Affichage des articles dont le libellé est Film musical. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Film musical. Afficher tous les articles

JOHN BADHAM - LA FIEVRE DU SAMEDI SOIR (1977)

 

Great disco swindle ...

« La fièvre du Samedi soir » (« Saturday night fever » en V.O.) est le genre de films comme il peut en sortir deux ou trois tous les cinquante ans. Pas de scénario, des acteurs au mieux de quinzième zone, un budget de misère, un inconnu à la caméra, et résultat, un film que même les talibans doivent connaître … Comment peut-on en arriver là ? Asseyez-vous, sortez les costards blancs, les chemises à cols pelle à tarte, les chaussures vernies à talons compensés, allumez les boules à facettes, mettez à portée de main une compile de Kool & The Gang, et ouvrez grand vos oreilles, Papy Lester va vous conter cette histoire peu commune …

Badham & Travolta

A l’origine de toute l’affaire, Nik Cohn. Anglais expatrié aux States, et une des stars du journalisme « rock » des seventies, auteur de l’excellent « Awopbopaloobop alopbamboom, the golden age of rock ». Toute la presse spécialisée ou pas lui demande des articles sur les nouvelles tendances musicales. En 1975, il écrit un papier fleuve pour le New York Magazine intitulé « Inside the Tribal Rites of the New Saturday Night », racontant son immersion dans des clubs interlopes de la ville où toutes les communautés sociales et raciales de New York se réunissent à la fin de la semaine de boulot au son des rythmes disco. Cohn l’a depuis avoué, son article est totalement bidon, il a tout inventé, ces endroits au pire n’existent pas, et au mieux, il ne s’y passe pas vraiment ce qu’il décrit … Bon le disco lui existe, extrapolé du funk et de la soul (notamment de Philadelphie) un rythme dansant en 4/4 avec les seconds et quatrième temps très appuyés (le fameux tchac-poum). Mais c’est une musique pas très populaire, et surtout uniquement réservée au public Noir. Ses « héros » en 1975 sont Barry White, KC & the Sunshine Band, Gloria Gaynor, vont apparaître Donna Summer et Chic (à noter que le « Young americans » de Bowie s’inspirait en partie de ces rythmes avant-gardistes). Cette vague disco qui grandit va évidemment générer ses détracteurs (le fameux slogan « Disco sucks » et à la fin de la décennie les autodafés des 33T de disco).

L’article de Nik Cohn, des gens l’ont lu. Dont Robert Stigwood, producteur entre autres de films musicaux « contre-culturels » genre « Jésus-Christ Superstar » ou la nanardesque version filmée de « Tommy ». Stigwood vient de prendre sous son aile (moyennant un contrat léonin) un réalisateur de seconde zone, John Avildsen. Qui vient de terminer « Rocky », un film évidemment fauché sur le rêve américain à travers le prisme de la boxe, donnant la vedette à un nabot italo-américain quasiment inconnu, Sylvester Stallone. Avildsen est sommé par Stigwood de mettre en chantier et à moindre frais un film sur le disco. Manière de refaire le coup de Stallone (« Rocky » vient de sortir et grimpe au box-office), la tête d’affiche sera confiée à un certain John Travolta, acteur localement connu pour son rôle dans une série télé diffusée sur New-York … Mais Stigwood n’est pas que dans le cinéma, il est aussi dans la musique et s’est occupé notamment de la carrière de Cream et a en magasin un groupe de frangins originaire de son pays (l’Australie), les Bee Gees. Un groupe a la trajectoire bizarre, ayant commencé en Angleterre par des chansons psychédéliques, avant de tomber dans l’oubli, de revenir avec de la pop plus ou moins symphonique et des hits mondiaux (« Massassuchets », « To love somebody ») et de retomber de nouveau dans l’anonymat. Là, vers 1975, ils tentent de bricoler des morceaux sur des rythmes disco. Le requin Stigwood sent le coup double, produire un film sur le disco, et en confier la musique aux frangins Gibb, chargés d’écrire des titres pour la B.O, et de faire le tri dans tout ce qui est proposé par d’autres (y compris d’improbables reprises de la Vème Symphonie de Beethoven ou une extrapolation d’un thème de Moussorgski, ces deux titres finiront sur la bande-son du film). Comme Stigwood est dans la musique, il sent bien que la vaguelette disco peut vite faire flop, et met la pression sur Avildsen (scénario, repérages, casting, …) pour qu’il accélère la cadence. Pendant que de son côté Travolta suit depuis des mois des cadences de travail infernales avec un chorégraphe, perd des kilos, et se demande si ce film sera réellement mis en chantier.


Les choses traînent et Stigwood ne va pas faire dans le détail. Il convoque un jour Avildsen (c’est Avildsen lui-même qui raconte dans les bonus de « Saturday night fever ») en lui disant : « J’ai deux nouvelles pour toi. Une bonne et une mauvaise. La bonne, c’est que « Rocky » est nominé plusieurs fois aux Oscars. La mauvaise, c’est que je te vire. ». Exit Avildsen et recrutement immédiat d’un quasi anonyme, John Badham. Avec un ordre de mission clair et concis, en gros : « Tu as trois mois pour tourner un film sur le disco avec Travolta en tête d’affiche. Et une poignée de dollars. Allez, action … ».

« La fièvre du samedi soir » sera donc tourné en extérieurs dans Brooklyn, une minable boîte locale sera relooké, et un certain Norman Wexler chargé d’écrire un scénario à partir de l’article de Nik Cohn … Inutile de dire que tout sera fait à l’arrache, Travolta ayant même à peu près carte blanche pour improviser ce qui n’est pas écrit (dans toutes les scènes, de danse ou pas) … Sauf que très vite les problèmes vont se multiplier. L’inconnue chargée du premier rôle féminin jette l’éponge (ou est virée selon les versions), et la tout autant anonyme Karen Lynn Gorney est recrutée la veille du premier jour de tournage. Au bout de quelques prises, il s’avère que tourner en extérieurs à Brooklyn n’est pas une bonne idée, c’est à peu près le seul endroit au monde où Travolta est connu, et très vite des dizaines, des centaines de badauds (ils disent des milliers dans les bonus du film, j’ai l’impression qu’ils exagèrent) vont arriver sur les lieux du tournage pour voir le héros aminci et relooké de leur sitcom favorite. La police en nombre devra les contenir, généralement sur le trottoir d’en face. Corollaire, la mafia locale, guère séduite par autant de gens et de flics sur son carré de bitume, va venir demander à Stigwood une petite contribution financière, afin de « sécuriser » les lieux de tournage. Ignorées dans un premier temps, ces demandes seront acceptées après le départ tout à fait accidentel de quelques incendies (notamment devant la boîte où se passe une grande partie du film). Mais le pire n’est pas là. Travolta sur qui repose tout le film perd au début du tournage sa femme de dix-huit ans son aînée, emportée par un cancer du sein. Il lui faudra composer avec le deuil et la douleur et assurer devant la caméra … une légende est en train de s’écrire …

Travolta & Gorney

Badham tiendra le cahier des charges, et les premières diffusions du film ont lieu fin 1977. Résultat : un film qui a coûté trois millions et demi de dollars en a rapporté quasi 70 fois plus lors de son exploitation en salles (sans compter les VHS, les locations, Dvd, Blu-ray, ou les ressorties en salles). La bande-son du film s’est dépotée à 40 millions d’exemplaires dans le monde, avec trois titres des Bee Gees (« Stayin’ alive », « How deep is your love » et « Night fever ») en haut des charts mondiaux en 1978. Il paraît que celles de « Bodyguard » et « Dirty dancing » ont fait mieux à quelques unités près. Sauf que ces deux dernières étaient des vinyles (ou Cds) simples, celle de « Saturday night fever » est un double vinyle (ou Cd).

