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BRIAN ENO - AMBIENT1 MUSIC FOR AIRPORTS (1978)

 

A écouter ou à entendre ?

Brian Eno, c’est pas un blaireau (joke cycliste des années 80, désolé mais c’était trop facile). C’est tout le contraire, le gars a du sang bleu dans les veines, son vrai blaze étant Brian Peter George St. John le Baptiste de la Salle Eno, ça claque davantage sur une carte de visite que Robert Smith ou Duran Duran …

Moebius, Eno, Rodelius & Plank 1977

Le Brian a commencé à se faire connaître par ses extravagances sonores et vestimentaires dans les deux premiers Roxy Music, avant de faire son Clapton et de quitter la bande à Bryan Ferry une fois le succès arrivé. Suivront une poignée d’albums solo hautement recommandables (concepts plutôt cérébraux, mais musique sous forme de chansons très accessibles). Parallèlement à sa carrière solo, Eno collaborera avec quelques extravagants de son acabit genre John Cale ou Robert Fripp, avant de devenir producteur – éminence grise sonore de Bowie dans sa trilogie dite berlinoise. Ce qui renforcera notablement sinon sa célébrité, du moins sa notoriété.

Eno a dès le départ souvent crié sur tous les toits son admiration entre autres pours ceux qu’on a parfois qualifiés comme faisant partie de l’école minimaliste américaine (Terry Riley, John Cage, Steve Reich, Philip Glass, …). Parallèlement, Eno a bossé avec deux types de Cluster (prog électronique) aux noms sortis des BD d’Astérix (Moebius et Rodelius), ainsi que leur producteur, Conny Plank. Ajoutez les plages instrumentales des albums de Bowie (elles aussi sous influences krautrock), et vous avez en gestation un cocktail sonore capable de faire fuir tout fan de Status Quo normalement constitué. Le déclic pour « Ambient 1 Music for airports » viendra lorsque Eno flippera sa race dans un terminal d’aéroport à cause de retards de vols et de l’atmosphère anxiogène qui s’ensuivra (mes correspondances, mes rendez-vous, …) parmi les passagers. Il imaginera donc une musique anti-stress qui conviendrait parfaitement à ce genre de situation dans les aéroports.

Musique pour salon de thé ? Eno 78

Bon, moi la musique d’aéroport, ça m’évoque la première scène du « Lauréat », où la caméra suit un Dustin Hoffman impassible sur un tapis-roulant électrique. Et le fond sonore c’est « The sound of silence » de Simon & Garfunkel. Je suis pas un fan acharné du nain et du grand bêta rouquin, mais autant être clair, je préfère leur gentil folk baba au disque d’Eno. Qui n’est pas mauvais-mauvais, mais bon, vous m’avez compris …

Et si vous avez pas compris, je m’explique (brièvement, je vais pas passer cent ans à écrire sur cette rondelle). « Music for airports », comme indiqué dans l’autre partie du titre, c’est de l’ambient, c’est-à-dire un truc mélodiquement linéaire, pas de structure rythmique, très peu d’instruments, très peu ou pas du tout de paroles, et des claviers, de préférence électroniques … Eh, oh, il reste encore quelqu’un ? …

Au cas où, continuons vaillamment comme si de rien n’était la description de l’objet. Quatre morceaux (pas de titres, numérotés dans l’ordre des pistes vinyles d’origine, à savoir « 1-1 », « 1-2 », « 2-1 », « 2-2 ») entre huit et seize minutes, pour un total de trois-quarts d’heure. Et comme y’a davantage de place sur le cd, 30 secondes de silence après chaque titre (même après le dernier) celui-ci étant rallongé de trois minutes sur la rondelle argentée par rapport à la parution originale.

« Ambient 1 … » deviendra la référence absolue du genre auquel il donnera son nom, et générera des multitudes de disques s’en inspirant (en gros tout ce qu’on peu regrouper sous le terme de muzak électronique, musique d’ascenseur, chill-out music, …). Sauf que tous ces papiers-peints sonores, ils sont là pour décorer, on les entend mais on les écoute pas. On peut faire pareil avec le disque d’Eno (mais alors, à quoi ça sert de jouer un disque qu’on écoute pas ? bonne question, gamin, t’as gagné l’intégrale de Motörhead), sauf que les quatre titres sont différents.

J'en ai une longue comme çà ... Vantard, Brian Eno ?

« 1-1 », le plus long, reçoit le renfort de notamment l’auto-défenestré Robert Wyatt, sorte de Coluche pataphysique et communiste, entre autres fondateur de Soft Machine et responsable du seul titre écoutable (« Moon in June ») de leur bouillasse « Third ». Il joue ici du piano (rappelons qu’il est batteur) façon Pascal Comelade par-dessus les synthés d’Eno, et c’est beau (et chiant) comme du Keith Jarrett période « Koln Concert ». Sur « 1-2 », seulement des nappes de synthés planants, sur lesquels se superposent des vocaux (râles liturgiques genre gospel ou chant grégorien par un trio de trisomiques). Troisième titre (« 2-1 ») et nouvelle juxtaposition, cette fois de ces chœurs avec les synthés d’Eno sonnant comme des pianos robotiques. Le dernier titre viendra clore les possibilités du mélange acoustique/électronique, vocal/instrumental, à savoir des accords plaqués sur des synthés qui pour le coup donnent l’impression (mais juste l’impression, ça ressemble pas à du Slayer) d’être violents.

Bon, pour moi, le meilleur des quatre c’est le premier, et les autres (effet de répétition, lassitude, mais tout ça est peut-être le but, « oublier » d’écouter pour juste percevoir le fond sonore), au fur et à mesure qu’ils défilent, ils me gavent quand même un peu beaucoup … bon, j’ai jamais écouté (ou entendu) ce disque dans un aéroport, mais il paraît qu’il est parfois diffusé dans des salles de réveil de bloc opératoire …

A noter que « Ambient 1 … » est paru (et réédité) sur le label E.G. Records, label roi du prog (celui de King Crimson, ELP, de quelques rondelles de Genesis) autant de gens très exigeants en matière de son. Ben, même en version Cd remastérisée, y’a un souffle de mammouth sur « Ambient 1 … », et j’ose pas imaginer ce que ça peut donner sur un vinyle d’origine …

Ah, et puis, Eno il en sortira d’autres des ambient (au moins trois de plus il me semble) avant de devenir un producteur très successful dans les années 80.

