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MARCEL CAMUS - ORFEU NEGRO (1959)

Marcel et son Orchestre (de samba)
Pour être gentil, on dira que Marcel Camus est un cinéaste quelque peu oublié. Pourtant il doivent pas être très nombreux les Français a avoir cumulé Palme d’Or et Oscar du meilleur film étranger. Tout ça pour un même film, cet « Orfeu Negro », forcément son plus connu (au passage, son autre titre de « gloire », c’est d’avoir réalisé la série télé 60’s « Les faucheurs de marguerites »)
Marpessa Dawn & Marcel Camus
Autant de louanges et de récompenses a de quoi laisser songeur une fois qu’on l’a vu cet « Orfeu Negro ». Pas que ce soit un horrible nanar, mais bon, c’est pas l’imagination au pouvoir et l’enchantement à chaque plan. Camus est un cinéaste tout ce qu’il y a de conventionnel dans sa façon de filmer, classique à en devenir finalement assez ennuyeux, inutile de chercher un procédé narratif original, ou des mouvements savants de caméra. D’un autre côté, fallait aussi assurer un strict minimum, parce que quasiment tous les comédiens sont des amateurs, et logiquement, ils ne crèvent pas l’écran. Le scénario n’est pas d’une imagination folle, c’est tout bonnement l’histoire actualisée de la légende antique d’Orphée et d’Eurydice, strictement conforme à celle qui est racontée par les profs de Français ou d’Histoire dans les collèges. En fait, le seul trait de génie (et encore, on y reviendra), c’est de l’avoir transposée à Rio, pour l’ouverture du Carnaval.
On a donc droit à des décors naturels qui valent quand même le coup d’œil (même si sûrement questions d’autorisations, aucun des lieux mythiques de la ville genre Corcovado, Copacabana, Sambadrome, n’apparaît à l’écran, faut se rabattre sur une colline de favelas qui domine la ville et les plages), et toute une population bariolée qui fait office de figurants, avec au passage quelques gueules pittoresques ou comiques, censées représenter au mieux la gouaille et l’exubérance des quartiers pauvres. Revers de la médaille, on n’échappe pas au côté carte postale, les Brésiliens ne sont montrés que comme une bande de joyeux crétins perpétuellement en train de danser la samba. A tel point que les autorités du pays firent officiellement la grimace devant le film.
Orphée (Breno Mello) et Eurydice (Marpessa Dawn)
Ça donne quoi, au final ? Une impression assez mitigée, un film qui tient plus de la comédie musicale que du cinéma d’auteur, et n’a rien à voir avec le traitement mieux réussi du même mythe antique par Cocteau. Au crédit de Camus, une bonne perception de la lame de fond bossa nova qui allait redéfinir de fond en comble la musique brésilienne, et il fait se côtoyer sur la bande-son l’archi-convenue samba avec quelques titres d’un encore à peu-près inconnu, Antonio Carlos Jobim. Parenthèse, les salopiauds responsables de l’édition Dvd (Grayfilm SAS, collection Ciné Club, qualité d’image tout juste passable), ont trouvé malin de doubler lesdites chansons en français, seule langue disponible sur leur rondelle, alors que le film a été tourné en portugais. Fin de la parenthèse.
Les acteurs amateurs (sauf Marpessa Dawn, celle qui joue Eurydice, pas exactement une star, même Luc B. doit pas la connaître) ont l’air en totale roue libre, on dirait des footballeurs de Fluminense, Botafogo ou Flamengo. En fait, c’est ça qui les sauve, cette nonchalance décontractée, cette facilité qu’ils partagent avec les pousseurs de ballon locaux de se sortir élégamment de situations pourtant mal engagées. Cette naïveté démultiplie le côté poétique de l’histoire elle-même.

Pour moi, c’est la fin du film qui est la plus intéressante, parce que les deux premiers tiers, avec cette mort en collant sur lequel est peint un squelette ( Entwistle, le bassiste des Who s’accoutrait parfois de la sorte, y aurait-il un lien ?) perpétuellement en train de courser Eurydice au milieu des groupes de danseurs, on peut pas dire que ça génère des poussées d’adrénaline et un suspens insoutenable. C’est quand Orphée (pour l’occasion conducteur de tram, Eurydice étant une ingénue provinciale venue en ville pour le Carnaval) commence à rechercher sa bien-aimée morte que Camus change de registre. Là, tout à coup, le film devient plus caustique, plus militant. La descente aux Enfers d’Orphée s’effectue plutôt en montant par des ascenseurs vers les arcanes ultimes d’une administration pléthorique, croulant sous des montagnes de paperasses, et servie par une nuée d’employés certes pittoresques mais totalement inefficaces (pas étonnant que le gouvernement brésilien n’ait pas trop ri avec cet aspect-là également), à tel point qu’il ne retrouve trace de la morte que par le biais d’une cérémonie vaudou (ça aussi, ça fait un peu désordre dans un pays très catholique).
Amusant aussi, et ça aide quand même à faire passer la pilule de la fable antique recréée, quelques situations vaudevillesques (Orphée est sur le point de se marier à une putain de bombe latine, comme de bien entendu très jalouse, lorsqu’il rencontre Eurydice), et quelques gosses malicieux, espiègles et rêveurs qui renforcent le côté allégorique et poétique de la chose.

« Orfeu Negro », c’est quand même du divertissement familial de base. Même l’originalité de traitement du scénario n’est pas très novatrice ; il me semble, mais j’ai rien lu pour l’étayer, que beaucoup de choses ont été inspirées à Camus (aucun lien de parenté avec l’écrivain) par le « Carmen Jones » d’Otto Preminger sorti quelques années plus tôt…

Une bande-annonce bien soporifique ...

ALFRED HITCHCOCK - FENÊTRE SUR COUR (1954)

