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TONTON DAVID - LE BLUES DES RACAILLES (1991)

 

Tonton flingueur ou Tonton flingué ?

Tonton David, son vrai blaze c’est Ray David Grammont. Ça commence mal, c’est con, je trouve que son nom est mieux que son pseudo …

Réunionnais de naissance et donc immigré en région parisienne (oui, je sais, La Réunion c’est en France, c’est la façon dont tu es perçu en métropole qui compte), une biographie (falsifiée, exagérée ?) de petit délinquant avec case zonzon, et une « expatriation » en père de famille déjà nombreuse vers la riante cité de Metz (cercle polaire septentrional) … Bon, je pourrais continuer dans cette veine là, mais c’est trop facile, malheureusement pour lui, il est plus là pour répondre, et puis, ce qui me gave chez lui, c’est pas le personnage (publiquement au demeurant assez sympathique), c’est la musique qu’il a fait.


Le Tonton, il vient du reggae. Enfin, le reggae des années 80 … Pause et petit rappel des faits. Le reggae, ça vient du ska, du rocksteady et de la Jamaïque des années 60. Bob Marley en fera un genre musical universel quand il deviendra une star planétaire au milieu des années 70. Trop tard pour les pseudo rastas de circonstance, musicalement le genre est moribond, les meilleurs titres et disques (y compris ceux de Marley) datent tous d’avant 74-75. Et quand Marley claquera en 81, personne ne reprendra l’affaire reggae en main. Les contemporains et possibles héritiers ne manquent pas, mais aucun n’atteindra l’universalité de Saint Jah Bob … Quant à la nouvelle génération, ces gamins jamaïcains nés dans les années 60, ils vont remplacer les musiciens par des machines, la structure rythmique deviendra beaucoup plus sèche et répétitive, le phrasé beaucoup plus scandé (reprenant les choses là où les avaient laissé les toasters des sound-systems jamaïcains des 60’s). On appellera ça le dancehall, avec deux courants : le slackness (ancêtre du gangsta-rap américain, le bad boy ou prétendu tel serial lover) et le raggamuffin (ceux qui causent accessoirement d’autre chose). A peu près la même chose se retrouvera aux States, où l’on parlera de rap. Quand le rap explosera commercialement au niveau mondial (Public Enemy et d’autres dans la seconde moitié des 80’s), les répliques se feront sentir partout, y compris dans notre chère Gaule. Quelques émissions de télé rétrospectivement assez risibles assureront l’implémentation du genre dans les oreilles de toute une génération issue de ce que l’on appelait les banlieues. Et quelques-uns passeront de l’écoute à la pratique sous le regard au mieux condescendant des maisons de disques. Une seule, Virgin, fondée par l’ancien hippie mais vrai affairiste Richard Branson, par le truchement du sous-label Labelle Noir, publiera en 1990 une compilation qui va se révéler fondatrice, « Rapattitude », où l’on retrouvera quelques seconds couteaux en devenir du rap, Assassin, Saï Saï, et les futures stars NTM. Parmi la dizaine de titres, une rengaine très mélodique sur fond de raggamuffin, « Peuples du monde » signée Tonton David. Premier vrai succès (radios, télés, charts) du rap français au sens large (après l’étonnant et improbable « Chacun fait ce qui lui plaît » de Chagrin d’Amour). Virgin battra le fer tant qu’il était chaud, et Tonton David se verra poussé en studio pour enregistrer un disque. Pour la petite histoire c’est Polydor qui sortira en 90 le premier album de rap à succès, « Qui sème le vent récolte le tempo » du plutôt brillant MC Solaar.


Des succès, l’Oncle David en aura, mais sous forme de singles, par contre il ne sera jamais un vendeur d’albums.  « Le blues des racailles » sera son premier 33T et un bide assez retentissant, et ce bien qu’il contienne en dernière piste « Peuples du monde » (le 45T est beaucoup plus facile à trouver aujourd’hui d’occase que l’album original).

Pourtant Tonton David se situe à la croisée des chemins rap et raggamuffin, y’avait de quoi ratisser large. Même si la bande tricolore (vert, rouge et jaune) de la pochette est le signe de ralliement de tous les reggaemen, on sent l’envie forcenée de coller à l’air du temps. Problème, à l’heure où le rap américain reposait sur un gros travail de studio, « Le blues des racailles » sonne cheap, bâclé. Des structures rythmiques maigrichonnes, des boucles minimalistes, et à contre-courant des standards internationaux, le gros des efforts est dirigé sur l’architecture mélodique et le soin apporté au refrain par le renfort d’un chœur féminin (à la I Threes de Marley) présent sur de nombreux titres. Et puis, y’a un autre souci. Le rap ou le raggamuffin sont affaire de tchatche (le flow disent les connaisseurs), et de plus en plus à l’époque, de textes. Ici, ça vire souvent à la cata. Oncle David arrive pas à coller vocalement sur des tempos qui se doivent d’être rapides, sa diction est pas bonne du tout, son accent ultramarin qu’il a pas réussi à perdre lui fait bouffer la moitié des mots et des pans entiers de phrases sont incompréhensibles. Et les thèmes abordés restent gentiment centristes, convenus. On est loin de la dentelle verbale travaillée d’un MC Solaar, et des punchlines balancées par les rappeurs américains et que sont en train de mettre en place dans leurs caves NTM ou IAM et l’émergence de ces deux-là renverra Tonton David au rang d’amuseur cool, que viendra lui contester au milieu des 90’s le risible et futur sarkozyste Doc Gyneco.

On sent dans « Le blues des racailles » que toutes les « figures imposées » du rap ou du raggamuffin sont traités de façon superficielle. Le côté bad boy sur l’introductif (bidonné ?) « Mon CV », le « sauvetage » grâce à la musique (« A qui la faute »), le machisme « gentil » (« Les jeunes filles vont nous tuer »), l’auto-glorification (« Tonto »), les flics (« Ils ont appelé la police pour moi »), la réussite financière (« CA$H »).


Deux titres posent problème (mais comme personne a dû les écouter, ça n’a pas fait de vagues, de scandales, ou de buzz). « Je parle à toi » avec au milieu d’une litanie de clichés à tendance communautariste une au moins maladroite sinon débile référence à « un accroissement inexorable de l’homosexualité ». Quant à « Pretoria » sur la situation d’apartheid en Afrique du Sud, on est loin de la qualité de « Biko » de Peter Gabriel, des albums « Graceland » de Paul Simon ou « Survival » de Marley, et à propos de Marley le citer à la fin du titre pour prédire une guerre civile, est une dénaturation et une réécriture totale des prises de position de Saint Bob …

Au final, il en reste quoi à sauver de ce disque ? Pas grand-chose. Allez, en ratissant large, j’en sauve trois (sur quinze). Le morceau-titre, plutôt basé piano et guitares (bien discrètes) que machines, « CA$H », un des plus élaborés musicalement, avec ajout de chœurs féminins et de cuivres, et le gentil hit « Peuples du monde ».