Conclusion, c’est (quasiment par définition) pas franchement insupportable, mais, bon, suivant …


Du même sur ce blog : 

Before And After Science


TOM WAITS - SWORDFISHTROMBONES (1983)

 

Rupture ...

En 1983, le cas Tom Waits semblait une affaire classée. Il a trente quatre ans, a déjà publié sept disques, s’est constitué son petit public, a tourné dans quelques films, a mis un peu de beurre dans ses épinards car certains de ses titres ont été repris (notamment « Ol’ 55 » de son premier disque par les Eagles, en attendant « Jersey Girl » par le Boss himself en 84, lors des sessions de « Born in the USA », face B du single « Cover me »).

Tom Waits, qu’on parle de lui ou de sa musique, y’a un mot incontournable : bar. A cause de son style musical, pour lequel piano-bar est le qualificatif le plus évident. Et puis bar, comme ici on dirait troquet ou bistrot, parce que c’en est un client assidu rayon boissons pour hommes (on n’obtient pas son grain de voix en carburant au Perrier-tranche), et parce que c’est dans cet univers alcoolisé de piliers de comptoir qu’il trouve l’inspiration pour ses textes, suffit d’écouter ce que racontent les compagnons de biture …

Tom Marcel Waits

Avec « Swordfishtrombones », changement de décor. Pas forcément au niveau des textes, on y retrouve pas mal de ces épopées déclamées toute langue pâteuse en avant quand il y a trois heures que promis, je bois le dernier et je me casse, allez remets la mienne et j’y vais … Par contre, question musique, changement radical.

Le genre piano-bar, on en trouve encore un (tout petit) peu. Sur quinze titres, deux peuvent être rattachés à « l’ancien » Tom Waits. « Soldier’s things » vers la fin et « Johnsburg, Illinois » (chanson sur la ville de naissance de Kathleen Brennan, il sera question d’elle un peu plus loin) vers le début. Tout le reste est, comment dire, totalement barré dans un univers jusque là inconnu. Allez faire un tour sur le net, et vous verrez les qualificatifs descriptifs les plus étranges attribués à ce disque. Celui qui revient souvent, parce que relativement neutre et vague, c’est rock expérimental, répondant à un besoin maniaque de coller une étiquette sur un disque.

Bon, je suis pas musicologue et j’ai pas assez de disques sur les étagères pour définir tous les tenants et aboutissants, mais la démarche de Tom Waits me semble assez inédite. Par sa concision (quinze titres en quarante deux minutes), et par son éclatement. Tom Waits n’a pas avec « Swordfishtrombones » défini un nouveau genre musical, il a pioché et extrapolé à partir de plusieurs. Et surtout, dans un contexte instrumental assez dépouillé (la plupart des titres ne font intervenir que deux ou trois instruments), il va chercher l’étrange, le contre-emploi. Sur quelques-uns des titres, il y a du Hammond B3. Chez l’immense majorité des types qui maltraitent cette armoire normande musicale, on essaie de sonner comme Jimmy Smith (enjoué, guide mélodique du titre). Chez Tom Waits, le B3 sonne comme un harmonium (d’ailleurs quand il y a un harmonium, on fait pas vraiment la différence), il soutient une mélopée le plus souvent triste, qu’il ne serait même pas exagéré de qualifier de funèbre. Un autre exemple, les marimbas sur le morceau-titre. Les marimbas, l’extraordinaire gimmick sonore amené par Brian Jones sur « Under my thumb » (de Led Zeppelin, faut parfois vérifier si les gens lisent). Bon, écoutez « Swordfishtrombones » le morceau, et dites-moi si ça vous fait penser à « Under my thumb ». En plus de sortir certains instruments du musée, Tom Waits a rajouté l’originalité de leur utilisation à leur rareté.

Tom Waits & Kathleen Brennan

Mais comment diable en est-on arrivé là ? J’ai ma petite idée, toute personnelle et surtout pas officielle. Tom Waits me semble victime du syndrome de Yoko Ono. Rappelez-vous, quand le chien fou binoclard des Beatles a rencontré Yoyo, il a changé son style d’écriture, est devenu plus adulte, a sorti plus de titres « marquants ». Avant de virer adorateur béat de sa muse et donner souvent dans le n’importe quoi pathétique et risible. La Yoko de Tom Waits, elle s’appelle Kahleen Brennan, il l’a rencontré sur le tournage d’un film, l’a épousée, et pas perdu une occasion de dire son influence sur sa vie et on écriture. D’ailleurs « Swordfishtrombones » lui est dédié. Alors la Kathleen, si elle est certainement pour quelque chose dans le virage musical à 180° de son mari, elle va finir par prendre une place de plus en plus croissante dans ses disques, et à partir de « Frank’s wild years » (1987) cosignera bon nombre de titres, plus souvent pour le pire que pour le meilleur …

Il y a donc de tout dans ce disque, mais pas n’importe quoi. La voix, le dépouillement, et des traces de blues au milieu de rocks concassés renvoient au Captain Beefheart (exemple le plus flagrant, « 16 shells from a 30.6 »), parfois Waits titille les ambiances jazzy (sans le verbiage instrumental et la démonstration technique) comme dans « Rainbirds » (final de disque en douceur) ou « Frank’s wild years », va piocher dans les ambiances tziganes que développera plus tard Kusturica (le titre d’ouverture « Underground »), insère des bribes celtiques (l’intro de « Town with no cheer »), plonge dans l’expérimental pur et dur (« Trouble braids »).


Waits pose aussi les jalons de ce que sera la suite, notamment son disque suivant et le meilleur de sa discographie (« Rain dogs »), à savoir des rocks plus ou moins cubistes ou déconstruits (« Down, down, down »), des ballades dévastées minimalistes (« In the neighbourhood » ou « Gin soaked boy », ce dernier est un peu son « Heartbreak Hotel »).

« Swordfishtrombones » est un foutoir sonore, une juxtaposition de pièces disparates, comme si le tracklisting avait été fait au hasard. Le genre de disques qu’on qualifie de « difficile ». Ça part dans tous les sens, il faut une grosse volonté ou un sens aigu de la compromission pour trouver tout excellent. C’est un peu le brouillon de ce que sera sa carrière par la suite, une fois qu’il aura recentré son propos autour de rocks à bout de souffle (pas un hasard si Keith Richards l’accompagnera sur trois titres de « Rain dogs ») et de ballades tristes. Il aura dès lors une nouvelle trademark Tom Waits. « Swordfishtrombones » assure seul la transition entre les deux « périodes » (comme on dit en parlant des peintres) de Tom Waits.