Profession Reporter ...
« Fenêtre sur cour » (« Rear window » en V.O.), c’est le genre de films dont on peut ne pas dire de mal. Pour au moins deux raisons liées, il est signé Hitchcock et a été tourné dans les années 50, la meilleure décennie artistique du gros réalisateur chauve.
On peut facilement en trouver d’autres. « Fenêtre sur cour » est aussi un exercice de style, un film qui se passe dans un lieu clos (ici un appartement donnant dans la cour intérieure d’un immeuble). Hitchcock avait déjà utilisé cette unité de lieu (en allant même encore plus loin dans « La corde », suite de plans-séquence dans une même pièce). « Fenêtre sur cour » repose aussi sur le principe de la caméra subjective, l’essentiel de l’histoire n’est vue que par les yeux d’un trio de protagonistes majeurs depuis un logement exigu. Le héros du film est James Stewart, pas exactement le premier comédien venu, et un des acteurs fétiches de Hitchcock au casting de nombre de ses chefs-d’œuvre (« La corde », « L’homme qui en savait trop », « Vertigo »).
Alfred Hitchcock, James Stewart, Grace Kelly
Ce qu’il y a de bien avec Hitchcock, c’est que ses films arrivent à intéresser voire à captiver alors qu’on sait parfaitement ce qu’on va y trouver à l’avance. En gros du suspense, de la caméra virtuose, un final angoissant, de l’humour à froid très britannique, … et des actrices blondes. Ici, la blonde c’est Grace Kelly, pour un de ses derniers films, avant qu’elle n’épouse le roitelet d’un promontoire rocheux des bords de la Méditerranée et mette bas d’une portée de princes et princesses bling bling à QI négatif… Dans « Fenêtre sur cour », elle crève l’écran par sa parfaite beauté classique, rehaussée par une panoplie vestimentaire ultra chic (due à la costumière Edith Head, sept Oscars pour les costumes de dizaines de films qu’elle a « habillés », et au générique de très nombreux Hitchcock, pointilleux à l’excès, et qui ne s’entourait pas de baltringues). Grace Kelly est Lisa Fremont,  mannequin vedette amoureuse du reporter-photographe casse-cou Jeff Jefferies (James Stewart). Ce dernier, qui a voulu filmer de trop près une course automobile a été victime d’un accident qui lui a laissé une jambe brisée. Il se retrouve dès lors en plein été caniculaire cloué sur un fauteuil roulant dans son petit appartement donnant sur la cour d’un immeuble de Manhattan. Par désœuvrement autant que par habitude professionnelle, il trompe son ennui en observant ses voisins et leurs allées et venues, entre les visites de son infirmière Stella (Thelma Ritter) et de sa fiancée. Le couple entretient une relation curieuse, lui se comportant en vieux garçon ronchon peu enclin à céder aux sirènes d’un mariage que souhaite ardemment Lisa.
Stewart & Kelly
Lentement, l’observation par Jefferies de son voisinage va évoluer du coup d’œil épisodique et amusé en une véritable obsession, qui lui fera sortir d’abord des jumelles, ensuite un téléobjectif. Il faut dire qu’il est persuadé qu’un de ses voisins a tué sa femme malade avant de se débarrasser de son corps. Dès lors, cette traque visuelle du présumé coupable et des indices qui pourraient le confondre va devenir une véritable obsession pour Jefferies. Et, tout aussi insidieusement, les deux femmes, d’abord rétives à son voyeurisme, vont devenir ses « assistantes » et échafauder avec lui tout un tas d’improbables théories criminelles.
Si l’histoire allait ainsi jusqu’à son dénouement, on serait face à un « petit » Hitchcock, d’une facture somme toute classique et assez faiblarde pour ce maître déjà incontesté du suspense. Mais Hitchcock est aussi (surtout ?) un pervers derrière sa caméra. A la moitié du film, le spectateur sait ce qui s’est passé dans l’appartement surveillé par le trio d’apprentis détectives, Hitchcock nous le montre pendant un assoupissement de Jefferies. Et là, par un jeu de miroirs, le film bascule, faisant à son tour du spectateur un voyeur. Hitchcock nous amène à ne plus nous intéresser au « coupable » (de toutes façons filmé de loin à travers ses fenêtres), mais à ses « surveillants ».
Malin et retors, Hitchcock nous force à scruter toute cette faune qui s’agite dans les appartements de l’immeuble (reconstitué en studio), à nous occuper de toutes ces histoires parallèles qui agitent cet écosystème. On est ainsi forcé de mater les exercices de danse en petite tenue d’une voisine, de supporter (parce que ça offre une digression qui laisse en suspens l’intrigue majeure) les affres de la création du pianiste de seconde zone, les querelles de voisinage, les torrides ébats suggérés (on est en 1954, ils tirent les stores) du couple de jeunes mariés. Comble de la perversité, Jefferies et les deux femmes se désintéressent cyniquement du seul drame dont ils ont la certitude (la vieille fille qu’ils surnomment Miss Lonely Heart, qui cherche désespérément l’âme sœur et qui après de multiples échecs sentimentaux va gober une boîte de somnifères dont ils connaissent même le nom grâce au téléobjectif).

« Fenêtre sur cour » n’est pas le film d’Hitchcock au final le plus haletant, personnellement je trouve ce final assez peu crédible, et plutôt faiblard. La construction de l’intrigue (inspiré de deux faits divers contemporains célèbres) est assez linéaire malgré quelques intermèdes humoristiques et le Maître se montre assez avare de ses savants mouvements géniaux de caméra habituels, se concentrant la plupart du temps sur des gros plans de ses acteurs, usant voire abusant du champ contre-champ. Ce qui oblige le trio des protagonistes principaux à faire passer l’essentiel des émotions et des sentiments par les expressions de visage. Et ce qui permet encore une fois de se rendre compte de la qualité exceptionnelle du jeu de James Stewart qui nous fait voir tous ses états d’âme lorsque Lisa décide de s’introduire dans l’appartement du voisin suspect, qui, évidemment, revient plus tôt que prévu … Le rôle du voisin, énième malice d’Hitchcock, est tenu par Raymond Burr (qui atteindra la renommée quand c’est lui qui se retrouvera en fauteuil roulant dans l’interminable série télévisée « L’homme de fer »). Lequel Burr n’aurait été choisi  pour jouer le « méchant » que pour  sa ressemblance physique avec le producteur David O. Selznick avec lequel Hitchcock s’était embrouillé auparavant …
« Fenêtre sur cour » est régulièrement positionné vers le haut de toutes les listes des meilleurs films de tous-les-temps-du-siècle-ever. C’est indubitablement un grand, un excellent film de Hitchcock qui n’a pas exactement tourné que des navets, si vous voyez ce que je veux dire. Perso, je le mets un cran en dessous de mes deux préférés, « Les Enchaînés » (la matrice de tous ses films à suivre) et « La mort aux trousses » son grand film « à spectacle »). Le fait qu’il y ait dans le premier Ingrid Bergman et dans les deux cet autre fantastique acteur qu’était Cary Grant doit y être pour quelque chose …

Ah, et puis, comme d’hab, Hitchcock apparaît fugacement dans le film. Il remonte une pendule lors d’une soirée chez le pianiste …


Du même sur ce blog :

LOUD, FAST & OUT OF CONTROL - THE WILD SOUNDS OF 50's ROCK (1999)

La compile du siècle ...
Parce que là, mes biens chers frères, mes biens chère sœurs, c’est du lourd. Du très très lourd. Une box de 4 Cds, 104 titres, plus de quatre heures de musique.

Et le tout signé Rhino, le label haut de gamme de la réédition. Ce qui veut dire, un son dantesque à partir des masters d’origine nettoyés et boostés, et quand la compile est parue à la fin du siècle dernier, personne n’avait mis sur le marché quoi que ce soit qui ressemble à çà. Ajoutez un livret épais comme l’annuaire de Mexico City, et un casting où sont présents … ben tous en fait, c’est contenu dans le titre du coffret, tous les pionniers dans leurs titres les plus agités du rock’n’roll des années 50. Le tracklisting est impressionnant et intelligent. Pour la première (et la seule fois) avec un son (rigoureuse mono droit entre les yeux évidemment) pareil, se côtoient toutes les légendes (oui, oui, fait rarissime dans ce genre d’entreprises, les ayants droit de Presley ont donné leur accord pour deux titres, dont le nucléaire « Jailhouse rock »), mais aussi une multitude de seconds couteaux, voire d’anonymes qui un jour d’inspiration ont sorti le titre qui tue, celui que de plus célèbres ont repris, celui qui retrouvé dans une brocante des années après, a donné des idées au nerd qui l’avait acheté. Un exemple : The Phantom ( ? ), pseudo d’un certain Jerry Lott à la discographie plus que rachitique, mais qui, en 1’30 chrono a sorti un titre (« Love me »), qui contient toute la carrière des Cramps. Un autre ? Kid Thomas avec son « Rockin’ this joint tonight » a fait dix ans plus tôt aussi fort qu’Alvin Lee à Woodstock, la rythmique de son titre étant la même que celle de « I’m goin’ home », et la guitare supersonique étant ici remplacé par une … trompette ultra-speed. Encore un ? Pas de problème, écoutez le « Stagger Lee » de Lloyd Price, c’est lui qui a créé en musique ce personnage de souteneur filou, que l’on retrouvera dans multitudes de reprises (Wilson Pickett, Dr John, Clash, …).

