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THE WHO - WHO'S NEXT (1971)

 

Projet Lifehouse ...

S’il ne fallait garder qu’un disque des Who, pas besoin de réfléchir longtemps, c’est celui-là … Parce que c’est leur meilleur, bien loin au-dessus de tous les autres (des leurs, et aussi de pas mal de leurs concurrents). La faute aux années 60, qui privilégièrent longtemps les singles, et bien que les Who en aient sorti de fameux, comme ils ne se retrouvaient pas sur les 33 T, ceux-ci en pâtissaient … la faute à Tommy, cet opéra-rock mythique, mais boursouflé par des prétentions symphoniques et pompières (au moins une heure à jeter sur cette foutue rondelle), que le groupe s’entêtait à rejouer le plus souvent en intégralité sur scène …

La scène où pourtant ils étaient les meilleurs … mais le fulgurant « Live at Leeds », dont il existe autant de versions que de rumeurs sur ses lieux et conditions d’enregistrement a été partiellement « arrangé » en studio, et les Who ont manqué le rendez-vous avec l’Histoire à Woodstock, où se sont construites tant de légendes (« Woodstock est le pire concert que les Who ont donné de toute leur carrière » dixit Daltrey)… et tout cela, Townshend le sait et veut que son groupe frappe un grand coup. Il a un concept, un projet, une idée, celle de faire le disque de rock ultime. Qui ne serait que la partie émergée d’un iceberg où il est question de spectacle total, le groupe sur scène, une troupe de comédiens, et un film en arrière-plan centré également sur le groupe. Nom de travail du projet : Lifehouse. Qui sera a minima un double album.

Les Who à l'apéro chez Keith Moon

Dans le groupe personne moufte. Ni Daltrey, qui n’est que le chanteur des mots du Pete au grand nez, ni Entwistle, bassiste par définition taiseux, ni Keith Moon, trop occupé à bambocher pour s’occuper d’autres choses. Y’a juste un souci, enfin deux. Leur manager Kit Lambert, veut exploiter le filon « Tommy » jusqu’au trognon. Son but est d’en tirer un film, que modestement il compte réaliser. Faut juste trouver le pognon et les acteurs, pas grand-monde se bouscule, mais lui y passe tout son temps et veut que les Who s’impliquent toutes affaires cessantes dans son projet. Second problème, Townshend lui est complètement obnubilé par « Lifehouse », a la tête remplie des concepts fumeux, forcément fumeux de son précepteur-gourou indien Meher Baba, et l’estomac rempli de Rémy Martin qu’il ingurgite à doses pantagruéliques, ce qui n’aide pas à avoir les idées claires.

Contre l’avis de Kit Lambert, les Who investissent en Février 1971 un petit théâtre londonien (le Vic Theatre), où, trois soirs durant, ils vont jouer live les deux douzaines de titres de nouveau répertoire de Townshend, « Lifehouse », première approche du projet multimédia global conçu par Townshend. Lequel, détruit physiquement par la bibine, finit par sombrer psychologiquement. Lambert en profite pour reprendre la main, dresse le constat que ni « Tommy » le film, ni « Lifehouse » l’opéra-rock, n’avançant, il serait peut-être sage de revenir à quelque chose de plus simple, un disque des Who. Les meilleurs titres écrits par Townshend et déjà joués au Vic Theatre constitueront le nouveau Who. Durant le printemps 71, le groupe est envoyé au Record Plant de New York en compagnie de l’ingé-son et producteur Glyn Johns. Même si sur les crédits, il n’assure que la co-production avec les Who, Pete Townshend reconnaîtra plus tard que c’est Glyn Johns qui a fait la plus grosse partie du boulot. Et quel boulot !


S’il fallait définir comment doit sonner un groupe de rock sur disque, c’est « Who’s next » qui doit servir de référence. Une rythmique à deux têtes, la rigueur caoutchouteuse d’Entwistle vient en contrepoint du tabassage insensé de ses fûts par Moon, Townshend se multiplie aux guitares, tant électriques (Gibson Les Paul, Fender Stratocaster, Gretsch), qu’acoustiques. Car souvent perçu comme un disque violent, « Who’s next » comporte beaucoup de parties acoustiques, faisant encore plus ressortir lorsqu’ils surgissent les riffs dévastateurs. Et par-dessus tout ça, la voix de Daltrey qui n’a jamais aussi bien chanté et qui pose des parties vocales extraordinaires sur chaque titre.

La musique de « Who’s next » est en quasi-totale rupture avec ce que le groupe a enregistré jusque là. Finis les embarrassants errements opératiques de « Tommy », et au placard également tout l’attirail mod des débuts. Townshend ne se limite plus à l’Angleterre (les fringues et guitares floqués de l’Union Jack, de toutes façons sur ce segment difficile de faire plus british que les rivaux Kinks), pas plus qu’à la soul et au rhythm’n’blues américains qui avaient donné lieu sur leurs premières rondelles à quelques reprise pas toujours heureuses. Pour « Who’s next », Townshend se situe dans la lignée de ses plus grands titres (« My generation », « Substitute », « Pictures of Lily », « The kids are alright », « Happy Jack », …).

Février 71 : The Who live at Young Vic

Townshend a un vice caché. Il est estomaqué par les performances de Terry Riley, un des maîtres de la musique sérielle (ou répétitive selon l’angle selon laquelle on l’envisage). Il a tartiné à un doigt sur un synthé (l’ARP) une « pièce » de 9 minutes. Une partie de ce titre sera l’intro du disque sur le premier morceau « Baba O’Riley », référence transparente à ses deux « maîtres » Meher Baba et Terry Riley. Première minute plus qu’audacieuse pour les Who et pour l’époque, mais quand la batterie de Moon surgit suivie par une partie chantée fabuleuse de Daltrey, le tout servi par un son colossal, on sent que pendant presque trois quart d’heure il va se passer un truc … « Bargain » suit. Les Who ont enregistré 9 versions finalisées de ce titre. C’est la prise la plus électrique qui est retenue. Les gros riffs de Townshend sont joués sur une Gretsch, cadeau de Joe Walsh (du groupe proto hard James Gang, et futur Eagles). Démarche inverse pour « Love ain’t for keepin’ », où les grosses guitares hardos de la maquette sont remplacées par des parties acoustiques (comme du Led Zep celtique et lyrique, période « III »). Quatrième titre et « intermède » signé Entwistle « My wife », où le massif bassiste se taille la part du lion (piano, basse, trompette et chant). Un titre à des années-lumière du reste de l’album qui bizarrement s’y intègre parfaitement, respiration légère après un une première triplette tonitruante. La première face du vinyle original s’achève avec « The song is over », à mon sens le titre le plus ambitieux jamais écrit par Townshend (on oublie les bouses symphoniques de « Tommy »). Le groupe est renforcé par Nicky Hopkins au piano. Avec sa dizaine de « sections » tout au long de ses six minutes, c’est un titre injouable sur scène (les Who ne s’y sont jamais essayé), et c’est par sa construction le plus grand titre de prog jamais gravé, un monument dans la lignée du « 21st Century Schizoid Man » de King Crimson (ou du « Pet sounds » des Beach Boys).