Alors oui, il peut parfois rebuter et ce n’est à mon avis pas la porte d’entrée idéale à sa discographie (plutôt « Blue Valentine » pour les précédents et « Rain dogs » pour les suivants), mais il montre une capacité de renouvellement et d’inventivité comme seuls les plus doués en sont capables.


Du même sur ce blog :

Closing Time
Nighthawks At The Diner
Asylum Years
Rain Dogs
Bad As Me




KATE BUSH - HOUNDS OF LOVE (1985)

 

Le Mépris ...

« Tu les trouves jolis, mes hits ? », « Et mes ambiances celtiques ? », « Et mes titres expérimentaux, tu les trouves jolis ? » …

Oui, Kate, je les trouve jolis …

Mais comme le chef-d’œuvre de Godard, le chef-d’œuvre de Kate Bush n’est pas un truc facile. Ça peut rebuter … Parce que « Hounds of love » est un disque déstabilisant, une Œuvre, sans le côté prétentieux qu’on attribue généralement au mot.


Kate Bush est une artiste atypique. Rattachée quasi accidentellement au rock-pop-machin. Elle vient de la musique et de la danse classiques, comme toute bonne fille de famille bourgeoise anglaise qui se respecte dans les années 70. Premier choc, elle aurait (conditionnel, mais imprimons la légende) fait partie (à 15 ans) des quelques centaines de privilégiés qui assistent à la « mort » de Ziggy Stardust le 3 Juillet 1973 au Hammersmith Odeon. Quelques semaines plus tard chez ses parents, elle joue en s’accompagnant au piano des chansons qu’elle a composées, devant l’ami d’un ami de la famille. Qui s’appelle David Gilmour et promet que quand Pink Floyd lui laissera un peu de temps libre, il amènera la gamine en studio. Il faudra attendre trois ans pour les premières séances, et deux de plus pour la sortie du premier single « Wuthering Heights ». Number one dans les charts anglais, une première pour une femme auteur-compositeur-interprète. Le fait que tous les collégiens anglais aient lu « Les hauts de Hurlevent » aidera au succès du titre. Mais la mélodie difficile au piano et les trois octaves (comme Joan Baez ou Laura Nyro, liste à peu près close) tout en haut des aigus de Kate Bush n’y sont pas pour rien. Et pendant deux ans, Kate Bush va voir sa popularité croître. Elle sort des disques, assure la promo. Et donne des concerts. Au sujet desquels le mot féérique est celui qui revient le plus souvent (les fringues à base de voiles vaporeux, la chorégraphie venue de ses années de danse classique, les fumigènes, les ambiances lumineuses en clair-obscur). Dès le départ, Kate Bush contrôle tout, et forcément, les frictions avec le music busines (EMI en l’occurrence) pointeront vite le bout de leur sale museau. En 80, basta, Kate Bush fait savoir qu’on ne lui imposera rien, qu’elle fera des disques quand elle en aura envie et qu’elle ne se produira plus sur scène (elle tiendra parole plus de trente ans). Un autre gros hit (« Babooshka ») la met définitivement à l’abri du besoin. Afin d’être totalement autonome, elle se fait construire son propre studio, et hormis son bassiste-compagnon Del Palmer, n’a plus de « groupe » attitré, elle emploie des musiciens au gré des besoins de ses titres. C’est elle qui produira ses disques, remixant ou réenregistrant complètement (comme Manset) des titres lors de rééditions ou sorties de compilations … Le fameux « Complete Control » que n’a jamais eu le Clash, c’est cette petite bonne femme qui l’obtiendra …


Revers de la médaille, vers le milieu des 80’s, Kate Bush décline commercialement, l’Angleterre faisant une fixation sur les « nouveautés », encensées un jour, portées au gémonies le lendemain. Lorsque qu’elle s’attaque fin 83 à « Hounds of love », son cinquième album, Kate Bush ne peut plus tenir sur ses acquis. Elle doit convaincre. Et évidemment, elle va s’y prendre d’une façon assez singulière. « Hounds of love » est à peu près ce qu’on a l’habitude de qualifier de suicide commercial. Un concept-album pour faire simple. Comme tous ceux qui font de la musique « sérieuse », c’est-à-dire prétentieuse et insupportable. Sauf qu’avec Kate Bush ça ne se passe comme avec tous les vulgaires maltraiteurs de gamme œuvrant dans le prog, genre auquel on l’a quelquefois paresseusement rattachée. « Hounds of love » est un disque « à l’ancienne » et novateur en même temps. A l’heure où il n’est plus question que de raisonner en termes de Cd, « Hounds of love » est conçu comme un trente-trois tours. En gros, une face chanson (« Hounds of love ») et une face expérimentale (« The ninth wave »).

La face « chansons » générera quatre singles (pour cinq titres). Plus connu, le titre d’ouverture, "Running up that hill". Polyrythmies ondulantes, mélodie complexe, évolutive, mais instantanément mémorisable, voix comme d’hab très haut perchée, "Running up that hill" finira en troisième position des hits anglais. Un titre immortel, ne serait-ce que parce qu’il a eu plusieurs vies. Kate Bush le remixera en 2012 à l’occasion des J.O. de Londres. Sixième dans les charts. Et puis l’improbable total se produira. En 2022, Kate Bush est contactée par les producteurs d’une série télévisée Netflix, « Stranger things », qui veulent utiliser le titre comme générique de leur prochaine saison. Discussions, accord. Et là, en quelques semaines, le titre devient viral sur les réseaux sociaux pour « jeunes ». Records de streaming sur Spotify, heavy rotations sur les radios, et titre qui trente sept ans après sa sortie devient numéro un dans plusieurs pays dans sa version originale, du jamais envisagé, même pas en rêve par qui que ce soit … "Running up that hill" est forcément le titre classique de Kate Bush. Mais pour moi il y a encore mieux sur ce disque. C’est « Cloudbusting », chanson au thème pour le moins étrange, morceau en hommage à un inventeur malade (Peter Reich) du cloudbuster, machine censée faire pleuvoir en utilisant des particules orgasmiques présentes dans l’atmosphère. Un titre qui suit une progression d’accords inexorable, et il me semble bien assez similaire au « Boléro » de Ravel. Pour moi de loin la masterpiece de toute la carrière de Kate Bush, avec un clip « expended » scénarisé par Terry Gillian, avec Donald Sutherland dans le rôle du maboule professeur et Kate Bush dans celui de son fils. Apparemment un titre trop bon pour les charts de l’époque, où il ne fit qu’une carrière modeste.


