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MARIA McKEE - YOU GOTTA SIN TO GET SAVED (1993)

Chante avec les stars ...
Maria McKee est une star en Suède. Ou quasiment, paraît-il … Maria Qui ? Non, McKee, d’abord. Et c’est pas en faisant un tour sur Wikimachin qu’on en sait plus. Là ou ailleurs, on vous vend Maria McKee comme la demi-sœur de Bryan McLean ou l’ancienne chanteuse de Lone Justice. Et pourtant Maria McKee n’est pas morte que je sache. Mais pour son malheur, elle s’est toujours conjuguée au passé…

Et ça doit lui faire une belle jambe de voir toujours cité Bryan McLean. A l’attention des fans de Zaz, Bryan McLean fut un temps le George Harrison (c’est lui qui a composé « Alone Again Or », merveille absolue de « Forever changes ») de Love, avant qu’Arthur Lee, qui en était le Lennon-McCartney, juge qu’il n’avait pas besoin de s’encombrer d’autres talents que le sien et l’éjecte du groupe phare de la scène psyché de L.A. Et pour le fan de Renaud assis à côté du radiateur, je précise que Lone Justice eut son quart d’heure de gloire au début des années 80 où, en compagnie de Rank & File et quelques autres enstetsonnés dont le nom me revient pas, il fut le chef de file d’un éphémère courant dénommé soit alternative country soit cow-punk, au gré des humeurs éditoriales de la presse musicale qui leur consacra quelques entrefilets enthousiastes avant de passer à autre chose … Bâillements … En fait, les seuls à connaître Maria McKee sont les fans de Tarantino (enfin de ses B.O.), elle a un titre dans le soundtrack de « Pulp fiction » …
Bon, Maria McKee donc. Qui se retrouve has been à la dissolution de Lone Justice et qui n’a même pas alors 25 ans. Qui sort un premier disque solo sur Geffen (une major ou quasi) avec Mitchell Froom (pas le premier producteur venu). Ce disque éponyme sera quasi un bide. Il faudra attendre quatre ans pour que Geffen redonne à Maria McKee les moyens de faire un disque. Parce que quelqu’un là-dedans à dû se dire qu’une voix pareille, ça méritait une autre chance. Ah, je vous ai pas dit, Maria McKee est une putain de grande chanteuse. Qui ne se contente pas de poser ses octaves là où on lui dit, mais qui est capable d’écrire des chansons et de choisir des reprises qui déchirent leur race …

Et quand on lit les crédits ce « You gotta sin … », on se dit de suite que pareilles mouches au casting ne s’attrapent pas avec le premier vinaigre venu. Aux manettes en studio George Drakoulias, celui qui façonne le son des Black Crowes (remember, le meilleur croisement jamais entendu entre Stones et Zeppelin). Anecdote : pour l’assister, un ingé du son qui fera plus tard beaucoup parler de lui, le dénommé Brendan O’Brien (celui que tu vas chercher quand tu veux faire un mauvais disque, et c’est pas N. Young, Pearl Jam, Springsteen, AC/DC et une multitude d’autres qui me contrediront). De la partie également Don Was, Jim Keltner, Olson et Louris des Jayhawks, Auer et Stringfellow des Posies, Benmont Tench des Heartbreakers de Petty, les Memphis Horns (les souffleurs de chez Stax derrière Hayes, Redding, etc …). Comme qui dirait du beau monde. Sans compter Dennis Hopper (oui, le vrai, celui de « Easy rider ») pour la photo de pochette. Tout ce beau monde n’est pas venu que pour cachetonner, on trouve écrit en gras dans les notes de pochette « This is not a solo album. The Band is : »). Et quand McKee ne chante pas ses compos, elle reprend des choses des Jayhawks, de Gerry Goffin & Carole King, ou de Van Morrison (deux titres). Tiens, vous en connaissez beaucoup, qui se hasardent à reprendre du Van The Man, tellement il a l’habitude de placer vocalement la barre haut le bougon barde irlandais ? Ben Maria McKee elle le fait et plutôt bien.
« You gotta sin … » (dix titres, quarante minutes), c’est de l’americana de haut niveau. Un savant mélange de folk, soul, rock, rhythm’n’blues, gospel, … Chantés par une voix qui marque son territoire sans être démonstrative.  Le premier nom qui me vient à l’esprit s’il faut une comparaison c’est Tammy Wynette (et si vous savez pas qui est Tammy Wynette, allez écouter « Stand by your man », et vous gourez pas, pas la version de Lemmy Motorhead et de la plasmatique siliconée Wendy O. Williams, non, la vraie, l’originale). « You gotta sin … » monte en puissance, débute par une sorte d’échauffement, de mise en bouche (« I gonna soothe you », mid tempo rock soul funky). Avant un première reprise relax de Van Morrison (l’antique « My lonely sad eyes », pas une des plus connues des Them, son premier groupe).

Dès le troisième titre (« My girlhood … »), McKee commence à lâcher les watts vocaux sur cette ballade nerveuse. Juste avant le premier sommet du disque, « Only once ». Une merveille de country rock, la voix de cristal du début qui évoque tellement Emmylou Harris, qu’on s’attend à voir apparaître celle de Gram Parsons au détour d’un couplet. Ce titre retrouve par moments (pompage ?) la magie mélodique du « Christian life » des Byrds période Gram Parsons (comme quoi tout est dans tout, et inversement …). Et tant qu’on est à évoquer des similitudes vous risquez de trouver par moments des choses qui rappellent « Only love can break your heart » de Neil Young dans « I forgive you », grosse perf vocale de la Maria sur cette soulerie de facture classique.
Deux reprises suivent. « I can’t make it alone » de Goffin-King, c’est le titre le plus rock de l’album, avec Drakoulias à la batterie qui n’oublie pas de se mettre inconsidérément en avant au mixage. Antithèse, la reprise des Jayhawks (« Precious ») est servie unplugged, avec guitares acoustiques, harmonica et tout le tremblement pour servir d’écrin à la voix de cristal de la Maria.
Mine de rien, sans rien à jeter, on arrive au dernier tiers du skeud. Et là, acrochez-vous, surgit une extraordinaire version de « The way young lovers do », un des vrais grands titres du surestimé chef-d’œuvre de Van Morrison « Astral weeks ». McKee se lâche complètement sur cette relecture sauvage, s’offrant même un passage de scat vers la fin. Le spectre d’Aretha Franklin accompagne la powerful soul ballad « Why wasn’t I more grateful », le genre de titre où on ne peut pas être quelconque faute de se vautrer dans le ridicule. Le morceau-titre (« You gotta sin to get saved » donc) est l’apothéose finale, c’est une tornade rhythm’n’blues gospelisante, tout le monde est à fond et semble t-il captured live.
Aujourd’hui, la cinquantaine entamée, Maria McKee est une sorte de bibelot chantant encombrant. Pas besoin d’être devin pour affirmer que la confidentialité sera son avenir.