Projet de pochette pour Who's Next

En retournant la galette, on débute par « Getting in tune » (avec toujours Hopkins au piano) qu’on pourrait prendre pour une gentille ballade quelconque avant que Moon défonce ses fûts et change radicalement l’optique du titre. « Going mobile » est le plus mauvais titre du disque (bon, il en faut un), il est juste excellent, avec ses airs de rave-up brouillonne. Et comme un grand disque doit tenir la route d’un bout à l’autre, les Who vont faire encore mieux. Deux de leurs quatre ou cinq meilleurs titres jamais gravés concluent « Who’s next ». « Behind blue eyes » est une balade ultime, commencée acoustique puis transfigurée par les riffs dévastateurs de Townshend. Au départ, ce titre devait être le premier single extrait. Ce single précurseur du disque sera finalement une version raccourcie de « Won’t get fooled again ». Single qui n’arrive pas à la cheville de la monstrueuse version de huit minutes et demie qui clôt « Who’s next ». « Won’t get fooled again » pour moi c’est peut-être bien le plus grand morceau de rock ever. Ecrit comme le contrepoint du mythique « My generation », c’est le dernier clou sur le cercueil des années soixante, on voulait tout changer, on s’est fait entuber, mais gaffe, vous nous baiserez plus. Une autre partie du titre sériel à l’ARP l’introduit, genre réplique-miroir de « Baba O’ Riley », avant que Moon et Townshend du haut de son meilleur riff viennent installer une puissance de feu croissante et inexorable pendant plus de six minutes. Quand les notes d’ARP reviennent, ne pas entretenir l’espoir qu’on se dirige vers un final pianissimo. La batterie herculéenne de Moon, le riff suramplifié de Townshend et un chant littéralement hurlé de Daltrey explosent à nouveau les haut-parleurs. Remarque toute perso, tant par sa durée que sa construction (même si le propos n’est pas le même), « Paradise City » des Guns N’Roses est le titre qui se rapproche le plus de « Won’t get fooled again ». Pas un hasard si ce titre est aussi de très loin le meilleur de la bande de à Axl Rose et Slash.

« Who’s next », évidemment il fallait l’avoir en vinyle. Enfin, pour ceux qui avaient la chance d’être ados dans les seventies, et donc le malheur d’avoir les cheveux blancs aujourd’hui (pour ceux à qui il en reste, des cheveux). Evidemment, outre les multiples rééditions en format d’origine (la mienne est un vinyle honteux de 78, pressage en 80 grammes), l’ère Cd a aussi pondu ses litanies de versions de « Who’s next » (bizarrement à ma connaissance, pas de « reconstitution officielle » intégrale du projet « Lifehouse », il vaut peut-être mieux, voir le cas d’école « Smile » suite mythique du « Pet sounds » de Beach Boys, qui quarante ans après sa parution initiale avortée, n’a pas bouleversé grand-monde). Une des meilleures rééditions Cd (gros son, bonus, livret instructif que j’ai pillé sans vergogne pour rédiger cette notule) est celle de 1995. Sept titres supplémentaires (du live au Vic Theatre, les premières versions de titres qu’on retrouvera sur des compilations et que les Who ont joué en public dans les seventies, des maquettes de travail) ont le mérite de prouver que le projet « Lifehouse » a bien fait d’être abandonné, un double ou un triple album à la place de « Who’s next » n’aurait pas eu le même impact …

Ethan Russell & The Who

Un mot sur la pochette. Initialement, ce devait être une photo de Keith Moon, pas à une pochade douteuse près, en travesti SM. Cette photo existe, elle a servi de support à des pubs dans la presse annonçant la sortie du disque. La photo retenue est quasiment accidentelle, et relève aussi d’un projet abandonné. Celui d’un pont devant supporter un axe routier, seules quelques bases de pilier avaient été érigées en pleine nature du côté de Durham (nord-est de l’Angleterre). Repéré lors d’un retour de concert, le groupe y est revenu avec le photographe Ethan Russell (l’auteur des quatre portraits de la pochette de « Let it be »). Beaucoup d’interprétations de cette photo ont circulé. Il semblerait in fine que personne n’ait uriné sur cette sorte de monolithe (juste de l’eau versée « artistiquement ») et que l’allusion à Kubrick et à « 2001, Odyssée de l’Espace » soit purement fortuite. L’idée de base était de retranscrire l’étrangeté de ce bloc de béton au milieu d’une cambrousse désertique … les idées venues lors de la séance de shooting ont fait le reste …

« Who’s next » sera le plus haut fait d’armes des Who. Et surtout leur dernier, les années 70 auraient pu leur appartenir, elles ne seront que le témoin de leur inexorable dégringolade artistique. Si « Who’s next » n’est pas a minima dans votre Top Ten, on risque de pas être d’accord …


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Sings My Generation

A Quick One 





LOU REED - TRANSFORMER (1972)

 

Englishmen in New York

Cela va sans dire, mais ça va pas plus mal en le disant. Le Velvet Underground, groupe crucial s’il en fut, c’est Lou Reed et les autres. Que ces autres s’appellent Andy Warhol, John Cale, Sterling Morrison, Nico, Moe Tucker, Doug Yule ou qui on voudra, ce n’est pas leur faire injure que d’affirmer que c’est Lou Reed qui a fait le plus gros du boulot, et que tous ces titres, devenus mythiques du Velvet, c’est lui qui les a écrits.

Reed & Bowie 1972

Lou Reed a eu beau démontrer qu’il avait du talent – beaucoup – il a aussi prouvé que c’était un mec pas très sympa, voire un sale con. Après son départ du Velvet (trois disques et les compos du quatrième), il a volé de ses propres ailes, signé en solo par RCA. Un premier disque éponyme sera une des pires ventes de la vénérable firme. Faut dire que le Velvet vendait très peu, quelle que soit son influence sur ses contemporains (« le premier Velvet s’est vendu à mille exemplaires, mais tous les types qui l’ont acheté ont monté leur groupe » dixit plus tard Brian Eno), Lou Reed n’était qu’un musicien pour musiciens, selon la formule consacrée.

Parmi ses fans, l’Anglais David Jones, rebaptisé Bowie. Qui dans l’été 72, triomphe (après des années de vaches soit maigres soit faméliques), avec son double extra-terrestre Ziggy Stardust, et porte au sommet des charts le concept musical de glam rock. Et maintenant qu’il a les moyens, il se propose pour donner un coup de main à tous les gens dont il est fan. Premier servi, Ian Hunter et son groupe Mott the Hoople à qui Bowie offre ce qui sera leur seul grand hit, « All the young dudes ». Par l’intermédiaire de sa maison de disques (RCA, ça tombe bien), Bowie propose de travailler avec Lou Reed sur son prochain disque. Va savoir pourquoi, le misanthrope Lou accepte (enfin, il a dû y avoir des pressions « amicales » du management et de RCA), et Bowie s’envole pour New York avec le titre de producteur de « Transformer », le prochain Lou Reed, non sans avoir glissé dans ses bagages son guitariste Mick Ronson (crédité comme coproducteur), et Ken Scott (assistant de George Martin période Beatles, producteur de « Ziggy Stardust », il sera seulement crédité du mixage de « Transformer », mais nul doute qu’il s’est beaucoup plus impliqué que ce que disent les crédits de pochette).