Cette compile c’est la revanche des sans-grades, des oubliés de l’Histoire. Traités ici avec tous les honneurs qu’ils n’ont pas eus à l’époque. Le coffret a la lumineuse idée de ne pas être une juxtaposition de mini-compiles des grands noms. Même les plus illustres, les Presley, Chuck Berry, Little Richard, Jerry Lee Lewis, Gene Vincent, Eddie Cochran, Buddy Holly, Carl Perkins, …, n’ont droit qu’à deux ou trois titres. Ce qui permet de réévaluer la carrière de quelques-uns. Des noms ? Allez, OK, c’est jour de fête. Le Johnny Burnette Trio est essentiel, ils ont créé le premier sous-genre répertorié du rock’n’roll des origines, à savoir le rockabilly et leur « Train kept-a-rollin’ » a été repris des millions de fois. Fats Domino, cet encombrant (par la corpulence) pianiste de La Nouvelle-Orléans a eu par son sens du swing et du groove inné, une influence énorme. Et last but not least, l’égal des très plus grands (trois de ses titres ont été repris par les Beatles sur leurs premiers 33T, personne n’a eu droit à autant d’honneur il me semble), le sieur Larry Williams, seul concurrent valable de Little Richard (le cureton est pour moi LE plus grand chanteur de rock’n’roll des tente derniers siècles), qui a eu le malheur d’être signé sur le même label que lui (Ace / Specialty) et qui a été plus ou moins maintenu au second plan pour ne pas faire de l’ombre à la diva embagouzée …
Cette compile maousse aurait pu avoir un côté pensum anthropologique. Les types derrière tout çà ont évité cet écueil. En construisant un tracklisting thématique plutôt que chronologique. On a des suites d’une poignée de titres entrecoupés de quelques méga-classiques, explorant tantôt des gens ayant les mêmes influences et produisant le même genre de titres, d’autres fois c’est le thème des chansons (des morceaux parlant du diable, d’autres des animaux de la jungle, des titres rigolos, d’autres salaces, …).

L’ensemble permet de s’apercevoir de plusieurs choses, qui vont plus loin que le résumé à la hache souvent de mise pour la musique de ces roaring fifties. La première, c’est que si « That’s alright, Mama » de l’Elvis a tout déclenché, bien des choses depuis des années lui ressemblaient. Certes, le rock’n’roll est né du mélange du blues et du rhythm’n’blues noir avec la country et le hillbilly blanc, les exemples après Presley sont innombrables, mais d’autres avant lui avaient effleuré le genre (Jackie Brenston et son guitariste un certain Ike Turner avec « Rocket 88 », « Big Joe Turner avec « Shake, ratlle & roll », …) la liste est longue et ces titres sont présents en nombre dans le coffret. Curieusement, et un paquet de titres le démontrent, certains venus du jazz façon big bands festifs et jovials arrivaient à peu près au même résultat (Louis Prima, Amos Milburn,…). Plus curieux encore, un gars comme Thurston Harris était parti du gospel pour arriver à quelque chose de très très proche du rock’n’roll.
Tiens, le rock’nroll, puisqu’on en parle, qu’on le met à toutes les sauces, et qu’on a un peu trop tendance à le réduire et le confondre à des chevelus énergiques à guitares électriques s’appuyant sur des batteries éléphantesques, et ben aux origines, la guitare et la batterie, elles étaient tout au fond du mix, le son reposait sur la basse (ou la contrebasse) et plus encore sur le piano omniprésent ou le sax, plus rarement sur l’harmonica. L’heure de la guitare électrique viendra au tournant de la décennie, avec les premiers guitar-heroes et leurs instrumentaux (Link Wray, Duane Eddy).
Et puis, le rock’n’roll est encore à ce jour le seul genre musical répertorié dont les plus grandes vedettes étaient indifféremment blanches ou noires.

Pas chiens, les gars de Rhino ont ouvert (enfin un peu entrouvert) la porte aux Rosbifs (Vince Taylor, Johnny Kidd), l’ont heureusement refermée aux honteux français fournis en textes réacs par Vian (Jean Yanne, Henri Salvador, et leurs pastiches crétins qui nous vaudront un retard musical pas encore rattrappé à ce jour). Les femmes, peu nombreuses à rocker et roller, même si au centre de bien des préoccupations des textes, n’ont pas été oubliées (Janis Martin, LaVern Baker et l’immense Wanda Jackson).
Un seul regret, mais vu la somme affichée, on va pas faire la fine bouche, il manque Hank Williams (si « Move it on over » en – mais oui – 1947, c’est pas du rock’n’roll je veux bien changer d’oreilles) et aussi Johnny Cash (‘tain, Johnny Cash quand même, l’écurie Sun, le Million Dollar Quartet, …).

Y’a juste un problème, ceux qui étaient passés à côté de la parution de ce mausolée du binaire, peuvent pleurer toutes les larmes de leur corps. Fidèle à sa stratégie d’alors (avant le rachat par Warner), Rhino sortait des rééditions mirifiques, mais en assez petites quantités, et ne les repressait pas. Donc aujourd’hui, à moins de cent euros d’occase, vous le trouverez pas ce « Loud, fast & out of control ». Logiquement, vu la qualité de ce pavé, le juge devrait vous acquitter si vous avez piqué le sac à une vieille pour vous l’offrir …


ANTHONY MANN - L'APPÂT (1953)