Reste ce « You gotta sin … » intemporel à la beauté qui n’est pas près de s’estomper …


R.E.M. - OUT OF TIME (1991)

Intemporel ...
« Out of time » est paru en 1991. Pour cette chose qu’on appelait albums (avant que le concept se perde au profit des morceaux qu’on piocherait en streaming, sur You Tube, qu’on téléchargerait à l’unité, …), certainement la dernière des grandes années du rock. Sont parues cette année-là des galettes entrées depuis dans toutes les listes récapitulatives, idéales, à écouter avant de mourir, etc … « Nevermind » de Nirvana, « Ten » de Pearl Jam (le grunge), le dyptique « Use our illusion » des Guns (alors le groupe de rock sur le toit du monde), « Black Album » de Metallica (les prochains Guns), le dernier excellent U2 (« Achtung baby »), les références en matière de trip-hop (« Blue lines » de Massive Attack), de shoegazing (« Loveless » de My Bloody Valentine), de fusion (« Blood Sugar Sex Magik » des Red Hot, « Screamadelica » des Primal Scream). Tous écoulés par millions d’unités. Comme le « Out of time » de R.E.M.
Buck, Mills, Stipe, Berry : R.EM.
Et évidemment, à l’époque comme rétrospectivement, ça a fait hurler les puristes ou prétendus tels. Quoi, comment, le porte-drapeau du rock indie, le groupe roi des campus américains, qui signe sur une major et décuple ses ventes. Trahison, je vous dis. Qu’on les pende !!
Perso, du R.E.M. des années 80, j’ai vraiment usé qu’une galette. « Reckoning » leur second, et leur hommage le plus évident à ce Velvet Underground qu’ils citaient toujours. Les autres ? Ouais, bof … Sans plus. Cette musique cafardeuse et sautillante empêtrée dans un bourdon sonore et chanté à la longue assez pénible, ça me faisait guère plus d’effet que la plupart des disques des Talking Heads. De la musique typée intello (d’où le succès sur les campus, avant que les campus deviennent le fief des Kanye West de tout poil), en gros …
En fait qu’est-ce qu’on leur reproche aux R.E.M. ? D’avoir fait un bon disque qui s’est vendu par camions. Tu parles d’un crime. Comme si c’était pas le but de tous les types qui rentrent en studio, qu’ils l’avouent ou pas. Et qu’on vienne pas me parler de visées mercantiles. Il y a dans « Out of time » des suicides commerciaux. Aller chercher une mandoline pour la base sonore de « Losing my religion », c’est pas gagné d’avance. Vous en connaissez beaucoup de hits avec une mandoline en avant ? Ouais, « Mandolin wind » de Rod Stewart (en 1971, quand même). Vous voulez faire de la thune en 1991, vous allez chercher un rappeur. Oui, mais pas KRS-1 (sur « Radio song »), c’est un type catalogué « dangereux activiste », pas vraiment gage de heavy rotation sur MTV … Vous voulez faire du duo aguicheur pour les hit-parades? OK, mais pensez vous que Kate Pierson des totalement has been B-52’s soit le bon choix (même si Iggy Pop était allé la chercher l’année d’avant pour un de ses rares très bons disques solo « Brick by brick ») ? Kate Pierson elle est là, à cause de la Athens connection (R.E.M. et les B-52’s sont issus de la même ville de Géorgie et les seconds ont servi de modèle « spirituel » aux premiers). Vous voulez de la guitare saturée (ça marche à fond en 1991) ? C’est raté (et pourtant Peter Buck sait faire s’il veut), pire, les R.E.M. s’adjoignent sur la plupart des titres une section de cordes drivée par Mark Bingham …

Alors, Warner ou pas, « Out of time » est d’abord un disque où les types sont à leur zénith. Créatif, d’abord. Une décennie à créer une osmose entre quatre types (euh, six en fait, il faut rajouter sur ce disque l’omniprésent Peter Holsapple des excellents mais feu dB’s, et celui qui est de fait le cinquième R.E.M., leur producteur attitré Scott Litt), à mettre en place un son immédiatement reconnaissable (« Belong » aurait pu figurer tel quel sur n’importe quel disque de R.E.M. des 80’s) mais qui tend à se « démocratiser » (le chant de Stipe devient à peu près compréhensible, l’instrumentation tend vers la « ligne claire », s’éloignant quasi imperceptiblement à chaque disque du magma sonore de leurs disques précédents). Aussi un zénith populaire. Parce que c’est pas la Warner fraîchement apparue dans leur carrière qui les fait jouer depuis des années devant un public de plus en plus nombreux dans des salles de plus en plus grandes. Avant « Out of time », R.E.M. est considéré comme le plus grand groupe indie américain, une dénomination totalement stupide mais qui traduit un certain potentiel de séduction et une ascension populaire régulière.
R.E.M. sur le toit (du monde)
Les R.E.M. franchissent avec « Out of time» un palier, placent la barre à une hauteur que personne (peut-être même pas eux) n’envisageait. Un hit intergalactique (« Losing my religion »), deux autre pas loin (« Radio song » et « Shiny happy people »). Des démarquages intelligents de « Losing … » (« Near wild heaven » et surtout « Half a word away »), l’incontournable hommage au Velvet (« Me in honey » l’intro, la guitare inexpressive, la structure lancinante, tout ramène à la band à Lou Reed et John Cale), un clin d’œil – pompage de Dylan (« Country feedback », me semble t-il bien inspiré par « Knockin’ on heaven’s door »), un titre pour les ploucs country du Midwest (le rustique « Texakarna » avec pedal steel guitar et tout le tremblement). Et pour finir le tour du propriétaire, deux titres que tout oppose, le tout en fréquences basses et bien nommé « Low », et à l’autre extrémité du spectre sonore le totally baroque (arrangements de cordes omniprésents) « Endgame » (qui me fait penser à « Lady Jane » (et si vous connaissez pas « Lady Jane », misère, je vous plains…).
En fait, il n’y a pas grand-chose à reprocher à « Out of time » (tiens, un autre titre des Stones « chansons » de « Aftermath »). Si, en cherchant un peu, sa pochette aussi moche que celle de la plupart de leurs précédents skeuds, mais qui par son aspect flashy et coruscant (« Shiny happy people » ?), donne le ton plutôt enjoué du disque. A mettre en parallèle avec la toute grise (parce que d’une tonalité plus grave, plus triste) de l’autre chef-d’œuvre qui allait suivre « Automatic for the people ».

« Out of time » est un disque non pas centriste, mais totalement fédérateur. Incontournable et indispensable …


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OLIVER STONE - TUEURS-NES (1994)