Il y a du boulot. A même pas trente ans, Lou Reed est déjà un has been. Il a certes des chansons en réserve, mais voir des rosbifs débarquer et s’occuper de sa « carrière », ça le fait pas sauter de joie. On imagine l’ambiance en studio et les séances houleuses. D’ailleurs, une fois le succès de « Transformer » certifié, il ne se privera pas pour épancher son fiel sur Bowie et son équipe. La routine …

Il est peut-être sorti pour le cinquantenaire du disque une version en quinze CDs et huit Blu-ray sur les sessions de « Transformer » (quand il s’agit de vendre pour la énième fois aux fans une rondelle mythique, tous les prétextes et arguments foireux sont bons) mais il suffit de la version Cd de 2002 avec juste deux « inédits » (les démos acoustiques de « Hangin’ ‘round » et « Perfect day ») pour voir qu’on était très loin du résultat final. Incontestablement, Bowie, Ronson et Scott ont énormément apporté.

Certains titres sont stricto sensu du glam-rock (« Hangin’ ‘round », calqué sur la reprise du « Round & round » de Papy Chuck Berry par Bowie, « Make up » traité comme les ballades du même Bowie, « Satellite of love » et son crescendo à la « Rock’n’roll suicide », « I’m so free » glam-rock ou plutôt rock-glam avec la guitare de Ronson très en avant). D’autres par contre sont du pur Lou Reed, le boogie monolithique de « Vicious », « Perfect day », réminiscent des balades du 3ème Velvet, la courte rigolade (enfin, rigolade et Lou Reed, vous imaginez le tableau, c’est juste souriant) « New York telephone conversation », et Goodnight ladies », voyage au bout de la nuit newyorkaise, comme une version interlope du « Il est cinq heures Paris s’éveille » de Dutronc. Ce dernier titre comme une sorte de contrepoint à « Walk on the wild side ».

Ah, « Walk … », le genre de titres comme on en écrit pas quatre dans sa vie (quand on s’appelle Lou Reed, pour quasiment tous les autres, ça relève du rêve …). Portraits croquignolets de tous les oiseaux de nuit qui hantent les rues mal famées de New York, les transsexuels (Holly et Candy Darling), les prostitués défoncés (Joe) ou les défoncées tout court (Jackie), une ligne de basse unique de Herbie Flowers (que Bowie recrutera lors de sa carrière américaine de 75-76), les mythiques vers « but she never lost her head, even when she was givin’ head », le tout pour un des plus improbables titres à avoir jamais atteint le haut des charts.


Ronson est très présent (plus même que chez Bowie), lui et le Ziggy font les chœurs, et le grand bonhomme du disque est la révélation Herbie Flowers qui magnifie « Walk … » certes, qui dirige « Andy’s chest » (hommage du bout des lèvres à Warhol), et joue de l’improbable tuba sur « Make up ».

« Transformer » est un disque quasiment parfait (un seul titre faible, « Wagon wheel »), avec sa pochette devenue iconique tant son recto (la photo « ratée » de Mick Rock, égarée parmi toutes celles qu’il présentait pour la pochette, c’est évidemment celle que le Lou a choisie) que son verso du photographe Karl Stocker (la mannequin anglaise Gala Mitchel et le pote de Reed Ernie Thormahlen avec sa banane dans le jean).

« Transformer » boosté par « Walk … », lancera la carrière internationale de Lou Reed, fera reconnaître tardivement le Velvet (le concert français de « reformation » avec Nico et John Cale l’année suivante). En 73 paraîtra l’autre grand classique de Reed, « Berlin », beaucoup plus sombre et glauque qui assiéra définitivement son statut de figure tutélaire du rock. Dès lors à l’abri du besoin, Reed pourra laisser libre cours à sa mauvaise humeur (pour être gentil) légendaire, faire paraître une litanie de disques où le très bon côtoie le sans intérêt, avant un ultime chef d’œuvre (« New York ») à la fin des 80’s …


BLUE ÖYSTER CULT - AGENTS OF FORTUNE (1976)

 

Contre mauvaise fortune bon cœur ?

Oh misère ! … Comment le Cult en est arrivé là, à sortir un machin calamiteux comme ce « Agents … » ?

What, qu’est-ce tu racontes, calamiteux, une rondelle qui contient « (Don’t fear) the reaper » ? Yes, affirmatif.

Bloom, Roeser, Lanier, Bouchard & Bouchard

Bon, on reprend au début … Je vous fais grâce du néolithique supérieur du groupe (les premières traces des protagonistes, jusqu’au Stalk-Forrest Group), tout se met en place sous le nom de Blue Öyster Cult en 1971, avec ce qu’il convient d’appeler la formation « royale », Roeser, Lanier, Bloom et les frangins Bouchard. Là, toutes les bonnes fées new-yorkaises branchées de la rock-critique (Sandy Pearlman), de la littérature (Richard Meltzer), du milieu arty (Patti Smith), … s’entichent de ce groupe sombre, au parfum sulfureux (leurs textes, leur logo que certains ont cru dérivé de la croix celtique chère aux fachos), aux disques brûlants comme du métal glacé …

Certes, le BÖC se traînera pendant la première partie des 70’s une réputation de groupe élitiste, moins facile d’accès que Status Quo ou Kiss, mais leurs trois premiers disques (« Blue Öyster Cult », « Tyranny and mutation », « Secret treaties », chefs-d’œuvre indispensables) feront froncer bien des sourcils (le rock et le second degré ne vont pas bien ensemble, voir le cas d’école Queen), certains poussant même le bouchon jusqu’à accuser le groupe de faire l’apologie des totalitarismes de tout poil … Comme de bien entendu, un live point trop mauvais (« On your feet or on your knees »), viendra clôturer en 1975 une première partie de carrière irréprochable.

« Agents of fortune » va suivre. Déjà, la pochette pique les yeux … ‘tain, c’est quoi cette horreur ? Pour le coup, les coupeurs de cheveux en douze n’ont rien trouvé à y redire, mauvais signe … Même si un disque, ça se regarde pas, ça s’écoute, pareil visuel, surtout comparé aux quatre précédents, ça donne pas envie. Visuellement, on est donc en dérapage incontrôlé, et musicalement, c’est encore pire. Alors que le BÖC était volontiers rangé dans la catégorie hard-rock – heavy metal – machin truc, ils entreprennent avec ce « Agents … » un virage marqué vers la pop et le funky. En en utilisant les plus grosses ficelles sans en retenir l’essence. Je m’explique. Une bonne mélodie ou une rythmique groovy n’ont jamais fait de mal à une chanson, sauf qu’ici ça fait plutôt parti pris délibéré de coller à un air du temps, d’adoucir, d’édulcorer une approche sonore, plutôt que choix artistique assumé.


