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JOHN BOORMAN - LE POINT DE NON-RETOUR (1967)

 

Tout commence et tout finit à Alcatraz ...

« Le point de non-retour » (« Point Blank » en V.O.) est le second film de John Boorman. Avec derrière la MGM. Ce qui est quand même un assez remarquable coup de bol. Parce que son premier film était plus ou moins une commande publicitaire sur l’oublié groupe anglais du Dave Clark Five (rivaux des Beatles pendant bien trois jours). Bon, les types de la MGM sont pas des misanthropes, ça se saurait. Ils ont un script, un budget (pas colossal), et l’acteur principal, Lee Marvin.

Boorman & Marvin

Lee Marvin est une « gueule » du cinéma américain, roi des seconds rôles de méchants, voire pire (la sadique défiguration au café bouillant dans « The big heat »), avant la consécration, toujours dans un registre « musclé » dans « Les douze salopards ». C’est sur le tournage de ce dernier que lui et Boorman se rencontrent, et Marvin va aider l’Anglais à peaufiner le scénario et à imposer Angie Dickinson comme premier rôle féminin.

Comme souvent (toujours ?) chez Boorman, le résultat est assez comment dire … décousu (picole ? drogues ? les deux ?). Mais force est de reconnaître que le gars qui n’a même pas trente cinq ans n’a pas froid aux yeux. Certains plans dénotent une originalité certaine (une contre-plongée à travers une grille, bien joué), le montage est vif, même si parfois brouillon (mais c’est fait exprès, témoin les deux flashbacks entremêlés du début, on change d’histoire toutes les dix secondes). Meilleure scène : une baston sauvage dans la pénombre des coulisses d’un club, pendant que sur scène un groupe balance du heavy-psyché-soul (?).Boorman l’a reconnu plus tard, il voulait filmer Lee Marvin à la manière d’un peintre filmant son modèle, ce qui fait que l’histoire est parfois confuse (dans la grande tradition des films noirs des années quarante et cinquante), et tous les autres rôles sous-employés. Même si ça fait parfois un peu trop démonstratif, genre « t’as vu les images que je peux amener sur l’écran », Boorman se montre brillant caméra au poing, et son sens de la mise en scène éclipse souvent l’histoire et ses acteurs.


Lee Marvin est Walker (pas de prénom, on sait pas si c’est son nom ou un surnom). Petit délinquant branché par un pote sur un gros coup, braquer une transaction de dope pour récupérer le pognon. Mais tout dérape. Il devait pas y avoir de violence, mais le pote allume (« neutralise » comme dirait Gégé Darmanin) deux types. Ensuite du pognon, y’en a moins que prévu. Et pour couronner le tout, le « copain » tire sur Walker, le laisse pour mort, et se casse avec le pognon et la fiancée de Walker. La meuf, Walker qui n’a rien d’un romantique, s’en fout un peu beaucoup. Par contre, son obsession sera de se venger et de récupérer quatre vingt treize mille dollars, sa part du butin.

Le braquage s’est passé dans la cour de la prison d’Alcatraz. Alcatraz (The Rock dans la langue de Dos Passos), est un mythe de la culture policière américaine. Sur ce caillou de la baie de San Francisco, a été construit et mis en service au début des années 30 un centre pénitentiaire d’où l’on ne s’évadait pas (certains ont essayé, mais les eaux glaciales de la Baie ont fait qu’ils n’ont jamais atteint la terre ferme), et qui recevait les prisonniers les plus « compliqués » (grands mafieux, serial killers, ce genre). La prison sera désaffectée en 1963, et les bâtiments laissés à l’abandon. « Point Blank » sera le premier film qui y sera (en partie) tourné avant que Clint Eastwood s’en évade et que Sean Connery y reprenne (sans le dire évidemment) son rôle de James Bond (« Rock » avec Nicolas Cage et Ed Harris). A noter que pour « Point Blank », la MGM a beaucoup communiqué, invitant des équipes de télé sur le tournage, et organisant une séance de shooting de mode pour les deux rôles féminins principaux (Dickinson et l’oubliée Sharon Acker) qui dans le film ne mettent pas les pieds sur l’île (Dickinson) ou n'y ont qu’une courte scène (Acker).