Born to be wild ...
« Tueurs-nés », c’est presque le « Orange mécanique » de son époque. Pourquoi presque ? Oh hé, commencez pas à me les briser, on y viendra plus tard … si j’y pense.
En tout cas, « Natural born killers » (en VO), c’est un film clivant. Par un réalisateur clivant. Oliver Stone est une grande gueule et derrière son look bcbg conformiste, un type qui aime bien foutre les pieds dans le plat. Un peu à la façon de Michael Moore, la casquette et le cholestérol en moins, le talent caméra au poing en plus. Point commun entre les deux pour ce qui concerne « Tueurs-nés » : le documentaire. Ouais, je sais, « Tueurs-nés » n’est pas un doc, mais les trucs de Moore non plus, tellement la réalité est détournée et distordue au profit de ce qu’il veut (dé)montrer.
Oliver Stone & Quentin Tarantino
« Tueurs-nés », c’est un film gore rabelaisien, où tout est exagéré jusqu’à la caricature. C’est aussi une histoire d’amour à la « Bonnie & Clyde » (Penn le film, Gainsbourg la chanson). C’est quelque part entre Peckinpah pour l’ultraviolence, Romero pour l’esthétique de la mort et de l’au-delà, à cheval entre « La valse des pantins » de Scorsese et « Le prix du danger » de Boisset … et on pourrait multiplier les références à l’infini. D’ailleurs, on voit dans des télés ou en surimpression des extraits de vieux films dans « Tueurs-nés ». Parce que « Tueurs-nés » est aussi un film hommage au cinéma. Normal, me direz-vous, parce que c’est un fada de cinéma qui a écrit le scénario, rien de moins que Quentin Tarantino, plus que remarqué à l’époque avec coup sur coup « Reservoir dogs » et « Pulp fiction ». Bon, il y aura comme qui dirait de l’eau dans le gaz entre Tarantino et Stone, le second remaniera profondément ce qu’a écrit le premier, qui du coup ne veut plus être crédité au scénar.
Mickey & Mallory Knox
Même si la patte Tarantino est visible (si la « confession » de Mickey en direct à la TV depuis la prison, si certaines bouffées d’ultraviolence sorties de nulle part, si l’hystérie communicative et contagieuse des personnages, c’est pas du Tarantino, je veux bien me taper l’intégrale de Gad Elmachin). Quoi que Stone s’y entend aussi en pétage des plombs et démesure à tous les étages. Et vous savez pourquoi c’est beaucoup plus un film de Stone que de Tarantino ? Ben parce que Tarantino aurait plutôt mis Dick Dale ou les Ventures sur la B.O. plutôt que du Leonard Cohen ou le « Sweet Jane » des Cowboy Junkies.
« Tueurs-nés » est un film à la marge de tout. Du cinéma « traditionnel » et même de la carrière d’Oliver Stone. Film sous coke ? Ouais, peut-être. Car les anecdotes d’un Stone borderline, mettant tout en boîte en moins de deux mois, louant des sonos gigantesques pour passer de la musique tous potards sur onze sur les lieux de tournage, tirant ou faisant tirer en l’air des rafales de vrais coups de feu pour « immerger » ses acteurs dans leur rôle et l’action foisonnent. Imagine t-on pareil dérèglement du bon sens sur un tournage de Rivette, Dreyer ou Bergmann ? Faut-il être dans son état normal, pour choisir parmi une pléthore de postulants (et certains très bankables, comme Bernie Madsen) au rôle principal un à peu près inconnu, Woody Harrelson. Qui se voit confier le rôle d’un serial killer qui enfant a vu mourir son père sous ses yeux, alors que le paternel de Harrelson est depuis des lustres en zonzon pour meurtre, et que Woody est lui-même dans la vraie vie assez euh … instable ?
Tommy Lee Jones & Tom Sizemore
Harrelson est Mickey Knox. Garçon boucher qui va livrer sa barbaque chez Mallory (Juliette Lewis, révélée dans « Les nerfs à vif » de Scorsese), fille déjantée d’une famille de tarés, dont un père qui abuse d’elle. Coup de foudre instantané et début du bain de sang. Mickey va revenir chercher Mallory pour l’épouser, en fracassant au passage le crâne du paternel avant de le noyer dans un aquarium, et immolant la mère dans son lit. Dès lors commencera la cavale sanglante des deux, qui flingueront sans raison, sinon pour le plaisir de tuer tous ceux qui passeront à portée de flingue ou de tout autre mortel accessoire contondant.
Un road movie sanglant entrecoupé d’une scène fleur bleue, le « mariage » sous forme d’un serment de sang sur un pont vertigineux, et d’une autre totalement hallucinatoire, où le couple est guéri de morsures de crotale par un chaman Indien qu’ils finiront par buter. Avant d’échouer dans une pharmacie à la porte de laquelle ils se feront serrer par les keufs.
Robert Downey Jr
On est là à la moitié du film. Vont dès lors entrer en scène trois nouveaux personnages essentiels. Robert Downey Jr en journaliste TV sensationnaliste, spécialisé dans les reportages sur le vif de serial killers. Tom Sizemore en superflic complètement taré (et accessoirement assassin de prostituées) qui veut flinguer le couple (après avoir baisé Mallory) en prison. Et une composition déjantée, un de ces numéros d’acteurs qui font date, de Tommy Lee Jones en directeur de prison totalement pervers et borderline, avec un look digne d’un personnage de John Waters. Dès lors, « Tueurs-nés » prend une autre dimension, celle d’une critique au vitriol du système carcéral (qui ne sert qu’à rendre les loups en cage encore plus sauvages) et surtout d’un système médiatique qui ne cherche que l’insensé pour faire de l’audience. Cette seconde partie du film, tournée par une équipe sur les dents (et les nerfs) dans une vraie prison avec beaucoup de vrais détenus, révèle la vraie nature des protagonistes, les plus cohérents se révélant être Mickey et Mallory, bêtes sauvages en cage, qui vont évidemment finir par s’évader dans un bain de sang et une émeute-révolte de détenus. Avec comme cœur et clé d’entrée de l’univers sanguinaire et violent de Mickey l’interview évoquée plus haut, avec réponses-slogans à des questions stupides de Downey.
Mais le plus remarquable dans le film, c’est même pas l’histoire racontée et les dénonciations latentes d’une société américaine fascinée par la violence qu’elle génère, et vouant un culte idiot à des crétins assassins (les comparaisons des « exploits » de Mickey et Mallory Knox avec ceux de vrais serial killers), genre beatlemania (les pancartes « Mickey I love you, kill me » brandies lors de la cohue qui accompagne le procès du couple). Non, ce qui surprend le plus au visionnage du film, c’est son rythme et sa technique. Un truc fou (18 types de caméra utilisés, des gros bahuts sur rails aux caméras digitales portables de la taille d’un paquet de clopes), des formats d’images qui se chevauchent (les surimpressions d’image, en plus sans trucage, les acteurs jouant vraiment devant les images projetées au montage derrière eux), du noir et blanc très granuleux caméra bougée à l’épaule au milieu de cadrages millimétrés aux filtres de couleur très travaillés. Même des animations (assez proches de celle de Gerald Scarfe dans un autre film psychologique barré « The Wall » d’Alan Parker d’après le disque de Pink Floyd), ou des pastiches de sitcom (les scènes avec les parents de Mallory), viennent s’interférer dans ce foutoir en 24 images seconde. Mais c’est pas tout. Ce qui fait le plus perdre pied, immerge totalement dans ce maelstrom furieux, c’est le montage. Plus de 3000 plans dans le film, soit un changement de plan à peu prés toutes les deux secondes. Même les clippers fous des groupes de metal skatecore n’osaient pas pareil déferlement d’images.
Woody Harrelson & Juliette Lewis
Le résultat est esthétiquement troublant (on n’a jamais vu ça avant, et je sais pas si on l’a revu depuis), et finalement fait passer la forme avant le fond (à l’exact inverse de « Orange mécanique », yesss, j’ai pas oublié). Alors quoi qu’il faut en penser de « Tueurs-nés » ? Au pire, c’est un grand film, sauvage, féroce et jubilatoire, une gigantesque œuvre de destruction massive d’une société américaine gangrénée et fascinée par la violence qu’elle génère, mais qui se refuse à l’accepter. Le seul regret, c’est à mon sens que Stone en ait fait trop. Ou pas assez. Trop sanglant et pas assez sérieux. « Tueurs-nés », bien sûr, n’est pas un film violent (enfin, si, au premier degré, et ses détracteurs à la vue très basse ne voient évidemment que ce premier degré). C’est une farce, gouailleuse et pantagruélique dans ses excès, voulus et recherchés. Mais à mon sens trop exagérés, dilués dans la démesure et les effets de style. Un peu comme si Oliver Stone avait filmé un sketch comique. Et en aurait choisi un de Bigard plutôt qu’un de Desproges.