Ce hit qui suffira au Tonton pour devenir quelqu’un qui compte, d’autant plus qu’il réussira à sortir d’autres hits encore plus niais, notamment « Chacun sa route » épaulé (?) par Manu Katché et Geoffrey Oryema (la B.O. du sans intérêt « Un Indien dans la ville »), qu’on le verra dans des émissions prime time, image lisse et souriante d’une musique et d’une génération qui ne l’étaient pas vraiment par ailleurs. Ses petits succès dans les 90’s ne lui feront pas prendre la grosse tête mais plein de kilos, avant qu’il disparaisse des radars, et même tout court, victime d’un AVC il y a quelques années.

« Le blues des racailles » c’est poubelle direct. Si des trucs réussis dans ce genre quasiment disparu aujourd’hui vous intéressent, à peu près tout ce qu’a fait le Massilia Sound System dans les 90’s vaut le détour (du rap et du raggamuffin en provençal). Sinon, y’a quelques plages du grandiose « Banzaï », du groupe punk radical La Souris Déglinguée qui s’était offert une escapade fabuleuse vers des rythmes moins à ras du bitume que ceux auxquels ils nous avaient habitués depuis leurs débuts …





ABBAS KIAROSTAMI - LE VENT NOUS EMPORTERA (1999)

 

Non-dits et non-vus ...

Nombre de pays du plus ou moins proche Orient, ont une vraie tradition cinématographique. La Turquie (Güney, Akin, Ceylan), l’Inde (l’antique Satyajit Ray, un des dix plus grands cinéastes de tous les temps, et maintenant les productions à la chaîne de Bollywood), et l’Iran.

Abbas Kiarostami

L’Iran présente la particularité de s’être révélé aux cinéphiles lorsque s’est mise en place la dictature des ayatollahs et autres mollahs. C’est dans des conditions peu favorables au développement du monde artistique que s’est révélé Abbas Kiarostami. On imagine les difficultés à exercer son art dans le contexte. Pas question de faire de la résistance caméra au poing, même pas de façon elliptique. Kiarostami va s’attacher aux racines du cinéma, et faire de ses films un manifeste artistique.

Avec évidemment les moyens du bord. « Le vent nous emportera » est le dernier de son quartet majeur (après « Au travers des oliviers », « Le ballon blanc » et « Le goût de la cerise », tournés quasiment à la suite).

Au premier visionnage, on se dit que « Le vent … » n’est pas un film. Difficile de dire de quoi il est question. « Le vent … » se mérite, tous les détails comptent, dans lequel le non-dit et le non-vu importent plus que ce qu’on voit et entend.

Il paraît que le scénario tenait à l’origine en deux pages. Kiarostami l’aurait réduit à trois lignes. Six mois de préparation et de repérages et trois semaines de tournage, avec un casting composé uniquement d’amateurs, et la plupart du cru. C’est-à-dire d’un petit village du Kurdistan iranien.

Scène d'ouverture

C’est ce petit village que cherchent les occupants d’un 4X4 dans la première scène. Plan panoramique gigantesque au milieu d’un paysage magnifique. Le 4X4 est sur une route campagnarde poussiéreuse, on entend les dialogues de ses occupants (trois ou quatre ?) à la recherche de points de repère, dans des espaces où il ne semble pas y avoir âme qui vive. On comprend qu’ils sont missionnés, qu’il cherchent quelque chose ou quelqu’un. Le premier humain rencontré est un gosse assis sur un rocher qui apparemment les attend et les guide vers le village, son village. Il a été averti de leur venue, ils lui disent qu’ils sont ingénieurs à la recherche d’un trésor (on sait par leur discussion que ce n’est pas le cas), c’est un secret qu’il ne doit pas révéler. Alors qu’ils arrivent au village (magnifique plan large et extraordinaire patelin que Kiarostami a mis des mois à dénicher, maisons précaires qui s’imbriquent entre elles au cœur des versants abrupts de deux collines), le 4X4 tombe en rade, et un des occupants et le gosse finissent le chemin par un raccourci dans les rochers. On ne le sait pas encore, mais ce type est le seul des occupants de la voiture que l’on verra ; les deux autres seront présents dans quelques scènes, on entendra leurs propos, on verra fugitivement des silhouettes, jamais leur visage (c’est même Kiarostami qui « joue » l’un des deux).

On apprendra pendant le film que ce ne sont pas des scientifiques, mais une équipe de télévision venue là pour assister à la mort d’une très vieille femme malade et au rite funéraire particulier qui doit suivre. Evidemment, l’insistance du photographe ? reporter ? (on dira qu’il est journaliste pour faire simple) à essayer d’obtenir des nouvelles de la malade fera découvrir le pot-aux-roses par le gosse malin et l’instituteur du village.

Les personnages principaux

Ce photographe est de toutes les scènes du film. C’est un acteur débutant (de bien quarante piges), et on ne le reverra que dans une poignée de films dans des rôles secondaires. Tout le reste du casting est composé d’amateurs, la plupart vrais paysans habitant dans les deux villages filmés (l’action se passe dans un seul village, mais deux ont servi de lieux de tournage). Ce qui ne sera pas sans poser quelques problèmes, notamment au niveau des femmes, qui refuseront de jouer, après quelques fois avoir participé à une scène (celle qui à le rôle de la serveuse de la maison de thé a une longue scène, elle devait en avoir d’autres, on ne l’apercevra que sur une paire de plans, manifestement pas de bonne humeur), ce qui obligera Kiarostami à revoir son scénario quasiment au jour le jour. Autre problème du « casting », le gosse d’une dizaine d’années très présent. Choisi lors des repérages, le gamin prendra ce choix très au sérieux, ira prendre des cours de diction en ville pour pouvoir « assurer » lors du tournage. Problème, il perdra son accent provincial, et donc sa « couleur locale ». Grosse colère de Kiarostami, qui lui demandera de retrouver son parler habituel, mais revers de la médaille, le gosse aura toujours tendance à jouer sous pression, à aller chercher un regard approbateur de Kiarostami, et il faudra bien souvent multiplier les prises … De plus, on est dans l’Iran profond, à 700 km de Téhéran, dans une communauté minoritaire (les Kurdes) et donc un peu oubliée du pouvoir central. Kiarostami nous dit que ces paysans-là vivent strictement au gré des saisons (belle saison aride, hivers très rigoureux), il a tourné en été, donc les paysans étaient réticents pour faire de la figuration, parce qu’il y avait énormément de taf aux champs.

Blue is the colour ...

Holà, garçon, tu es en train de nous causer d’un film sans moyens, sans scénario, sans acteurs, et tu vas nous dire que c’est bien, qu’il faut voir ce machin ? Affirmatif, messires. Parce qu’il y a une histoire, à la limite du suspens (elle va décaniller la vieille ou pas ?), du comique (enfin pas façon Tuche) de répétition, témoin ce portable qui sonne dans le village, mais il faut courir au 4X4, aller sur la colline où est le cimetière pour avoir du réseau et le contact avec le monde extérieur. Evidemment, on ne verra ni n’entendra jamais ce que disent les interlocuteurs, mais on comprend qu’il y a parmi les appels la femme du journaliste, et puis toute sa hiérarchie à Téhéran, et à mesure que les jours passent, les conseils ou les ordres qui viennent de « plus haut » à chaque fois.