Sont également sortis en singles le morceau-titre « Hounds of love » (grosse batterie hyper compressée, musique linéaire, tout repose sur la voix de Bush) et « The big sky », ballade emphatique, lyrique avec des schémas complexes, qui évoque fortement le son de « So » le disque de Peter Gabriel qui sortira l’année suivante (normal, les deux s’appréciaient, échangeaient beaucoup, et Kate Bush participera à plusieurs morceaux du Gab, qu’elle ne sauvera pas toujours de la médiocrité, voir ou plus tôt écouter « Don’t give up »). Dernier titre de la face « Hounds of love », la belle ballade « Mother stands for comfort » qui ne dépare en rien le niveau très élevé de cette première partie du disque.

La suite (car la plupart des titres sont enchaînés) « The ninth wave » réussit à agglomérer tout et son contraire, des épures au piano à de l’expérimental total. Surprenante au premier abord, cette « suite » se mérite. Du piano-voix inaugural (« And dream of sheep »), à la légèreté finale de « The morning fog » (on boucle la boucle, c’est très proche du son, de l’ambiance et des rythmes de la première face). En utilisant des bandes accélérées et/ou passées à l’envers, des dialogues de films, des brisures de rythmes (« Waking the witch » en est le meilleur exemple, avec en plus un sample des hélicos qu’on entend sur « The Wall » du Floyd). Autant le vague concept de la première partie a du sens avec ses ambiances ou paroles mystiques ou ésotériques (elle devait s’appeler au départ « A deal with God », l’expression n’a été conservée que comme sous-titre de la chanson « Running up that hill »), autant j’ai jamais compris cette histoire de neuvième vague tant elle rassemble des titres hétéroclites. Alors c’est expérimental (dans la mesure où c’est pas des choses qu’on entend généralement dans un disque « grand public », et surtout pas le temps d’une face vinyle entière), mais c’est facilement abordable, très écoutable (sinon, Kate Bush ou pas, j’aurais dit que c’était de la daube). Deux titres sont plus « faciles » de prime abord, le très celtique « Jig of life » (enjoué, entraînant, qui ne déparerait pas le répertoire des Chieftains et rendrait tous nos bardes chevelus bretons plus supportables), et la pièce majeure de cette face « Hello Earth ». Ce bonjour à la Terre est le morceau le plus long du disque (plus de six minutes, commencé comme une ballade, le chant grégorien d’une chorale en partie centrale, des voix murmurées et des synthés pour finir).


Lors de sa sortie, « Hounds of love » renforcera si besoin était la crédibilité et l’originalité artistique de Kate Bush. Malgré ses quatre singles, ce sera une bonne vente sans plus. Très certainement en dessous des objectifs d’EMI, qui n’attendra que quelques mois pour sortir une compilation (« The whole story », un seul inédit, pas extraordinaire), mettant un terme à la première partie de l’œuvre de Kate Bush. Qui dès lors, se fera beaucoup plus rare discographiquement (quatre albums en vingt deux ans). Bizarrement, alors que dans le « métier » on fait tout pour faire parler de soi et perdurer pour rester en haut de l’affiche, plus Kate Bush se fera discrète, plus elle sera citée comme référence (et pas seulement dans le milieu musical) …

« Hounds of love », c’est classique et novateur en même temps … comme les meilleurs Godard …



De la même sur ce blog : 

The Kick Inside


CHASSOL - BIG SUN (2015)

 

Ultrascore ...

A priori, (Christophe) Chassol n’a pas grand-chose pour être my cup of tea … Le gars a passé des lustres dans des écoles de musiques, des conservatoires (en France ou aux States), a tourné avec Phoenix (bof …) ou Sébastien Tellier (re-bof …), et cite de façon ostensible Steve Reich (musique contemporaine, minimaliste et répétitive, re-re-bof …).

Le seul truc qui m’a fait jeter une oreille circonspecte sur ce « Big Sun », c’est le label. Chassol sort ses disques sur Tricatel, le label de Bertrand Burgalat, dont les productions (lui-même, mais surtout les fabuleuses rondelles d’AS Dragon ou d’April March) sont pour moi signe de qualité et d’exigence. Burgalat, malheureusement pour lui et son banquier, ne recherche pas la rentabilité par la médiocrité.


« Big Sun » est la bande-son d’un film du même nom. Que j’ai pas vu (pourquoi diable pas un package avec le Dvd et le Cd), mais c’est pas grave. Je vais essayer d’expliquer le truc. Une musique de film, ça accompagne les images, les compositeurs les plus doués étant capables de créer un thème musical qui sera le fil conducteur de la musique. Quand c’est réussi, le mélange image + son crée une ambiance, une atmosphère, et facilitent l’immersion du spectateur dans ce qu’il voit à l’écran. Et quand il y a de la musique, le son du film est relégué au second plan.

La démarche de Chassol (si j’ai bien compris à travers les notes du livret), c’est de faire de l’image et du son qui l’accompagne la matrice, la base même de la musique. En se servant de toute la technologie à disposition. Un exemple, si l’on voit et entend un oiseau en train de chanter, le chant de l’oiseau va être échantillonné, rejoué au synthé et servir de structure mélodique ou rythmique à la musique qui va accompagner l’image et le son (par exemple les titres « Birds 1 & 2 » et « Pipornithology 1 & 2 » sur ce disque). Cette façon de composer la musique d’un film, Chassol l’a baptisée ultrascore.

Burgalat et Chassol

« Big Sun » est un film documentaire tourné en Martinique, département d’origine de son père Eugène (saxophoniste, et mort avec sa femme lors d’un crash aérien en 2005). Une camerawoman (Marie-France Barrier) et un preneur de son (Johann Levasseur) se sont baladés dans l’île, ont filmé la nature et les gens. Et à partir de la bande-son, Chassol a mis en musique les images. Le disque est divisé en trois parties, une heure dix et vingt-sept titres. Parmi ces titres, nombreux sont ceux qui découlent d’une même approche, d’un même thème, d’une même phrase musicale.

Grosso modo, la première partie est « naturelle » (des oiseaux, un joueur de flûte), la seconde à base de voix (phonatoire dit Chassol), qu’il s’agisse de joueurs de dominos, de poètes, griots, chanteurs ou rappeurs locaux, et la troisième sur des traditions ou figures étonnantes locales (un carnaval, un type bizarre en treillis avec un masque de gorille, celui que l’on voit sur la pochette et porté par – je suppose – Chassol).

Chassol dans sa période Hendrix ...