Bon, revenons à Walker-Marvin. Laissé pour mort dans une cellule, il regagne San Francisco à la nage, et quelques mois plus tard, on le retrouve sur la trace de son ex (et donc de son pote ripou) à Los Angeles. Il trouve d’abord la femme (Sharon Acker) qui se suicide illico aux barbituriques, et avec l’aide d’un mystérieux indic toujours là au bon moment, se lance à la recherche du pognon et de son ex-pote. Il sera aussi aidé par sa belle-sœur (Angie Dickinson) et s’apercevra vite que son pote n’était qu’un sous-fifre d’une vaste bande de voyous (certains en col blanc), l’Organisation. Méthodiquement, Walker remontera sa hiérarchie, entassant derrière lui les cadavres et toujours dans l’espoir que quelqu’un va lui refiler son pactole. L’épilogue, avec le chef suprême de l’Organisation, aura lieu lui aussi dans la cour de la prison d’Alcatraz.

Angie Dickinson & Lee Marvin

Walker, qui n’est pas vraiment un « bon », est confronté à une galerie de personnages plus retors ou violents les uns que les autres (gros bras, snipers, …, sans compter le triumvirat hiérarchisé des chefs), peine à se laisser séduire par Angie Dickinson (faut le faire, en plus elle est vraiment de son côté), mais est toujours prêt à l’affrontement violent. Le film est concis, ramassé (moins d’une heure et demie), on a parfois du mal à suivre, il y a quelques incohérences (plus les types sont haut placés dans l’Organisation, moins ils sont gardés et protégés, par contre son ancien pote est constamment entouré par une bonne demi-douzaine de gardes du corps – flingueurs).

« Point Blank », au final, c’est quelque part entre la série B et le classique. Lee Marvin (c’était le but du jeu) crève l’écran, et tant son personnage que le film se révèlent être cousins de « Get Carter » (avec le toujours excellent Michael Caine), de quasiment toute la filmo de Bronson, et de quelques-uns de celle de Clint Eastwood.


JEAN-FRANCOIS RICHET - MESRINE L'INSTINCT DE MORT (2008)

 

Ascenseur pour l'échafaud ...

Bon, il a pas fini sur l’échafaud, Mesrine (puisque « L’instinct de mort » est le premier d’un diptyque de films biographiques qui lui sont consacrés), mais il aurait pu, pour peu que les cowboys du commissaire Broussard aient tenté de l’arrêter au lieu de le cribler de balles Porte de Clignancourt. Mais c’est une autre histoire et un autre débat … un autre jour peut-être, si j’en viens à causer de « L’ennemi public n°1 » la suite (et fin) de « L’instinct de mort ».

Cassel, Richet & Cécile de France

Quand « L’instinct de mort » est mis en chantier vers la fin de la première décennie des années 2000, il y a presque trente ans que Mesrine est mort, et que ses (mé)faits font figure de babioles face à des pervers serial killers (les Heaulme, Fourniret, Louis, …), ou les futurs djihadistes à kalach … Il n’empêche que surtout durant les 70’s, le Jacquot Mesrine à défrayé la chronique, et pas qu’une fois … Roi du braquage, de l’évasion, de la com, mettant en scène sa propre histoire et légende …

L’histoire de Mesrine transposée sur grand écran, c’est l’affaire de deux hommes (quoique, on y reviendra), Jean-François Richet et Vincent Cassel. Le premier est un banlieusard militant, le self made man venu des cités, le second est un fils de ... venu des beaux quartiers et qui se la surjoue rebelle (sa fascination moultes fois étalée pour le gangsta-rap et les délinquants d’une façon générale). Alors quand le premier est venu trouver le second pour lui proposer le rôle de Mesrine, pensez si le fils de Jean-Pierre Cassel a été d’accord. L’occasion de jouer un dur autrement plus consistant et célèbre que le Vince de « La haine ». Et on sent le metteur en scène et l’acteur principal fascinés par le truand le plus célèbre de son époque. Et Cassel va y aller à fond, dans une performance digne de l’Actor’s Studio genre De Niro dans « Raging Bull ». Cassel prendra au long du tournage une vingtaine de kilos pour suivre les transformations physiques de son personnage.