Et puis, toute cette naïveté, cette spontanéité devant la caméra rendent tous ces gens « vrais », d’ailleurs la plupart ne jouent pas, ils sont devant l’écran ce qu’ils sont dans la vraie vie. Et la vraie vie de ces gens-là, elle prête un peu à sourire, mais on voit bien qu’on est en Absurdistan, témoin le gars qui creuse à la pioche une tranchée dans le cimetière, on le voit jamais, on l’entend juste discuter avec le journaliste, on sait pas pourquoi il est là, à quoi va servir son trou, mais il y passe sa vie. Et d’ailleurs sa vie il manquera la laisser dans son trou qui s’éboulera, il ne sera sauvé que parce que le « héros » traînait là portable à l’oreille, il va donner l’alerte au village, et c’est un vieux toubib à mobylette qui prodiguera les premiers soins et dirigera le blessé vers un hôpital en ville … Comme il a prêté le 4X4 pour transporter le blessé, il rentrera avec le toubib sur sa mob, ce qui donnera la meilleure scène du film. Visuellement époustouflante, ils sont sur un sentier qui serpente au milieu d’immenses champs de blés, on dirait qu’ils traversent dans un panoramique immense un tableau de Van Gogh (révélation, y’a pas que Malick capable de filmer le vent dans un champ, y’a aussi Kiarostami, et lui pour le tournage n’a qu’une seule caméra), pendant que le vieux docteur philosophe sur la vie et la mort, dans une version pas vraiment coranique de l’existence et de l’au-delà …

Van Gogh en mobylette ?

Ce qui permet d’appréhender le numéro d’équilibriste que doit accomplir Kiarostami au pays des Gardiens de la Révolution. Et quand on sait que le régime de Téhéran s’est considérablement durci depuis des années, on comprend que maintenant les gars filment en caméra cachée et font passer les bandes clandestinement à « l’Occident » (« Taxi Téhéran », où le superbe « Wadja » tourné par une femme en Arabie Saoudite). Et le titre du film est le dernier vers d’un poème récité par le journaliste (dans une étable obscure, à une jeune fille qui trait une vache, c’est la « copine » du fossoyeur) due à l’écrivain et réalisatrice iranienne Forough Farrakhzad (morte en 1967, considérée comme initiatrice de la Nouvelle vague cinématographique iranienne, et à ce titre rayée maintenant de la culture « officielle »).

Esthétiquement bluffant (on se demande ce que Kiarostami aurait pu mettre en images s’il en avait eu les moyens), « Le vent nous emportera » n’est pas une œuvre à mi-chemin entre documentaire et film comme parfois décrite, c’est pour moi de l’impressionnisme cinématographique, on te donne des éléments, des points de repère, et toi, spectateur, tu imagines ce que tu vois pas et n’entends pas. C’est en tout cas le point le point de vue de Kiarostami qui veut impliquer dans l’histoire qu’il raconte celui qui visionne son œuvre. Evidemment, il doit y avoir beaucoup plus de choses perceptibles en filigrane pour un Iranien (trois-quatre citations par les acteurs de poèmes persans, dont la compréhension et la symbolique m’échappent, entre autres choses), que par un frenchie moyen qui a pas du tout les mêmes références culturelles et historiques.

Ce qui ne m’a pas empêché d’être pris par cette histoire qui n’en est même pas une … Dépaysement culturel garanti …

MY BLOODY VALENTINE - LOVELESS (1991)

 

Shoegazing ...

Le shoegazing … le machin juste avant le grunge et la britpop. Ça ne vous rajeunit pas, hein ? Si ça peut vous rassurer, moi non plus … Le shoegazing, tout est contenu dans le terme. Des zozos qui jouaient en regardant leurs chaussures. Enfin, plus exactement, le rack (souvent démesuré) de pédales d’effets sur lesquelles ils s’escrimaient en triturant les cordes de leurs guitares.

Le shoegazing, c’est avant tout une approche auditive. C’est basé sur la guitare qui doit phagocyter l’espace sonore, et qu’on essaye de faire sonner différemment, étrangement, comme si c’était pas une guitare. Sur des bases pop inspirées par la léthargie mélodique du 3ème Velvet, des Jesus & Mary Chain, et des quiet/loud somnolents. Le tout enrobé par des couches d’innombrables parties de guitare pour un rendu tout à la fois cotonneux et strident. Avant tout une affaire de studio et de production.


Courant musical à la mode quelques temps fin 80’s – début 90’s en Angleterre. Première (et dernière star) du genre : Ride, avec l’assez intéressant « Nowhere » paru à l’automne 1990. Un an plus tard sortait « Nevermind » de Nirvana et dès lors la messe shoegaze semblait dite. Sauf que … depuis presque trois ans, une bande de forcenés multipliaient les séances de studio pour sortir le disque référence.

My Bloody Valentine (MBV pour les amis et pour le reste du post), c’était un quatuor : un batteur, une bassiste et un couple (à la ville comme à la scène) de guitaristes, Kevin Shields et Bilinda Butcher. Les deux composaient et chantaient. Et Kevin Shields, asocial monomaniaque produisait et recherchait obsessionnellement « le son », celui qui allait lui permettre de redistribuer toutes les cartes du pop-rock machin. MBV avait fait paraître quelques Ep’s et un album, « Isn’t anything » (que j’ai, et peut-être même écouté, mais si c’est le cas il m’a laissé aucun souvenir), et surtout convaincu Alan McGee, boss du label Creation de financer leur prochain chef-d’œuvre.

Creation (nommé à cause du groupe garage anglais garage des 60’s du même nom), était un gros label indé, qui avait fait paraître les premiers Jesus & Mary Chain et Primal Scream, et remplissait ses caisses avec les shoegazing dont il avait les principaux groupes (Ride et Slowdive). L’histoire est connue. La confiance de McGee envers MBV a failli ruiner le label à cause du coût astronomique des trois années passées en studio par Shields et consorts … Pour la petite histoire, c’est pas MBV qui a renfloué le navire (ils auraient pu en vendre des dizaines de millions de leur « Loveless », ça aurait pas suffi à équilibrer les comptes), mais quelques années plus tard, un groupe de frangins sourcilleux de Manchester, avec leur groupe Oasis …

Shields et Butcher devant, les autres derrière ...