Comment tel raz-de-marée commercial est-il possible ? Parce que contre toute attente « La fièvre du samedi soir » est un film, un vrai de vrai. Avec une histoire, des personnages pas toujours très simples-simplistes-simplets, une énorme performance de Travolta (qui est de toutes les scènes) … Et puis une conjonction étonnante avec l’actualité. La vague disco aurait pu avoir disparu lors de la sortie du film. Elle était en train de submerger le monde, tous les clubs, toutes les radios, tous les juke-boxes crachaient du disco. A quelques encablures du lieu de tournage le Studio 54 devenait la boîte la plus branchée du monde, Bianca Jagger en était son égérie (et principale cliente), son Mick de mari y passait quelques fois, et toutes les stars et milliardaires du monde s’y faisaient photographier. Et c’était une boîte à la programmation 100% disco … Rarement film a été autant raccord avec l’actualité qu’il traite (le seul autre exemple qui me vienne à l’esprit, c’est « Le dictateur » de Chaplin). Et ça attirait du monde parce qu’on voyait et entendait (en plus du chant et de la danse) dans « La fièvre du samedi soir » des choses assez rares dans les films grand public (des « fuck » et des « shit » à chaque phrase, des tétons de strip-teaseuse, des mecs qui prennent de la drogue, une tournante à l’arrière d’une voiture, un avortement, un suicide, …)

Papa et Maman Manero

« S.N.F. » (désolé je vais commencer à abréger, je commence à trouver le temps long devant mon clavier), c’est une tranche de vie de Tony Manero (Travolta of course), jeune italo-américain de Brooklyn. Il bosse dans une quincaillerie, et le samedi soir, comme c’est un bon danseur, il se met sur son trente et un et va, accompagné de ses potes aussi bas du front que lui, foutre le feu au dancefloor d’une boîte minable du quartier, espérant se faire remarquer (et plus si affinités) de quelque gonzesse peu farouche … L’intrigue essentielle du film sera pour lui de trouver une partenaire (et accessoirement de la sauter) avec laquelle il pourra remporter un concours de danse dans sa boîte de prédilection … On en connaît des films musicaux, tristes navets sonorisés où le script est aussi mince (« Footlose », « Dirty dancing », « Flashdance », et foultitude d’autres ayant eu moins de succès) qui ne présentent aucun intérêt.

Dans « S.N.F. », on s’attaque aussi à la vie sociale et familiale de Tony Manero (le paternel chômeur, la mère femme au foyer, le frère aîné au séminaire et bientôt défroqué, la petite sœur mutine, et la vieille mama au bout de la table). Cet espèce de matamore en dehors de chez lui (parce que at home il prend des torgnoles s’il se tient pas bien) se fait enfumer par sa dulcinée totalement mytho (elle est secrétaire dans une agence de com, et lui fait croire qu’elle prend le café ou ses repas avec toutes les stars du ciné ou de la chanson qui passent en ville, et ça émeut fortement Tony, lui qui ne connaît même pas l’existence d’Eric Clapton ou de Laurence Olivier …). Pourtant, Tony, il en a des références. Dans sa piaule, y’a des posters de Rocky Balboa, Bruce Lee, Al Pacino, et côté meufs, Farah Fawcett en maillot de bain et Lynda Carter dans sa tenue de Wonder Woman. Et puis, le rêve de Tony et de ses bras cassés de potes, c’est une fois passé le Verrazano Bridge (dont il connaît tous les détails architecturaux et où lui et sa bande vont faire de l’équilibre sur les travées et les filins en sortant de boîte) de pouvoir aller à Manhattan, chez les gens « bien », dans cet autre monde … et « S.N.F. », contrairement à beaucoup de ses semblables longs-métrages, n’est pas un film avec une happy end … Même Tony a à peu près tout foiré, il garde son boulot minable, il essaie d’aller vivre avec sa partenaire à Manhattan, mais c’est pas gagné, et il s’est rendu compte qu’il y a des Blacks et des Porto-Ricains qui dansent mieux que lui … et en plus de victimes virtuelles du film, le pauvre Badham s’est fait virer par la Paramount le lendemain de la première (dialogues et scènes vulgaires, les gens de la vénérable maison ayant frisé l’apoplexie sur le plan en contre-plongée de Travolta en slip). Autres victimes collatérales plus tardives : les Bee Gees, dont le nom n’est pas prononcé une seule fois (faut le faire) au cours d’un doc de 30 minutes sur la musique du film (je suppose que des histoires de contrats, de droits, de royalties ayant fini au tribunal doivent expliquer ça)…

Helen, la vraie maman de Travolta

« S.N.F. » a eu du succès parce qu’il enquille les scènes fameuses, devenues cultes. Et ça commence dès l’intro, pendant que défile le générique, où l’on voit Tony, un pot de peinture à la main, marcher en rythme sur la musique de « Stayin’ alive ». Parenthèse, pour bien situer le côté fauché du film, pendant cette scène inaugurale, Tony achète une part de pizza et une fois arrivé au magasin, vent le pot de peinture à une femme d’un âge respectable qui l’attendait. La marchande de pizza, c’est la sœur de Travolta, et la mamie dans le magasin, sa propre mère …Et puis Travolta exécute de grands numéros de danse, certains improvisés. Et sans être doublé. Il a refusé et est le plus souvent filmé de pied en cap quand il danse (comme Fred Astaire, il l’a exigé) ce qui montre qu’il n’y a pas de doublure. Enfin si, une fois, et même des années après, ça fout la rage à Travolta quand il en cause, c’est le plan au début où il met sa chaussure en face d’une exposée en vitrine pour juger de son effet. Et bien, c’est pas sa jambe, il y a eu recours à une doublure, personne a jamais compris pourquoi, juste pour lever la jambe devant une vitrine …

« S.N.F. », c’est aussi un film qui fourmille de références. Pas seulement les posters dans la piaule où le name dropping effréné de Karen Lynn Gorney. On sait pas si le scénariste a pas eu suffisamment de temps ou si c’était une feignasse, mais enfin … la boîte de Tony s’appelle le 2001 Odessey, la baston dans l’entrepôt désaffecté avec les latinos très chorégraphiée est un copier-coller de celle entre les Troogs et les Je-sais-plus-qui de « Orange mécanique », et cette rivalité entre bandes renvoie à « West side story ». Et toute la thématique et l’ambiance faussement joviale alors que des drames se nouent, les bandes et les bagnoles, ça fait quand même un peu penser à « American Graffiti ».