Le scénario pour tourner un biopic de Mesrine, c’est pas mission impossible pour l’écrire. La documentation ne manque pas, que ce soit l’autobiographie de Mesrine (« L’instinct de mort »), et tous les entretiens qu’il a donnés à la presse dans les 70’s. Richet choisit la chronologie (sauf pendant le générique de début, qui en split screen, nous montre l’embuscade finale en 1979), procédant par bonds dans le temps, des incrustations sur l'image situant la date et le pays.

Depardieu, Cassel & Lellouche

Toute sa vie, Mesrine a été un solitaire, mais qui cherchait la compagnie, des femmes, mais aussi ponctuellement ou pour quelques mois d’autres truands avec lesquels il sévissait, au hasard de rencontres, notamment en prison où il a passé pas mal de temps. On commence donc avec la violence des tortures et des assassinats lors de la guerre d’Algérie où il était bidasse, avant la démobilisation et le retour chez papa-maman. La maison familiale est juste un point d’ancrage, car un de ses vieux copains (joué par Gilles Lellouche, son personnage est quasiment le seul inventé pour les besoins du film), le met en relation et l’intègre aux hommes de main et à tout-faire d’un caïd de la mafia parisienne membre de l’OAS, Guido. Ce dernier est joué par un Depardieu pour une fois tout en retenue, alors que son personnage pourrait donner lieu au jeu outré et expressif dont il est coutumier. Depardieu, Lellouche, les parents Mesrine (Michel Duchaussoy et Myriam Boyer), ses premières maîtresses, sa première femme, sa compagne braqueuse (Cécile de France à contre-emploi, brune en cuir et darkshades), ne sont là que pour quelques scènes. Cassel, lui, est quasiment toujours à l’image. Certainement le rôle de sa vie, sa fascination pour la truandaille (comme avant lui Melville et Delon) trouve un exutoire en la personne de l’exubérant Mesrine.

Cassel, que j’apprécie pas particulièrement, joue juste, rendant bien la faconde et la démesure violente et égomaniaque du personnage. Mesrine n’était pas le Robin des Bois moderne que certains ont cru (ou voulaient) voir en lui (et lui-même a toujours démenti cette image d’Epinal). Mesrine prenait du fric aux riches (les grosses entreprises, les banques, les casinos, les milliardaires qu’il kidnappait, …), mais ne le refilait pas aux pauvres, il le claquait en babioles pour ses femmes et/ou maîtresses, flambait (et perdait gros) aux tables de poker, et finançait son quotidien (vivre caché entouré d’un luxe de précautions quand toute la flicaille de France essaye de te serrer coûte cher).

Il y a quand même un problème avec « L’instinct de mort ». Pour moi, il s’appelle Richet. Le gars (qui a pourtant réussi comme d’autres expatriés européens avec de gros budgets aux States) assure tout juste. Le making-of du film est révélateur. Le metteur en scène, c’est Cassel, qui suggère, propose (ou plutôt impose), remanie parfois le script, place les caméras, les autres acteurs. Problème, Cassel n’est pas un réalisateur, et Richet, on l’aperçoit tout juste assis dans un coin, observant et écoutant son acteur principal diriger le tournage. Encore plus flagrant quand Depardieu et Cassel ont des scènes ensemble, Richet disparaît totalement de la circulation, attendant que les deux aient arrangé les scènes … Richet filme sobrement, et parfois trop sobrement. Son montage est très académique. Et quand il s’essaye à une « fantaisie » (dont il semble très fier), un effet tournoyant de caméra quand Cassel-Mesrine est enfermé au cachot dans un QHS de prison canadienne, ça dénote totalement avec le reste des prises de vue. Problématiques aussi, les scènes de gunfights. Outre une paire de ralentis accélérés sur les balles de revolver à la « Matrix » dispensables, il manque cruellement de rythme. On est loin des gunfights de Michael Mann dans « Heat » ou de la folie furieuse de Ridley Scott dans « La chute du Faucon Noir ». Flagrant notamment lors de l’attaque par Mesrine et son complice québécois de la prison où ils ont été enfermés et où ils reviennent après s’être évadés pour libérer les autres détenus. Plus gros foirage à mon sens, le face à face de Mesrine et son pote avec les gardes-chasse canadiens, qui manque singulièrement de tension, alors que c’est la dernière scène du film.