Bon, je chipote un peu là. Film à voir et revoir …



LUC & JEAN-PIERRE DARDENNE - ROSETTA (1999)

I will survive ...
Cette vieille scie de Gloria Gaynor, mise à la sauce beauf-franchouillarde par des footeux crétins (pléonasme), Emilie Dequenne l’a chantée dans « Pas son genre » de Lucas Belvaux. Elle aurait pu aussi la chanter dans « Rosetta », sauf que l’ambiance dans le film des Dardenne Bros, n’est pas exactement hédoniste et disco.
« Rosetta », c’est un peu du Dickens ou du Zola. Ou du Ken Loach, ce qui revient à peu près au même. Autrement dit, fans de Dubosc et des Elmaleh, merci d’avoir lu jusque-là, mais maintenant, c’est bon, cassez-vous …
Les frères Dardenne & E Dequenne
Derrière le projet « Rosetta », les deux frangins Dardenne, dont j’ai jamais compris lequel des deux faisait quoi, depuis quelques lustres dans des projets cinématographiques résolument indépendants (entendez-par là que tu te démerdes pour tourner des images, faire des docus, des courts ou des longs-métrages, mais t’as pas un rond pour ça, tu te débrouilles comme tu peux …). « Rosetta » est leur quatrième film, en fait le second dont les lecteurs de Télérama entendent parler, les deux premiers étant passés totalement inaperçus. « Rosetta » va sortir les Dardenne de l’anonymat, et pas qu’un peu. Palme d’Or et prix d’interprétation féminine à Cannes, pour un truc tourné avec quinze millions d’euros (le budget apéro-petits fours d’un Depardieu) avec dans le premier rôle une actrice amateur de dix-huit ans. Deux récompenses cannoises qui furent perçues par certains spectateurs de salles obscures comme un putsch communiste sur la Croisette … Et en plus c’étaient tous des  Belges …
« Rosetta » n’a pas de début, et encore moins de fin. C’est une tranche de vie, filmée avec une caméra à l’épaule qui colle au cul de ses personnages, en particulier celui d’Emilie Duquenne, qui doit être de toutes les scènes. Ça commence par une course-poursuite (non, pas exactement à la « Fast & furious ») dans les réserves d’un magasin quelconque, où bosse Rosetta, qui vient d’apprendre qu’elle vient de se faire virer. Rageuse, elle pleure, supplie, pour garder son boulot, ne quitte l’usine que manu militari … Citation de Jean-Pierre Dardenne dans les bonus (minables, normal c’est chez TF1 Vidéo) du Dvd : « Rosetta est une fille obsédée, assiégée par une idée : avoir un travail pour être comme les autres et avoir une vie normale ».
Emilie Dequenne / Rosetta
Parce que Rosetta, elle a pas une existence vraiment glamour : elle vit dans un mobil home avec sa mère (il n’y aura aucune allusion au père dans le film, pas besoin) poivrote dépressive, réduite à sucer le gardien pouilleux du camping pouilleux pour continuer à avoir de l’eau potable, ou une bouteille de gnole. Rosetta est prête à tout pour trouver du boulot (sauf ce à quoi vous pensez, bande d’obsédés), demandant partout, dans les friperies où elle vend ses fringues pour pouvoir bouffer, dans les agences pour l’emploi … Rosetta n’a aucune vie sociale, encore moins sexuelle. Elle finit par se faire embaucher dans l’atelier d’un boulanger-marchand de gaufres, type réglo mais dur, propriétaire de baraques à gaufres sur les trottoirs de la ville (Seraing, en Wallonie, mais on s’en fout, ça n’a aucune espèce d’importance).
Lorsque son patron la renvoie au prétexte qu’il la remplace par son fils à qui il veut apprendre le métier, Rosetta va de nouveau basculer dans la quête maladive de boulot. Ce qui va accentuer chez elle ces terribles crises de mal au ventre qui la plient en deux et lui font souffrir le martyre dans son lit (psychosomatisme, colite, ou autre, on en sait rien et on s’en tape). Dès lors son acharnement va prendre une tournure machiavélique (c’est la tranche de vie au cœur du film). Car chez les Dardenne, les héros ne sont jamais totalement positifs (voir ceux de « L’enfant » ou le gosse tête à claques du « Gamin au vélo »). Et Rosetta va être abjecte pour trouver du boulot. Elle va balancer à son patron pour qu’il le vire et qu’elle prenne sa place (et il faut voir avec quelle fierté elle ouvre le matin « sa » baraque à gaufres) un grand dadais limité qui la dragouille après avoir essayé de le faire se noyer. Rosetta foire tout dans sa vie, thème éminemment zolien du déterminisme social. Elle n’arrivera même pas à se suicider au gaz (la bonbonne est vide), et le film s’arrête alors qu’elle se retrouve face à son existence minable (une énième prise de bec – baston avec sa mère) et face au grand niais dont elle a voulu détruire la vie sociale minable pour satisfaire ses ambitions, tout aussi minables et mesquines.
I wanna be your boyfriend ...
Et malgré tout, Rosetta demeure un personnage empathique. Parce qu’elle est gauche, obstinée, combative, et qu’elle lutte pour la « bonne cause », trouver son putain de job.
« Rosetta » est un modèle de cinéma-vérité. Parce que le film, même s’il a tous les aspects techniques d’un documentaire, s’en éloigne par la forme. Il y a les scènes qui reviennent come un mantra. La traversée de la quatre voies (plan récurrent chez les Dardenne, ils passent beaucoup de temps à filmer des gens qui courent à travers des rues ou des routes) rythme les fins de journées de Rosetta. Tout comme le rituel du changement de chaussures (ces bottes en caoutchouc planquées dans une buse d’écoulement qui servent à rentrer au camping à travers les bois), ou la prise de bec systématique avec sa déglinguée de mère.
Les acteurs sont « vrais », crus et sans fard, avec mention particulière à Olivier Gourmet, qui à force de multiplier les seconds rôles marquants, mériterait qu’on fasse reposer un jour un grand film sur ses épaules, il a la carrure pour l’assumer. Emilie Dequenne crève évidemment l’écran, et pourtant elle n’a rien de glamour avec sa silhouette rondelette, ses hauts de survêt informes et ses collants caca d’oie.
« Rosetta », c’est quand même un genre de film qu’il faut être prédisposé à s’enquiller, comme on dit par chez moi. Parce que y’a rien de spectaculaire, et que ça respire pas vraiment la joie de vivre et la bonne humeur. Un film plus pour le cœur et la tête que pour les yeux et les oreilles …

« Rosetta », c’est quatre vingt dix minutes de la vie d’une gamine belge d’en bas. Et ça atteint parfois des sommets …


Des mêmes sur ce blog :

DANIEL MYRICK & EDUARDO SANCHEZ - LE PROJET BLAIR WITCH (1999)