A contrario, quand Travolta et Gorner sont assis sur un banc sur les quais surplombés par le Verrazano Bridge, on trouvera quelques mois plus tard exactement le même plan filmé de l’autre côté du fleuve par Woody Allen (lui et Diane Keaton sur un banc) dans, of course, « Manhattan ».

Ma scène préférée : le cours de danse disco pour troisième âge dans le local où va vont s’entraîner Travolta et Gorner …

Conclusion (ouf …). Pas un chef-d’œuvre, mais un très bon film culte …


CHRISTOPHE HONORE - LES CHANSONS D'AMOUR (2007)

 

Hommages et dommage ...

« Les chansons d’amour » en voilà un film dont je sais pas trop quoi penser. Une chose est sûre, pas un chef-d’œuvre du 7ème art, bon, c’était pas le but non plus … « Les chansons d’amour » est un film fauché, ça se voit, et c’est d’ailleurs revendiqué par Honoré lui-même.

Beaupain, Mastroianni, Leprince-Ringuet, Sagnier, Garrel, Honoré, Hesme

« Les chansons d’amour », c’est un peu une version bobo des premiers Godard notamment, mais aussi du cinéma de Truffaut, de Demy, la Nouvelle Vague en fait. Par cette obsession à mettre Paris en scène (ici en l’occurrence le Xème arrondissement, pas très loin de la Place de la Bastille) on pense forcément au Godard de « A bout de souffle », dont Honoré recopie la technique rudimentaire. On tourne en décors naturels, avec des vrais passants, la caméra installée sur un fauteuil roulant. Et donc on voit des gens qui se retournent vers l’objectif, qui sortent sur la porte des boutiques … on en a même un qui suit Mastroianni et Garrel avec un caméscope … « Les chansons d’amour », c’est aussi un clin d’œil à Truffaut (le ménage à trois à la « Jules et Jim », et un Garrel aussi tête à claques avec son jeu très stylisé que Léaud – Doinel). Et puisque comme son titre l’indique on a affaire à un film musical, impossible d’évacuer l’influence omniprésente du Demy des « Parapluies de Cherbourg » avec son actrice blonde (Ludivine Sagnier) coiffée comme Deneuve à l’époque, et dont la Chiara de fille a un des rôles principaux … et pour les maniaques, on trouve plein de pages sur le Net qui évoquent les allusions aux films de la Nouvelle Vague …

Avoir des références solides n’exclut pas d’avoir aussi un peu de rigueur. Les commentaires d’Honoré sur son film sont assez saisissants : « si le premier quart d’heure est raté, c’est pas grave », « il faut des scènes faibles pour faire ressortir les moments forts » … c’est quand même le genre de réflexions qui me laissent assez dubitatif … Parce que le challenge est de taille. Pour faire un bon film musical (et pas une comédie musicale, la différence est de taille), faut une bonne histoire et de bonnes chansons.

Sagnier, Garrel & Hesme : bizarre love triangle

Côté histoire, ça peut aller. Ismaël (Louis Garrel), Julie (Ludivine Sagnier) et Alice (Clotilde Hesme), vivent, dorment et baisent dans le même appartement (à noter que Hesme et Garrel étaient déjà en couple dans "Les amants réguliers"  de Philippe Garrel et de morne mémoire). Et lorsque Julie meurt subitement au bout d’un petit tiers du film (ça fait penser les coups de canif dans la douche en moins à Janet Leigh dans « Psychose »), on suit la dérive émotionnelle d’Ismaël, lâché par Alice (on comprend pas pourquoi), partagé entre sa belle-famille (Jean-Marie Winling et Brigitte Rouan, les parents de Julie, Chiara Mastroianni et Alice Butaud ses sœurs), ses nanas de passage (une serveuse de bar), et sa « révélation » homosexuelle avec le frangin du nouveau copain d’Alice (Erwann, joué par Grégoire Leprince-Ringuet) … même si dans cette histoire la tendance bobo blasé surjouée des personnages finit par être redondante et plutôt pénible …

Côté chansons, la bande-son (hormis une citation des « Amoureux solitaires » de Elli et Jacno dans sa reprise par Lio, et un obscur titre de Barbara sur le générique de fin) est à mettre à l’actif (ou au passif, c’est selon) d’un pote d’Honoré, Alex Beaupain (Alex qui ? désolé, j’ai des lacunes en chanson française). Ça sonne quasi exclusivement comme du Souchon sous Lexomil, même si Beaupain cite souvent Daniel Darc (la connexion Frédéric Lo, producteur de l’ancien Taxi Girl et de la bande-son) et Etienne Daho. C’est chanté avec les moyens du bord (par les acteurs eux-mêmes en studio, et en play-back - ça se voit, pas toujours synchros – lors du tournage des scènes), pendant des séquences du film qui font penser à un vidéo-clip réalisé par France 3 Limousin pour le vainqueur du radio-crochet de la foire aux bestiaux de Tulle …

Leprince-Ringuet & Garrel : mélodie en balcon

Tiens, et puisqu’on en est à parler de Tulle (patrie du grand François Hollande, non, je déconne …), le film a été tourné pendant l’hiver 2006-2007, lors les débuts de la campagne pour la présidentielle de 2007. Au début, on voit très fugacement une affiche avec la rose du PS, et puis Garrel passe de nuit devant la permanence électorale de Sarkozy. Et comme Honoré est un « engagé », on voit Garrel et Hesme travailler (ils bossent dans la presse écrite) sur un article relatant la fameuse traque du scooter au fils à Sarko (retrouvé en mobilisant la police scientifique et les empreintes ADN, tout ça pour un scoot, et dire qu’il y a des nostalgiques de ce nabot …). Le genre de précision idéologique tant datée que dispensable …

« Les chansons d’amour », c’est quand même globalement un film élitiste (j’ai pas dit prétentieux) … ça s’adresse pas au « grand public », c’est parfois assez chiant, le jeu des acteurs me laisse perplexe (Leprince-Ringuet je le trouve pas bon dans son rôle d’ado qui s’éveille à l’homosexualité, Garrel en fait souvent trop et le reste du casting souvent pas assez, …), et la musique, passons …

« Les chansons d’amour », ça ciblait les abonnés de Télérama. De ce côté-là, objectif atteint, le mag l’a encensé … Ailleurs, les avis ont été assez mitigés et le film n’a pas enflammé la Croisette lors du Cannes 2007 …


VINCENTE MINNELLI - GIGI (1958)


Tragédie musicale ?