Le résultat est quand même assez déroutant. Il semble évident que Chassol a atteint son objectif. L’écoute et le seul intitulé des morceaux permettent de « voir » de quoi il doit retourner sur les images. Le résultat (malgré son côté parfois « étrange »), au vu du background et des références de Chassol est plutôt accessible. Chassol fait parfois tout tout seul (il joue de la basse et des claviers), d’autres fois il accompagne les gens rencontrés seul ou avec un groupe (certains titres enregistrés en studio par de vrais gens, dont Burgalat). Assez étonnamment, des choses sans trop d’intérêt telles quelles (le joueur de flûte, ceux de domino, les artistes locaux qui peinent à se souvenir de leurs textes et sont souvent pour ne pas dire toujours à la limite de la justesse, …) se retrouvent bonifiées une fois que Chassol est passé par là. Rendre supportables les pénibles trompettes en plastoc (les « fameuses » vuvuzellas héritées de la Coupe du monde de foot 1990 de sinistre mémoire), ou les rythmes de batucada ou de samba sans que cela sonne comme l’animation de fin d’année à l’EHPAD du coin, est quasi un exploit en soi.

Parmi ceux que je qualifierai de réussis, je citerai « Birds » et « Pipornithology » évoqués plus haut, les variations de « Dominos » (la voix des joueurs sert de mélodie, le cliquetis des dominos de rythmique, le tout samplé et trituré sur quatre titres, qui s’éloignent de plus en plus du son d’origine), « Sissido » (un rap à l’envers, l’accompagnement vient se rajouter sur la voix et non pas l’inverse comme c’est toujours le cas dans le rap), « Samak » (même principe, une sorte de griot déclamant finit par ressembler à du krautrock des années 70). Pièce de choix : « Reich et Darwin » (Reich, pas le 3ème, le Steve, mais l’intitulé du morceau est ambigu, à coup sûr volontairement), titre qui part d’une structure minimale pour évoluer dans orchestrations plus alambiquées, le thème minimaliste restant toujours en filigrane. Si je voulais faire mon malin musicologue, je dirais que c’est un peu le principe du jazz modal, sauf que je sais pas ce que c’est que le jazz, qu’il soit modal ou pas …

« Big Sun », c’est moins problématique pour mes oreilles que ce à quoi je m’attendais, mais c’est pas pour autant que ça va devenir un de mes disques de chevet …


ALEJANDRO JODOROWSKY - EL TOPO (1970)

Western à l'Ouest ...