M. et Mme Mesrine

Il me semble que Richet a été dépassé par l’enjeu (et le budget conséquent de 45 millions pour le diptyque). Il a eu les moyens (tournage en France, en Espagne, au Canada, et même à Monument Valley alors que Mesrine n’a jamais foutu les pieds en Utah, il a été arrêté avant d’y arriver en Arizona). A son crédit, il a bien rendu la violence (souvent générée par lui-même) dans laquelle baignait Mesrine.

Conclusion, « L’instinct de mort » est un bon film, quand même en dessous de ce qu’aurait pu donner la démesure du personnage hors norme (quoi qu’on pense de lui) dont il raconte les premiers faits d’armes. Le second volet (« L’ennemi public n° 1 ») c’est encore plus un one-man show de Cassel … après, verre à moitié vide ou à moitié plein, chacun est libre de choisir son camp …


PETER WEIR - MASTER AND COMMANDER DE L'AUTRE COTE DU MONDE (2003)

 

Il était un petit navire ...

… qui avait beau beau beaucoup navigué … Et qui s’appelait le HMS Surprise, et qui comme son nom l’indique (Her Majesty Service) portait fièrement les couleurs de l’Union Jack pour défendre sur mer les intérêts de la Couronne contre les coques de noix affrétées directement ou en sous-main par l’infâme Napoléon Bonaparte à qui l’on prêtait l’intention en ces années-là (tout début du XIXème siècle) d’envahir grâce à sa marine la toujours perfide Albion …

Weir & Crowe

Le HMS Surprise, deux douzaines de canons et quasiment 200 hommes à bord (militaires, marins, hommes d’équipage, personnel d’entretien, …) se trouve en avril 1805 au large des côtes brésiliennes lorsque commence le film. Il ne va pas tarder à rencontrer si l’on peut dire son âme-sœur (en deux fois plus balèze) le navire corsaire français l’Achéron (pour bien montrer que c’est un esquif méchant, on l’a baptisé du nom d’un fleuve des enfers dans la mythologie grecque). Les infâmes froggies profitent du brouillard pour s’approcher, attaquer et mettre à mal le bateau des rosbifs. Sans l’expérience et la rouerie de son capitaine Jack Aubrey, dit Jack la Chance (qui rentre dans le banc de brouillard pour éviter d’être coulé), le film n’aurait pas duré longtemps …

Dès lors, le capitaine Aubrey n’aura de cesse de traquer l’Achéron autour de l’Amérique du Sud. La seconde rencontre sera aussi synonyme de branlée pour les Anglais, et la troisième confrontation sera (on le voit venir depuis le début) la bonne …

Le scénario de base est digne d’un téléfilm de France 3 Limousin (l’obstination du « bon » contre le « méchant » qui finit par triompher), j’aime pas la mer, encore moins les bateaux, et pas trop les Anglais dont on dirait qu’ils sont juste là pour nous faire la guerre et nous battre au rugby (même si sur ces deux aspects ils sont en train de s’améliorer, ils prennent des roustes au rugby) … donc tout ça pour dire que « Master and Commander …», il se pointait pas chez moi sous les meilleurs auspices …