Le BÖC savait envoyer des gros riffs qui tâchent, et ils ont encore la recette (l’inaugural « This ain’t the summer of love », « E.T.I. »), mais très vite les claviers omniprésents de Lanier (ou Roeser) viennent systématiquement « alléger » le propos pour donner des choses frayant avec le pire du rock FM à venir (dans « E.T.I. » arrive comme un cheveu sur la soupe un pitoyable refrain, suivi d’un solo de guitare imbécile, brouillon et démonstratif à la fois). Le BÖC se hasarde même à une sorte de power pop (l’ultime « Debbie Denise », peut-être le plus gros naufrage musical de la rondelle, mais la concurrence est rude), après s’être vautré dans le ridicule du funky de supermarché (« Sinful love »), ou pire le grotesque jazz-rock de contrebande (« Tenderloin »), et avoir marché sur les plates-bandes de Tatie Elton (« True confessions », tout piano en avant, comme une mauvaise chute de « Goodbye yellow brick road »).

Il faut signaler que c’est la première fois dans sa discographie que le groupe est livré quasiment à lui-même, Meltzer a disparu du générique, Pearlman se concentre sur la production et n’intervient que sur la co-écriture d’un titre. Reste le cas Patti Smith. Ayant fréquenté de près le groupe (Lanier, mais pas que), elle vient parler sur l’intro et faire quelques chœurs sur « The revenge of Vera Gemini » (qu’elle a coécrit, tout comme « Debbie Denise »). Un signe qui ne trompe pas sur l’égarement du BÖC, l’apparition sur les crédits des frangins Brecker, remarquables cuivres de sessions, complices attitrés de Steely Dan, c’est dire si on est assez loin du Cult des débuts …

Chacun sa guitare à tous les rappels de concert

Qu’est-ce qu’il reste t-il donc à sauver sur « Agents … » ? Ben, pas grand-chose. Un peu « This ain’t the summer of love », son bon gros riff malgré son refrain de corps de garde ; à peu près même verdict pour « E.T.I. » (pour « Extra Terrestrial Intelligence », cosmos et mondes parallèles, une des thématiques favorites du Cult), ; « Morning final » rappelle au début « Last days of May », mais le titre est vite gâché par une mélodie funky pop du plus mauvais effet. Reste le cas « (Don’t fear) the reaper ». Thématique morbide sur fond enjoué, dûe à Buck Dharma (le pseudo de scène de Donald Roeser, aux débuts du groupe, ils en avaient tous un, c’est le seul à l’avoir conservé), une intro aussi facilement identifiable aux premières mesures que celle du « Layla » de Clapton. Très gros hit du Cult, tirant beaucoup plus sur la power pop que sur le métal froid des débuts, et titre incontournable du groupe.

Une réédition Cd du début du siècle rajoute quatre titres. La version originale de « Fire of unknown origin », sorte de pop blues symphonique, qui donnera plus tard son titre à un album très dispensable, la maquette déjà aboutie de « (Don’t fear) the reaper » par Roeser en solo, un « Sally » vaguement swinguant, dispensable mais meilleur que beaucoup de titres de « Agents … », et un « Dance the night away » (rien à voir avec le titre de Van Halen) pleurnichard avec piano en avant …

« Agents of fortune » est en rupture totale avec ce que le groupe avait produit jusque là. Perso, c’est sans moi … La suite poursuivra dans cette veine. L’autre gros hit du groupe, « Godzilla » suivra bientôt, ainsi qu’une litanie de disques aux pochettes repoussantes et au contenu idoine. Le groupe existe toujours, cachetonne (chèrement) en tête d’affiche de festivals, avec pour rescapés de la formation originale Roeser et Bloom, et n’est plus que l’ombre du groupe majeur qu’il fut à ses débuts …


BRIAN ENO - AMBIENT1 MUSIC FOR AIRPORTS (1978)

 

A écouter ou à entendre ?

Brian Eno, c’est pas un blaireau (joke cycliste des années 80, désolé mais c’était trop facile). C’est tout le contraire, le gars a du sang bleu dans les veines, son vrai blaze étant Brian Peter George St. John le Baptiste de la Salle Eno, ça claque davantage sur une carte de visite que Robert Smith ou Duran Duran …

Moebius, Eno, Rodelius & Plank 1977

Le Brian a commencé à se faire connaître par ses extravagances sonores et vestimentaires dans les deux premiers Roxy Music, avant de faire son Clapton et de quitter la bande à Bryan Ferry une fois le succès arrivé. Suivront une poignée d’albums solo hautement recommandables (concepts plutôt cérébraux, mais musique sous forme de chansons très accessibles). Parallèlement à sa carrière solo, Eno collaborera avec quelques extravagants de son acabit genre John Cale ou Robert Fripp, avant de devenir producteur – éminence grise sonore de Bowie dans sa trilogie dite berlinoise. Ce qui renforcera notablement sinon sa célébrité, du moins sa notoriété.

Eno a dès le départ souvent crié sur tous les toits son admiration entre autres pours ceux qu’on a parfois qualifiés comme faisant partie de l’école minimaliste américaine (Terry Riley, John Cage, Steve Reich, Philip Glass, …). Parallèlement, Eno a bossé avec deux types de Cluster (prog électronique) aux noms sortis des BD d’Astérix (Moebius et Rodelius), ainsi que leur producteur, Conny Plank. Ajoutez les plages instrumentales des albums de Bowie (elles aussi sous influences krautrock), et vous avez en gestation un cocktail sonore capable de faire fuir tout fan de Status Quo normalement constitué. Le déclic pour « Ambient 1 Music for airports » viendra lorsque Eno flippera sa race dans un terminal d’aéroport à cause de retards de vols et de l’atmosphère anxiogène qui s’ensuivra (mes correspondances, mes rendez-vous, …) parmi les passagers. Il imaginera donc une musique anti-stress qui conviendrait parfaitement à ce genre de situation dans les aéroports.

Musique pour salon de thé ? Eno 78

Bon, moi la musique d’aéroport, ça m’évoque la première scène du « Lauréat », où la caméra suit un Dustin Hoffman impassible sur un tapis-roulant électrique. Et le fond sonore c’est « The sound of silence » de Simon & Garfunkel. Je suis pas un fan acharné du nain et du grand bêta rouquin, mais autant être clair, je préfère leur gentil folk baba au disque d’Eno. Qui n’est pas mauvais-mauvais, mais bon, vous m’avez compris …

Et si vous avez pas compris, je m’explique (brièvement, je vais pas passer cent ans à écrire sur cette rondelle). « Music for airports », comme indiqué dans l’autre partie du titre, c’est de l’ambient, c’est-à-dire un truc mélodiquement linéaire, pas de structure rythmique, très peu d’instruments, très peu ou pas du tout de paroles, et des claviers, de préférence électroniques … Eh, oh, il reste encore quelqu’un ? …

Au cas où, continuons vaillamment comme si de rien n’était la description de l’objet. Quatre morceaux (pas de titres, numérotés dans l’ordre des pistes vinyles d’origine, à savoir « 1-1 », « 1-2 », « 2-1 », « 2-2 ») entre huit et seize minutes, pour un total de trois-quarts d’heure. Et comme y’a davantage de place sur le cd, 30 secondes de silence après chaque titre (même après le dernier) celui-ci étant rallongé de trois minutes sur la rondelle argentée par rapport à la parution originale.