Et à la fin coule une rivière ...
« L’Appât » en VO il s’appelle « The Naked Spur ». Pour deux raisons. C’est le (vrai) nom du lieu, un piton rocheux au bord d’une rivière en crue sur lequel a lieu le règlement de comptes final. C’est aussi une allusion à l’éperon de James Stewart, filmé en gros plan lors de la première scène du film et qui aura son importance dans la bagarre finale. Mais « L’Appât » n’est pas vraiment un film axé sur un accessoire d’équitation.
James Stewart & Anthony Mann
C’est avant tout un western, une des références du genre. Tout en étant un western atypique. Quasi un huis clos à cinq personnages, mai un huis clos qui a pour cadre les somptueux décors naturels des Rocheuses du Colorado. « L’Appât » est la troisième collaboration (cinq autres suivront) entre deux monstres sacrés du cinéma hollywoodien, le réalisateur Anthony Mann et l’acteur James Stewart. Et l’association de ces deux vaut bien celle de John Ford et John Wayne.
Parce que Mann sait assurer et pas qu’un peu le minimum syndical en matière de western hollywoodien. Il y a dans « L’Appât » des bons (quoique), un méchant, des cavalcades, des coups de flingue, de la baston, des rebondissements de l’intrigue. Et même une attaque de Cheyennes. Et puis, avec James Stewart, Mann peut compter sur un des plus fantastiques acteurs qu’on puisse souhaiter devant l’objectif. Stewart sait tout jouer, son jeu est quand même un peu plus subtil et moins carré que celui d’un Wayne par exemple. Ce qui permet de donner à ses personnages une profondeur, une complexité qui rajoutent une dimension psychologique à l’intrigue.
Millard Mitchell,  Robert Ryan, Janet Leigh & Ralph Meeker
Psychologique, le mot qui fait fuir les fans de Vin Diesel et de Frank Dubosc est lâché. La trame de base est vite connue. Un homme se faisant d’abord passer pour un shériff (James Stewart / Howard Kemp) capture un assassin recherché (Robert Ryan / Ben Vandergroat) accompagné de sa jeune maîtresse (Janet Leigh / Lina Patch). Un concours de circonstances a fait que cette capture n’a été possible qu’avec l’aide d’un vieux chercheur d’or malchanceux (Millard Mitchell / Jesse Tate) et d’un ancien sous-officier (Ralph Meeker / Roy Anderson) tout juste viré de l’armée. Un long périple commence pour ramener l’assassin. Dès lors, dans cette cohabitation forcée des cinq personnes, les vérités et les secrets de chacun vont peu à peu se dévoiler. Kemp a besoin de l’argent de la prime pour racheter son ranch, Mitchell veut sa part, Anderson voudrait bien toute la récompense pour lui, Lina veut refaire sa vie, et Ryan cherche à sauver la sienne. C’est ce dernier qui petit à petit, va avancer les pions de cette partie d’échecs dont il est l’enjeu. En se servant de Lina, et surtout d’un autre moteur lui aussi vieux comme le monde, la cupidité. Par cet aspect-là, « L’Appât » s’apparente beaucoup à un autre fameux western de John Huston avec Humphrey Bogart, « Le trésor de la Sierra Madre ».
Ce jeu du chat et de la souris autour des 5000 dollars de prime va révéler toute la part sombre qui est dans chacun des protagonistes. Personne n’en sort grandi, personne n’a le beau rôle de Chevalier Blanc. Les deux personnages « forts », ceux qui par leurs actes font le plus évoluer la situation sont James Stewart et Robert Ryan. Entre eux, le rôle de l’appât est tenu tant par l’argent que par Janet Leigh, que Ryan pousse dans les pattes, sinon dans les bras des trois autres.
James Stewart
Le grand mérite du film, c’est de ne pas sombrer  dans l’étude de caractère avec interminables dialogues autour du feu de camp. L’action est toujours présente, chaque coup porté au moral ou à l’intégrité physique des adversaires est conçu comme décisif. Il y a du suspens, une happy end pas si prévisible que ça (surtout par la façon dont se prépare le dénouement), l’essentiel est filmé en extérieurs dans de grandioses décors naturels en couleurs et en Technicolor, et le rythme est soutenu (pas de redondances du scénario, l’affaire est bâclée en une heure et demie).
Mann et Stewart ont tourné cinq westerns ensemble. Celui-ci est le troisième, et leur second chef-d’œuvre, entre les deux autres classiques que sont « Winchester 73 » et « The man from Laramie » (« L’homme de la plaine » en VF). « L’appât » est aussi un des premiers rôles majeurs de Janet Leigh, (c’est elle qui sera l’inoubliable Marion Crane poignardée dans la douche  dans « Psychose »), la future femme de Tony Curtis et donc la mère de la Jamie Lee du même nom …

« L’Appât », pourtant unanimement salué comme un classique de premier ordre, n’est semble t-il disponible que dans une version Dvd tout juste passable, sans aucun bonus.


Du même sur ce blog :



BUDDY HOLLY AND THE CRICKETS - THE VERY BEST OF (1999)

La meilleure compilation ?
Et évidemment, Universal l’ont pas rééditée depuis sa parution en 1999. Ils préfèrent sortir des machins re-remastérisés qui sonnent comme Metallica plutôt que de remettre celle-ci sur le marché …
Parce que Buddy Holly, qui en tout et pour tout, n’aura enregistré que pendant un an et demi, il n’y a pas de quoi remplir des coffrets de quinze Cds. Même si pendant ce court laps de temps, il a laissé un certain nombre de pépites inusables.
Buddy Holly
Toutes sont présentes ici, que ce soit sous son nom, ou au sein des Crickets … pas dans un ordre chronologique, ce qui au vu de la brièveté de la carrière, n’a cependant pas grande importance.
Buddy Holly, pour faire simple, on va dire qu’on s’en fout un peu aujourd’hui, qu’il fait partie de cette longue litanie d’anciennes gloires quelque peu oubliées. Et pourtant, il connut un succès phénoménal, bien aidé par Elvis parti se faire lobotomiser à l’armée, devint l’idole d’une jeunesse (blanche) américaine, et de pas mal de leurs parents…
Tout en faisant du rock’n’roll ce qu’il y a de plus irréprochable, mais en ayant soin de rechercher une profondeur mélodique restée à cette époque-là sans équivalent. Qui d’autre peut se prévaloir de (ré)concilier fans des Beatles (Lennon était son plus grand admirateur et baptisa ainsi son groupe à cause des Crickets) et des Stones (« Not fade away » était la face A de leur 1er 45T américain) ?
Il faut toujours avoir à portée d’oreille des merveilles d’insouciance pop comme « That’ll be the day », « Peggy Sue », « Rave on », « Look at me », « Everyday », « Wishing » (plus Beatles que ces deux-là, on peut pas), « It’s so easy » et « Maybe baby » (la quintessence du style Buddy Holly), l’incroyable « Fools paradise ». S’il faut être roots, Buddy Holly sait piocher dans le catalogue des classiques (« Blue suede shoes », « Shake, rattle & roll »), faire du rockabilly (« I’m gonna love you too »), du Diddley beat (« la reprise de « Bo Diddley », « Not fade away »). Il peut parfois, même s’il est beaucoup plus limité vocalement, donner dans le pathos romantique orbisonien (« Raining in my heart », « Valley of tears »)…
Buddy Holly & The Crickets
Comme Elvis, Buddy Holly a eu son Colonel Parker. Et son mentor, Norman Pettty, n’était pas un vulgaire escroc hollandais, mais un musicien, arrangeur et producteur, et co-auteur de la plupart des titres de son protégé. La mort dans un crash d’avion de Holly fut vécue comme un traumatisme par toute une génération de jeunes américains (voir la chanson, gros succès en son temps de Don McLean « American  pie » où la funeste date du 3 Février 1959 devient « the day the music died ») …
C’est bien connu, l’Histoire ne repasse jamais les plats, surtout quand la mort est au bout du chemin… mais Buddy Holly, s’il avait vécu, avait tous les atouts pour être au moins aussi grand qu’Elvis …
A perpétuellement redécouvrir …

Du même sur ce blog :
Buddy Holly


DUKE ELLINGTON - AT NEWPORT (1956)