« Loveless » est une expérience (et une expérimentation) sonore. Assez unique et remarquable. Assez vaine aussi. Je m’en vas vous expliquer tout ceci (attention, je m’attaque à un des jalons du rock, qu’on retrouve cité dans toutes les listes ou bouquins de skeuds absolument géniaux et rigoureusement indispensables) …

Au crédit de « Loveless », il y a plein de choses. Tout d’abord un son que personne n’avait jamais retranscrit sur disque. Un magma de guitares empilées sur des bases mélodiques simples (un riff, quelques accords) avec utilisation systématique de l’effet tremolo, certaines pistes mises en avant sur le mix, puis assourdies quelques mesures plus tard. La batterie est tout juste audible (en totale opposition avec ces rythmiques herculéennes à la Steve Lillywhite qui avaient dominé les 80’s), les voix sont monocordes, farcies d’effets et mixées très bas ce qui rend les paroles totalement incompréhensibles (d’ailleurs trois ou quatre titres sont instrumentaux sans que ça saute vraiment aux oreilles), la structure quiet/loud des couplets/refrains est inversée (loud pour les couplets, quiet pour les refrains). Les épithètes pour qualifier le son de MBV se sont multipliés avec parfois beaucoup d’imagination, on a souvent parlé à leur sujet de « guitares liquides » (suite à un article dans un mag anglais où le journaliste décrivait la musique de MBV comme écoutée immergé dans la baignoire quand le groupe joue dans la salle de bains). En tout cas une expérience sonore unique et originale, et une unité de sons et de tons constante tout du long du disque. Et en live, les MBV jouaient extrêmement fort, à la limite du supportable, tout en contraste avec le chant juste audible.

Il faut aussi reconnaître à MBV un talent certain pour faire émerger les mélodies de ce magma sonore, sans que rien ne soit pourtant fait pour les mettre en avant. On pense souvent aux Jesus & Mary Chain pour la construction des titres, c’est simple mais évident. L’agencement du disque est réussi, les titres les plus agressifs sont au début, et on tend vers l’apaisement (bruyant), voire la « normalité » (le dernier titre « Soon » propose des gimmicks quasi infantiles et une batterie pour une fois audible sur un groove quasi hip-hop) à mesure que défilent les pistes.

Au débit de « Loveless », on peut dire que dans le rayon guitares jouées de façon « originale », ils n’étaient pas une sorte d’OVNI unique en son genre. Qu’il me soit permis de préférer à leur magma sonique l’approche toute particulière de  l’instrument par Tom Verlaine et Richard Lloyd dans Television (le fabuleux et inégalé « Marquee Moon »), voire d’avoir une pensée pour ce bon vieux Neil Young qui lors de la parution de ce « Loveless » venait de mettre sur le marché deux ou trois disques studio remplis de saturation (dont l’extraordinaire « Ragged glory »), et de publier un live strident (« Weld ») dont certaines versions expended contenaient un Cd supplémentaire (« Arc ») d’une demi-heure comprenant uniquement du feedback de guitare. Plus radical tu meurs …


L’obstination de Shields de sortir un disque « sans concessions » rend quand même l’objet monolithique, et la plupart des titres interchangeables. Même si deux sont parus en singles, (« Only shallow » et « When you sleep », assez « évidents »), et qu’également « I only said » et « Soon » méritent la citation. Le buzz autour de « Loveless » sera phénoménal, mais comme tous les buzz durera peu.

Les MBV vont hésiter entre intégrité et intégrisme, et surtout se heurter au mur de la suite à « Loveless », que faire quand on a tout donné et mis toutes ses obsessions sur un même disque ? La suite était tellement peu évidente a priori, que fatalement de suite il n’y aura pas. Le groupe s’est séparé de fait vers le milieu des 90’s sans avoir publié autre chose, s’est reformé des lustres plus tard autour des inamovibles Shields et Butcher avec une nouvelle rythmique, et a fait paraître un disque (« mbv ») en 2013, au retentissement bien moindre (doux euphémisme) que « Loveless ».

Qui restera sa pièce maîtresse certes, mais pas au point qu’elle me suive dans la proverbiale île déserte …


HAPPY MONDAYS - PILLS N' THRILLS AND BELLYACHES (1990)

 

Factory & Hacienda ...

Allez, un petit coup de gymnastique neuronale. Toute fin des années 80. Manchester et Madchester, la Factory et l’Hacienda, ça y est vous y êtes ? Pour ceux qui opinent (d’huître) pour faire les malins et pour ceux qui ont un peu zappé – oublié – ignoré tout ce bazar, petit rappel des faits.

Tout commence à la débandade punk (1978) à Manchester. Un animateur de télé locale, Tony Wilson, achète un petit club, Factory, et avec un pote monte un label musical du même nom. Premier album sorti : « Unknown pleasures » de Joy Division. Groupe et album cultes, et d’autant plus que le chanteur du groupe Ian Curtis se suicide avant la parution du deuxième album, un peu moins culte mais intrinsèquement meilleur. Joy Division a permis au label de survivre, de créer grâce à une équipe réduite une imagerie forte (le graphiste Peter Saville) et un son reconnaissable entre mille (le producteur azimuté Martin Hannett).

Happy Mondays, famille nombreuse, famille heureuse ?

La gloire et le fric viendront avec les survivants de Joy Division rebaptisés New Order (leur maxi « Blue Monday » fut le maxi le plus vendu de tous les temps en Angleterre). C’est avec le pognon que lui rapporte New Order que Tony Wilson va investir dans un nouveau club, l’Hacienda (des membres de New Order sont aussi actionnaires). Lancé au début des années 80, l’Hacienda va devenir à partir du milieu des années 80 le repaire de toute la jeunesse branchée de Manchester. Tous ceux qui écoutent de la musique, voire envisagent d’en faire, tous ceux qui viennent danser et gober de l’ecstasy avec en fond sonore les débuts de la house et de la techno, se retrouvent à l’Hacienda, qui acquiert en quelques années une notoriété et une fréquentation internationales.

Parmi cette troupe en party non stop, les frangins Ryder (rien à voir avec le Mitch de Detroit), Paul le bassiste et Shaun, chanteur et compositeur. En plus de se défoncer copieusement, ils envisagent de monter un groupe, baptisé Happy Mondays. Un guitariste, un batteur et un claviers complètent l’affaire, et bien évidemment Tony Wilson les signe sur Factory. La formation va s’agrandir avec l’arrivée d’une choriste-chanteuse, Rowetta, et d’un cas social à peu près désespéré, un type surnommé Bez, plus ou moins percussionniste, mais surtout danseur étrange grâce aux pilules de toutes les couleurs qu’il gobe comme des smarties (les autres ne sont pas en reste).

Les Happy Mondays viennent du rock, sauf que l’environnement de l’Hacienda les a mis au contact de la dance music (qu’elle soit blanche ou noire), et de toute la vague electro naissante. Le matériau de base des Mondays, c’est les Stones mixés à du Chic accéléré. Une paire de disque les installeront dans le paysage mancunien et anglais, et « Pills … » les fera connaître un peu partout ailleurs.

Bez & Shaun Ryder

Tout le monde vous dira que New Order est la référence absolue du Manchester sound, et que le meilleur disque de rock sous substances de l’époque, c’est le « Screamadelica » de Primal Scream. Permettez votre honneur, que je vienne balayer d’un revers de main ces théories de musicologue professionnel. J’ai jamais été fan de New Order et de leur dance à assez grosses ficelles (dans le genre, je trouve les Pet Shop Boys beaucoup plus intéressants et amusants), et au « Screamadelica » de Primal Scream, j’ai toujours préféré les psychédéliques barrés de Spacemen 3. Et pour la référence de Madchester, j’ai tendance à regarder du côté des Stones Roses (les plus « rock » du lot) et des Happy Mondays (le mix le plus réussi de tous les sons « tendance » de l’époque).