Avec trois bouts de ficelle ...
Des bouts de ficelle qui relient des petites branches pour former des signes inquiétants. C’est à peu près le seul truc qui ne soit pas naturel dans le film…
« Le projet Blair Witch », où comment deux même pas trentenaires américains, Daniel Myrick et Eduardo Sanchez, engendrèrent un des plus colossaux ratios lucratifs (recettes du film par rapport à son coût) de tous les temps. Cinquante mille dollars investis et des centaines de millions de recettes. Tout ça pour un film qui n’en est pas un. Et par deux types inconnus qui ne feront, soit ensemble, soit séparément, plus rien de notable.
Daniel Myrick & Eduardo Sanchez
« Le projet Blair Witch », c’est fait avec les moyens d’un documentaire fauché, genre reportage animalier à la télé est-allemande dans les années 80. Et encore, les boches rouges avaient beaucoup plus de brouzouf… Ici, on a en tout et pour tout une mini-caméra vidéo portable et une en super 16. Les deux tenues à l’épaule, c’est filmé en marchant ou en courant, et souvent la nuit, donc il y a des scènes où on ne voit que le noir intégral. Un truc totalement insensé, à l’encontre de ce que l’on peut voir dans les salles.
Le scénario tient sur un timbre-poste. Trois ados filment un docu dans une forêt où auraient eu lieu à différentes époques des crimes abominables et inexpliqués, que la légende locale attribue à la sorcière de Blair (à moins qu’il y ait plusieurs créatures, on sait pas trop). Les trois bambins se paument dans les bois et vont y passer quasiment une semaine. Un disparaîtra sans laisser de traces (mais des cris de souffrance, on y reviendra), les deux autres termineront leur périple dans une maison délabrée et peu avenante. Toujours en filmant leurs faits et gestes, y compris les plus anodins. En intro, on nous précise que ce sont les images qu’ils ont tournées que l’on retrouvera un an plus tard et qui donneront le film.
Promenons-nous dans les bois ...
« Le projet Blair Witch » inaugurera à peu près (même si certains exégètes citent des œuvres inconnues par des types qui le sont tout autant, comme influences potentielles), un genre particulier de film d’épouvante, celui filmé par les gens qui le vivent (voir la série des « REC »). Avec une technique calamiteuse (les trois savent tout juste tenir une caméra), un peu à la « Massacre à la tronçonneuse », et aucun effet spécial à l’horizon. Tout repose sur une longue montée oppressante de la tension. Sans rien montrer, pas la moindre goutte de sang (on voit tout juste fugitivement enveloppé dans un chiffon au milieu d’un fagot de branches, un truc sanguinolent qui ressemble à une dent), et pas la moindre créature infernale qui dézingue tout ce qui est à l’image (ce qui rend par exemple ridicule le final du quasi clone de « Blair Witch » sorti dix ans plus tard, « Paranormal activity »). Je sais plus qui c’est qui avait dit (Polanski, à propos du bébé maléfique de « Rosemary’s baby » que plein de spectateurs ont décrit alors qu’il n’apparaît jamais à l’image ?) que la peur tu l’as en toi, et que le reste n’est que projection intérieure de fantasmes…
Putain mais c'est quoi ces trucs ?
« Le projet Blair Witch » est une merveille de réussite anxiogène, depuis les ploucs de chez plouc qui interviennent sous forme de micro-trottoir au début pour raconter la ou les légendes de leur bled perdu du Maryland, jusqu’à cette tension qui monte inexorablement au cours des nuits en forêt. Coup de génie, les journées (qui constituent l’essentiel des images), il ne se passe rien (sinon on verrait, et le film perdrait tout son intérêt). Juste de temps à autre la découverte par les randonneurs paumés de quelques tas bizarres de cailloux ou de guirlandes cabalistiques étranges pendues aux arbres. Les jours servent juste à faire monter la pression chez le spectateur comme chez les trois, qui alternent nonchalance potache et pétages de plombs quand ils se rendent compte qu’ils sont complètement paumés, avant à la longue de flipper leur race.
« Le projet Blair Witch » n’a pas de fin (dans le sens d’une fin de film qui donne un épilogue à l’histoire). Au milieu de la panique galopante qui saisit le garçon et la fille « rescapés » dans la vielle baraque en ruines, on les imagine étripés (par quoi ou qui ?), alors que très fugacement, on en aperçoit un collé à un mur et la fille semble se cogner avant de tomber et de laisser sa caméra filmer un plafond décrépi. Tout ça parce cette histoire de sorcière(s) est omniprésente et qu’un des garçons a disparu une nuit sans laisser de traces. Seuls des gémissements au début sourds et la dernière nuit se transformant en hurlements, que les autres reconnaissent comme étant siens, indiquent sa « présence » et guident les deux autres vers l’épouvantable ( ? ) final nocturne.
Image devenue culte ...
Ce qui prouve qu’il y a des choses travaillées, notamment la bande son qui est fabuleuse, ultra flippante avec ses bruissements, ses bruits de pas ou de cavalcade, ses plaintes étouffées ou ses cris de souffrance, quand l’écran est noir. Ou les discussions échangées par les trois ados, leur farouche volonté malgré tout de s’en sortir qui laisserait présager une plus ou moins happy end (la dernière scène a été tournée de plusieurs façons, sans que l’on sache ce qu’étaient celles qui n’ont pas été retenues), et le leitmotiv qui voudrait que l’on ne disparaisse pas dans les Etas-Unis des années 90, que l’on finit toujours par vous retrouver, et qui revient plusieurs fois dans les dialogues façon méthode Coué.
Tout le casting est composé d’acteurs amateurs, et c’est pour les trois personnages principaux leur premier film (d’ailleurs aucun des trois ne fera beaucoup parler de lui par la suite). Ils ont été lâchés pendant deux semaines dans les bois avec leur barda, passant leurs journées à crapahuter et à se filmer, n’ayant aucune idée du scénario (les réalisateurs leur donnaient les instructions le matin pour la journée, tout a été tourné chronologiquement).
Le succès du film sera colossal, appuyé par un marketing (sans aucun moyen, mais avec beaucoup d’imagination au départ) qui fera par la suite école et que l’on a l’habitude de qualifier de « viral ». Les réalisateurs notamment ont profité de l’internet naissant pour multiplier les sites (tous des fakes) où l’on trouvait la « vraie » histoire à l’origine du film, et les prétendues calamités arrivées aux participants (l’un des deux réalisateurs était même soi-disant mort, victime de la terrible vengeance des forces maléfiques). Et même encore aujourd’hui, on trouve sur des forums de pauvres gogos angoissés par cette histoire qu’ils croient vraie.
Ne reculant devant rien, certaines jaquettes de Dvd assurent qu’« on a pas eu autant les jetons au cinéma depuis « Shining » ». Bon, faut pas pousser, faudrait voir à rester dans le domaine des choses comparables.
Il n’empêche que « Le projet Blair Witch » est quand même une belle réussite et qu’il sera difficile de faire aussi anxiogène avec aussi peu de fric.
Une leçon à méditer pour tous ceux qui claquent des millions de dollars dans des effets gore piteux …



THE MAGNETIC FIELDS - 69 LOVE SONGS (1999)

1999, année érotique ?
Magnetic Fields, c’est la chose d’un type, Stephin Merritt. Qui aidé de quelques comparses sort des albums qui, pour ceux que je connais, sont hautement recommandables. Même s’il semble acquis que « 69 love songs » restera sa référence.
Parce que c’est pas une pub mensongère. Il y a dans ces trois Cds 69 chansons pour quasi trois heures de musique, peut-être bien un record. Logiquement, pareille idée a de quoi faire frémir, pendant que clignotent des warnings auriculaires et que défilent dans l’iPod interne les souvenirs des pensums idoines de Santana, Clash, Yes, Springsteen, Jojo Harrison et quelques heureusement rares autres, on s’attend au pire.
Stephin Merritt période 69 Love Songs. Pas très glamour ...
Ben non, « 69 love songs » c’est bien. Evidemment, y’a du déchet, mais pas tant que ça … et pas au niveau des compositions, qui tiennent étrangement bien la route, le type Merritt gambadant avec aisance dans une foultitude de genres. C’est plutôt au niveau du son que ça finit par devenir répétitif, le parti-pris (délibéré, certes, mais avait-il vraiment le choix et les moyens d’être plus « ambitieux » ?) lo-fi à tous les étages montre ses limites. Et puis, Merritt, avec sa voix grave de baryton à la Johnny Cash sur quasiment que des tempos mediums, c’est pas le chanteur du siècle. Heureusement, des potes se relaient parfois au micro et une douzaine de titres sont chantées par des femmes. Dont la voix de cristal de Shirley Simms, ayant un temps gravité dans la galaxie Violent Femmes.
Parce qu’il y a chez les Magnetic Fields l’influence (non, pas de Jean-Michou Jarre, quoi que, Merritt est fan éperdu de ABBA), mais de tous ces types et groupes américains cultivant un côté roots, austère et feignasse. Toute la frange country-rock à la JJ Cale, la nonchalance enfumée du Tom Waits période piano-bar, les déclamations poétiques rêches de Leonard Cohen, la proximité de l’os chère au Velvet (et donc par extension des Violent Femmes suscités), la modernité rustique de Wilco, les mélodies campagnardes des paysans du Band … et par moments, et en tout cas bien plus souvent que la plupart des copistes « americana roots », Merritt se hisse au niveau de ses maîtres.
Magnetic Fields maintenant. Merritt, c'est le gros barbu à casquette...
Et puis, comme il doit quand même être un peu barge, il se lance dans des choses … heu, curieuses, voire inattendues et en tout cas qui détonnent dans l’atmosphère générale et ravivent du coup l’attention. On sent que le type connaît par cœur la disco de Kraftwerk, doit avoir une palanquée conséquente de disques de Lee Perry, car les Magnetic Fields ne dédaignent pas de s’aventurer dans quelques plages (réussies d’ailleurs) de pop électronique très 70’s-80’s ou quelques dubs mélodiques à rendre jaloux tous les imitateurs du genre (qui a dit UB40 ?). De toute façon, suffit de voir la litanie imposante de tous les instruments joués par Merritt pour savoir que « 69 love songs » n’est pas une œuvre monolithique. Ce qui laisse parfois la place à quelques incongruités (fatigue, private jokes ?) sonores pastichant du punk-rock, un truc afro-cubain-salsa-bidule, des imitations (hommages ?) à Tom Petty, aux Stranglers de « Feline », au Clash de « Sandinista ! », … pour conclure le troisième Cd par une valse triste à l’accordéon. Sans oublier la ballade plaintive piano-voix (la superbe « Busby Berkeley dreams ») … et plein d’autres choses encore, le tout restant quand même cohérent.
Parce qu’il y a un fil rouge dans « 69 love songs ». Chansons d’amour, certes, mais chansons d’amour tristes, désabusées, voire cyniques. En tout cas jamais de « Oh baby, I’m so in love with you » ou autres roucoulades blettes. L’impression que Merritt qui signe seul 68 titres ( ! ) et cosigne l’autre, si un jour il va voir un psy, il va se ruiner en séances.