Bis repetita ...
Le genre de skeud qui me passe par-dessus la tête. Et le type qui l’a fait tout autant …
Pourtant, les Stones (putain les Stones quoi !) rentraient sur scène lors du « Still Life Tour » en 81-82 au son de « Take the A Train » de Duke Ellington (ce devait être Charlie Watts qui avait fait du chantage). Et il y avait cette tuerie sur « Songs in the key of life » de Stevie Wonder qui s’appelait « Sir Duke », en hommage à … comment ça, vous aviez deviné ?
Le jazz, c’est un peu comme la techno (non, vous avez pas deviné que j’allais dire aussi chiant, d’ailleurs je l’ai pas dit), y’a cinquante genres et sous-genres qui me parlent à peu près autant qu’une notice de montage de chez Ikea, les ébénistes du pauvre.
Ellington, pour moi, c’est le jazz à papa, les big bands menés par les faux aristos (lui, Basie, …). Les centristes, quoi, comme Dick Rivers et Bruce Springsteen dans un autre genre … D’un autre côté, ça permettait à Ellington d’avoir dans son band les meilleurs zicos du pays, comme Springsteen et Dick … euh, non, ça marche pas avec ceux-là …
Duke Ellington 1956
Bon, faut être honnête (si, si, ça m’arrive quelques fois, même quand je cause musique) et dire que « Ellington at Newport » c’est bien foutu, ça joue, ça swingue. Assez vite gonflant quand même, mais quoi, faut pas espérer que je me pâme devant ce genre de rondelles, ces groupes à l’organisation militaire où toutes les improvisations sont minutieusement répétées. D’ailleurs, y’a tout un tas d’infos (ou de rumeurs, je m’en cogne un peu) sur cette prestation (public « surmixé », bandes a priori inutilisables, titres refaits en studio, puis bandes originales finalement utilisées, …) ce qui nous vaut sur l’édition 2 Cds l’intégralité du concert (en deux parties, à cause de la pluie qui a contraint le groupe à arrêter après deux titres, avant de revenir, puis en bonus les fausses présentations et quelques titres refaits en studio) ;
Les types assurent, c’est sûr, c’est même pas lourdingue, Ellington c’est une pointure, il a écrit plein de titres devenus des standards, pas un hasard si tout un tas de maltraiteurs de gamme le citent comme un des musiciens les plus importants du siècle, et c’est festif, plein de bonne humeur enjouée, comme on dit dans la presse provinciale pour causer de Marcel et son Orchestre, de Manau, des Têtes Raides, ou des sept ou huit zigotos qui faisaient du ska à l’occasion d’un festival dans un trou perdu de l’Auvergne …
Ellington & Band - Newport 1956
Tandis que Ellington, c’est à Newport, La Mecque de la musique live pour bourges friqués de la East Coast qui ont l’impression de s’encanailler en écoutant les fanfare de niggaz entre deux drinks dans les vertes pelouses du site … Eh ben tous ces dégénérés fin de race d’un capitalisme déjà triomphant, le Duke et sa troupe les ont fait bouger, crier, hurler (oui, je sais les réactions du public sont exagérément amplifiées au mixage, mais quand même …), alors que d’habitude chez ces gens-là, on dodeline mollement du chef pour marquer son contentement … Paraît même que sur le solo « historique » (pourquoi historique, hein, moi ça aurait plutôt tendance à me bassiner ce genre de démonstration, mais bon, chacun son truc …) du sax Gonsalves unissant les deux parties du « Diminuendo in blue and crescendo in blue », y’avait une nana qui était montée danser suggestivement sur scène, et cette vision inhabituelle jointe aux encouragements du Duke et du restant du Band avaient poussé le basané à cracher toutes ses tripes dans son sax … D’ailleurs, pour ceux qui aiment le sax, c’est ce truc-là qu’il doit falloir, tellement il y en a des saxeux (cinq s’ils ont tous recensés dans le livret), plus des trompetteux et des tromboneux. Et comme grand seigneur, le Duke (qui au passage se fait pas mousser, c’est pas son piano qui est en avant, il se contente d’être le chef d’orchestre) laisse chacun y aller de son petit numéro, ça solote surtout cuivré sur ce « Ellington at Newport », mais même le batteur a droit à son « espace ».
En fait, y’a qu’un truc qui m’interpelle vraiment. C’est que ça commence par une version pli sur la couture du pantalon de « Star spangled banner ». Pas le genre de titre neutre, et encore moins son interprétation (voir Hendrix à Woodstock). Ellington et son Band n’auraient-ils pas voulu montrer que malgré leur couleur de peau, ils sont bel et bien Américains (rappelons qu’à cette époque-là la ségrégation était officielle, notamment dans les lieux publics et les transports en commun), et en plus fiers de l’être ? Une autre façon de dire « I’m black and I’m proud » …

Sinon, n’étant point spécialiste de ce genre d’objet sonore, je ne sais point trop où il se situe dans le mouvement et l’évolution du fuckin’ jazz, même s’il me semble qu’à cette époque c’était déjà un peu suranné (comme aller voir Metallica aujourd’hui, quoi), et qu’à la même époque et dans d’autres genres des types comme Presley ou Petit Richard avaient entamé une révolution qui me parle beaucoup plus …

STANLEY DONEN - LES SEPT FEMMES DE BARBEROUSSE (1954)


Un sommet ... du kitsch

Et pourtant il y a un gros poisson derrière la caméra. Stanley Donen, seulement vingt-sept ans au moment où il commence le tournage, mais déjà chorégraphe superstar de la MGM et réalisateur pour cette firme de deux comédies musicales au succès gigantesque, « Un jour à New York », et surtout la référence absolue du genre « Chantons sous la pluie ».
Et déjà, à l’époque, on peut constater que l’industrie cinématographique hollywoodienne ne jetait pas les dollars par les fenêtres, car tout Donen qu’il était, il se verra allouer un budget quasi misérable pour son nouveau film. Tiré d’un bouquin, déjà extrapolation d’un épisode de la mythologie romaine (l’enlèvement des Sabines), et originellement nommé comme lui « The sobbin’ women ». So what ? Des femmes qui chialent ? Cherchez autre chose comme titre a dit la production. Titre suivant proposé : « A bride for seven brothers », qui aurait certainement fait l’affaire chez Marc Dorcel, mais là, nouveau refus. Le suivant sera le bon, « Seven brides for seven brothers », évidemment traduit stupidement en français … et pourquoi sept ? ben voyons, les sept nains, les sept femmes de Barbe-Bleue, tout çà, le scénariste avait pas trop envie de se compliquer la tâche. Donen va se retrouver en plus avec un cahier des charges compliqué. Il devra tourner en Cinémascope (premier film dans ce format pour la MGM), lui qui n’est pas un technicien de la caméra, et pour assurer le coup, retourner les scènes au format « normal ». Deux films pour le prix d’un en sorte, c’est la version en scope (et en stéréo) qui sera diffusée …
L’histoire se passe en 1850 dans l’Oregon et ses majestueux paysages naturels … en carton massif. Tout a été tourné en studio et ça se voit très très beaucoup (scène gag involontaire du film : une ouverture hors champ de cages aux oiseaux dans un cadre bucolique, et les pauvres piafs qui vont se crasher dans le décor de fond, on le distingue parfaitement …). Pire, Donen n’a que deux acteurs de comédies musicales confirmés, Howard Keel et Jane Powell, qui auront les rôles principaux. Le reste du casting, c’est pas une blague, sera pris parmi les gens sous contrat avec la MGM et qui ne sont pas en train de tourner un autre film. Il en manque encore, mais qu’à cela ne tienne, des danseurs venus du classique tout ce qu’il y a de sérieux et des acrobates de cirque complèteront le casting. Il en manque toujours ? Et bien quand tous les autres multiplieront les acrobaties, ceux qui ne savent pas danser resteront assis et taperont la mesure pendant que ceux qui savent danseront …
Forcément, tout ça finit par laisser des traces à l’écran. Le genre en lui-même implique un scénario cousu de fil blanc, faut pas trop chercher à s’intéresser à l’intrigue, c’est obligatoirement une happy end. Point de départ : sept frères roux (pourquoi roux ? on sait pas) et célibataires vivent dans une ferme perdue, et le film nous narre leurs tribulations pour trouver épouse. Jeu des acteurs sommaire assorti de force grimaces expressives, gags et répliques ultra-téléphonés, même Christian Clavier aurait eu l’air bon dans ce truc, c’est dire … mais la comédie musicale est un genre très codifié qui se doit de proposer un spectacle populaire et familial, et ce film a rempli parfaitement son rôle, gros succès en salle (cinquième meilleure fréquentation aux Etats-Unis en 1955), et les producteurs doubleront leur mise …
Aujourd’hui, c’est le type même de film qui a sévèrement morflé. C’est naïf, criard, furieusement kitsch, un vestige d’un autre temps et surtout d’une époque où le public n’avait pas les mêmes goûts et les mêmes attentes qu’aujourd’hui face à un film. D’autant plus que « Les sept femmes … » est largement surestimé. Ses chansons n’ont pas traversé le temps, l’intrigue est d’une niaiserie confondante, et les faiblesses du casting font qu’on n’a pas droit à de grands numéros sophistiqués de danse. A une exception près, Donen a mis le paquet sur une scène, dite « de la grange », qui a nécessité trois jours de tournage plan par plan, et où, tirant profit de l’hétérogénéité de ses acteurs, on passe de quadrilles enlevés, à des numéros assez spectaculaires de danse classique ou d’acrobatie.
Pour le reste, il n’y a pas vraiment de quoi se relever la nuit …