Ce qui nous amène à « Pills … », le meilleur de la première époque (ils se sont séparés et reformés encore plus de fois que les Stray Cats ou Guns N’Roses). « Pills … » est leur masterpiece. Parce qu’il est homogène (y’a un son, une idée musicale directrice) et parce qu’il y a leurs hits. Et ce malgré une pochette comment dire … très bariolée (si, si y’a le nom du groupe et du disque écrits dessus, au milieu d’un kaléidoscope très psychédélique, daltoniens s’abstenir …).

« Kinky afro » ouvre le disque. Belle intro, voix légèrement maniérée, groove dansant sur une structure rock. Et de fortes similitudes avec la bombe pré-disco de Lady Marmalade « Voulez-vous coucher avec moi ce soir ? ». Les Mondays ont toujours nié s’être inspirés de ce titre (ils en citent un bien obscur de je sais plus qui), à chacun de se faire son idée. En tout cas gros succès et pas seulement de discothèque. L’autre incontournable de la rondelle c’est « Step on », d’essence nettement rock, titre bien construit, dansant (enfin pour ceux qui en ont envie) et qui pourrait figurer tout en haut dans un best-of d’INXS.


La famille nombreuse des Happy Mondays (sept sur scène), bien aidée par les producteurs Paul Oakenfold (qui deviendra un des DJ’s qui compteront dans les 90’s, et qui entame quasiment avec ce disque sa carrière médiatique) et Steve Osborne, va mettre en place la formule gagnante. De la mélodie (songwriting très surligné par des lignes de claviers de tout type), groove dansant et gros riffs de guitares pour le côté rock de l’affaire. Cette bande de défoncés ne fait pas dans le n’importe quoi (les disques sous substances ont bien souvent tendance à l’autocomplaisance), tout juste si on peut mettre de côté l’assez faiblard « Bob’s yer uncle » malgré son entêtant gimmick de synthé. Le reste est plutôt malin, envoyant plein de signaux plus ou moins subliminaux aux anciens de tout poil.

Dans « God’s cop », il y a plein de tics vocaux de Mick Jagger, le chanteur des Who (c’est juste pour voir ceux qui ont lu jusque là), « Loose fit » a par moments des airs de « Stayin’ alive » au ralenti, la guitare de « Dennis and Lois » fait penser à celle des Cure dans « In between days », la mélodie au début de « Harmony » rappelle la version de « I heard it through the grapevine » de Marvin Gaye, et l’atmosphère de « Harmony » évoque le 3ème Velvet (avec de la guitare slide en plus). Tout ça reste diffus (sinon les avocats concernés auraient dégainé les procédures), il y a réellement une patte Happy Mondays sur les compositions. C’est funky, dansant, indéniablement rock aussi, en prise directe avec les nouveaux courants musicaux et sonores, et assez étrangement, ça a plus que bien vieilli. A tel point que « Pills … » me semble même plus pertinent et évident aujourd’hui que lors de sa sortie.


WES CRAVEN - SCREAM (1996)

 

Slasher 2.0 ... ou la somme de toutes les peurs ...

Wes Craven est déjà une star avant même qu’il réalise « Scream ». Tous les fans de films un peu tordus et glauques, de genre, d’horreur, enfin quel que soit l’épithète dont on les qualifie, le connaissent depuis ses débuts dans les années 70 et sa doublette déjà marquante « La dernière maison sur la gauche » et « La colline a des yeux ». Sa notoriété et sa reconnaissance ont encore fait un bond en avant dans les années 80 avec « Les griffes de la nuit » qui met en scène le croquemitaine Freddy Krueger, qui vient tuer ses victimes dans leurs rêves. Tout ça a un peu rempli le portefeuille de Craven, mais qui voudrait faire autre chose, marquer son temps par un film indiscutable, qui soit à la fois un sommet et un renouvellement d’un sous-genre du cinéma d’horreur dont il est déjà le maître, le slasher.

Wes Craven & Drew Barrymore

Il a bien essayé, mais sans succès, beaucoup de ses films n’ont pas, comme on le dit pudiquement, rencontré leur public, et il en a été réduit (obligé ?) à tourner des suites guère convaincantes de « La colline … » et des « Griffes … ». Et au milieu des années 90, Wes Craven est un peu au fond du trou. Il a bien reçu en primeur et exclusivité un scénario d’un certain Kevin Williamson, débutant fauché, intitulé « Scary Movie ». Il a accroché mais ne sait pas trop quoi en faire, et surtout où trouver du pognon pour ce film. C’est sans compter sur l’obstination de Williamson, qui balance son scénar chez tous les producteurs susceptibles d’être intéressés. Deux manifestent leur intérêt, la Miramax et une de ses sous-divisions, Dimension Films. C’est cette dernière qui emportera l’enchère (à la baisse, le temps presse pour les finances de Williamson).

Parenthèse. Dimension Films est dirigée par les frères Weinstein. Qui avec le succès mondial phénoménal de « Scream » vont entamer la constitution de leur empire, qui une vingtaine d’années plus tard s’effondrera avec « l’affaire » Harvey Weinstein (une quarantaine d’années de taule à ce jour, plus des dizaines d’affaires à suivre, pour harcèlement sexuel sur des actrices). Fin de la parenthèse.

Ulrich, Barrymore, Campbell, McGowan, Lillard, Cox & Arquette 

Le scénario de Williamson va être étoffé, rebaptisé « Scream » (le titre « Scary Movie » ne sera pas perdu pour tout le monde) et confié à Wes Craven qui retrouve quasi miraculeusement cette histoire qui l’avait séduite quelques mois auparavant. Ce n’est pas pour autant qu’il se retrouve avec un budget sans limites. Et il va faire des choix a priori déroutants. Une oubliée des castings depuis ses débuts dans « E.T. » va trouver dans « Scream » un second rôle qui va relancer sa carrière. Drew Barrymore, à peu près disparue des radars, mais pas des tabloïds (son amitié avec Courtney Love et Linda Perry, dans une sorte de version féminine cocaïnée et alcoolisée du Rat Pack), va retrouver une crédibilité cinématographique (et encore plus de fric pour picoler férocement). Autre choix « étrange » de Craven, Courteney Cox qui commence à être très connue pour son rôle dans la série pour ados attardés « Friends », et qui va jouer une journaliste envahissante et déterminée. Le rôle principal sera donné à une quasi inconnue, Neve Campbell, tout comme la plupart des rôles secondaires (Rose McGowan, David Arquette, Skitt Ulrich, Matthew Lillard, Jamie Kennedy). Un ami de Craven, le Fonzy de « Happy days » (Henry Winkler), jouera le proviseur du lycée, et une autre disparue des radars, Linda Blair (la gamine possédée de « L’Exorciste ») fera une paire de caméos (une journaliste). Tout comme sa référence Hitchcock, Wes Craven fera aussi une apparition (l’agent d’entretien du lycée, habillé avec la tenue de Freddy Krueger).