Dans l’industrie du divertissement américaine, le nom de Minnelli est un de ceux qui comptent. Le Vincente Minnelli donc, réalisateur multi-oscarisé, ancêtre de toute une lignée d’Italo-américains versés dans le septième art (les Scorsese, De Palma, Cimino, Coppola, …), mais aussi père de la Liza du même nom, reine des cabarets et revues de Broadway, et mari de l’alcoolo dépressive, l’ex-enfant star Judy Garland.

Vincente Minnelli, c’est une filmographie assez conséquente, placée pour la majorité de ses œuvres les plus connues sous le sceau de la comédie musicale (« Le chant du Missouri », « Tous en scène », et son meilleur, « Un Américain à Paris »). Plus quelques films plutôt noirs, dont les excellents « Les ensorcelés » et « Comme un torrent ».

Vincente Minnelli

« Gigi » est une comédie musicale et son plus gros succès (huit statuettes, dont meilleur film et meilleur réalisateur), et comme d’autres films avant lui (dont une « version française » une dizaine d’années plus tôt), inspirée d’un bouquin de Colette. Le film de Minnelli respecte globalement les grandes lignes du livre, tout en y rajoutant quelques touches personnelles, la plus notable étant l’ajout d’un personnage, vieux bourgeois grivois, et oncle du principal protagoniste masculin.

Colette a situé l’action de « Gigi » à Paris vers 1900, au milieu d’une faune de riches et de « demi-mondaines » (gentille expression d’époque pour désigner des femmes dont l’outil de travail était situé un peu au-dessous du nombril) annonciatrice de la Belle-Epoque. Minnelli a donc fait un film parisien tourné à Paris. Un Paris qu’il connaissait peut-être, mais qu’il rend totalement fantasmatique, vision grotesque de carte postale, de la ville de La Tour Eiffel, la ville des allées du Bois de Boulogne (alors lieu de promenade et d’exposition de la haute bourgeoisie), la ville des soirées chez Maxim’s, la ville des amours romantiques…


Là où ça se complique, c’est que Minnelli a décidé d’en faire une comédie musicale et confié les trois rôles principaux à des Français. Deux plus ou moins expatriés, Louis Jourdan et Leslie Caron (c’est elle qui serait l’instigatrice principale du projet qui a fini en film), plus l’inénarrable Maurice Chevalier. Tous les trois jouent comme des savates, en faisant des brouettes. Même si ce jeu outré est un peu récurrent avec les comédies musicales, là c’est vraiment too much. D’autant plus que la Caron et le Jourdan sont à la ramasse sur leurs parties chantées, heureusement peu nombreuses. Minnelli aussi est en roue libre. Certes il sait tenir une caméra, le cadrage est précis, le montage fluide, les costumes censés être d’époque sophistiqués, malgré un traitement des couleurs bien pétaradant … Ce qui ne masque pas la vacuité simplette de l’histoire (il me semble que le bouquin lu il y a des décennies est moins neuneu). Tout ça fait un peu « Un Américain à Paris » bis.

Minnelli a toujours eu le chic pour surexposer des ringards improbables. Dans « Un Américain … » c’était Georges Guétary dans un second rôle (et la première apparition de Leslie Caron qui allait en faire une vedette grâce au succès du film). Ici, on peut s’interroger sur la pertinence du choix Louis Jourdan, totalement inexpressif et transparent. Plus encore sur celui de Leslie Caron qui à 27 ans joue une gamine (15 ans dans le bouquin, 17 dans le film). Certes elle est toute petite, mais elle se force à minauder et à grimacer au-delà du raisonnable. Le pompon est attribué à Maurice Chevalier. Rarement vu dans un film un rôle principal aussi mauvais, figure cireuse rigide (à force de maquillage), perpétuel sourire benêt toutes dents blanches (refaites) en avant, … si on voulait être méchant (pas mon genre, hein, vous le savez), on dirait que pousser la chansonnette pour les officiers nazis pendant l’Occupation n’en a pas fait un grand acteur …


La première scène résume tout ce qu’il y a de mauvais dans ce film. Alors que des équipages de calèches luxueuses traversent au second plan les allées du Bois de Boulogne, Maurice Chevalier dont le personnage se définit comme un libertin forcené, reluque des fillettes qui jouent au cerceau (dont Leslie Caron, grotesque de puérilité) en entonnant une des chansons à succès du film « Thanks heaven for little girls ». Dont les paroles sont encore pires que ce que laisse présager le titre, ça donne en français des choses à haute allusion pédophile comme « c’est une veine qu’il y ait des fillettes ». A l’heure où pour beaucoup moins que ça, certains ont généré contre eux des hashtags incendiaires associés à des campagnes d’opprobre et de destruction massives pour de très vieilles histoires, il est étonnant que ce film n’ait pas été montré du doigt …

Remarquez, qui peut bien se fader des niaiseries pareilles ?


HOWARD HAWKS - LES HOMMES PREFERENT LES BLONDES (1953)

Material Girls ...

Et pas seulement à cause de la chanson de Madonna et de son clip, hommage-pastiche-parodie d’une chanson du film, et pas n’importe laquelle, « Diamond are  a girl’s best friend », une des plus connues du répertoire ( ? ) de Marylin Monroe …
Marylin
Madonna

« Les hommes préfèrent les blondes » (« Gentlemen prefers blondes » en V.O., ce qui comme d’habitude n’est pas exactement pareil) est une comédie musicale qui reprend des ficelles vieilles comme le cinéma (la recherche d’un mari riche quand on brille davantage par son tour de poitrine que par son QI). Déjà un truc doublement ringard au début des années 50, le film musical et la pin-up écervelée. Même si de superbes comédies musicales, il en reste à venir (« West Side story », « Les parapluies de Cherbourg » par exemple) et si la barre vient d’être placée très haut avec « Singing in the rain ». De toutes façons le scénario de « Les hommes … » vient en droite ligne des années 30, avec des références comme « Gold diggers », avec les chorégraphies démentes mises en scène par Busby Berkeley.
Monroe & Hawks
Avec « Les hommes … », on est loin de tout ça. Même si derrière la caméra, il y a Howard Hawks, excusez du peu. Howard Hawks, le type qui a tourné « Scarface », « découvert » Lauren Bacall, et fini avec les deux westerns crépusculaires (avec à chaque fois John Wayne) « Rio Bravo » et Rio Lobo »… Pour faire simple, on dira que Hawks, c’est pas exactement n’importe qui…
D’autant que devant sa caméra, y’a du matos. La Monroe, en pleine ascension vers la gloire intergalactique, qui joue le rôle d’une blonde (si, si) délurée, cupide, maline mais (très) bête. A ses côtés, Jane Russell, dont on aurait oublié les talents de chanteuse et d’actrice, si Dame Nature ne l’avait pas dotée d’un généreux tour de poitrine. Elle est la brune, plus réfléchie et moins cœur d’artichaut que sa copine blonde. Les deux sont chanteuses sexy de cabaret. Et on suit les tribulations de Lorelei Lee (Monroe) et Dorothy Shaw (Russell) en bateau qui vogue vers l’Europe, à Paris ( la ville romantique de toute comédie musicale digne de ce nom), enfin dans des décors en carton censés représenter Paris…
Monroe & Russell
Le scénario est totalement crétin, la Monroe et la Russell jouent et chantent comme des savates, et donc faut se consoler comme on peut de la médiocrité du film. En appréciant les belles images et le beau technicolor de Hawks, une galerie de seconds rôles pittoresques, même si tous en font des brouettes pour avoir l’air le plus con possible, et quelques bonnes réparties intemporelles. Et pour exciter le mâle américain des années cinquante, quelques chansons et chorégraphies (assez quelconques) qui voit brailler et se trémousser plus ou moins en cadence les deux belles en tenues suggestives.
A l’époque, Russell et Monroe figuraient toutes les deux sur l’affiche avec leurs noms écrits en caractère de la même grosseur. Aujourd’hui, si dans la plupart des éditions Dvd et Blu-ray, on trouve sur la jaquette le nom de Jane Russell, par contre Monroe est souvent seule sur l’image.
C’est logique, « Les hommes préfèrent les blondes » …