Anecdote révélatrice, ce film a pu être diffusé en salles grâce à l’intervention d’Allen Klein, manager véreux, forcément véreux, ayant frayé avec les Stones et les Beatles, et mis sur le coup « El Topo » par Lennon et Yoko Ono, qui honorèrent la première new-yorkaise du film de leur présence et ne tarirent pas d’éloges à son sujet… Pour clore l’anecdote, signalons que Jodorowsky ne manque pas une occasion de dire du mal, beaucoup de mal, de Klein …
Jodorowsky - El Topo
« El Topo » (la taupe dans la langue de Gérard Collomb) est un western. Mais pour que ça plaise à Jojo et Yoyo, autant dire qu’on n’est pas vraiment dans la lignée Ford – Wayne. Plutôt dans celle du Peckinpah de « La horde sauvage » (dont au passage le décor du village où a lieu la baston finale est utilisé par Jodorowsky pour figurer sa cité minière). Même si « El Topo » ne se contente pas, et c’est un peu beaucoup son problème, de geysers d’hémoglobine à chaque impact de balles, et Dieu sait s’il y en a dans « El Topo » des gunfights … Tiens, puisque j’ai cité Dieu, signalons aussi que « El Topo » est un western sinon religieux, du moins mystique, voire chamanique, et qui suit la quête morale et spirituelle de son héros … Sans qu’on comprenne d’ailleurs à première vue ce qu’il cherche … et plusieurs visionnages laissent à peu près toujours autant de points d’interrogation … mais enfin, si ça a plu à Lennon …
« El Topo » est le film d’un homme. Et d’une époque.
L’homme, c’est Jodorowsky, exilé chilien et citoyen du monde libre (c’est-à-dire le monde où on trouve du LSD et des pilules de toutes les couleurs en vente libre). Acteur, réalisateur, mime, adepte des tarots (il paraît que Mitterrand, entre autres politiques, le consultait), le prototype de l’artiste total très éloigné des basses contingences matérielles de notre pauvre monde à nous (d’ailleurs, il estime même encore qu’aujourd’hui, le cinéma comme la musique et l’art en général devraient être mis gratuitement à la disposition de tous, et n’a pas de mots assez durs contre les producteurs et les distributeurs du septième art).
If you want blood ...
L’époque, c’est la fin des sixties, et de toutes les utopies et révoltes que cette décennie a engendrées. Fini l’universalisme baba, retour vers la « vraie vie » et l’individualisme qui va avec. « El Topo » s’adresse à tous ceux qui ont choisi de vivre à côté ou en marge du système. Pas un hasard si le film deviendra culte dans ce qu’on appellera les « midnight movies », ces films « différents » projetés uniquement dans les (très) grandes villes lors de séances nocturnes dans parfois une seule salle où ils restent à l’affiche des mois voire des années.
Parenthèse. Dans l’édition Dvd de « El Topo » parue chez Wild Side (qui propose autre chose en terme de « produit » que les éditions minables de TF1 Vidéo ou Studio Canal qui remplissent les bacs), il y a sur un second Dvd un documentaire d’une heure et demie sur ces fameux « midnight movies » dont les six prétendus principaux sont mis à l’honneur, avec nombreux extraits et interviews des réalisateurs et de tout un tas de protagonistes impliqués dans ces œuvres. Les winners de ce genre très particulier sont donc « El Topo », « Pink Flamingos » de John Waters, « La nuit des morts-vivants » de Romero, « The harder they come » de Perry Henzel, « The Rocky horror picture show » de Jim Sharman et le « Eraserhead » de David Lynch… des films bien allumés sans autre point commun que d’être devenus cultes en passant seulement à minuit dans des salles confidentielles. Fin de la parenthèse …
No comment ...
« El Topo » est un film totalement improbable. Jodorowsky a un scénario, et ne réussit à trouver qu’une poignée de dollars pour son film. Pas vraiment prévu au départ, il passera derrière la caméra. Et aussi devant, parce qu’il se donne le rôle principal (normal, c’est un film quand même très personnel) toujours par la force des choses financières. Il tournera au Mexique (où la vie, les figurants et les acteurs ne sont pas chers), assemblant un casting totalement improbable. Deux exemples, l’actrice principale, même des années après, il ne connaît pas son nom. Créditée au générique Mara Lorenzo, c’est une anglophone (tout ce dont est sûr Jodorowsky) sous acide qui errait totalement défoncée dans les rues de Monterey et dont ce sera apparemment la seule prestation filmée. Un des autres personnages féminins majeurs est une hôtesse de l’air en plein trip de LSD au boulot, et sur la seule foi de cet état second immédiatement recrutée par le Jodo. Elle aussi disparaîtra des radars du milieu cinématographique. Pas sûr d’ailleurs que des « professionnelles » soient allées aussi loin dans la provoc en images (d’après Jodorowsky, ce sont elles deux en très gros plan et toute langue dehors qui se donnent le premier baiser lesbien de toute l’histoire du cinéma …). Et puis pour une scène de « groupe », ou de partouze pour faire simple, ce sont les résidentes des bordels mexicains qui viennent faire de la figuration … Sans parler de la galerie de « monstres », cette communauté incestueuse et difforme maintenue en esclavage dans une mine, avec des personnages venus en droite ligne du « Freaks » de Tod Browning (bizarrement, alors que Jodorowsky s’étend longuement dans les bonus sur le pourquoi de ces personnages amochés par la vie dans son film, jamais il ne fait référence à celui de Browning …)
« El Topo », on début, on arrive à suivre. Un justicier tout de cuir noir vêtu (cherchez pas plus loin où Lemmy et ses Motörhead sont allés chercher leur look de pistoleros chevelus sur la pochette de « Ace of Spades »), accompagné de son bambin tout nu (le vrai fils de Jodorowsky, qui évolue au milieu de mares de sang et achève les types d’un coup de révolver dans la nuque, bonjour les souvenirs d’enfance…), dégomme sauvagement une troupe de bandits (homosexuels, ils sont habillés comme s’ils sortaient de chez Michou) qui ont zigouillé sadiquement la population d’un petit patelin. Fort de ce succès, et se sentant une mission et un destin divins, El Topo parcourt le désert à la recherche de quatre maîtres prétendument invincibles qu’il tue un par un. Avant d’être canardé par ses deux femmes-complices-compagnes, d’être récupéré blessé par les freaks de la mine, de devenir une sorte de gourou zen, de les libérer, avant un final sanglant où à peu près tout le casting laisse la peau, El Topo finissant par s’immoler …
Une cavalière surgit au-delà de la nuit ...
Evidemment, quand on connaît Jodorowsky, tout cela se passe dans un fouillis d’allusions, de symboles, d’allégories, de visions mystiques assez hermétiques au commun des mortels … Et comme l’homme est de culture hispanique, la religion est au centre de pas mal de séquences. D’une façon totalement iconoclaste pour ne pas dire mécréante. Les moines otages des tueurs se vengent de ceux qu’à laissé en vie El Topo en les dégommant à la mitraillette, les « maîtres » qu’affronte Jodorowsky représentent plus ou moins des courants de pensée philosophico-religieux, et dans la cité minière le curé officiel assure sa suprématie morale en organisant des séances de roulette russe pendant les offices. Figure aussi en bonne place dans les étranges drapeaux religieux de cette étrange paroisse, le symbole du psychédélisme (un œil dans un triangle, cf. la pochette du 1er 13th Floor Elevators). Quand El Topo se fait canarder par ses maîtresses, elles lui infligent les mêmes blessures que celles du Christ sur la croix … El Topo soigné par les monstres dans la mine se voit réellement renaître et trouve son destin après une rencontre avec une vieille femme chaman (une vraie chaman venue tourner cette scène selon Jodorowsky …)
Rajoutez quelques séquences totalement absurdes (volontairement), témoin ce rodéo avec des Noirs à la place des taureaux, Noirs capturés au lasso, marqués au fer rouge et qui finissent esclaves sexuels de mémères bourgeoises dans la cité minière. On pense bien évidemment à Fellini, autre spécialiste de l’image choquante et dérangeante, et qui selon la rumeur (la légende ?) a tourné ses masterpieces des sixties parfois sous acide …
En conclusion, « El Topo » est un film qui se regarde en ayant soin de laisser toute forme de logique et de rationaliste au vestiaire…
Un film à voir, qui ne laisse pas indifférent …



MELODY'S ECHO CHAMBER - BON VOYAGE (2018)

Melody ... Nelson ?