« Ambient 1 … » deviendra la référence absolue du genre auquel il donnera son nom, et générera des multitudes de disques s’en inspirant (en gros tout ce qu’on peu regrouper sous le terme de muzak électronique, musique d’ascenseur, chill-out music, …). Sauf que tous ces papiers-peints sonores, ils sont là pour décorer, on les entend mais on les écoute pas. On peut faire pareil avec le disque d’Eno (mais alors, à quoi ça sert de jouer un disque qu’on écoute pas ? bonne question, gamin, t’as gagné l’intégrale de Motörhead), sauf que les quatre titres sont différents.

J'en ai une longue comme çà ... Vantard, Brian Eno ?

« 1-1 », le plus long, reçoit le renfort de notamment l’auto-défenestré Robert Wyatt, sorte de Coluche pataphysique et communiste, entre autres fondateur de Soft Machine et responsable du seul titre écoutable (« Moon in June ») de leur bouillasse « Third ». Il joue ici du piano (rappelons qu’il est batteur) façon Pascal Comelade par-dessus les synthés d’Eno, et c’est beau (et chiant) comme du Keith Jarrett période « Koln Concert ». Sur « 1-2 », seulement des nappes de synthés planants, sur lesquels se superposent des vocaux (râles liturgiques genre gospel ou chant grégorien par un trio de trisomiques). Troisième titre (« 2-1 ») et nouvelle juxtaposition, cette fois de ces chœurs avec les synthés d’Eno sonnant comme des pianos robotiques. Le dernier titre viendra clore les possibilités du mélange acoustique/électronique, vocal/instrumental, à savoir des accords plaqués sur des synthés qui pour le coup donnent l’impression (mais juste l’impression, ça ressemble pas à du Slayer) d’être violents.

Bon, pour moi, le meilleur des quatre c’est le premier, et les autres (effet de répétition, lassitude, mais tout ça est peut-être le but, « oublier » d’écouter pour juste percevoir le fond sonore), au fur et à mesure qu’ils défilent, ils me gavent quand même un peu beaucoup … bon, j’ai jamais écouté (ou entendu) ce disque dans un aéroport, mais il paraît qu’il est parfois diffusé dans des salles de réveil de bloc opératoire …

A noter que « Ambient 1 … » est paru (et réédité) sur le label E.G. Records, label roi du prog (celui de King Crimson, ELP, de quelques rondelles de Genesis) autant de gens très exigeants en matière de son. Ben, même en version Cd remastérisée, y’a un souffle de mammouth sur « Ambient 1 … », et j’ose pas imaginer ce que ça peut donner sur un vinyle d’origine …

Ah, et puis, Eno il en sortira d’autres des ambient (au moins trois de plus il me semble) avant de devenir un producteur très successful dans les années 80.

Conclusion, c’est (quasiment par définition) pas franchement insupportable, mais, bon, suivant …


Du même sur ce blog : 

Before And After Science


JOHN CARPENTER - HALLOWEEN LA NUIT DES MASQUES (1978)

 

Eloge de la lenteur ...

Ça tombe raccord, c’est la période de cette fête à la con que les Amerlos nous ont refilé. L’occasion ou jamais de dire tout le bien que je pense du meilleur film de Carpenter et de l’inégalé chef-d’œuvre du slasher. « Halloween », c’est le film auquel on se doit de mesurer quand on veut jouer dans la même catégorie, et depuis 1978, c’est pas les candidats qui ont manqué …

Quand il met « Halloween » en chantier, Carpenter a trente ans, un way of life de babacool, mais un background « classique » pour qui veut faire carrière dans le cinéma (des études dans la plus prestigieuse fac de cinéma de Los Angeles). Un court-métrage de fin d’études, « Dark star » (qu’il rallongera plus tard pour le sortir en salles) et un premier film underground (« Assaut sur le Central 13 ») constituent sa carte de visite pour démarcher les producteurs. Evidemment, les chèques avec plein de zéros vont pas se multiplier, d’autant qu’il a avec sa compagne de l’époque, la scénariste Debra Hill, envie de tourner un film d’horreur. Irwin Yablans, un petit producteur indépendant lui file trois cent mille dollars avec une condition, il doit s’agir de meurtres de baby-sitters. Carpenter et Hill se mettent à écrire, sans résultat satisfaisant, jusqu’à ce que le décidément très inspiré Yablans leur suggère que l’action se passe le soir d’Halloween. Déclic de Hill et Carpenter (qui pose une condition, le film devra s’appeler « John Carpenter’s Halloween », ce qui sera le cas lors de sa sortie) couchent dès lors rapidement sur papier un scénario.

John Carpenter & Jamie Lee Curtis

Pas très épais le scénario. Un gosse qui sans raison apparente à tué sa sœur à coups de couteau un soir d’Halloween est interné et soigné comme une bête féroce. Il s’évade et retourne dans sa ville semer terreur et cadavres à nouveau un soir d’Halloween, coursé par le psychiatre qui s’occupait de son cas. En fait, beaucoup plus qu’une histoire, c’est un univers que Carpenter va créer.

Tout d’abord celui du serial killer fantomatique, qu’on aperçoit à peine, qui joue du couteau de cuisine et avec les nerfs de ses victimes. Ses victimes sont jeunes, priorité aux jeunettes délurées et peu farouches, et donc forcément leurs amoureux ont aussi bien du souci à se faire. Instant critique, quand on est sous la couette et qu’on vient de s’essayer à perpétuer l’espèce. Seul espoir de peut-être salut, être une jeune fille vierge et ne pas céder à la gaudriole facile. Tous ses éléments scénaristiques jetés dans « Halloween » un peu au hasard finiront par devenir des axiomes de base dans tous les films qui s’en inspireront, témoin le plus marquant, le quasi-plagiat qu’est « Vendredi 13 ». Autre passage obligé du genre, la naïveté confondante des futures victimes, qui une fois le danger aperçu, font tout pour se faire désosser, en dépit de toute prudence et bon sens …

Le génie de Carpenter qui le hisse au-dessus de tous ses suiveurs n’est pas seulement d’avoir rédigé les Tables de la Loi du slasher (d’ailleurs les historiens de cette sous-catégorie de film d’horreur citent comme premiers du genre « La baie sanglante » de Mario Bava et « Black Christmas » du Canadien Bob Clark), mais d’avoir réussi à faire un vrai film avec un scénario de court-métrage (tout « Halloween » tiendrait maintenant en dix minutes d’un film gore au montage épileptique). Plutôt que le choc des images, Carpenter joue sur l’ambiance, le suspense.