Du même sur ce blog :




RANDAL KLEISER - GREASE (1978)

American Graffitoc ...
Lu (si, si, je vous assure, pouvez aller vérifier) sur Wikipedia France à propos du film : « Bien qu’il fût le plus gros succès au cinéma de l’année 78, « Grease » ne gagna ni Oscar ni Golden Globe »… Tu m’étonnes … N’empêche, un nanar atomique filmé avec les pieds et mettant en scène des figurants de quinzième zone, est devenu culte, et rapporté des millions de milliards de dollars (voire plus).
Kleiser, Newton-John & Travolta
Sauf qu’entre le tournage et la sortie de « Grease », il s’est passé un truc, la sortie de « Saturday Night Fever », avec comme acteur principal John Travolta qui du coup est devenu superstar et sur son seul nom a drainé des millions de types dans les salles obscures pour voir ce que certains s’imaginaient être la suite des aventures de Tony Manero. Travolta quand il tourne « Saturday … » n’a comme seule ligne sur son CV qu’un second rôle dans « Carrie » de De Palma, et il est bien content d’enchaîner « Grease », manière de mettre un peu de beurre dans les épinards. Et tant pis si le metteur en scène de « Grease » est Randal Kleiser, un obscur tâcheron de la Twentieth Century Fox, ayant seulement à son palmarès le tournage de quelques épisodes de « Starsky et Hutch ». Tant pis si le scénario de quatre lignes est le remake d’une oubliée comédie musicale jouée au début de la décennie et disparue des radars depuis (anecdote et coïncidence, le minot Travolta l’avait vue et en avait gardé un grand souvenir). Tant pis s’il n’y a pas un seul nom de connu au casting. La « star » féminine est une chanteuse ringarde australienne de trente ans (son personnage est censé en avoir 18), une certaine Olivia Newton-John. Imaginer que pareil machin peut faire un carton au box office n’était bien évidemment venu à l’esprit de personne.
Grease, un casting de ouf ...
D’ailleurs faut les voir dans les bonus tous ces nigauds (même Travolta, qui fait le SAV comme il peut, en faisant semblant d’être concerné), affirmer sans rire que le tournage fut magique, fantastique, génial, fabuleux, et autres superlatifs du même tonneau, dans une ambiance de party extraordinaire. Tu parles, ils doivent pas en dormir la nuit, en pensant au cachet de misère qu’ils ont touché alors que les producteurs se sont fait construire des maisons avec des lingots d’or à la place des parpaings …
A l’usage des jeunes générations, situons le machin. Une amourette adolescente dans un lycée d’une petite ville  américaine à la fin des années 50, où les couples se cherchent, se font et se défont autour des deux protagonistes principaux, Danny (Travolta) et Sandy (Newton-John). Avec les obligatoires bandes en blouson de cuir, les gentils, les méchants, les simplets, les sportifs, les moches, les courses de bagnole, avec des pans entiers du film honteusement pompés sur deux chef-d’œuvre (« La fureur de vivre » et « American Graffiti »), sans le talent de Nicholas Ray, George Lucas et leurs acteurs …Faut reconnaître  quand même que Travolta crève l’écran (il a depuis prouvé que c’était un bon comédien), avec notamment une démarche hallucinante (on dirait qu’il marche sur des œufs en talons aiguilles tout en frétillant de l’arrière-train), même si quand il tente un grand écart, il est moins bon que Jaaames Brown dans cet exercice brise-roustons.
Summer Nights
Comme c’est une comédie musicale, il ya dans « Grease » des chorégraphies grotesques rétro fifties et les chansons idoines. Avec notamment Sha Na Na (en gros les Au Bonheur Des Dames ricains) qui en moins de dix ans sont passés de la scène de Woodstock au rôle de figurants d’un orchestre baltringue pour film de série Z. Ce qui leur permet de donner quelques versions en totale roue libre de standards genre « Rock’n’roll is here to stay » ou « Hound dog ». Certains morceaux ont été écrits pour le film et sont chantés par les acteurs. Bien évidemment, ils sont devenus des hits intergalactiques, comme les deux doo-wop mutants « Summer nights » et « You’re the one that I want ». Remarque (forcément cruciale, parce que c’est du vécu à moi dont au sujet duquel je cause) : dans une fin de soirée fortement avinée et donc immanquablement régressive, je balance « You’re the one … » sur la sono tous les potards sur onze et le dancefloor s’enflamme (expérience plusieurs fois tentée avec succès). Bon, pour être honnête, ça marche aussi avec « Tomber la chemise », « Stayin’ alive », « Waterloo » ou « Highway to hell ». En fait ça marche avec n’importe quoi, du moment que tout le monde est bourré et le volume maximum. Et donc, avec « You’re the one … », CQFD. Mais attention, pas avec le pastiche des misérables comiques giscardiens Topaloff et Sim (« Où est ma chemise grise »). Fin de la parenthèse …
You're The One That I Want
Sinon, le grand moment du film qui me ravit, c’est à la fin, quand la super nunuche (avec coiffure et accoutrement qui va avec) Sandy-Olivia arrive relookée en super bombe sexy selon les standards de l’époque. En fait, elle ressemble juste à ce moment-là à une version anorexique de Bonnie Tyler, qui de quelque côté qu’on l’envisage, n’est pas exactement une bombe sexuelle avec ses brushings extra-terrestres et ses futes de cuir noir moulants. Sauf que Bonnie Tyler chante mieux, mais c’est une autre histoire …

Mais faut avouer que ça a de la gueule sur les étagères, le Dvd de « Grease » coincé entre un de Lars Von Trier et un autre d’Ingrid Bergman …



JACQUES DEMY - LES PARAPLUIES DE CHERBOURG (1964)