Tiens, j’ai placé le nom d’Hitchcock. De toutes façons, il aurait été difficile de ne pas le citer. D’abord par qu’il fait des caméos dans ses films. Ensuite parce qu’on y retrouve souvent du comique qui vient se greffer au suspense. Et ensuite parce qu’il a tourné « Psychose », dont le début de « Scream » sera très inspiré.

En effet les premières scènes de « Scream » sont fabuleuses. On y voit celle qu’on suppose être l’héroïne (Drew Barrymore) se faire harceler au téléphone pendant qu’elle est seule chez elle, avant qu’elle se fasse étriper et pendre à un arbre. Une douzaine de minutes d’abord amusantes, puis glaçantes … A peu près le même sort que Marion Crane (Janet Leigh) dans « Psychose » (pas le seul point commun, le copain de Neve Campbell – choisi pour une vague ressemblance avec Johnny Depp – dans « Scream » s’appelle Loomis, comme John Gavin dans le film d’Hitchcock).


On l’aura compris (enfin, ceux qui ne l’ont pas vu, mais qui ne l’a pas vu) « Scream » est placé sous les signes de l’hommage, de la comédie et du slasher. Niveau slasher, Craven a dû faire face à la censure (plusieurs scènes ont dû être raccourcies ou certains plans retirés, sous peine d’interdiction aux mineurs), ça y va fort dans « Scream », les coups de couteau et les giclées de sang pullulent. Le tout sur fond de vengeance et de malédiction familiale (pas le meilleur aspect du scénario, on s’en fout un peu de l’histoire de la mère de Sydney Prescott – Neve Campbell). Mais « Scream », c’est aussi une comédie genre college movie (et les réalisateurs ricains font pas dans la demi-mesure quand ils traitent le sujet, à grands coups de gags et de personnages lourdauds). Là aussi quelques débutants (y compris Rose McGowan) en rajoutent me semble-t-il maladroitement des tonnes. Et puis, et surtout, « Scream » s’adresse aux amateurs « du genre », multipliant références, commentaires, et allusions à des films marqueurs de leur temps (ceux entre autres de Craven, mais surtout à « Halloween », diffusé et commenté lors de la party sanglante finale, et à Jamie Lee Curtis et sa poitrine généreuse). Avec dissertations orales (la plupart des jeunes protagonistes sont des fans d’horror movies et théorisent à la moindre occasion sur ce qu’il convient de faire et surtout de ne pas faire : no sex, ne jamais ouvrir les portes, ne jamais dire qu’on va revenir, …) en fonction des situations …

Le début de « Scream » est exceptionnel, et le final d’anthologie (vingt minutes avec un twist scénaristique et des jump scares toutes les minutes). Le cœur du film est traité façon enquête policière (un coupable est démasqué d’entrée, mais n’est-il pas innocent ?), avec fausses pistes (le gros plan sur les chaussures du shériff, les mêmes que celles du tueur dans les toilettes du lycée, la piste du père disparu, l’air louche du cameraman de Courteney Cox, voire David Arquette), pendant que Neve Campbell passe son temps à s’échapper des griffes du tueur qui la poursuit partout où elle va (le plus souvent en dépit du bon sens et de la prudence la plus élémentaire).

Ce tueur mystérieux deviendra iconique, avec son masque de fantôme (Ghostface) et sa grande cape noire. A noter que ce masque, après bien des essais non convaincants de bien d’autres, était fabriqué en quantités artisanales par une petite boîte pour les fêtes d’Halloween. Ils en ont vendu des millions dans le monde depuis, merci « Scream » …

Cox, Kennedy & Campbell : If you want blood ...

Contrairement à la plupart de ses « concurrents » (les films avec Freddy, les Vendredi 13, Halloween) « Scream » ne laisse pas une fin « ouverte », l’histoire est terminée. Ce qui n’empêchera pas « Scream », comme les autres déjà cités de devenir une franchise et d’avoir des suites (avec les rescapés du film, et aussi quelques morts qui réapparaîtront). J’ai un jour essayé le 2 ou le 3, je sais plus, c’était tellement con que je suis pas arrivé seulement au milieu … En cela « Scream » a suivi la rhétorique numérotée de tous ces films de slasher, sans s’en démarquer qualitativement …

« Scream » a aussi une autre particularité. C’est selon Wes Craven le premier film à ouvrir dans son générique final une section de « non-remerciements ». Ces non-remerciements sont adressés à un collège et une municipalité (Santa Rosa en Californie), où devait se tourner le film. Apprenant que c’était un film violent avec beaucoup de meurtres qui allait être mis en boîte, et par peur de « contamination » de la jeunesse locale, toutes les autorités locales sont revenues sur leurs autorisations et ont contraint toute l’équipe à déménager vers des contrées plus accueillantes, mettant par là en danger le timing du film et son financement. Epilogue assez connu et que Wes Craven ne manque pas ironiquement de rappeler à toute occasion : le principal opposant au tournage de « Scream », un prof, a quelques temps après sa « croisade » été condamné lourdement pour violences conjugales …

Bon, et ton avis ferme, définitif et incontestable, il vient ou quoi ? Voilà, voilà …

« Scream » est un film culte, pas de problème, avec son alternance entre comique et ultra violence gore. La partie slasher, avec son scénario malin, est très réussie, par contre ces blagues d’ados surjouées (surtout les rôles tenus par Matthew Lillard et Jamie Kennedy) empestent trop cette surenchère grassement comique et typiquement américaine des college movies …

Pour moi, le must du slasher, ça reste « Halloween » (le premier, évidemment), le film qui a réellement établi tous les codes du genre. Ne restait plus pour avancer qu’à transgresser ces codes, ce que Craven (et Williamson) ont malignement su faire …


TIM BURTON - EDWARD AUX MAINS D'ARGENT (1990)

 

Tout l'univers ...

