Deep Purple à ses débuts (MK I comme disent les gens
instruits) est un groupe de balourds crasseux aussi anecdotique que
dispensable, assemblage brinquebalant de sessionmen plus ou moins célèbres
(Blackmore, Lord) et d’inconnus qui ne méritaient a priori pas mieux (les
autres). Pire, sous la conduite du pompeux et immodeste Jon Lord qui se voit
l’égal de J.S. Bach, ils vont commettre l’irréparable, le brouet terminal
« Concerto for group and orchestra » dont le titre à lui seul évite
tout développement superflu. En gros, ils sont encore plus mal barrés que les
Stones après « Their Satanic Majesties Request ». Et surtout beaucoup
moins connus.
Lord, Paice, Gillan, Blackmore, Glover ; Deep Purple MK II |
Les trajectoires des deux groupes vont
(hasard ? copie ?) devenir étrangement similaires. Keith Richards
prend le pouvoir chez les Stones, le groupe dégage plus ou moins Brian Jones,
opère un virage musical à 180°, sort en 45T « Jumpin’ Jack Flash » et
dans la foulée l’album « Beggars Banquet ». Chez les Deep Purple,
Blackmore devient leader, deux types sont virés (remplacés par Glover et
Gillan, la MK II), le très remuant single « Black Night » paraît, en
éclaireur du 33T « In Rock », entérinant là aussi un très net
revirement. Avec pour les Stones comme pour Deep Purple, deux pochettes qui
marqueront les esprits. Les gogues délabrées de « Beggars » et le
pastiche du Mont Rushmore pour « In Rock ». Les similitudes
s’arrêtent là pour moi.
Déjà, le coup de la pochette de « In
Rock » est ambitieux. Clairement destiné à toucher l’imaginaire subliminal
des Ricains, chez qui Deep Purple est à peu près inconnu. Deep Purple n’a
jamais donné dans la modestie. Comme chacun ( ? ) sait, il y a dans le
Mont Rushmore quatre visages taillés dans la pierre. Sur la pochette de
« In Rock », l’intrus est Ian Paice. Ce qui est ballot, le batteur à
binocles étant l’un des plus terrifiants pousse-au-cul que le monde du binaire
ait connu. Je vais vous dire, sans lui, la plupart des titres du groupe
seraient aussi consistants que de la guimauve tiède en studio, et ne parlons du
live où il a fort à faire pour ramener les autres à la raison et accessoirement
au rock.
Les mêmes en couleur ... |
En fait, si les trois les plus cités comme leaders
et frontmen de cette formation sont Blackmore, Lord et Gillan, Paice et Glover
(l’architecte sonore, le dépositaire et garant du son Purple en studio, celui
qui s’occupe de toutes les rééditions) en sont le ciment, ceux dont l’assise
rythmique empêche le délitement vers les sombres rivages de l’expérimentation
forcénée et inaudible, ou pire, vers la tentation du gouffre du prog
balbutiant.
« In rock » est donc le disque de la
remise en question. Mais aussi du recentrage. Pas un hasard s’il débute par just
a few roots, replanted, comme ils disent, le monumental « Speed
King ». Hommage transparent et assumé à Little Richard et retour à un
rock’n’roll exubérant et violent. Parce que Gillan va chercher très haut dans
les aigus gueulés, que Blackmore aligne les parties de guitare sauvages, que la
rythmique met une pression infernale, et que Lord n’essaie pas de faire son
solo liturgique. Certains ont vu dans ce titre et plus généralement dans ce
disque la naissance du hard-rock « moderne ». Soit. Ça se tient,
c’est une sorte d’aboutissement entamé par le « You really got me »
des Kinks, beaucoup de choses entendues chez Hendrix, Clapton et Beck dans
leurs groupes respectifs, chez les Américains « lourds » de Vanilla
Fudge, Blue Cheer, Iron Butterfly … Sachant qu’en même temps en Angleterre, un
quatuor nommé Led Zeppelin commençait à très fortement marquer les
esprits.
Mais si le Zep vient clairement du blues, Deep
Purple vient d’ailleurs. On ne trouve chez eux aucune allusion au genre
rustique, et les tentations classiques ou baroques sont (provisoirement)
remisées à l’arrière-plan. Deep Purple joue un rock speedé et violent, et
« In Rock » est le disque le plus énervé de sa pléthorique
discographie. Deep Purple ne fera jamais mieux, et c’est pas faute d’avoir
essayé …Témoin de cet état de grâce qu’ils ne retrouveront que très épisodiquement,
« Child in Time ». Où comment faire un grand titre de plus de dix
minutes avec un texte de huit lignes sans tomber dans la redite, le jam
gonflante où le prog. Tout y est bon, du numéro de hurleur de Gillan, des
cavalcades sur les fûts de Paice, en passant par les solo tueurs de Blackmore.
Même Lord (il n’échappera à personne que pour moi c’est le boulet du groupe,
toutes époques et disques confondus, son obstination à mettre son B3 liturgique
en avant étant soit hors propos soit d’un mauvais goût terrifiant) utilise
intelligemment sont armoire à musique. « Child in Time » montre qu’on
peut s’inspirer de Procol Harum (« Whiter shade of pale ») et King Crimson
(« 21st Century Schizoid Man ») sans ressembler éhontément à l’un ou
l’autre. « Child in Time », passant du bucolique apaisé à
l’ultraviolence en retombant toujours sur ses pattes est le sommet du disque.
Les mêmes en public ... |
Les autres titres font beaucoup moins dans la
dentelle (le très sec et méchant « Flight of the rat » en étant
l’exemple type, même si bizarrement ce titre ne fait pas partie des
« classiques » de Purple), fournissant à des myriades de groupes de chevelus
des plans pour faire headbanger les générations futures. Ainsi, le début de « Hard
lovin’ man » est la matrice de toutes les cavalcades débridées de Iron
Maiden. Pas par hasard, quand on sait que l’ingé-son de « In Rock »
(en fait le vrai producteur du disque) Martin Birch auquel ce titre est dédié,
deviendra une dizaine d’années plus tard le metteur en sons de Maiden. De même
« Into the fire », outre des emprunts évidents à King Crimson (le
riff principal) retrouvera plus tard sa mélodie plus ou moins décalquée dans le
« Metropolis » de Motörhead.
Avec « In Rock » Deep Purple signe contre
toute attente un manifeste, met en place une de ces loupiotes à la lumière
desquelles beaucoup viendront recharger une inspiration défaillante. Bon, s’il
fallait trouver un maillon faible à ce disque, ce serait « Living
wreck », qui est le titre le plus linéaire, le moins fou …
Tout le reste, croyez-moi, ça déménage. Et laisse à
mon sens le reste de leur pléthorique discographique loin derrière …
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