JOHNNY CASH - AT HIS MIGHTY BEST VOL. 3 (1992)


De bric et de broc ...

Une compilation française, oui Monsieur … et comme tout ce qui touche au rock au sens large dans ce pays, un truc étrange et assez mal foutu … Sorti à une époque, où des épiciers du disque, auto-proclamés « agitateurs culturels » avaient monté un label, originalement nommé FNAC Music, sortant des compilations de vieux trucs dont plus personne voulait, distribuant  également quelques labels indés français, tout ça pour surfer sur la vague d’un support Cd en pleine croissance.
Et parmi tous ces machins antiques un peu ringardisés à l’époque, Johnny Cash. Totalement out, l’Homme en Noir, au début des années 90. Pas encore pacsé avec Rick Rubin, Cash enregistrait au jour le jour des disques chez qui voulait bien le signer. C’est sans doute sans trop de difficultés et à bon prix que la FNAC a récupéré les autorisations sur son fonds de catalogue. Et sorti trois compilations « At his mighty best » de vingt titres chacune.
Mighty best si on veut. Des titres piochés certes dans sa bonne période des débuts chez Sun de 58 à 64 (mais Cash sortait aussi en même temps des disques chez Columbia à partir de 1960), jetés sur des rondelles brillantes en dépit de tout ordre chronologique ou de toute thématique, avec un livret qui assure tout juste l’essentiel des informations légales. Alors on se retrouve avec quelques morceaux connus et puis d’autres titres beaucoup plus anecdotiques, même si les ingrédients de base sont là : la structure rythmique quasi inamovible, la voix de baryton à tendance sépulcrale, l’atmosphère austère et dépouillée typique de l’époque Sun. Au fil des ans, l’accompagnement s’étoffe un peu, des chœurs sont présents (Les Tennessee Riders ou la Carter Family).
Le matériau essentiel de cette compilation est de la good old country, sous forte influence Hank Williams (de toutes façons, de tous ceux de l’écurie Sun, Cash est celui qui a le moins donné dans le rock’n’roll). L’ensemble des vingt titres est correct, rien de rare ou d’inédit tant les compilations ou rééditions avec bonus des disques de l’Homme en Noir sont innombrables. Meilleurs titres du lot : les plus ou moins « classiques » « Rock island line », « I love you because », « I could never be ashamed of you », « Next in line », « It’s just about time ».
Le label Fnac Music n’ayant duré que quelques années, ces Cds n’ont jamais été réédités, mais se trouvent encore d’occase pour quelques euros (ça vaut pas plus) sur les sites spécialisés.

Du même sur ce blog :
American IV The Man Comes Around


JOHN FORD - LA PRISONNIERE DU DESERT (1956)


L'apogée d'un genre ?

C’est quoi un bon western ?
Il doit être des années 50 ? Il est signé John Ford ? John Wayne a le rôle principal ? Il y a des bons et des méchants ? Des Indiens ? Des fusillades ? De grandes cavalcades ? Des paysages grandioses ? Des grands sentiments éternels ? Quelques touches d’humour ?
Changez rien, vous êtes sur la bonne page, j’ai ce qu’il vous faut. « La prisonnière du désert » ça s’appelle. Traduction française idiote, comme parfois. Le titre original, c’est « The searchers », et c’est beaucoup plus parlant. Ça va même plus loin que de la recherche, il s’agit d’une quête à tout prix.
John Wayne & John Ford
Au départ pour retrouver une fillette, Debbie, la nièce d’Ethan Edwards (John Wayne), enlevée de la ferme familiale lors d’un raid de Comanches, qui ont massacré l’essentiel de la famille. Cette traque va durer des années et ses objectifs vont changer. Plus que de retrouver celle qui est devenue adolescente, Edwards entend se venger de son ravisseur.
Le personnage d’Ethan Edwards est un des plus ambigus joués par Wayne. C’est ce rôle qui est toujours cité par ceux qui veulent démontrer qu’il était un grand acteur. Fini le héros au cœur pur, bien droit sur ses éperons, redresseur de torts, défenseur de la veuve, de l’orphelin, du faible et de l’opprimé … Fini aussi le massacreur d’Indiens « pour la bonne cause », qui lui donnera pour l’éternité une image de héros un tantinet réac (descendant le plus évident, malheureusement davantage premier degré : Clint Eastwood). Dans « La prisonnière … », Wayne est un égoïste, en proie à une idée fixe, sans aucune humanité : il tire dans le dos des gens qui s’enfuient (des pillards, des Comanches), révolvérise des Comanches morts (une balle dans chaque oeil, pour que selon leurs croyances, ils ne puissent pas trouver le chemin de leur Paradis),  massacre des bisons (« au moins ceux-là les Comanches ne les mangeront pas »), scalpe des Indiens, traite le demi-frère adoptif de Debbie (Martin, joué par Jeffrey Hunter) qui l’accompagne tout au long de sa recherche comme un larbin (parce qu’il a un huitième de sang indien) et les années passant, veut retrouver sa nièce, non plus pour la libérer mais pour la tuer, car elle est pour lui devenue une Comanche …
Jeffrey Hunter & John Wayne
Tout l’art du scénario consistant à ne pas expliquer le pourquoi de ce comportement, mais à donner des pistes. L’action débute au Texas en 1868, trois ans après la fin de la Guerre de Sécession, lorsque Ethan revient à la ferme de son beau-frère. Ethan, pas le genre de type auquel on pose des questions. On devine en observant et écoutant bien qu’il était un petit gradé, a été décoré, ne s’est pas rendu à la fin de la guerre, a un petit capital en or acquis certainement peu légalement, a peut-être eu une relation avec sa belle-sœur (une idée défendue par John Milius dans les bonus du BluRay), a fréquenté les Comanches (et peut-être même leur chef ravisseur) dont il parle la langue, … C’est cet aspect tout en non-dits qui rend fascinant le personnage, certainement le plus complexe, le plus « noir » joué par Wayne.
Et pourtant ce n’est pas Ethan Edwards qui écrase le film. C’est l’environnement. Certainement parmi les plus beaux extérieurs jamais mis en scène, les décors grandioses et lunaires de Monument Valley, dans l’Utah. « La prisonnière … » est un projet pharaonique, inconcevable de nos jours. John Ford, qui a quand même ce qu’il est convenu d’appeler une solide réputation et les moyens qui vont avec, a transporté un studio hollywoodien au cœur de Monument Valley. Des bulldozers ont tracé des routes, creusé des retenues d’eau, des lignes électriques ont été tirées, un campement-baraquement construit pour toute l’équipe du film (plus de trois cent personnes). Bonjour le bilan carbone et la préservation du patrimoine naturel… Le résultat coupe le souffle, les plan très larges de Ford sont un ravissement pour l’œil. Même si à ce stade il convient de parler technique. « La prisonnière … » est sorti à l’origine en Technicolor, et VistaVision (le plus beau format cinématographique, dixit Scorsese - qui doit s’y connaître un peu - dans les bonus). Un format qui a disparu des salles de cinéma, et à plus forte raison des écrans de télévision. Il faut quand même saluer la qualité visuelle remarquable de la version BluRay (image remastérisée au format 16/9, d’une précision diabolique, on voit bien que les intérieurs sont des décors, mais dès que les protagonistes enfourchent leurs chevaux et qu’on a droit aux grands espaces, c’est un régal), mais dire aussi que la partie son est ignoble (mono, souffles, sifflements et craquements divers, une honte ... ). « La prisonnière … » est aussi une ode à la beauté de l’Amérique au sens large (des scènes ont été tournées au Mexique, et d’autres dans les neiges du Canada, notamment une superbe traversée de rivière glacée par un détachement de soldats à cheval …).
John Wayner, dernière scène du film