Bettany & Crowe

Passées les deux heures et quart du film, j’aime toujours pas la mer, les bateaux et les Anglais, mais j’aime plutôt bien « Master and Commander … ». Qui en plus de ses a priori défavorables déjà évoqués, affiche en tête de générique le nom immensément bankable pour le capitaine Aubrey de Russell Crowe (le seul à figurer sur la jaquette) qui en trois ans, vient d’être nominé trois fois aux Oscars dans la catégorie meilleur acteur (et gagnant pour « Gladiator »). Bon, tant qu’on est dans les amabilités, Crowe pour moi, c’est Bronson en blond, juste capable de faire son regard noir annonciateur de mauvais temps pour ses interlocuteurs, le castagneur bien bourrin … or ici, il a un personnage un peu moins taillé à la hache, et un interlocuteur-contradicteur campé par Paul Bettany (Maturin dans le film), scientifique homme à tout faire (et surtout réparer les estropiés), et doublé d’une humaniste. Cette opposition entre les deux amis dans le film fait déborder « Master and Commander … » du strict cadre du film d’action. Entre deux joutes verbales où s’opposent deux définitions du Bien et du Mal, le devoir et l’obstination face à la raison et la science, les deux compères se retrouvent dans la cabine du capitaine pour jouer des airs classiques, Crowe au violon et Bettany au violoncelle. A noter que les deux ont réellement suivi un entraînement intensif pour ces instruments, ce sont eux qui jouent vraiment (même s’ils sont doublés par de vrais pros sur la bande-son, il n’y avait paraît-il pas trop de pains à l’origine).

Derrière la caméra, Peter Weir (plein de succès au box office, d’abord en Australie, puis plus tard dans le reste du monde supposé libre). Qui voulait absolument Crowe pour le premier rôle (par solidarité antipodique, les deux étant australiens ?). Bonne pioche, Crowe n’est pas pour rien dans le succès du film. Revers de la médaille, les relations, ont été sinon tempétueuses, du moins fortement houleuses entre les deux …

Le scénario est tiré d’un bouquin d’une interminable saga nautique d’un certain Patrick O’Brian (évidemment un Anglais, malgré son pseudo irlandais), adapté par Weir (pour être sûr de ne fâcher personne aux Etats-Unis, le bateau « ennemi » à l’origine américain est devenu français, et rien que sur ce sujet, y’en aurait des choses à dire …). Weir est un type sérieux, pour pas dire austère. Il sait qu’il va pas falloir se contenter de deux maquettes dans une bassine et trois effets spéciaux pour faire un film d’action crédible. D’autant qu’en matière de bateaux, un certain James Cameron vient de placer la barre plutôt haut … « Titanic » n’est jamais évoqué dans les bonus du Blu-ray même si, comment ne pas penser sur un plan qui nous montre Crowe et Bettany en haut d’un mât à Di Caprio et Winslet à la proue du Titanic … Manque juste la Dion en train de brailler une de ses insanités habituelles (dans « Master … », c’est de la musique classique, qui n’est pas forcément moins pompière d’ailleurs, merci Mozart, Bach et consorts …).


« Master … » ne sentait pas le film fauché au départ. Avant même d’avoir finalisé son scénario et complété son casting, Weir (ou plutôt la Fox), avait acheté un vrai voilier d’époque. Ce sera le HMS Surprise, il sera réellement en mer, et certaines scènes y seront tournées (par temps calme, faut pas non plus demander à des acteurs et une équipe technique de manœuvrer ce bestiau par gros temps). Parallèlement, une copie grandeur nature sera réalisée par l’équipe du film, montée sur vérins, immergée dans un gigantesque bassin dans les studios de Baja (propriété de la Fox), au Mexique. C’est cette réplique qui donnera certaines scènes de combat et de gros temps. Deux morceaux de navire (un pour le HMS Surprise et un pour l’Achéron) serviront pour l’abordage final. Plus évidemment les maquettes qui serviront de base aux trucages numériques. On voit que d’entrée, « Master … » était tout sauf un film à petit budget.