Tout petit, il aimait les grands couteaux ...

Par bien des aspects, « Halloween » est un film au ralenti. Et Carpenter l’avoue sans ambages, il a étiré toutes les scènes à la limite du raisonnable pour arriver à l’heure et demie syndicale. Et c’est ce qui fait fonctionner le film. Un seul exemple, lorsque l’héroïne Laurie traverse la rue pour aller à la maison voisine, on sait que ses copains y ont été tués et que le psychopathe y est. On la suit pas à pas dans la semi-obscurité, les synthés de Carpenter commencent à entrer en action (signe qu’il va se passer quelque chose, ils annoncent jusque là l’apparition du tueur), et pour parcourir vingt ou trente mètres la scène dure plus d’une minute. Pas d’effet jump scare facile, pas d’ouragan de violons, juste l’angoisse sourde qui monte inexorablement …

Et tout le long du film, c’est cette lenteur qui entretient la pression. Le tueur avance à la vitesse d’un zombie de Romero (dont le film éponyme vient de sortir), et semble aussi inarrêtable dans son allure léthargique qu’un Terminator. Carpenter peut se permettre les longues scènes parce qu’il utilise beaucoup (voire abuse) de la Panaglide, une caméra portée ancêtre de la Steadicam, qui permet des plans-séquence en mouvement, témoin la mythique scène d’ouverture en caméra subjective qui dure plusieurs minutes (même s’il y a un raccord, quand la main attrape le couteau dans un tiroir).

... et plus grand aussi.

L’inconvénient de cette lenteur, et qui quelquefois dessert le film selon ses détracteurs, les lentes montées en tension laissent le temps de tout observer minutieusement, et là on voit tout, les faux raccords, les effets spéciaux fauchés, les incohérences à tous les étages. La liste est longue. Quelques exemples. Des arbres bien verts à Halloween (normal, le film a été tourné au printemps 78, et pour faire couleur automnale, quelques feuilles mortes volent devant la caméra, sauf que quand le cadre s’élargit, il n’y a des feuilles mortes qu’au pied des acteurs), un interné classé extrêmement dangereux qui a dû apprendre à conduire dans sa cellule capitonnée parce qu’il fauche et conduit sans problème des bagnoles, le même qui a vachement de mémoire pour aller déterrer la pierre tombale de sa sœur mais qui reconnaît pas son toubib quand il lui passe à côté en voiture, des poignées de portes à droite à l’intérieur et à gauche à l’extérieur, des nuits qui tombent très vite (deux filles discutent en plein jour en roulant, changement de plan, elles ont fait quelques mètres et c’est nuit noire, de plus jamais personne regarde dans les rétros pour voir qu’on est suivi, on fume un joint portières fermées et quand on baisse la vitre devant le papa flic, il s’aperçoit de rien ; le tueur poursuit sa victime, il est à quelques pas derrière elle, et le plan suivant dans la continuité de l’action il est au moins à trente mètres, dans quelques scènes on voit l’ombre de la caméra sur les murs, … et que dire des face à face avec ce tueur dans le dernier tiers, tueur à qui on laisse toutes les chances de se remettre des coups portés (faut dire que les bestiau est solide, un chargeur de revolver en plein buffet ne suffit pas à le dézinguer, ce qui laisse une fin ouverte et la possibilité des multiples suites qui n’ont pas manqué d’apparaître, alors que c’était pas du tout le but au départ, là le coup de génie est involontaire, Mike Myers ne peut pas être tué, parce que selon Carpenter, il incarne le Mal )…

Jamie Lee Curtis

L’histoire de « Halloween » est certes simple pour ne pas dire simpliste, mais surtout parce qu’elle est exposée très méthodiquement. Premier acte, le jeune Michael Myers déguisé en clown espionne puis poignarde sans raison apparente sa sœur alors qu’elle vient de se faire sauter par son petit ami, et sort de la maison totalement hébété son gros coutelas à la main. Séquence suivante, son psychiatre le docteur Loomis part avec une infirmière le chercher dans son asile pénitentiaire pour l’amener devant les juges des années plus tard. L’occasion de nous montrer l’extrême dangerosité du Michael, qualifié de « mal absolu » par son toubib. Orage, pluie, éclairs, tonnerre, une entrée d’hôpital avec des types en camisole qui errent dans la nature. L’un d’entre eux malmène l’infirmière et pique sa bagnole (facilement identifiable grâce à son logo sur la portière). On devine qu’il s’agit de Myers. Troisième séquence, présentation de la jeune Laurie Strode et de ses copines, lycéennes le jour et baby-sitters le soir. Soit l’origine de la folie meurtrière du personnage, son évasion, et la présentation de ses victimes. D’une clarté scénaristique imparable, pas besoin de flashbacks, de personnages tiers qui racontent, lorsque apparaît Laurie, on connaît tous les tenants et aboutissants.

Et malgré ses trois cent mille dollars, Carpenter réussit à avoir une star, enfin un type connu, en la personne de Donald Pleasance (rôle principal dans un Polanski mineur, et un des Blofeld de la saga James Bond). Lequel Pleasance (c’est Carpenter qui le dit) a trouvé son personnage nul, le scénario navrant et n’a accepté le rôle que parce que sa fille avait adoré « Assaut … » et qu’elle l’a littéralement harcelé pour qu’il rejoigne ce casting d’inconnus. L’autre star du film est une débutante, Jamie Lee Curtis, fille du Tony du même nom et de Janet Leigh (l’inoubliable Marion Crane de « Psychose »). Rien ne laisse supposer que c’est grâce à la notoriété de ses parents que Jamie Lee a eu le rôle (d’ailleurs comme toute l’équipe, pinceau en main, elle a participé à la décoration et au blanchiment à la chaux de la maison des Myers pour la première scène). Et elle l’a accepté faute de mieux, parce qu’elle déteste les films d’horreur, et des années plus tard, alors qu’elle commente le film avec Carpenter elle est encore très effrayée par les scènes qu’elle a portant tournées, ce qui déclenche l’hilarité du réalisateur. Par contre elle avoue que malgré l’énorme succès du film (plus de 200 fois la mise) elle a eu beaucoup de mal à trouver d’autres rôles devant se contenter de la suite « Halloween II », de quelques autres rôles dans des nanars d’horreur avant la réorientation à succès vers la comédie topless (« Un fauteuil pour deux ») puis en soutifs (« Un poisson nommé Wanda »).

Donald Pleasance

Le succès de « Halloween » repose sur la lisibilité du scénario, la création du personnage de serial killer implacable et indestructible, et toutes les astuces narratives qui deviendront incontournables de tous les slashers qui ont suivi. « Halloween » doit être le film le plus cité nommément ou subliminalement dans « Scream », et il me semble bien que la scène dans la penderie de « Blue Velvet » est un copier-coller de celle de « Halloween », c’est dire si le film de Carpenter a rayonné bien au-delà de la classification étroite dans laquelle on a tendance à le cantonner.