Ford se sublime, se dépasse sur ce film. Lui qui se contentait le plus souvent de laisser l’action traverser le champ d’une caméra fixe joue superbement des contrastes (le premier plan, caméra à l’intérieur de la ferme,  porte qui s’ouvre, silhouette de la femme qui se découpe sur la lumière aveuglante du désert, et son pendant symétrique sur la dernière scène, où là, c’est John Wayne qui est devant l’encadrement, fait demi-tour, et s’en retourne  vers le désert, mais aussi à deux reprises l’action filmée depuis l’intérieur d’une grotte vers l’extérieur). Et puis, surtout, et c’est la clé du film, le plan qui permet de saisir le personnage d’Ethan Edwards, ce travelling avant (Ford est très économe de ce genre de mouvements de caméra) sur son visage et son regard, alors qu’il vient de voir dans le camp militaire si sa nièce ne se trouve pas parmi des prisonnières blanches longtemps captives des Comanches et libérées par la troupe. Il y a dans ce plan et ce regard tout le mépris et le racisme d’Edwards envers ces femmes qui ont fini par perdre leurs racines « américaines » et ont été « gangrenées » par la culture Comanche (à comparer avec les pitoyables grimaces d’Eastwood dans le faussement humaniste mais très con « Gran Torino »).
Natalie Wood
Dans « La prisonnière … », Ford et Wayne (copains comme cochons, c’est leur treizième film commun, on les voit toujours ensemble en train de descendre des bières entre les scènes et pendant les jours off,) dépassent pour le personnage central d’Ethan Edwards leurs stéréotypes habituels. Que l’on ne me dise pas que cette haine raciale du personnage principal n’a rien à voir avec le maccarthysme et ses corollaires réactionnaires qui viennent tout juste de s’achever dans l’Amérique des années 50, y compris dans leurs épilogues respectifs. Le final du film, assez imprévisible et inattendu, ce brusque retour à l’humanité, est le pendant de la déchéance finalement rapide de McCarthy et du revirement aussi rapide de la société américaine dans la seconde moitié des 50’s.
Les personnages secondaires peuvent aussi être perçus comme des visions allégoriques d’une tradition typiquement américaine. Le personnage joué par War Bond, curé et militaire à la fois, tenant à la main soit la Bible soit un Colt pour tirer dans le tas des cavaliers Comanches, traduit bien tous les paradoxes de la mythique conquête du Far West. Il y a aussi les héros de l’absurde (le fiancé de Lucy la sœur de Debbie, également enlevée) qui se lance dans une attaque suicide du camp Comanche après la découverte du cadavre de sa promise. « La prisonnière … » est un film comme l’époque qu’il décrit, très violent. Alors qu’un Peckinpah traduira une décennie plus tard cette violence par des gunfights interminables dans des geysers de sang, Ford ne la montre jamais. Tout se passe hors champ, est évoqué (la découverte par Edwards du cadavre de Lucy, violée puis abattue par les Comanches).
« La prisonnière … » n’est pas pour autant un film oppressant. Ford aère cette chasse à l’homme très noire par des scènes beaucoup plus légères (un War Bond aux apparitions toujours truculentes, le « mariage » de Martin avec une Comanche qu'il a achetée, le propre fils de Wayne dans un petit rôle de jeune soldat « bizuté » par son père et War Bond qui improvisent la plupart de leurs répliques et le forcent à suivre, …). De même le personnage de Moïse, simplet lunaire, accompagnateur occasionnel de Martin et Ethan, et qui finalement sera celui qui découvrira le camp Comanche.
Vera Miles
Un mot sur les femmes. Un peu des faire-valoir dans les westerns, et celui-ci n’échappe pas à la règle. Le rôle féminin principal (Laurie, la fiancée de Martin) est tenue sobrement par Vera Miles. Celui de la prisonnière Debbie est joué par les deux sœurs Wood (Lana lorsque c’est une fillette, ensuite par Natalie). Même si elle figure en bonne place sur l’affiche du film, Natalie Wood n’apparaît que quelques minutes dans le dernier quart d’heure, et la célébrité toute personnelle qu’elle obtiendra à cette époque-là vient de son interprétation un peu plus consistante dans « Rebel without a cause » aux côtés de James Dean.
« La prisonnière … » est par beaucoup considéré comme le sommet du western « classique », avant que ce genre disparaisse quasiment pendant une décennie des salles de projection et ne renaisse vers la fin des sixties avec des noms nouveaux et un traitement totalement différent (Peckinpah, Penn, Leone,…). « La prisonnière … » est aussi un peu le chant du cygne de John Ford (« L’homme qui tua Liberty Valance » avec … John Wayne sera quatre ans plus tard son dernier classique, son testament pourrait-on dire). John Wayne s’en sortira un peu mieux (« Rio Bravo », western à huis-clos, un peu l’antithèse de « La prisonnière … », « Le jour le plus long »), mais pour ces deux monstres sacrés les années 60 allaient s’avérer n’être pas faites pour eux … 


CHESS PIECES - THE VERY BEST OF CHESS (2005)


Echec et mat ...