Non, il ne sera pas question de l’encyclopédie pour ados vendue au porte à porte et qui eut son heure de gloire dans les 70’s, mais de l’univers de Tim Burton dont « Edward aux mains d’argent » est le film le plus emblématique, voire son meilleur …

Même si le film commence par suivre les pérégrinations d’une vendeuse (excellente Dianne Wiest) à domicile des produits Avon. Elle bosse dans une banlieue et essaye de refourguer sa came à ses voisines. Sans succès. De dépit, alors qu’elle vient de se prendre un nouveau râteau, elle aperçoit dans le rétroviseur le château gothique qui surplombe le quartier et dans lequel personne ne va jamais. Elle décide d’y tenter sa chance, se fraye à pied un passage dans un maquis broussailleux, puis traverse un petit parc magnifique, avec des arbustes en forme d’oiseaux, de dinosaures, de mains, … au milieu de parterres de fleurs. Un aspect paradisiaque qui contraste avec celui délabré et menaçant (ses gargouilles aux sculptures infernales) de la bâtisse. Elle frappe à la lourde porte, personne ne répond, la porte n’est pas fermée, la commerciale s’enhardit, pénètre dans une sorte de ruine emplie de poussière et de toiles d’araignée, arrive jusqu’aux combles éventrés, pour apercevoir une étrange créature apeurée qui semble vivre sur une paillasse. Là, magnifique silhouette filmée à contre-jour, qui s’avance lentement et à son grand effroi la Miss Tupperware voit que cet humain a des lames de ciseaux à la place des mains. Prise de pitié, elle lui propose de l’emmener dans sa maison familiale, et la créature la suit … Le film va nous raconter la vie et les aventures de cet Edward Scissorhands (son nom et le titre du film en V.O.) dans cette famille et cette riante banlieue …

Burton, Ryder, Depp & Elfman

« Edward … » est un conte. C’est pas moi qui le dit, c’est Tim Burton lui-même lors de son commentaire du film … l’occasion de signaler que Tim Burton est pas volubile, il doit parler en tout et pour tout dix minutes sur l’heure trois-quarts que dure le film, et pour dire des banalités sans grand intérêt ... enfin il s’en sort mieux dans le même exercice que Danny Elfman, auteur de la bande musicale, encore plus taiseux sur une version amputée de tous les dialogues, on a l’impression de voir un film muet en couleurs … Bon, revenons-en au conte de Burton. Tim Burton, c’est le sosie officiel de Robert Smith, sans le rouge à lèvres. Et comme le Curiste en chef, il cultive dans son art un aspect gothique. Le château d’Edward, où se conclura le film est un « vrai » château construit par l’équipe des décorateurs. Il contraste avec la banlieue pavillonnaire qu’il surplombe, et me semble grandement inspiré par celui de Dracula (dans les versions de Todd Browning, de la Hammer ou de Coppola). Et tant qu’à parler des héros de l’imagerie gothique, le Frankenstein interprété par Boris Karloff a, par ses cicatrices sur le visage, servi d’inspiration au look balafré en tous sens d’Edward.

Dianne Wiest & Winona Ryder

Bien sûr, Edward va détonner dans cette famille d’adoption : le père, col bleu à tendance alcoolo, la vendeuse Avon, le petit minot, et sa grande sœur, maquée par un débile baraqué … Dans ce quartier, un vrai quartier de Floride aux maisons repeintes de couleurs pastel par l’équipe de Burton, et aux personnages caricaturaux (la quinqua sexy et allumeuse, la chrétienne fondamentaliste, la commère obèse, sans oublier maris et marmaille dans la lignée), Edward va susciter une énorme curiosité. Et fera finalement disjoncter tout le monde, élément perturbateur dans ce monde formaté et réglé comme du papier à musique (il me semble bien que ces baraques sans âme et la chorégraphie des voitures qui amènent ou ramènent du boulot doivent pas mal au grand Jacques Tati). Il n’aura d’autre choix que de revenir dans son manoir, la populace (hors sa famille d’adoption) à ses trousses, dans une parabole anti-raciste assez évidente …

Bon, tout ça pourrait ne servir que de trame à un bon dessin animé (genre auquel Burton s’attaquera avec « L’étrange Noel de Monsieur Jack » et « Coraline »), mais on a affaire à un grand film. Grâce à Tim Burton et à ses deux acteurs principaux, Johnny Depp et Winona Ryder.


Burton avec « Edward … » s’attaque à son quatrième long métrage. Une comédie inspirée par « Le voleur de bicyclette », le navet loufoque « Beetlejuice », une adaptation de Batman foirée malgré un gros casting (Nicholson, Keaton, Basinger) et une B.O. signée Prince, tout cela n’avait pas convaincu grand monde (même si pas mal de gens les ont vus). Burton n’est considéré par personne comme « the next big thing » (à preuve, après les premiers jours d’exploitation, Avon ne mouftera pas, alors que la marque est citée plusieurs fois et ses produits guère à leur avantage, estimant qu’il n’y a pas matière à engager une procédure avec un type catalogué looser). Avec « Edward … » il va placer la barre beaucoup plus haut, faire un bon succès au box-office et devenir un réalisateur culte, certes à l’œuvre assez difficile d’accès, mais un réalisateur bankable. « Edward … » est un film qui multiplie clins d’œil et références. Celles évoquées quelque part plus haut, auxquelles il faut rajouter le second rôle tenu par Vincent Price (le dernier rescapé des vieux de la vieille des antiques films d’horreur, ce sera sa dernière apparition devant une caméra) qui joue « l’inventeur » d’Edward, humanoïde inachevé …


Edward, c’est Johnny Depp, qui porte quasiment le film à bout de bras (ou de ciseaux, comme on veut). Pas un choix évident, le Johnny était jusqu’alors surtout connu comme une vedette de série télévisée (« 21 Jump Street »), seul le barré John Waters venant de lui donner sa chance en tête de distribution dans « Cry-Baby ». Depp crève l’écran chez Burton, et deviendra d’ailleurs un de ses acteurs fétiches. Totalement décalé par rapport au monde qui l’entoure, beaucoup de sentiments, de réactions passent par ses yeux le plus souvent ahuris. Johnny Depp montre dans ce film qu’il est un grand acteur, perception parasitée par ses multiples digressions people qui en ont fait pour beaucoup de la chair à tabloïd.

Lesquels tabloïds vont se délecter de la liaison qui sera officialisée pendant le tournage avec sa partenaire Winona Ryder qui joue, comme d’hab, la gentille fille de famille (celle qui a « recueilli » Edward), nunuche diaphane et transparente, belle-fille idéale d’une Amérique aseptisée. Pour être franc, la Winona ne m’a guère convaincu dans ses films … En tout cas, ce couple improbable réuni par Burton va se retrouver dans la presse people, qui surtout avec Depp va trouver un sacré client porteur. Pour l’anecdote, archi-connue, il se fera tatouer sur le biceps un « Winona forever », qu’il transformera quelques années plus tard une fois leur séparation actée en un « Wino forever » (poivrot pour toujours) …

A mon sens toute la réussite du tient dans ses changements de tons. On passe fluidement de scènes comiques (le braquage raté, le matelas à eau, la drague lourde des femmes du quartier, …), à des séquences gothiques (celles tournées dans le manoir) chargées de drames (le final plutôt gore, la mort de Vincent Price, …).

C’est cet équilibre a priori détonnant qui fait la qualité et la réussite du film …


MANU CHAO - CLANDESTINO (1998)

 

Buena Vista Chao Club ...

Est-il utile de présenter Manu Chao ? En principe non, tout le monde le connaît. Grâce à ce disque, ou à la chanson des Wampas, méchamment drôle (« Si j’avais le portefeuille de Manu Chao, je partirais en vacances au moins jusqu’au Congo »). Des débuts à 15 ans au milieu des seventies (Joint de Culasse, le Clash meets Chuck Berry), puis Hot Pants (rockabilly), Carayos (avec François Hadji-Lazaro, RIP), et la Mano Negra. La Mano, groupe de la vague dite alternative du milieu des années 80, gros succès populaire grâce à des hits (« Mala vida », « King Kong five », « Pas assez de toi », « Santa Maradona », …) et des concerts explosifs . Manu Chao a  « réussi » ce qui lui vaudra d’être débiné par les « puristes » alternatifs (ceux qu’ont pas eu de succès, parfois les jaloux).