Ben ouais, pour autant réussi que soit ce pavé, il en a quand même pas vendu des camions …


MIKE NEWELL - QUATRE MARIAGES ET UN ENTERREMENT (1994)

La comédie des années 90?
C’est du moins ce que tous les intervenants (réalisateur, scénariste, acteurs, …) s’échinent à répéter dans les bonus du BluRay. Comme s’ils avaient pas gagné assez de pognon avec ce film, qu’ils aient besoin de s’auto-congratuler pendant deux heures …
Même si moi, globalement, je suis preneur, les superlatifs dithyrambiques en moins.
Richard Curtis & Mike Newell
« Quatre mariages … » est une gentille comédie. Anglaise jusqu’au bout des traînes de mariée, faut-il préciser… Ce qui veut dire que c’est un peu plus subtil qu’un film avec Clavier. Ou Dany Boon. Un peu plus recherché niveau humour, si vous voyez ce que je veux dire. Maintenant, de là à mettre ce film au Panthéon du septième art …
Le scénario est aux abonnés absents, le film étant une succession de sketches, de « tableaux », rythmés à l’écran par des cartons d’invitation, avec des personnages et des gags récurrents. Derrière la caméra, le tâcheron Mike Newell, qui hormis ce coup d’éclat accumulera une quantité impressionnante de navets (il finira même, alors que « Quatre mariages … » l’a mis à l’abri du besoin pour des siècles, par tourner un « Harry Potter » et un « Prince of Persia », c’est tout dire …). Le scénariste Richard Curtis lui par contre enquillera les (très gros) succès par la suite (les « Bridget Jones », « Love actually », « Good morning England », et plein d’autres). Même si les gags sont la plupart du temps efficaces dans « Quatre mariages … », c’est pas non plus un chef-d’œuvre d’écriture, tout y est prévisible et cousu de fil blanc.
Le casting
« Quatre mariages … » est une comédie romantique, pleine de bons sentiments. Qui essaie quelque peu minablement de faire chialer le spectateur lors de l’enterrement, en ne rechignant devant aucune grosse ficelle du pathos bon marché. A mon sens, ce film ne tient que par les acteurs. Et ils ont du mérite, parce que tout a été mis en boîte en trente cinq jours, avec un petit budget. Et une grosse partie des pépettes a servi au cachet d’Andie McDowell, seule « star » au départ du générique, quasiment oscarisable après avoir enchaîné une poignée de films au succès critique et public (« Sexe, mensonge & vidéo », « Green card », « Hudson Hawk », « The player », « Un jour sans fin »). Et pour autant, elle n’éclabousse pas le casting de sa classe, assurant le minimum dans le rôle de la fausse ingénue romantique souriante.
Le reste de la distribution fait par contre feu de tout bois. Sans doute parce qu’ils ont davantage à prouver. Hugh Grant en tête. Excellent, il va avec ce film devenir le gendre idéal de cette fin de siècle (enfin, jusqu’à ce qu’il se fasse serrer par les keufs de L.A. pour relation sexuelle orale avec une prostituée). Il n’était pourtant au départ qu’un choix par défaut, considéré par beaucoup comme un acteur « perdu » (dix ans de carrière et à peu près autant de bides) et surtout, pas un acteur comique. La star de « Quatre mariages … », c’est Hugh Grant. Bien mis en valeur par une ribambelle de seconds rôles pétillants, Kristin Scott Thomas en vieille fille amoureuse transie, Simon Callow en homo débonnaire et excentrique, son « ami » John Hannah, et toute une galerie de personnages fugitifs à l’écran mais parfaitement au service de la simili-intrigue … Plus une pige (dispensable à mon sens, même si sa scène est réellement comique) du pote à Curtis ou Newell (je sais plus) Rowan Atkinson alias Mr Bean à la télévision britannique, ici en curé bafouilleur. Plus Tatie Elton John qui fut réquisitionné pour pousser une paire de roucoulades dans la BO, le film pouvant être perçu (avec beaucoup d’imagination) comme servant positivement la cause homosexuelle, sérieusement malmenée jusque là par la décennie AIDS. Curtis ne reculant devant rien, affirme même que le film est porteur d’espoir ( ? ) pour la communauté gay à l’opposé de « Philadelphia » ( ? )…
Ils faillirent se marier et avoir beaucoup d'enfants ...
Le montage de « Quatre mariages … » une fois terminé, Newell a dû en raboter une demi-heure, le film étant jugé bien trop long par les distributeurs (certaines scènes coupées visibles dans les bonus étaient quand même pas mal). Il fut choisi de sortir le film d’abord aux USA (Andie McDowell, la plus connue au casting devant servir de locomotive). Les premiers visionnages, par les critiques et un public test, furent plutôt mauvais. A tel point que Newell réunit à nouveau tout son casting à Londres pour une séance photo, dont les clichés seront le final du film (parce que toute cette fine équipe avait oublié de montrer tout ce que devenaient les protagonistes secondaires).
Le succès populaire fut phénoménal aux States (il a fait tomber quelques records de recettes au box-office), avant par effet boule de neige de récolter un triomphe en Angleterre et en Europe…

Aujourd’hui, reste un film plaisant, qui supporte bien l’épreuve du temps, pour sourire en famille.