L’autre touche de génie de Carpenter c’est la bande-son. Lors des premières projections du montage final sans partition musicale, juste les images et le dialogue aux distributeurs (la Twentieth je crois), Carpenter s’est entendu dire que son film était trop lent et surtout ne faisait pas du tout peur. Comme il avait pas les moyens de se payer un orchestre, (merci Papa Carpenter qui était prof de musique et a initié son fiston au maltraitage de gammes), Carpenter s’est fait son petit délire à la Tangerine Dream (ou plus vraisemblablement Mike Oldfield pour le thème de « L’exorciste »), tout composé avec des synthés lents et sinistres qui s’amplifient à mesure que la menace et la tension à l’écran augmentent. Un procédé certes pas inouï mais qui deviendra un incontournable des B.O. de tout film à suspens … A noter que maintenant, à un âge désormais vénérable, Carpenter a depuis longtemps renoncé à tourner des films, mais par contre il a enregistré des disques et monnaye très cher ses concerts pour un public de fans venus écouter le thème de « Halloween » …

Pour terminer, les cinéphiles savent certainement que le film préféré de Carpenter est « Rio Bravo », et que ceux que l’on voit sur la télé dans « Halloween » sont « The Thing » de Howard Hawks (dont Carpenter réalisera un assez bon remake), et « Planète interdite », honnête série B d’anticipation de l’oublié Wilcox (pas vraiment là par hasard je suppose, c’est un des premiers films sinon le premier à être doté d’une musique entièrement électronique … en 1956 !).

Si « Halloween » est un must absolu, assez logiquement ses très nombreuses suites ne vaudront pas tripette, même si par intermittences, Carpenter, Pleasance et Jamie Lee Curtis y reprendront du service …


BILL DERAIME - BILL DERAIME (1979)

 

Pionnier ?

C’est avec ce genre de disques qu’on apprécie encore mieux (enfin, façon de parler) l’ironique sentence de Lennon : « le rock français, c’est comme le vin anglais ». A peu près tristement exact, et encore il parlait d’un genre (le rock) qui vaille que vaille était joué et apprécié en France. Même si je suis pas très fan de Lennon, force est de reconnaître qu’il avait le sens de la punchline, comme on dit aujourd’hui dans les salles de réunion des chaînes info … Par contre, j’aimerais bien savoir à quoi il aurait comparé le blues français …


Réponse, il aurait eu du mal à le comparer à quoi que soit, parce que le blues français, avant que le binoclard du Dakota Building se fasse dégommer (1980), ça n’existait pas, ou si peu … Pourtant le genre, né dans les années 20, avait largement ses trimestres pour une bonne retraite, réformée par Micron ou pas … Musicalement, la France a toujours été … franchouillarde. Et rétrograde. Les seules vieilles traces de blues en français c’étaient les sinistres pastiches signés du couple de tocards prétentieux venus du jazz le plus intégriste, Vian et Salvador (genre « La blouse du dentiste »). Par souci d’économie et sur recommandation de mon docteur, je vais pas me fâcher sur ces deux pantins (surtout Salvador, Vian a écrit quelques jolis textes), mais y’en aurait des choses à dire …

Bon, le blues est pas le genre musical le plus flashy du monde, on est d’accord … les frenchies ils avaient suivi (à la sauce française) tous les genres musicaux anglo-saxons, des adaptations de Dylan par Aufray au rock stonien pour ados de Téléphone, en passant par l’inamovible Johnny, mais sans jamais se frotter vraiment à l’idiome rustique du Mississippi … et que les docteurs es musiques tristes viennent pas me bassiner avec Alan Jack (Civilization ou pas), il vendait quatre disques et jouait devant quinze types dans les MJC dans les seventies …

Il faudra attendre la toute fin des années septante pour voir arriver un tas de types étiquetés blues. Ils s’appellent Benoît Blue Boy, Patrick Verbeke, Paul Personne (le meilleur de tous, début 80’s) et … Bill Deraime, on y arrive …


Alain Deraime (son vrai nom) sort ce disque éponyme, son premier, en 1979. Avec le fort soutien de la figure tutélaire du blues français, l’harmoniciste-arrangeur-producteur Jean-Jacques Milteau. Le tout sur un minuscule label indépendant, Argile, distribué sans conviction par RCA. Et preuve que le blues tout le monde s’en tape dans ce pays, les trois premiers disques du Bill n’ont jamais été réédités en Cd. Tout juste compilés en une dizaine de titres sur galette argentée (« Mister Blues »), et pourtant ses deux plus gros succès (si, si, ils passaient souvent à la radio, je les ai de mes oreilles entendus) sont sur les disques suivant ce « Bill Deraime » (« Faut que j’me tire ailleurs » et « Babylone tu déconnes »). N’allez pas croire que je vous cause là d’un collector, un objet mirifique qu’il faudrait acquérir à tout prix (ça se trouve facilement sur les sites spécialisés à moins de vingt balles port compris en état quasi mint). Parce que le Bill, il a d’entrée réussi à imprimer, comme on dit dans les cadres de Renaissance. Look total baba, béret ou bonnet rouge à la Commandant Cousteau, barbe ou barbichette, inamovibles pendant son demi-siècle de carrière (il a paraît-il pendu définitivement sa gratte au râtelier en 2016). Et donc il a vendu un peu de disque, et on continue d’en trouver dans les greniers …

Mais je digresse, je digresse … c’est juste pour meubler, pour me faire croire que je suis payé à la ligne. Parce qu’en fait, sur cette rondelle, j’ai pas grand-chose à dire. Bill Deraime, c’est pas Bob Johnson, Muddy Waters ou John Lee Hooker, autant le préciser d’entrée. C’est sympathique, sans plus … avec un goût suranné et vieillot … Pour résumer (et tout dire ?) ce « Bill Deraime » me fait souvent penser à ce que sortait Eddy Mitchell à peu près à la même époque (« Sur la route de Memphis », « La dernière séance », ce genre …). Et on peut pas dire que le sieur Moine transpire le blues par tous ses pores…


« Bill Deraime », ça ressemble beaucoup plus à du boogie (woogie ou pas) (« Mean old blues », « Baba boogie », du rhythm’n’blues (« Rumeurs »), parfois des touches de rockabilly (« Le train roule ») ou de psychédélisme (« Sur ma chaîne bon marché »). On essaye de se raccrocher à la locomotive Higelin qui vient de virer rock (« Lundi soir », limite plagiat), on tente un risible titre funky (« Musique de fête », le plus mauvais de la galette, on croirait entendre Fugain et son fuckin’ Big Bazar). Il n’y a qu’une paire de titres acoustiques (« C’est dur » et « Impasse du Crépuscule » avec son joli texte hommage à Wilder et au cinéma noir américain) pour le côté roots de l’affaire. Toutes les compos sont originales, les textes sont tous en français, certes travaillés mais ne vaudront pas à Deraime un strapontin à l’Académie Française (c’était cependant pas le but), ça cause fumette, crise d’identité, conflits générationnels, affirmation de la personnalité, ça fait quand même un peu ado attardé (Deraime a trente balais).

