmour), l’alternance du quiet / loud sur le même tempo (la somptueuse ballade terminale « Before »), la prière incantatoire rageuse du titre d’ouverture (« She brings the sunlight »), quelques intros (longues et très travaillées chez Hawley) qui évoquent les ambiances sombres des Doors …
Tout à fait « logiquement », malgré de louables efforts de sa nouvelle maison de disques (Parlophone) qui a sorti quatre titres en singles, « Standing … » a été une gamelle commerciale …
Normal par les temps qui courent. C’est un bon disque …


Du même sur ce blog :





A. SAVAGE - THAWING DAWN (2017)

Mieux vaut être seul ...
… que mal accompagné ? Andrew (A. pour les intimes) Savage est le principal chanteur et compositeur des Parquets Courts, un de ces innombrables groupes new yorkais post-punk influencés par le Velvet, Sonic Youth, Television, ce genre de choses … Et comme de bien entendu, un groupe dont le talent n’arrive pas à la cheville de ses modèles, même si faute de grives on a tendance à nous vendre ces merles comme un mets de choix …
Le Savage à l'état naturel ...
Groupe prolifique, mais apparemment ça ne suffit pas au dénommé Andrew Savage. Qui sort donc un disque solo sur son label Dull Tools, qu’il avait créé pour faire paraître les premiers enregistrements des Parquet Machins. Une rondelle pour le moment sortie uniquement en vinyle (ou en mp3, beurk…) et pas pressée à des milliards de copies. Alors, faut-il ressortir sa vieille platine ou investir dans un tourne-disque pour écouter ce « Thawing down » ? Ben, oui, éventuellement …
Parce que là, le Savage, il a fait un bon skeud, de ceux qui me parlent, de ceux auxquels je comprends quelque chose. Bon, un disque de vieux, si on veut, mais un bon disque de vieux, parce que bien souvent maintenant, les vieux qui font des disques de vieux pour les vieux, ils font des mauvais disques de vieux. La pochette, photo noir et blanc (ou plutôt en cinquante nuances de grey) et l’ambiance sépia qui s’en dégage, donne le la.
Savage nous fait un disque à l’ancienne, raconte des tranches de vie, pas vraiment gaies d’après ce que j’ai pu entraver, parce que chez lui comme chez les Rita, les histoires d’amour finissent mal en général. Dans une instrumentation assez austère, voire minimale, le cadre idéal pour montrer sa tristesse dans des formats folk ou country. Y’a quand même un bémol dans ce truc, c’est que sa voix se retrouve très exposée, et on peut pas dire qu’il joue dans la même cour qu’Otis Redding, if you know what I mean …
Premier de la classe ?
N’empêche, pour un projet qui tient beaucoup plus de l’exutoire personnel que de l’ambition commerciale, le résultat est plus que convaincant. En fait, seul le dernier titre l’éponyme « Thawing dawn », sorte de patchwork sonore, commencé comme une rengaine du Band, avant de se perdre dans des changements saugrenus de mélodies, de tempos en passant de l’acoustique à l’électrique, fait un peu mal aux oreilles. Mais les neuf qui précèdent, ma foi, y’a pas grand-chose à jeter. Ni à dire, d’ailleurs.
Ils reposent quasiment tous sur une mélodie à la guitare acoustique, renforcée par de discrets claviers, section rythmique, quelques notes de sax. On est en univers connu à base de country rocks pépères (« Eyeballs »), avec de temps en temps une pedal steel qui vient chialer (« Buffalo calf road woman »), une cavalcade western swing (« Winter in the South »), des ambiances très Leonard Cohen des débuts, à savoir épure et mélodie (« Wild, wild, wild horses », le très excellent « Ladies from Houston »). Parfois Savage donne dans la ballade soul 60’s (« Untitled »), d’autres fois on se dit que si Clapton sortait pareil morceau on hurlerait au génie retrouvé (« Phantom limbo »).