La dissolution de La Mano Negra laisse du temps libre à Manu Chao. Son truc à lui, de par ses origines hispaniques, c’est l’Amérique latine, du Mexique à la Terre de Feu. Et l’Amérique latine, pour Chao, elle commence à Barcelone, où il se base, avant de partir pour des voyages-périples-aventures outre-Atlantique. Et pas dans les pièges à touristes, plutôt dans les quartiers défavorisés, et dans les endroits parmi le plus dangereux de la planète. Manu Chao n’a rien d’un jet-setter qui claque ses euros dans les endroits chics. Il a toujours cultivé une attitude très à gauche, proche de tous les combats altermondialistes. A tel point que la partie visible, publique du personnage est devenue une sorte de cliché. Il suffit de le voir sur la pochette de ce « Clandestino », bonnet péruvien, chemise sans manches, pantacourt baggy, chaussures de rando, et on a la caricature du zadiste de base … sauf que chez Manu Chao, c’est pas calculé, il y a des années qu’il s’habillait déjà comme ça … Il défend souvent discrètement les « bonnes causes » anti-système, à l’opposé des m’as-tu-vu bling-bling genre Bill Gates, Bono, ou la Greta Thunberg, Manu Chao il prend pas le thé sous les dorures avec les puissants du monde, il reste un saltimbanque …

Et après la Mano, il prépare pendant des années un disque, qui sera une sorte de bilan de toutes les musiques qu’il a entendues là-bas, dans ce continent où on parle espagnol ou portugais. Et un truc qui l’a marqué, c’est la techno (rien de plus normal dans les années 90), autant que les musiciens du dimanche avec lesquels il ne rechigne pas à jammer dans les bars pourris et les bidonvilles craignos. Et niveau techno, il a été fortement impressionné au Brésil par des DJs qui envoyaient dans leur sono du hardcore. Ces rythmes trépidants, proches dans l’esprit de ce qu’il faisait subir au rock, il veut s’en servir de base pour son disque. Il passe des mois à bâtir à grands coups de logiciels adéquats les structures rythmiques des titres qu’il a composés. Et puis, le crash industriel, en l’occurrence celui de son PC qui contenait tous les morceaux en gestation. Disque dur foutu, toutes les rythmiques perdues. Coup de blues, plus envie de refaire de tout ça, et il décide de sortir ce qui lui reste, en gros des maquettes, des ébauches de titres. Crispation chez Virgin, mais comme Manu Chao est un type à fort potentiel commercial, on décide de sortir le disque. Les exemplaires promo commencent à circuler chez les gens des radios. Et là, dans une belle unanimité, la plupart des radios musicales « pour jeunes », refusent de passer quoi que soit de « Clandestino ». Arguments principaux : anti-commercial, pas dans l’air du temps, travail bâclé. On savait que ces gens n’avaient aucun goût, ils démontrent là qu’ils n’ont pas non plus le sens du commerce. « Clandestino » se vendra à un million d’exemplaires en France, et deux millions de plus dans les reste du monde … qui avant la French Touch (Daft Punk, Air, Phoenix, Justice …) vendait du disque par millions hors de l’Hexagone ? Certainement pas Hallyday ou Aznavour, censés être des stars internationales …


Il ressemble à quoi finalement ce « Clandestino » ? Ben, finalement, on reste en terrain connu. Parce que mine de rien le Manu il a imprimé un style, une patte personnelle qu’on retrouve ici. Alors certes ça sonne comme de la Mano laidback, instrumentation essentiellement acoustique. Parfois on voit bien que ce qui reste était construit autour d’autre chose (flagrant sur « Malegria » et « Luna y sol »), mais dans la plupart des cas, les chansons se suffisent à elles-mêmes. Tous les titres sont enchaînés et ça traîne pas en longueur (16 morceaux en trois-quarts d’heure), la grande majorité sont chantés en espagnol, une paire le sont en français, autant en anglais, et un en portugais. La principale évolution vient des textes, plus impliqués pourrait-on dire. Sans que ça soit un manifeste alterno-gaucho (à l’exception à la fin d’un titre d’extraits de discours du sous-commandant Marcos leader séparatiste anticapitaliste mexicain), du Karl Marx mis en musique. Mais comme Chao a vu dans ses périples la misère de près, ça a laissé des traces, on sent une certaine tristesse résignée qui émane de tout ça (le rythme, les voix).

Musicalement, une majorité de rythmes latinos, et puis les influences revendiquées depuis des lustres le Clash (« Minha galera », le titre en portugais semble échappé de « Sandinista ! »), le reggae (« Mama call », l’ultime et excellent « El viento »). En fait beaucoup de choses me font penser aux papys cubains du Buena Vista Social Club, que le fabuleux documentaire de Wim Wenders avec Ry Cooder comme chef d’orchestre, révèlera au monde l’année suivante. Rien d’étonnant, Cuba et l’Amérique latine, c’est des cousins … Manu Chao se revisite aussi, des mélodies (et des textes) qui ont comme un air de déjà-vu, entre remix et reprise (« Bongo  bong», ça a des airs de famille avec « King of Bongo » et « Je ne t’aime plus » n’est pas bien éloigné de « Pas assez de toi »). De bonnes vannes dans les paroles (« no tengo calefaccion , can’t get no satisfaction » sur « Mama call », « welcome to Tijuana, tequila, sexo y marijuana », rime riche évidente sur of course « Tijuana »), d’autres prémonitoires (« quelle heure est-il à Bamako ? » sur « La vie à 2 » qu’on retrouvera en mantra sur le refrain du hit d’Amadou et Mariam dont Manu Chao produira leur « Dimanche à Bamako » quelques années plus tard).


Pour les meilleurs morceaux, pas besoin d’aller bien loin, ce sont les deux premiers titres. Le morceau-titre, état désabusé d’un sans-papier « perdu dans le cœur de la grande Babylone » et qui à laissé (le reste de) « sa vie ente Ceuta et Gibraltar » et « Desaparecido », plus personnelle, sur sa situation de saltimbanque SDF (ou globe-trotter ce qui revient à peu près au même).

Globalement, tout n’est pas extraordinaire sur ce disque, il y a parfois comme une sensation de rabâchage mélodique, tout se ressemble, malgré parfois des arrangements discrets de cuivres, de chœurs. Plus « exotique », plus « facile » d’accès que La Mano Negra (beaucoup plus « world » que « rock’n’roll » pour simplifier). Même si ce n’était certainement pas le but recherché, « Clandestino » est consensuel, ce qui explique en partie son immense succès …

De quoi se remplir le portefeuille et partir en vacances au moins jusqu’au Congo …