Musicalement, ça casse pas des briques, même si beaucoup aimeraient avoir pour un premier enregistrement autant de monde en studio. En plus du Milteau déjà cité, on note la présence des guitaristes reconnus des 70’s Pierre Fanen (ex Zoo et Triangle, genres de Blood Sweat & Tears français) et Christian Lancry, Paganotti à la basse ... Une section de cuivres américaine (les requins de studio Muscle Shoals Horns) participent à quelques titres. Et même si ça confère à l’ensemble une sympathique patine « vite fait bien fait », on sent dans la prod et le mixage un budget qui est loin d’être no limit …

Rajoutez à tout ça la voix quelconque et limitée de Deraime, et on comprend que personne se soit hasardé à une formule du genre « j’ai vu le futur du blues, il s’appelle Bill Deraime ».

La démarche et le bonhomme sont plutôt sympas, son disque est sincère (sortir ce genre de rondelles ne risque pas de voir accoler à son nom l’épithète d’opportuniste), mais bon, pas de quoi se relever la nuit …


MARGUERITE DURAS - INDIA SONG (1975)

 

Valium song ...

« Marguerite Duras, elle a pas écrit que des conneries, elle en a aussi filmées » (Pierre Desproges, très drôle, évidemment, sauf que c’était une tirade sur « Hiroshima mon amour », sublime film de Resnais d’après un scénario de Duras, donc vanne de mauvaise foi …)

Bon, « India song ». Qui d’ailleurs est beaucoup plus de Benoît Jacquot et Bruno Nuytten que d’elle (techniquement, elle fait pas la différence entre une caméra et une 2 CV, elle disait ce qu’elle voulait voir à l’écran, et les acteurs et l’équipe technique devaient se démerder pour arriver au résultat).

Duras & Seyrig

« India Song », c’est l’histoire d’Anne-Marie Stretter, veuve de l’ambassadeur de France à Calcutta dans les années 30, qui accumule les amants (qui défilent à grande vitesse, enfin, façon de parler, et on en reparlera) et rejette le seul type qui l’aime vraiment (le vice-consul de Lahore). Bon, tous les personnages sont fictifs, à part peut-être la veuve, plus ou moins double de Duras jeune. Car avant de devenir le sosie officiel de Karl Zero, Margot Duras était une jeune femme gironde et, comment dire, libérée (« L’amant », son bouquin et le film d’Annaud qui en a été tiré seraient en partie autobiographiques).

« India song », au vu de son titre et du scénario, on peut se dire qu’on va voir au moins un film exotique. Bon, y’a pas de scènes au Taj Mahal … loin de là. Les intérieurs ont été tournés dans des hôtels parisiens (notamment le Georges V, et des hôtels particuliers, dont un, délabré, de la famille Rothschild). Quant aux rares extérieurs, ils ont été tournés à Neauphle-le-Château, le bled des Yvelines où vivait Duras et où, quelques années plus tard, sera assigné à résidence l’ayatollah Gros Minet (merci Coluche) avant qu’il devienne Guide Suprême de la révolution iranienne. Je doute que la féministe et le fondamentaliste aient souvent pris le thé ensemble …

« India Song » a été tourné en moins de deux semaines. Faut dire que pour plein de raisons (le scénar, Duras à la caméra, …), les financeurs se sont pas bousculés. A l’origine, Duras rêvait dans les rôles principaux de Peter O’Toole et Dominique Sanda. Une fois le budget pris en compte, c’est Delphine Seyrig (« un film en quinze jours, je signe pour une année avec elle, ça me fera six mois de vacances » citation tongue-in-cheek mais véridique) qui prendra le rôle principal. Comme elle dépasse le mètre quatre vingt, il a fallu prendre des grands (de préférence débutants et pas trop chers) pour qu’elle ait pas l’air d’une croqueuse de nains. Les deux plus connus aux rôles masculins seront Mathieu Carrière et Michael Lonsdale.

Lonsdale & Seyrig

« India song » est un film en couleurs muet … avec plein de dialogues. Je m’explique. Les acteurs évoluent sans dire un mot, leurs dialogues sont en voix off … plus quatre « récitants » qui exposent et narrent l’histoire. Parce que « India song » se comporte majoritairement de plans fixes que les acteurs traversent en marchant très lentement, ou en dansant, encore plus lentement. Exceptions, quelques rares panoramiques, évidemment très lents et un superbe travelling vers la fin dans les couloirs du Georges V. Il y a même une (longue) scène genre nature morte (c’est pas une photo, on voit la fumée de bâtons d’encens omniprésents dans le film, et ne me demandez pas ce qu’ils viennent foutre là, ces fumigènes odorants) qui réunit la plupart du casting (Madame et ses flirts ?).

Bon, la défense pourra toujours dire que le film est tiré d’une pièce de théâtre du même nom, elle-même tirée d’un bouquin de Duras, « Le Vice-Consul ») ; la défense pourra toujours s’appuyer sur les critiques dithyrambiques de l’époque, reproduites sur la jaquette du Blu-ray et signées Gérard Lefort, Jean de Baroncelli et Henry Chapier, dont l’avis est certes bien supérieur au mien, mais qui ont passé leur vie à défendre des machins intellos qui t’endorment au bout de deux bobines … La défense pourra à juste titre s’appuyer sur le jeu de miroirs d’un certain nombre de plans, où la caméra est judicieusement placée de biais sur un immense miroir mural devant lequel passent ou dansent les acteurs, et on les voit arriver (ou partir selon l’angle) avant qu’ils soient dans le champ de l’objectif, un procédé largement utilisé chez d’autres (Ophuls dans « Madame de … », Losey dans « The servant », …) mais jamais d’une façon aussi systématique (à mon sens, ce procédé est la seule chose à sauver du film). « India song » (titre tiré d’un morceau de jazz qui revient souvent dans la bande-son) est intriguant et original au début, mais cette lenteur sans paroles et sans aucune action (même si ça finit très mal pour Lonsdale et Seyrig), c’est juste insupportable sur la durée, et l’argument, y’a deux films, un film des voix et un film des corps, sur la durée ça tient pas …

Seyrig et ses amants dans les couloirs du Georges V

Des gens à l’époque se sont extasiés de la scène la plus fameuse d’« India song », où on a un plan fixe puis un gros plan (au moins cinq minutes en tout) sur une Delphine Seyrig au sein droit dénudé, couchée à même le sol avec une paire de ses gigolos … autres temps, autres mœurs, et autres réactions …

« India song », c’est le genre de film qui doit passer une fois tous les dix ans à pas d’heure sur Arte, et qui a été remastérisé en 2K récemment (heureusement, tant l’image d’origine paraissait floue et granuleuse (pas sûr que ce soit fait exprès). Combo Blu-ray et Dvd (plus bonus) vendu à prix très raisonnable par la petite boîte d’édition Tamasa (j’ai pas d’actions chez eux, d’ailleurs il risque fort d’y en avoir un d’occase en état mint à la vente bientôt) alors que de vieilles versions Dvd ou VHS coûtent une blinde sur le net …