Un disque parfait pour journées pluvieuses et brumeuses …


JOSH RITTER - THE HISTORICAL CONQUESTS OF JOSH RITTER (2007)

A moitié conquis ...
De Josh Ritter, je ne sais quasiment rien. Singer-songwriter folkeux de la « nouvelle génération », la trentaine au moment de la rondelle dont au sujet de laquelle il est question. Encensé à ses débuts comme un génie en devenir, genre Ron Sexsmith ou Rufus Waingright, avant que ses laudateurs d’un jour passent à autre chose … Et ce disque acheté au hasard, sur la foi de quelques dithyrambes venus de sites ricains, parce que la notoriété du bonhomme a oublié, comme celle de nombre des ses congénères, de traverser l’océan …

« The historical conquests … » (et ne demandez pas pourquoi ce titre à la con, j’en sais rien) est bluffant d’entrée. Mais vraiment bluffant. Le premier titre (« To the dogs of whoever ») convoque instantanément le Dylan circa 65, que ce soit dans le rythme de la chanson, ou dans la voix, à s’y méprendre. C’est pas un décalque, parce que ça évolue en une sorte de gigue celtique qui fait penser à des Pogues au ralenti. En tout cas, effet garanti, ça capte l’attention.
Et ça continue. « Mind’s eyes », qui suit est plus que bien foutu, avec son gimmick de guitare-sirène à la « London calling » (le morceau) du Clash. Et pendant la première moitié du disque, rien  à jeter. Et pas grand-chose qui renvoie à un tristos égrenant sur sa gratte acoustique un pathos dégoulinant pour faire chialer dans sa bière. « Right moves », c’est du Supergrass avec une partie cuivrée (trompette ? trombone ?) à la Love (ou aux Pale Fountains, ce qui revient au même). C’est électrique, mélodique, entraînant, finement produit (le dénommé et inconnu pour moi Sam Kassirer).
Et ça continue, encore et encore. Quatrième morceau, le springsteenien par son titre (« The temptation of Adam »), semble en fait tout droit sorti d’un inédit de Nick Drake (l’épure mélodique parfaite). « Open doors », drivé par un gros shuffle emporte la chanson bien au-delà du folk à papa. « Rumors » est une petite tuerie pop.
Et puis, alors qu’on se dit qu’il va falloir faire un triomphe à cette rondelle et tresser une couronne de lauriers à son auteur, se pointe un court instrumental, genre bouton sur le pif de Miss France. On est prêt à pardonner ce qui pourrait passer pour une faute de goût mineure, un péché de jeunesse. Sauf qu’arrive pile poil derrière « Wait for love », un truc avachi entre folk et ragga hindou, qui te fait immédiatement réviser à la hausse l’œuvre pénible d’un Devendra Banhart. Impression dubitative renforcée avec « Real long distance » qui fait penser aux Kinks, mais gros hic, aux Kinks des années 80, avec mélodie tarabiscotée limite pénible et batterie herculéenne.
Le reste est à l’avenant, soupe à la grimace sonore. On voit bien où le Ritter veut en venir, piochant dans des références (bonnes, voire plus) pour les ressortir à sa sauce. Sauf qu’à force de faire des titres « à la façon de », tu te caches, oublies de montrer de quoi tu es vraiment capable, et l’ensemble finit par sonner comme une auberge espagnole musicale (« Next to the last romantic », comme si Johnny Cash reprenait du Creedence, ou le contraire, à quoi ça sert, sinon à montrer que tu es capable de sonner comme les deux…). Et là, ça défile dans le commun, voire le balourd, avec dans cette seconde partie du disque, le seul « Still beating » (classic folk, mais qui sonne « personnel ») à sauver.

Heureusement que le Ritter a la bonne idée de donner dans le concis (14 titres pour quarante minutes), sinon y’a des fois où on finirait par trouver le temps long … Etrange, cette construction symétrique (pour moi, lui doit pas envisager les choses de la même façon), où après un début sur les chapeaux de roues, on termine dans le bac à sable (l’inconsistant mantra folk « Wait for love » en point final).
Dans l’esprit « t’as vu comme je suis doué et malin, je peux tout jouer … », Josh Ritter me fait penser à Wilco. Sauf que dans Wilco il y a (en plus d’une cohorte de redoutables instrumentistes) Jeff Tweedy qui évite de se perdre dans les hommages trop voyants pour toujours rester au-dessus de ses influences. Et depuis dix ans, il me semble pas que la notoriété de Ritter soit en passe de rattraper celle de Kanye West …

Conclusion : si vous tombez sur cette rondelle pour pas cher, vous pouvez tenter le coup. Sinon, écoutez … autre chose.