TOM TYKWER - COURS LOLA COURS (1998)

Fast & furious ?
« Cours Lola cours » aurait pu être le film de la génération X. Il est arrivé un peu tard (fin 1998), et de toutes façons après « Trainspotting ». N’empêche, il n’en reste pas moins un des films les plus novateurs de la décennie pré-motion capture.
Le maître d’œuvre du projet « Cours Lola cours », c’est Tom Tykwer. Touche à tout du cinéma indépendant allemand (il est crédité au générique de scénariste, réalisateur, producteur et compositeur de la BO, rien que ça …), il n’avait réalisé qu’une paire de films que personne avait vus. Et là, tout à coup, il va sortir un truc totalement hors normes, avec une mise en scène ultra speedée et un scénario totalement délirant.
Tom Tykwer
A la base, un couple de jeunes, Manni et Lola. Lui vivote et commence à s’engluer dans des trafics chelous, elle s’emmerde chez papa-maman dans un milieu bourgeois (une mère au foyer délaissée qui cherche le frisson amoureux dans l’horoscope, et un père directeur de banque qui se tape la sous-directrice et envisage très sérieusement le divorce). Après une première séquence euh … métaphysique ponctuée de mouvements délirants de caméra, les ressorts de l’intrigue se mettent en place. Un piqué vertigineux de caméra qui entre dans la maison de Lola pour finir sur un gros plan de téléphone qui sonne. A l’autre bout du fil, Manni. Mal barré. Un très gros paquet de pognon venant d’un trafic de bagnoles, qu’il doit remettre à un caïd qui rigole pas. Problème, il a connement perdu le pognon dans une rame de métro, et n’a plus que vingt minutes pour remettre le fric. Sinon il se fera buter. Lola ne sait pas quoi faire, mais veut à tout prix sauver son mec. Elle part au sprint le rejoindre, espérant trouver en route le bon plan qui va sauver son chéri.
Bon, ce genre de scénar, on l’a vu des milliards de fois. Sauf qu’ici il n’y a pas un film, mais trois. A partir du moment où Lola dévale les escaliers de sa baraque, un petit détail va survenir qui va perturber sa course folle. Et cette seconde gagnée ou perdue au démarrage va provoquer des réactions en chaîne, ses choix à elle, à Manni, vont être différents. Et au bout des vingt fatidiques minutes, l’issue aussi sera totalement différente… les trois séquences de vingt minutes sont quasiment filmées en temps réel, et les lumières se rallument dans la salle au bout d’une heure et quart. Autant dire que ça déménage à l’écran …
Lola & Manni
D’abord parce qu’il y a des « personnages », des gueules. La mignonne et plutôt glamour Franka Potente campe une Lola à cheveux rouges et Doc Martens, passant entre deux courses folles d’un calme olympien au milieu de situations qui partent en quenouille, à des montées d’adrénaline hurlantes (comme un autre héros de film allemand, Oskar, celui du « Tambour », et certainement pas par hasard, quand Lola s’énerve grave, elle crie dans les aigus jusqu’à casser les verres), et cette actrice pratiquement inconnue crève l’écran (et ne laissera pas insensible son réalisateur puisqu’ils formeront un couple à la ville). L’autre figure majeure du casting, c’est Manni (Moritz Bleibtreu), un peu paumé, qui fonce d’abord et réfléchit après, mais qui partage avec Lola une furieuse envie de se sortir de ce sac de nœuds dans lequel il s’est enlisé. Les seconds rôles forcent sur l’aspect caricatural de leur personnage et le rendent immédiatement mémorisable dans les différents scénarios qui s’enchaînent.
Techniquement, il n’y a rien de révolutionnaire, qui n’ait déjà été vu dans un film. Par contre, rarement les images collent aussi bien à l’histoire. Les sprints de Lola rythment la structure filmique. Et la tarte à la crème utilisée à toutes les sauces et plutôt à tort et à travers depuis vingt ans, à savoir le montage façon vidéo-clip épileptique, prend ici toute sa mesure et tombe sous l’évidence. D’autant plus que la musique (Tykwer aux machines et Potente pour quelques parties chantées) repose sur une techno survitaminée (genre Prodigy meets Chemical Brothers) qui renforce encore un peu plus l’aspect oppressant de ces courses contre la montre. Autre bonne idée de Tykwer, celle d’inclure à chaque « épisode » une séance d’animation représentant Lola descendant quatre à quatre les étages de sa maison. Certes pas une nouveauté dans un film « conventionnel », mais là aussi, cet intermède animé s’intègre parfaitement dans le rythme du scénario. Et puis, tant qu’à montrer trois déroulements d’histoire différents, Tykwer en faisant se succéder des polaroids à un rythme échevelé, nous évoque de façon tout juste perceptible à l’œil les destins différents des gens croisés par les protagonistes principaux.
Natural Born Killers ?
Et comme si ça ne suffisait pas dans ce crépitement d’images en mode rafale, Tykwer glisse des hommages au « A bout de souffle » (c’est tellement évident que personne ne semble s’en être aperçu). Le final du film de Godard est quasiment plagié dans une des fins de « Cours Lola cours », et entre les « épisodes », Manni et Lola discutent dans un lit de questions philosophiques, métaphysiques et existentielles just like Bebel et Jean Seberg dans la chambre de l’Hôtel de Suède. Sans compter évidemment tous les clichés et tics de réalisation pompés aux films d’action et aux polars de tout temps (ces gros plans récurrents sur le flingue de Manni qui dépasse de sa poche arrière quand il va braquer le supermarché, ou sur la boule d’ivoire dans le casino, le genre d’effets de caméra faciles qu’on a vu mille fois mais qui marchent toujours).

C’est bien simple, « Cours Lola cours » c’est aussi bon et évident qu’un titre de Chuck Berry … « Run Rudolph run » au hasard, évidemment…


JAD WIO - FLEUR DE METAL (1992)

Fleur du Mâle ?
Jad Wio est un groupe à part dans l’assez triste panorama du rock français. En même temps nostalgique et avant-gardiste, ne se rattachant à l’Hexagone que par un méticuleux travail sur les textes. Mais là, on est très loin du slogan chanté. Plus proche en fait des poètes symbolistes (Mallarmé, Apollinaire, Lautréamont, …), les paroles de Jad Wio, mixées « à l’anglaise » (c’est-à-dire pas mises en avant, on n’est pas chez Renaud ou Aznavour, thanks God), sont chiadées, ciselées, abordant parfois des thématiques chères à Gainsbourg comme l’addiction sexuelle mise en rimes. Pas un hasard si le premier titre (« Bienvenue ») fait beaucoup penser par sa diction et son rythme musical à « Melody Nelson » ou « L’Homme à tête de chou ». Pas de hasard non plus s’ils reprennent dans une version quasi méconnaissable le « Contact » composé par Gainsbourg pour Bardot. Faut aussi préciser que la production est assurée par Bertrand Burgalat, autre esthète sonore et littéraire, qui signe pratiquement là ses débuts derrière les consoles. Et ceux qui trouvent que pas mal de choses ressemblent des années avant au premier disque de Air n’ont pas tout à fait tort.
Bortek & K-Bye
Mais Jad Wio ont un terrain de jeux beaucoup plus vaste. Les deux piliers de l’édifice, le chanteur Denis Bortek et le guitariste K-Bye font aussi une petite fixette sur le glam-rock, ou plus exactement sur sa frange dite « décadente », représentée en des temps immémoriaux par des gens comme Bowie Stardust ou Ferry Music. Les Jad Wio poussant le bouchon aussi loin qu’il se peut (ou qu’ils peuvent financièrement se le permettre) lors de concerts-évènements où ils apparaissent fortement grimés dans une mise en scène théâtralisée parfois jusqu’à l’outrance.
Jad Wio, ce qui saute aux oreilles, c’est la voix et la guitare. La voix exsude tour à tour comme très peu y sont arrivés, sensualité, stupre, perversion. Jamais démonstrative (Bortek est pourtant un grand chanteur), parfois s’alanguissant dans le talk-over, ailleurs entraînant les titres dans une sarabande lubrique. La guitare n’écrase pas tout, des pans entiers de morceaux s’en passent mais quand elle surgit, elle se fait remarquer par son originalité et son inventivité, et ses apparitions parfois fugaces mais qui s’incrustent grave dans les oreilles ne sont pas sans rappeler les interventions de Robert Fripp dans le « Scary Monsters » de Bowie.
Le seul reproche qu’on puisse faire à « Fleur de métal » est de partir dans tellement de directions qu’on finit par ne plus très bien s’y retrouver, on vadrouille de classic glam T-Rexien (« Fleur de métal » le morceau), à une reprise plutôt funky de la légende mod française des 60’s Ronnie Bird (« SOS Mesdemoiselles »), à de la pop synthétique sous forte influence Taxi Girl – Elli & Jacno (« Automate » qui évoque un étrange jeu de séduction entre un homme et une machine, texte assez proche dans l’esprit de celui de « In every dream home a heartache » de Roxy Music, dans lequel Ferry faisait une déclaration d’amour à une poupée gonflable), à des mini-jams funky (« Le beatnik de l’espace ») qui rendent vaines l’écoute du piteux Sinclair, voire à des choses qui s’apparentent à ce qu’on l’on appellera bientôt le trip-hop (« Tsé-tsé », chanson d’amour à – forcément – une mouche), pour finir carrément jazzy (« Mystère »). Et les textes ne donnent guère de pistes, les mots ne sont parfois là que pour leur sonorité, d’autres fois on nage dans des concepts ésotériques relativement fumeux (le trip Bowie-Ziggy du « Beatnik … », l’imaginaire du Ridley Scott de « Blade runner », …)