Quand on remonte aux origines de ce qu’on appellera plus tard d’une façon générique le rock, on cite quelques poignées d’artistes, blancs ou noirs, qui ont tout déclenché au milieu des années 50 par leurs premiers disques. Si on affine encore plus, il ne reste que trois noms à l’origine de tout : ceux de Sam Philips et des frères Chess, Leonard et Phil. Pas des chanteurs, pas des musiciens, pas des compositeurs. Juste les propriétaires de minuscules studios d’enregistrement qui créeront des labels pour sortir leurs disques.
John Lee Hooker
Pour le premier, ce sera Sun Records à Memphis (Presley, Cash, Perkins, Orbison, Lewis, …), pour les frères Chess ce sera Chess Records à Chicago. Et là la liste de leurs signatures est encore plus imposante.
Cette compilation en deux Cds et 48 titres propose un aperçu de leurs artistes à travers quelques-unes de leurs œuvres marquantes. Partie émergée de l’iceberg, tant le gens signés chez Chess se sont révélés prolixes. Les deux frangins émigrés de Pologne à la fin des années 20 vont par leurs premières signatures à partir de 1947 représenter un nom magique pour tous les bluesmen. Lesquels sont généralement issus du Mississippi (le Delta blues) et vont dès lors se lancer dans une transhumance vers l’Illinois. Un mouvement déjà entamé depuis le début du siècle, Chicago et ses établissements tenus par la mafia étant à peu près le seul endroit des States où ils pouvaient se produire. Avec les frères Chess, il y avait en plus le mirage de l’enregistrement, du fameux contrat, et de la fortune supposée qui va avec.
Howlin' Wolf
Si j’ai parlé de mirage, c’est que les frères Chess étaient tout sauf des philanthropes, mais beaucoup plus les prototypes des requins de la finance qui plus tard ont jeté leur dévolu sur le milieu musical. D’ailleurs la plupart de leurs artistes majeurs n’ont eu d’autre choix que de leur coller des avocats aux fesses pour pouvoir se défaire de contrats léonins et espérer toucher de l’argent et vivre de leur art sous d’autres cieux … Phil et Leonard Chess étaient gosso modo des escrocs, mais qui ont eu un flair assez impressionnant pour dénicher au milieu des cohortes de va-nu-pieds qui les sollicitaient les futures légendes de la musique noire. Car à l’opposé de Philips et de l’écurie Sun, les frères Chess n’ont pratiquement signé que des artistes noirs.
Chuck Berry
Les bluesmen dans un premier temps. Howlin’ Wolf d’abord à travers une licence de distribution, son premier disque étant estampillé … Sun Records (le monde musical était alors tout petit), mais Sam Philips, avec ses artistes et son public quasi exclusivement blancs, ne savait trop que faire de ce nègre à la grosse voix sépulcrale. Très vite, le catalogue s’enrichira de noms aussi importants que John Lee Hooker, Little Walter, Elmore James, Lowell Fulsom, Sonny Boy Williamson, Jimmy Whiterspoon, et, cerise sur le gateau de Muddy Waters et de son alter ego de l’ombre, l’immense Willie Dixon (peut-être le moins connu du lot, mais de fait l’homme essentiel de cette scène blues de Chicago, auteur de l’essentiel du répertoire de Waters, d’une bonne partie du répertoire de quelques autres, producteur, et chef d’orchestre des musiciens du studio Chess). Soit la plus belle brochette de métèques dont se réclameront tous ceux qui depuis 50 ans font des choses avec du rythme et du blues.
Bo Diddley
Mais c’est pas tout. Chez Chess à la fin des années 50, y’a un autre nom qui clignote, et pas qu’un peu. Celui de Chuck Berry. Le pervers pépère du rock’n’roll, celui qui a défini l’usage et le rôle de la guitare électrique dans cette drôle de musique syncopée, et auteur à lui tout seul, allez je vous le fais à la louche, de la moitié des hymnes les plus connus de ce nouveau genre. Et pas très loin du Chuck, on trouve sur l’échiquier artistique du label d’autres adeptes des rythmes chaloupés, comme Bo Diddley et dans une moindre mesure Dale Hawkins (celui de « Susie Q », titre tant de fois repris). Et certains historiens vont même jusqu’à trouver dans le catalogue Chess le premier morceau de rock’n’roll jamais gravé, le « Rocket 88 » de Jackie Breston, dans le groupe duquel on trouvait à la guitare un certain Ike Turner …

Tous ces gens ont écrit suffisamment de classiques pour remplir plusieurs Cds. Ils ont présents sur le premier disque de cette compile avec un ou deux morceaux parmi leurs plus connus. Et si les frères Chess exploitaient sans vergogne leurs artistes, ils prenaient soin de leur (plus très) petite entreprise, et sentant bien que cet engouement pour les formes de musique qu’ils produisaient ne durerait pas, se sont « diversifiés ». Tout en restant cohérents sur la « ligne » du label, ils se sont tournés vers du rhythm’n’blues canaille et festif (Clarence « Frogman » Henry), le doo-wop avec l’approche originale qu’en faisaient Harvey & The Moonglows ou les Jaynetts (« Sally go ‘round the roses », dont l’oubliée Carmel se souviendra pour son gros hit « Sally » du début des 80’s), voire le son tex-mex à base d’orgue (Dave « Baby » Cortez).

Laura Lee
La roue de l’Histoire tournant vite à cette époque-là, Chess s’en remettra dès le début des années 60 au rhythm’n’blues, toutes les figures blues du label étant soit parties sous d’autres cieux présumés plus hospitaliers, soit en net déclin artistique. Ce sont essentiellement ces nouveaux noms que l’on trouve  sur le second Cd, et il faut bien reconnaître, que sans être totalement anecdotique, il y a une sacrée baisse de régime. Les machos diront que c’est logique, le tracklisting étant majoritairement féminin … sauf que ce sont elles qui s’en sortent le mieux. Il y a de sacrées clientes chez Chess dans les 60’s : Etta James, Mitty Collier, Sugar Pie DeSanto, Fontella Bass, Koko Taylor, Laura Lee. Le label s’oriente vers ce que font toutes les maisons de disques de l’époque en matière de black music, exit le blues et place au rhythm’n’blues, à la soul (d’abord orchestrée puis plus dépouillée), et finalement vers des sonorités plus pop et vers la fin de la décennie plus funky.
Petite parenthèse. Il y deux titres sur cette compilation qui font partie de ceux cités comme étant à l’origine du rap. Le « Say man » de Bo Diddley, dont une de ses amies, Sylvia Robinson, qui avec son duo rhythm’n’blues, Mickey & Sylvia (Mickey, c'est Mickey Baker, guitariste de légende tout récemment disparu) reprendra un de ses titres, avant de devenir au tout début des années 80 la patronne de Sugarhill Gang, premier label rap del’Histoire. L’autre titre est encore plus étonnant, c’est carrémént du rap old school. Il s’appelle « Here comes the judge » et est l’œuvre en 1968  d’un comique de télévision, Dewey « Pigmeat » Markham signé par les frangins Chess.
Mais l’âge d’or de Chess est terminé, ce n’est plus le label qui régnait sans partage, et il a dans les années 60, malgré d’indéniables réussites, fort à faire avec des concurrents comme Tamla-Motown, Stax, Atlantic. Lesquels, en plus d’avoir un catalogue d’artistes beaucoup plus étoffé, ont les hits et l’argent qui va avec pour entretenir la machine. Et plutôt qu’artistique, la chute de Chess sera financière, le label sera vendu une première fois en 1972, et à la suite de rachats successifs, fait aujourd’hui partie de la major Universal. Seul le fonds de catalogue est exploité, Chess n’a plus sorti un disque sous son étiquette depuis quarante ans …