Conclusion : ce disque est embarrassant … voilà, voilà …
Pourtant a priori, j’avais envie d’en dire du bien. Une Française (Melody’s Echo Chamber c’est Melody Prochet seule aux commandes), qui ne donne pas dans la chanson française, qui ne singe pas je ne sais quelle mouvance sonore anglo-saxonne … Et qui donc fait quelque chose de relativement original. Sans vraiment rien inventer (d’ailleurs qui invente quelque chose depuis des lustres ?).
Melody Prochet
Son premier disque, auréolé de la présence du type en pleine hype (Kevin Parker, soit Tame Impala à lui seul) à ses côtés, avait créé le buzz. Un disque correct, bien que quelque peu convenu, paru en 2012. Depuis, plus rien. On lit ici ou là que la Melody a connu une déception amoureuse traumatisante, un sévère carton en bagnole, deux accidents de la vie dont elle a mis longtemps à se remettre. Soit … Qu’elle a dû se reconstruire, physiquement et mentalement avant de retourner à la musique. Qu’elle a rencontré fortuitement deux types, des Suédois, d’un groupe (Dungen, jamais entendu parler, soi-disant de la pop lorgnant sur …arghhh le progressif). Qu’elle a fait ce disque avec eux, d’ailleurs il y a plein de nom à consonnance du pays de Zlatan dans les crédits, et même un titre acoustique qu’elle chante en suédois (« Van hart du vart ? »), folk dispensable, avec par moment des faux airs mélodiques de « The girl from Ipanema ».
« Bon voyage » est une rondelle souvent agaçante, parfois même plombante …
Agaçante parce qu’il y a un parti-pris de noyer tout le son (instruments et voix) sous des tonnes d’effets, et de faire partir la plupart des titres dans tous les sens (effet prog ?), en multipliant les approches mélodiques, les ponts, les breaks, alternant parfois dans le même morceau chant en français et en anglais. Points communs à tous les titres : des couches de mellotron, pas l’instrument le plus discret du monde, même s’il donne une patine rétro (futuriste ?) à l’ensemble. Beaucoup également de sons et d’ambiances orientaux, en filigrane dans la pochette du disque. Un crobar tendance perse – kamasoutra où l’on voit la Melody se rapiécer la peau à hauteur du cœur (syndrome Ugolin – Manon des Sources ?) …
Ce qui nous amène à l’aspect plombant. Le propos global n’est pas joyeux, il donne plutôt dans l’introspection déprimante. La Melody n’a pas le moral au beau fixe, revient comme la misère sur les pauvres sur son amour disparu. Clairement, ce disque fonctionne comme une thérapie pour elle. Ce qui place l’auditeur dans la situation de voyeur de ses états d’âme. J’aime pas ça, d’une façon générale, ces gens qui te prennent en otage alors qu’ils sont en train de faire un strip-tease de leur âme. Tout le monde n’a pas le génie de (au hasard) Nick Drake pour ce genre de figure de style…
Melody's Echo Chamber live
Faut donc zapper pas mal d’aspects de cette galette si l’on ne veut s’en tenir qu’au résultat final. Melody Prochet est talentueuse, c’est sûr. Elle est capable d’écrire de grandes et belles choses, mais a trop tendance à les diluer et les étirer au-delà du raisonnable (seulement sept titres pour à peine plus d’une demi-heure). Un seul titre est « facile », d’une structure assez simple. « Breathe in, breathe out » qu’il s’appelle. D’ailleurs, et c’est certainement pas anodin, il est sorti en single. Le reste évoque pêle-mêle Gainsbourg – Burgalat – Air (« Cross my heart », « Visions of someone »), les montées dans les aigus de la voix (alors que Melody Prochet a naturellement une voix de non-chanteuse genre Adjani-Birkin) ressuscite à l’occasion le fantôme de Björk (proximité nordique entre Suède et Islande ?), se perd dans une sophistication envahissante (exemple type, « Shirim », instrumental de fin, avec cocottes funky engluées dans des synthés parfois proches de ceux de Daft Punk, sans qu’on voit où la Melody veut en venir).
« Bon voyage », c’est un peu le disque des générations Facebook ou Instagram, l’exhibition devant la Terre entière de ce qui ferait mieux de rester dans le domaine de l’intime et du privé. La qualité de ce qui nous est jeté en pâture devenant accessoire.
Reviens quand tu veux, Melody, mais s’il te plaît, avec un disque pour tout le monde, et pas seulement pour toi …


De la même sur ce blog :

FEDERICO FELLINI - JULIETTE DES ESPRITS (1965)

Vues de l'esprit ...

« Juliette des esprits » comme son double à peu près siamois et diamétralement opposé qui l’avait précédé (« Huit et demi »), marque pour les spécialistes du maestro italien (enfin celui qui donne son avis dans les bonus du Dvd) le « vrai début » de la carrière de Fellini, entendez par là le Fellini qui fera parler beaucoup de lui à la sortie de chacun de ses films. Ouais … sauf que pour moi les vrais chefs-d’œuvre de Fellini sont à chercher avant « Juliette … ». « La strada », « Les nuit de Cabiria », « La dolce vita », c’est de la poésie surréaliste mise en images. Après « Juliette … », ne restent la plupart du temps plus que le surréalisme et la surenchère dans l’extravagance, adieu la poésie … enfin, bon, ce que j’en dis …
Fellini 1965
« Juliette des esprits » c’est la plus fabuleuse galerie de portraits mis en scène par Fellini, servie par une technique irréprochable (pour la première fois il a filmé en couleurs et en Technicolor, avec un sens du cadrage extraordinaire). « Juliette … » pour moi c’est un mix entre le Jacques Tati de « Mon oncle » et le Godard de « Pierrot le Fou » (ce dernier sorti quasi simultanément). « Juliette … » en met plein les yeux (les plans, les couleurs, les costumes sublimes de déjante vestimentaire), et aussi plein les oreilles (la bande-son de Nino Rota est fantastique).
N'importe qui aurait fait du l’histoire de « Juliette … » un mélo plombant sur la vie d’un couple qui s’essouffle, la crise de la quarantaine, l’envie d’aller voir ailleurs ? D’ailleurs c’est pas les mélos plombants qui manquent sur le sujet … Fellini emmène cette histoire dans un autre monde, et pas seulement parce que la première prise de conscience de Juliette qu’elle peut vivre dans cet autre monde se passe lors d’une séance de spiritisme chez elle, à l’occasion de ses quinze ans de mariage, anniversaire quelque peu saccagé par son mari qui rapplique pour fêter ça avec tout un tas d’amis étranges et extravagants alors que Juliette avait prévu un dîner intimiste aux chandelles …
Giulietta Masina
En fait Juliette (extraordinaire Giulietta Masina comme toujours chez Fellini, le fait qu’elle soit sa femme dans la vraie vie expliquant peut-être cela) pour aussi lunaire qu’elle apparaisse avec ses grands yeux de biche étonnés et son sourire de madone niaise, est le personnage le plus « normal » de la distribution. Parce que Fellini a fait fort, pas un personnage principal ou secondaire qui ne crève pas l’écran par un physique décalé, une attitude extravagante, des costumes au-delà du réel (mention particulière dans ce registre à Sandra Milo, Sylva Koscina ou Caterina Boratto qui joue la mère hiératique de Juliette alors que les deux actrices sont quasiment du même âge).

Comme d’habitude chez Fellini, le film est irracontable, chaque scène (n’ayant généralement que peu à voir avec les précédentes et les suivantes) constitue un monde à part entière. Sachez cependant qu’en plus de l’histoire d’un couple qui se désagrège vraiment, le passé de Juliette (ses traumas enfantins chez les sœurs), ses visions d’avenir idylliques (le tombeur espagnol, playboy torero et guitariste gipsy, bonjour les clichés, faits exprès évidemment),
ses aventures au quotidien (les vit-elle ou les rêve-t-elle, on ne sait pas toujours, Fellini ayant tendance à commencer les deux pieds bien ancrés dans le sol pour vous amener en quelques plans et quelques répliques dans un univers totalement barré), un soupçon de psychodrame, quelques visions fugitives (1965 oblige) de femmes dénudées, des bateaux à l’équipage étrange, des visions dignes d’une Rome antique et décadente, ont fait dire à certains (Fellini lui-même, mais faut-il le croire) que ce film a été tourné par le maestro italien sous LSD...
Comme dans tout grand film de Fellini, le sourire, le rire et la franche pantalonnade ne sont jamais très loin, avec des situations ubuesques, des gestes et des répliques venus d’ailleurs. Tati voire Buster Keaton avec leur sérieux qui ne devrait pas l’être me semblent des modèles évidents.
« Juliette des esprits » n’est pas le meilleur film de Fellini (voir plus haut). Mais il vaut en tout cas bien mieux que l’indifférence polie dans laquelle on a tendance à l’enfermer …



JAMES WHITE & THE BLACKS - OFF WHITE (1979)

No Wave ...