« Fleur de métal », comme à peu prés tout ce qu’a produit Jad Wio est assez déroutant, mais d’une beauté formelle assez peu atteinte par des groupes de par ici …

Des mêmes sur ce blog :

FRANCIS FORD COPPOLA - DRACULA (1992)

Sang cinquante ...
Ou plutôt cent cinquante. C’est à peu près le nombre de versions filmées du mythe de Dracula (ou Nosferatu, quand les réalisateurs n’avaient pas les autorisations des ayant-droits de Stoker) déjà tournées quand est sortie celle de Coppola. Depuis les classiques de chez classique de Murnau ou Browning, en passant par les innombrables kitscheries de la Hammer, jusqu’aux parodies blaxploitation (« Blakula »), franchouillardes (« Les Charlots contre Dracula »), voire kung-fu (le très improbable « The seven brothers meet Dracula »).
Autrement dit, même quand on s’appelle Coppola, tourner une énième version, même si c’est celle qui se veut la plus fidèle au livre de Bram Stoker, constitue en soi un sacré challenge. Avec en filigrane quand Coppola débute le projet, l’ombre d’une des plus récentes, celle de l’allumé Werner Herzog avec dans le rôle de Nosferatu-Dracula rien de moins qu’un autre cramé notoire, Klaus Kinski.
Oldman et Reaves, ombres et lumières
Pour faire le grand film dont il rêve (hum, vraiment, n’est-ce pas plutôt un « divertissement » pour un Coppola qui n’a plus rien à prouver après les trois volets du « Parrain » et « Apocalypse now »), s’il a certes un scénario tout écrit depuis des décennies, se doit de trouver un casting qui tienne la route et de signer une mise en scène qui fasse date. A ce stade, il y a deux façons de juger ce film. Soit on fait abstraction de tous ceux d’avant, et le « Dracula » de Coppola est génial. Soit on  garde en tête tous ceux qui l’ont précédé, et là, ça coince quand même un peu (beaucoup ?).
Le casting de Coppola, c’est l’auberge espagnole, savant mélange de valeurs confirmées (Hopkins en professeur Van Helsing) et de jeunes premiers « dans le vent » (Winona Ryder et Keanu Reaves, en amoureux maudits). Pour le rôle-titre, un acteur-performer, l’Anglais Gary Oldman (Monsieur Uma Thurman à la ville à cette époque-là). Tous ayant eu les mois précédents des films qui ont cartonné au box-office (« Le silence des agneaux », « Edward aux mains d’argent », « My own private Idaho », « JFK »). Plus en guest la figure pittoresque de Tom Waits dans une de ses plus mauvaises performances, et une apparition tous tétons en avant d’une Italienne débutante, Monica Belucci ... Alors que ce n’était peut-être pas le but recherché, ce sont les anciens Oldman et Hopkins qui bouffent les minots Reaves et Ryder. Oldman est étonnant, livrant une performance très « maquillée », un moment multi centenaire, la scène d’après en aristo séducteur, plus tard un loup-garou ou une chauve-souris, voire même un nuage vert (non, là c’est pas lui …). Du coup Hopkins (qui d’après les bonus m’a l’air aussi allumé à cette époque qu’un Nicholson des grands jours) y va à fond et campe un Van Helsing possédé ( ! ) et truculent et crève littéralement l’écran, alors qu’il n’apparaît pour la première fois à l’image qu’au milieu du film. Les deux minots souffrent de la comparaison, surtout Keanu Reaves, que l’on sent bien en-dedans, bien transparent dans cette affaire. Quant à Winona Ryder, elle s’en sort un peu mieux, en beauté languide diaphane, même si cette performance à la  Blanche-Neige (voulue par Coppola ?) me semble un peu too much …
Winona Ryder
Malgré son talent, on sent quand même Coppola gêné aux entournures. Que montrer qui n’ait pas été vu des dizaines de fois par les cinéphiles et les Dracula fans ? Du gore à tous les étages ? Même si les jets d’hémoglobine ne le rebutent pas, c’est pas trop son truc à Coppola. Et puis, malgré cette adaptation qui se veut fidèle du roman, tout de la saga centenaire de Dracula est déjà connu, vu et revu. Sauf peut-être les origines de la légende, le combat du comte Dracula contre les envahisseurs Turcs au XVème siècle. Ce qui donne lieu à une intro de film très réussie et qui aide pas mal à faire passer la pilule du reste. D’autant que cette quête éternelle de l’amour perdu va constituer la trame essentielle du film de Coppola. Le Dracula de Coppola est un vampire amoureux, poursuivant de ses assiduités l’image de sa fiancée au travers des siècles, un immortel qui se meurt d’amour. Cet aspect du personnage, rarement mis en avant dans les films précédents, maintient la production Coppola à flot.
Visuellement, ce film est décevant. Non pas parce que c’est filmé avec les pieds (pas le genre de la maison), mais parce qu’il y a là un univers que Coppola ne maîtrise pas. Faire du gothique, ça marche quand c’est Tim Burton (ou Murnau) derrière la caméra, mais là on sent vraiment que c’est pas son univers. D’autant que Coppola reste le cul entre deux chaises, s’aventurant par moments dans des trucages tout numérique, le coup d’après utilisant des décors ultra cheap très Hammer style (c’est tellement grossier que c’est évidemment fait exprès), mais pourquoi ne pas avoir choisi, pourquoi alterner high tech et trompe-l’œil des années cinquante ? En fait, ce qui s’imprime le plus dans les rétines, ce sont les costumes (œuvre du créateur japonais Eiko Ishioka), tellement explosifs en couleurs qu’ils aident à masquer la faiblesse des décors (la première apparition de Dracula avec sa gigantesque cape rouge, on croirait qu’il arrive du carnaval de Venise …).
Anthony Hopkins
Le « Dracula » version Coppola me laisse une impression mitigée, comme une irruption dans un univers qui n’est pas le sien, dont il ne maîtrise pas tous les codes (un autre exemple, la chanson de générique par Annie Lennox, qui force sur le côté gothique théâtral, alors que c’est pas les « vrais » musicos gothiques qui manquaient à l’époque). Coppola passe son temps à reprendre les codes des autres (les ombres démesurées de Murnau, les décors de la Hammer, au milieu d’une surenchère de fumigènes et autres effets de brouillard…), et même si c’est forcément le personnage central du film, « sacrifie » son casting au profit de Dracula. Mais malgré ses efforts et son talent (et celui d’Oldman), je ne suis pas persuadé que le Dracula de Coppola fasse oublier les interprètes « historiques » du rôle, les Christopher Lee, Lon Chaney, Bela Lugosi, …
Perso, je vois ce film comme une récréation un peu bâclée.

Ça n’a pas été l’avis du public, qui en fait une des grandes réussites commerciales de Coppola …

Du même sur ce blog :
Le Parrain 2