Chanté sous la pluie ...
Des films musicaux, il a bien dû y en avoir en France avant « Les Parapluies … ». Mais quand on voit que les acteurs-chanteurs de la préhistoire cinématographique par ici c’étaient Maurice Chevalier et l’improbable Fernandel, je préfère ne rien avoir vu de tout çà.
Demy, c’est différent. Il fait en gros partie de la Nouvelle Vague, et son inspiration artistique vient de tous les musicals américains, où là, depuis l’avènement du parlant, il y a quand même eu du lourd. Des chansons chorégraphiées par Busby Berkeley dont une seule vaut l’intégrale des clips de Miley Cyrus et consœurs, en passant par les superstars Astaire et Kelly, jusqu’au récent remake version gangs newyorkais de Roméo et Juliette par le génial touche-à tout Robert Wise, Demy avait de sacrés challenges à relever.
Deneuve, Castelnuovo & Demy
Non content de se lancer dans un genre peu prisé par ici, il va pousser le bouchon encore plus loin en faisant des « Parapluies … » un film dont tous les dialogues seront chantés. Une entreprise un peu folle, surtout qu’il faut faire doubler tous les acteurs par de vrais chanteurs (quiconque a en mémoire les « chansons » interprétées par Deneuve, qu’elles soient de Gainsbourg ou de Malcolm McLaren, mesure l’ampleur de la tâche qui attendait Demy). Résultat logique des courses, alors que comme tout le monde (enfin, ceux de la Nouvelle Vague), il se tourne vers de Beauregard pour le financement, il va se faire rembarrer par ce dernier et ne trouvera son salut que dans les (moins nombreuses) pépettes de la productrice Mag Bodard qui se lance quasiment dans le métier à cette occasion.
« Les Parapluies de Cherbourg » multipliera les paradoxes. Pour commencer celui d’un film totalement désuet lors de sa parution (un mélo provincial chanté avec des personnages qui semblent sortir des romans courtois du Moyen-Age), et qui ne prendra pas une ride, allant même jusqu’à se bonifier avec le temps.
La Reine Deneuve
Paradoxe également d’un film totalement kitsch (‘tain, ces décors font vraiment mal aux yeux, genre maison de poupées) et politiquement contemporain (la guerre d’Algérie et ses conséquences humaines et sociales). Rappelons qu’on était en plein gaullisme triomphant, arrogant et méprisant (les « veaux » de De Gaulle valent bien les « casse-toi pauv’ con » ou les « sans-dents »), maintenant la France sous une chape de plomb, avec un général au pouvoir, un ministère de l’Information (sous-entendu de la censure). Rappelons pour en rester dans le domaine cinématographique que « Les sentiers de la gloire » fut interdit suite à des « pressions diplomatiques » pendant vingt ans, sans parler de « La bataille d’Alger ». Rappelons aussi que c’est de cette époque et des pantins qui nous gouvernaient dont « l’écrivain » Zemmour (philosophe de comptoir, penseur de chiottes, historien de cour de récréation et sociologue de club de vacances), est nostalgique. Tout çà pour dire qu’en 1964, coller à l’actualité est plus que rare, et le traumatisme durera des siècles (alors que les Ricains par exemple sont totalement décomplexés par leur Histoire récente et pas toujours glamour, et n’hésitent pas à la mettre en scène, les Français à de très rares exceptions ne le font pas de la leur, et à plus forte raison si elle a moins de cent ans). Tout ça pour dire que « Les Parapluies … » est aussi un film politique … subtil, raison pour laquelle il a évité les coups de ciseaux …
Paradoxe d’une distribution de quatrièmes couteaux dont sortira Catherine Deneuve, l’une des plus grandes, si ce n’est notre plus grande actrice, qui crève l’écran du haut de ses vingt ans, et qui vieillit quand même nettement mieux que sa quasi contemporaine Bardot. Et qui doit faire face dans « Les Parapluies … » à des comédiens que pour être gentil on qualifiera de très moyens.
Autre paradoxe, ce film qu’aujourd’hui on qualifierait d’indépendant, et qui est par moments de façon un peu trop voyante une publicité pour Esso. Certes les pétroliers ont du mettre quelques biftons dans la prod, mais Castelnuovo (le premier amoureux de Deneuve-Geneviève dans le film), travaille dans un garage de la marque avant l’armée, y revient à son retour, s’installe à son compte sous leur enseigne, et son fils  vers la fin joue du tambour sur un bidon … Esso. Ca fait beaucoup …
Vernon & Deneuve
L’histoire des « Parapluies … » est pour l’époque subversive en bien des points. Une jeune mijaurée se fait mettre en cloque avant de se marier, et une fois la fille de cette union née, épouse un riche bellâtre falot, se désintéressant de son premier amour qui ne l’a pas oubliée. Et celui-ci, soldat plus ou moins valeureux (même si le contenu de ses lettres n’est pas vraiment un modèle de patriotisme), quand il revient d’Algérie, sombre dans la bibine, envoie chier son patron, et fréquente les bars à putes. Tout ça vingt cinq ans avant « Né un 4 Juillet » d’Oliver Stone …
« Les Parapluies … » est un film fauché. Qui ne s’en cache pas, ce qui le rend encore plus sympathique. Les contrastes sont voulus et exacerbés par Demy (comment pourrait-il en être autrement), entre les couleurs vives et criardes des intérieurs et l’aspect pisseux des rares scènes filmées en extérieur (y’a des excuses, on est à Cherbourg, c’est la Bretagne en pire)… Parce que Demy a, sinon du talent, au moins de bonnes idées, et on s’en rend compte dans la première scène qui voit défiler le générique, avec ce plan en plongée sur ce parapluies qui se hâtent sous l’averse.  En plus d’avoir des idées, Demy a aussi de la suite dans celles-ci. « Les Parapluies … » est pour lui le second volet d’une trilogie commencée avec « Lola » (évoquée par le bellâtre Marc Michel comme son premier amour, et par un court plan d’une cour intérieure où ont lieu des scènes déterminantes de ce premier film). Le troisième volet sera l’oublié « Model shop » (et non pas comme beaucoup le croient « Les demoiselles de Rochefort »). Tiens, et tant qu’à vouloir faire mon malin, on a souvent affirmé que « Les parapluies … » se démarquait de toute influence des autres films musicaux déjà parus. Il y a quand même une scène, filmée en plongée, quand Deneuve se fraye un passage parmi les danseurs du Carnaval, qui me semble un copier-coller parfait d’une de « Orfeu Negro » de Marcel Camus …
Deneuve & Michel
Et pour en finir, puisque « Les Parapluies … » est un film musical, deux mots sur la musique. Signée du suffisant Michel Legrand. A force d’entendre dire à droite et à gauche qu’il était génial, il a fini par le croire et c’est devenu une évidence. Bon, moi il m’a toujours gavé avec ses ritournelles molles, et celles des « Parapluies … » risquent pas de me faire changer d’avis. On craint même au début avec le premier morceau de devoir se fader un truc genre big band de jazz. En fait non, le gimmick suprême du film, c’est de répéter ad nauseam le leitmotiv d’une unique phrase musicale, plutôt mignonne, mais assez loin de Mozart ou Chopin … D’un autre côté, les pointures françaises de musiques de film, on les cherche encore (qui a dit Eric Serra ?)…
Curieusement, alors qu’à partir des années soixante le film musical disparaît quasiment des écrans (sauf à Bollywood), Demy va obtenir l’autre succès de sa carrière avec « Les Demoiselles de Rochefort ». Encore un autre paradoxe qui touche à la carrière de ce grand artisan quelquefois oublié du cinéma des 60’s.
Conclusion : « Les Parapluies de Cherbourg » c’est bien, voire plus, mais ça vaut pas « Saturday night fever » …