Ce type, James Siegfried / Chance / White, il faisait figure d’alien à une époque (la fin des 70’s) et un endroit (New York) qui pourtant voyait surgir à tous les coins de rue des types plus bizarres les uns que les autres. Déjà, avec sa tronche de Simpson, ce grand échalas ne passait pas inaperçu. Son entourage non plus… Dans sa mouvance et son sillage, on trouve quelques noms qui font grincer les dents à tout fan de Julien Doré normalement constitué. Les deux plus célèbres potes de James White sont Lydia Lunch (performeuse hyper féministe genre sado maso punk bondage) et Robert Quine (guitariste chauve et grinçant des Voidods de Richard Hell et qu’on retrouvera plus tard sur des disques de Lou Reed, John Zorn ou Tom Waits).
James White
L’alors dénommé James Siegfried (son vrai blaze) traîne sa jeunesse dans le Lower East Side de New York dans le milieu des seventies. Il fréquente tous les rades minables dans lesquels des gens « différents » se produisent. Et prend une grosse claque en voyant (et accessoirement écoutant) les Ramones au CBGB. Problème, comment faire ce qu’on n’appelait pas encore punk quand le seul instrument dont tu sais jouer est un putain de sax ténor et que t’as bouffé du jazz toute ta jeunesse ? D’autant que rayon sax, y’ a un type qui commence à faire parler de lui dans les milieux branchés new yorkais, un certain John Lurie au sein de son groupe les Lounge Lizards.
James Siegfried devient James Chance, et après un bref passage  dans Teenage Jesus & The Jerks (où il croise Lydia Lunch), monte un groupe, les Contortions, et commence à mélanger punk, funk, jazz, et d’une façon générale tout ce qui lui passe par la tête pourvu que ça sonne comme rien de déjà entendu. Les habituelles galères de contrats, de disques qui attendent une éternité avant de sortir, et de toute façon mal distribués, de 45 T supposés essentiels qui font un bide monstrueux seront le quotidien des Contortions. Même si la grande carcasse de James Chance force le respect. D’ailleurs il n’hésite pas à descendre dans le public pour secouer ceux qui ne semblent pas apprécier sa musique …
Le déclic pour Chance viendra de rencontres. Celle d’Anya Philips, qui deviendra sa muse (et manager) et celle de deux Européens venus humer l’air sonore de New York, l’Anglais Michael Zilkha et le Français Michel Esteban, qui viennent de fonder ZE Records, petit label qui essaye de signer la fin de la comète punk. Ils se contenteront de Dr. Buzzard’s Savannah Band (futurs Kid Creole & The Coconuts), de la copine d’Esteban, la frenchie Lizzy Mercier Descloux. Et du nouveau groupe de Chance (rebaptisé White ), les Blacks, assemblage de musiciens (mais pas toujours) croisés au gré de ses pérégrinations …
The Blacks live
C’est ZE records qui donnera sa meilleure chance à Chance / White. En lui permettant de sortir un album digne de ce nom (entendez par là qu’il a eu l’occasion de passer quelques jours en studio). Les influences majeures de ce « Off White » s’épèlent à ce moment-là Lounge Lizards et DNA (autre groupe inclassable mené par la figure forcément underground Arto Lindsay), et comme le résultat est assez … déroutant, au lieu de classer ça sous le générique new wave fort en vogue en cette fin des années septante, on l’appellera no wave.
« Off White » part dans tous les sens et parfois même ailleurs.
Seuls points communs à tous les titres, une basse très en avant (George Scott) très groovy et très funk ; le sax strident de White (influences revendiquées Albert Ayler et Lester Young) ; et quand il se hasarde à euh … chanter la voix grave et gutturale de White. Le disque se situe à la confluence du free jazz, du funk et de son avatar populacier le disco, et du punk envisagé par son aspect vitesse et énergie.
Généralement, ça fait plutôt mal aux oreilles. Volontairement, car contrairement aux punks, les types savent jouer, sont d’un niveau technique supérieur à la norme. Parfois même, on s’approche du radiophonique, enfin, d’un truc qui pourrait passer tard à la radio quand tout le monde dort (« (Tropical) Heat wave »). D’autres fois, la structure squelettique de ces funks mutants renvoie aux Talking Heads (les décharnés « Almost black (Pt I & II) »). « Contort yourself » oscille entre funk décapant et punk strident, alors que sa version remix (par August Darnell futur leader maximo de Kid Creole) est beaucoup plus élastique, funky, et dotée d’une intro techno qui annonce les joueurs de disquettes des années 90. « Stained sheets » fait alterner beuglements de sax free jazz et gémissements (de souffrance ? de plaisir ?) d’une femelle en rut (Lydia Lunch). « White savages » ajoute au boucan habituel des sonorités quasi industrielles, la guitare stridente de Bob Quine est très en avant sur le morceau-titre, « Bleached black » conclue la rondelle avec son tempo plus lent et plus lourd…
James White et Deborah Harry, une copine new yorkaise
La section bonus de la (belle) réédition de 2004 comprend quatre longs titres. « Christmas with Satan » passe du côté obscur de la farce et du coq à l’âne, et fait se confronter et se succéder une intro piano sax à la Tom Waits, des dissonances krautrock tendance Can, du jazz-funk et du jazz de voleurs de poules façon Emir Kusturica … amusant, même si usant … Trois titres live enregistrés en 1980 dans un club de Rotterdam font se succéder (pas dans l’ordre indiqué sur la pochette) une reprise punk de Michael Jackson (« Don’t stop till you get enough »), une sorte de blues mutant (« Exorcise the funk ») et un machin rêche et rigide très (mal) barré (« Disposable you »).
Ce « Off White » ne rencontrera pas son public (en termes clairs, ce sera un bide commercial monumental). Il sera cependant considéré par beaucoup comme la pièce essentielle du courant no wave. Bizarrement, on n’a pas trouvé à ce jour d’audacieux (tant mieux ?) pour se lancer dans un revival de ce courant éphémère dont les figures « marquantes » furent au début des 80’s des gens comme Defunk ou les Bush Tetras …
« Off White » est étrange et ambitieux. J’écoute pas ça tous les jours, mais une fois en passant, why not ?