ROB REINER - THIS IS SPINAL TAP (1984)

Top ...
2014. Le rock a pile poil soixante ans. Et putain il fait son âge …
1984. Le rock a pile poil trente ans. Et putain ça commence à merder sévère… On ne brûle plus depuis longtemps les skeuds d’Elvis (tout juste si quelque prêcheur baptiste fait des feux de joie avec ceux d’AC/DC sous les sarcasmes généraux), le rock est devenu mainstream et surtout un vaste bizness. Les comptables et les directeurs de marketing ont pris le pouvoir dans les maisons de disques, toute une industrie lourde se met en place pour vendre de la « musique du Diable » formatée, ne lésinant sur l’emploi d’aucune grosse ficelle pour attirer le chaland.
Smalls, Tufnel, Saint Hubbins & DeBergi
C’est dans ce contexte que paraît « Spinal Tap », le film définitif sur le monde du rock. Pourquoi « Spinal Tap » est définitif ? Parce qu’il appuie là où ça fait mal, et là où ça fait rire. L’idée de génie de son réalisateur, l’inconnu Rob Reiner est de présenter son film comme un documentaire (documenteur ?, rockumentaire ?), sur une tournée américaine d’un groupe de hard anglais au creux de la vague, Spinal Tap.
« Spinal Tap » est un film qui se mérite, faut avoir auparavant lu, écouté, vu, des interviews de musiciens, leurs disques, leurs VHS. Faut une « culture » de base de la chose rock et du rock’n’roll circus qui gravite autour. Evidemment, le but du jeu, à travers les situations loufoques et les scènes devenues cultes, est de rechercher « qui sont » vraiment Spinal Tap. Ben, Spinal Tap, c’est Spinal Tap … Autre coup génie de Reiner et sa clique, c’est de faire des décennies après comme si Spinal Tap existait. D’ailleurs Spinal Tap existe, ils sortent des disques, ont joué (et pas en playback) au Live Aid, ou au Royal Albert Hall, comme on peut le voir dans les bonus du BluRay. Un peu le principe des poupées gigognes appliqué au groupe Spinal Tap, il y a toujours un gag dans le gag, et ça semble sans fin.
Un effet scénique avorté dans l’œuf
Rien ne fonctionnerait dans ce film si les acteurs n’étaient pas des musiciens, ce sont eux qui ont composé et jouent leurs titres. Définitivement, Spinal Tap existe réellement, quel que soit le niveau de la caricature offerte. Et le monde du hard-rock (qui domine les charts et les ventes au début des années 80) fournit un cortège d’attitudes, de codes, de lieux communs qui deviennent jubilatoires. On retient bien sûr de « Spinal Tap » les vannes majeures (l’ampli qui va jusqu’à onze, les « Hello Cleveland » braillés alors que le groupe se perd dans les coulisses, la courgette enveloppée dans du papier alu dans le slip, et quantité d’autres …). Mais dans « Spinal Tap », tout est détourné, chaque situation, chaque plan, chaque image, touchent au subliminal.
Spinal Tap, le groupe, est anglais. Ça évite de froisser quelques susceptibilités chez les Américains, a priori peu portés sur l’auto-dérision. Et pourtant, Nigel Tufnel, le guitariste brun, tire la langue comme Gene Simmons de Kiss, accroche une ribambelle de médiators au pied de micro comme Hendrix ou Joe Perry, a le contour des yeux maquillés comme Alice Cooper, … Nick Saint-Hubbins, le chanteur-guitariste blond, évoque immanquablement Robin Zander de Cheap Trick, David Lee Roth des Van Halen mais aussi Peter Frampton (anglais certes, mais qui a écoulé les millions de son « Comes alive » quasi uniquement aux States) … Le nom du groupe avec le tréma sur le « N » (putain comment on fait pour l’écrire avec Word ?) renvoie certes à Motörhead (et le basssite à Lemmy), mais aussi à Mötley Crue et Blue Öyster Cult. Certes les analogies avec de vrais groupes anglais dominent, mais il est amusant de constater que parmi les intervenants dans les bonus, tous sont Américains et se focalisent sur les Anglais. Certains « spécialistes » affirmant que le modèle de Spinal Tap serait Saxon, ce qui est quelque peu réducteur. Certes personne dans Saxon n’était candidat au prix Nobel, mais ils étaient pas plus cons que … les autres en fait, et depuis on en a vu des crétins terminaux se lancer dans le gros riff qui déchire sa race (non, pas de noms, on en finirait jamais de citer des abrutis en pantacourts). Autrement dit, si les Spinal Tap sont présentés comme des zozos un peu limités, peu dans les générations suivantes ont retenu la leçon et s’embourbent à qui mieux-mieux dans le ridicule. Suffit de voir dans les bonus les Kings Of Leon, encore bourrés et / ou défoncés de la veille, ne pas se rendre compte qu’ils livrent une interview plus spinaltapienne que les originaux …
Les grandioses décors de Stonehenge
L’histoire et le scénario de « Spinal Tap » tiennent sur l’ourlet d’un string de Nabila, mais chaque image, chaque mot, chaque regard des acteurs, renvoie à quelque chose de vu ou entendu chez d’autres. La caricature aurait pu se limiter à la mise en ridicule du hard-rock bas de gamme, genre quand même un peu neuneu. Même pas, les dieux vivants du rock en prennent aussi. Si Tufnel qui joue de la guitare avec un violon, c’est pas une allusion à l’archet de Jimmy Page sur « Dazed & confused », je veux bien prendre un abonnement pour le prochain Hellfest. Si le même Tufnel qui reste bloqué en se roulant par terre pendant son solo, c’est pas du foutage de gueule d’AC/DC et des Scorpions, si sa collection de guitares et son air perpétuellement maussade, c’est pas tout repiqué sur Jeff Beck, si la double basse de Derek Smalls c’est pas « inspiré » direct du crétin congénital Chris Squire de … Yes (c’est bien, vous suivez) qui lui en avait trois empilées (pour en faire quoi, on ne saura jamais), si la courgette ça vient pas de Jagger qui pendant la tournée « Some girls » avait l’habitude de glisser une bouteille de Coca sous sa braguette, si … etc, etc … Avec son aspect j’menfoutiste tourné avec les pieds, « Spinal Tap » révèle de nouveaux trésors à chaque visionnage, ou a contrario, on lit une anecdote, on voit un clip ou une interview, et bingo, on comprend les codes d’un plan de « Spinal Tap ».
Problème de courgette à l'aéroport
Les musiciens sont au centre de l’attention, évidemment, mais tous les personnages qui gravitent autour sont des caricatures, à commencer par Reiner lui-même qui se met en scène en tant que Marty DeBergi, pseudo-journaliste nonchalant auteur du « documentaire », la femme de Saint Hubbins qui s’improvise manageuse (just like Sharon Osbourne avec son Ozzy) en remplacement d’un blondinet manieur de battes de cricket (Peter Grant ? ouais, mais le manager de Led Zep avait des méthodes bien plus brutales et n’était pas blond), les attaché(e)s de presse vils et veules, le patron de la maison de disques Polymer (que ceux qui n’ont pas compris la double vanne se fassent connaître, ils gagnent l’intégrale de Venom), avec pour ce rôle-éclair Patrick McNee … même Anjelica Huston fait une apparition de quelques secondes.
Reiner et ses scénaristes (les vrais-faux membres de Spinal Tap) montrent qu’il maîtrisent parfaitement un genre qui tient l’essentiel du film, et qui nous montre le présent du groupe. Mais la pseudo-histoire de Spinal Tap qui sert de fil rouge vaut aussi le détour, avec sa kyrielle de batteurs maudits (dont celui écrasé par sa tondeuse, l’autre victime d’auto-combustion sur scène, un troisième étouffé par du vomi, mais pas le sien !!!) les faux clips garantis imitation vintage (la bubblegum pop à la Herman Hermit’s, et la pop psychédélique très Buffalo Springfield – Byrds – Floyd de Barrett). La bande-son (originale évidemment, toujours par le même trio) s’amuse à pasticher Queen (« Fat bottom », hymne aux pétasses à gros cul), les groupes de hair metal (« Hell hole »). Enfin comment passer sous silence le fabuleux concept de « Stonehenge » (encore plus fort que le fumeux jeu de mots de Ten Years After), son intro très « Nous sommes du Soleil » de … (remplacer les points par  des insultes, liste exhaustive souhaitée) Yes, ses délires celtico-tolkienens, ses grandioses décors de 60 centimètres (running gag, lors du vrai concert donné par le faux groupe au Royal Albert Hall, le menhir trop monumental cette fois ne peut pas rentrer dans la salle) …

En conclusion, parce que je pourrais y passer des heures, il y a dans la vie de tout mélomane à la con (le type qui écoute du rock, quoi, et qui croit que c’est de la musique géniale faite par des génies), un avant et un après « Spinal Tap ». La fin du temps de l’innocence, en quelque sorte …


Du même sur ce blog :


STANLEY DONEN - LES SEPT FEMMES DE BARBEROUSSE (1954)


Un sommet ... du kitsch

Et pourtant il y a un gros poisson derrière la caméra. Stanley Donen, seulement vingt-sept ans au moment où il commence le tournage, mais déjà chorégraphe superstar de la MGM et réalisateur pour cette firme de deux comédies musicales au succès gigantesque, « Un jour à New York », et surtout la référence absolue du genre « Chantons sous la pluie ».
Et déjà, à l’époque, on peut constater que l’industrie cinématographique hollywoodienne ne jetait pas les dollars par les fenêtres, car tout Donen qu’il était, il se verra allouer un budget quasi misérable pour son nouveau film. Tiré d’un bouquin, déjà extrapolation d’un épisode de la mythologie romaine (l’enlèvement des Sabines), et originellement nommé comme lui « The sobbin’ women ». So what ? Des femmes qui chialent ? Cherchez autre chose comme titre a dit la production. Titre suivant proposé : « A bride for seven brothers », qui aurait certainement fait l’affaire chez Marc Dorcel, mais là, nouveau refus. Le suivant sera le bon, « Seven brides for seven brothers », évidemment traduit stupidement en français … et pourquoi sept ? ben voyons, les sept nains, les sept femmes de Barbe-Bleue, tout çà, le scénariste avait pas trop envie de se compliquer la tâche. Donen va se retrouver en plus avec un cahier des charges compliqué. Il devra tourner en Cinémascope (premier film dans ce format pour la MGM), lui qui n’est pas un technicien de la caméra, et pour assurer le coup, retourner les scènes au format « normal ». Deux films pour le prix d’un en sorte, c’est la version en scope (et en stéréo) qui sera diffusée …
L’histoire se passe en 1850 dans l’Oregon et ses majestueux paysages naturels … en carton massif. Tout a été tourné en studio et ça se voit très très beaucoup (scène gag involontaire du film : une ouverture hors champ de cages aux oiseaux dans un cadre bucolique, et les pauvres piafs qui vont se crasher dans le décor de fond, on le distingue parfaitement …). Pire, Donen n’a que deux acteurs de comédies musicales confirmés, Howard Keel et Jane Powell, qui auront les rôles principaux. Le reste du casting, c’est pas une blague, sera pris parmi les gens sous contrat avec la MGM et qui ne sont pas en train de tourner un autre film. Il en manque encore, mais qu’à cela ne tienne, des danseurs venus du classique tout ce qu’il y a de sérieux et des acrobates de cirque complèteront le casting. Il en manque toujours ? Et bien quand tous les autres multiplieront les acrobaties, ceux qui ne savent pas danser resteront assis et taperont la mesure pendant que ceux qui savent danseront …
Forcément, tout ça finit par laisser des traces à l’écran. Le genre en lui-même implique un scénario cousu de fil blanc, faut pas trop chercher à s’intéresser à l’intrigue, c’est obligatoirement une happy end. Point de départ : sept frères roux (pourquoi roux ? on sait pas) et célibataires vivent dans une ferme perdue, et le film nous narre leurs tribulations pour trouver épouse. Jeu des acteurs sommaire assorti de force grimaces expressives, gags et répliques ultra-téléphonés, même Christian Clavier aurait eu l’air bon dans ce truc, c’est dire … mais la comédie musicale est un genre très codifié qui se doit de proposer un spectacle populaire et familial, et ce film a rempli parfaitement son rôle, gros succès en salle (cinquième meilleure fréquentation aux Etats-Unis en 1955), et les producteurs doubleront leur mise …
Aujourd’hui, c’est le type même de film qui a sévèrement morflé. C’est naïf, criard, furieusement kitsch, un vestige d’un autre temps et surtout d’une époque où le public n’avait pas les mêmes goûts et les mêmes attentes qu’aujourd’hui face à un film. D’autant plus que « Les sept femmes … » est largement surestimé. Ses chansons n’ont pas traversé le temps, l’intrigue est d’une niaiserie confondante, et les faiblesses du casting font qu’on n’a pas droit à de grands numéros sophistiqués de danse. A une exception près, Donen a mis le paquet sur une scène, dite « de la grange », qui a nécessité trois jours de tournage plan par plan, et où, tirant profit de l’hétérogénéité de ses acteurs, on passe de quadrilles enlevés, à des numéros assez spectaculaires de danse classique ou d’acrobatie.
Pour le reste, il n’y a pas vraiment de quoi se relever la nuit …