Rajoutez les tenues d’époque, une vraie escale dans les Iles Galapagos (parfois retouchées numériquement, mais la plupart des bestioles rencontrées par Maturin et ses deux accompagnateurs font réellement partie de la vraie faune locale. Rajoutez aussi un travail colossal sur le son (tous ces bruits boisés dans le bateau, de vrais essais dans un champ de tir de l’armée américaine de vrais canons d’époque pour savoir où et comment placer les micros pour reproduire leur vrai son). Rajoutez un parti pris de beaucoup de pans larges y compris lors des scènes de bataille (nécessitant donc la participation de dizaines de figurants ou cascadeurs), des préparations minutieuses pour des séquences « one shot » (avec destruction de fausses parties du navire) filmées sous plusieurs angles par quatre caméras, pour que si un truc déconne dans un coin, on ait d’autres angles de prise de vue pour exploiter la scène sans avoir à la refaire … Cerise sur la gâteau maniaque du réalisme, lors de la tempête au passage du Cap Horn, ce sont de vrais vagues du Cap Horn (tirées d’un documentaire maritime) qui, ramenées à grands coups d’ordinateur à l’échelle de la maquette du bateau, servent de décor à une des scènes épiques du film (démâtage, marin tombé à l’eau sacrifié, …). Tout se veut réaliste dans « Master … », ce qui nous vaut aussi beaucoup de sang lors des bastons et quelques scènes crispantes (l’amputation du tout jeune aspirant, la trépanation d’un vieux marin, l’auto-opération de Maturin lorsqu’il s’est accidentellement ramassé une balle dans le buffet, …)

Tout ça coûte forcément une blinde. Le point faible du film, c’est donc qu’il repose beaucoup sur Crowe (et un peu sur Bettany). Le reste du casting (composé de « gueules » venues essentiellement du théâtre anglais), c’est à peu près des figurants muets, les seconds rôles parlants sont peu nombreux et les histoires dans l’histoire qu’ils peuvent générer guère captivantes (le sous-off accusé d’être le chat noir de l’équipage et qui finit par se balancer à la flotte lesté d’un boulet de canon, …).

« Master and commander … » est un film à grand spectacle qui est … spectaculaire. Mission accomplie …



Du même sur ce blog :

STEVEN SPIELBERG - LES AVENTURIERS DE L'ARCHE PERDUE (1981)

 

Le meilleur ?

De la série des Indiana Jones ? De Spielberg ? Des films d’action et d’aventure ? Si on veut, et même si on veut pas d’ailleurs, tant on a affaire à un film hors-norme …

Spielberg, Lucas & Ford : tiercé gagnant

Qui a mis à l’écran un personnage créé de toutes pièces pour les besoins d’un film, l’archéologue-aventurier Indiana Jones (entendez par là que c’est pas un héros de bande dessinée type Marvel, ou de romans d’espionnage à la James Bond). Non, Indiana Jones est né si l’on en croit la légende d’une discussion sous les palmiers à Hawaï entre George Lucas et Steven Spielberg, même pas soixante dix ans à eux deux au moment des faits, et déjà un passé bien rempli niveau succès au box office …

Le résultat, pour moi, c’est mater une page blanche sur le traitement de texte … Qu’est-ce que vous voulez bien que je raconte sur ce film qui n’ait pas été dit ou écrit des centaines de fois et en mieux à la télé, sur des journaux, dans les recoins du Net ? Même E.T. ou l’Alien doivent avoir donné leur avis …

Eux, il les aime pas ...

Moi, ce qui me scotche, c’est passé le pré-générique en incrustation sur trois types qui avancent en sueur dans la jungle, les dix « vraies » premières minutes du film (jusqu’au coup du serpent dans l’hydravion). Il se passe un truc exceptionnel au sens littéral du terme toutes les dix secondes. Ces dix minutes-là, des types connus et reconnus derrière la caméra n’en ont même pas rêvé comme le final d’un film, et Spielberg l’a fait, jeté là en guise d’amuse-gueule ... Moi c’est bien simple je vois que deux trucs qui approchent (sans l’égaler) ces premières scènes. Le début de « GoldenEye » (James Bond chez les Soviets) qui se termine par cette cascade surréaliste de Bond balançant une moto dans le vide pour l’abandonner, continuer en chute libre et s’assoir aux commandes d’un avion sans pilote en piqué dans le même ravin. Et le début de « Game of Thrones », à l’opposé, tout en lenteur glaciale et glaçante, sans quasiment un mot, au milieu de paysages enneigés avant que les Marcheurs Blancs (les zombies de George RR Martin) commencent à décapiter du patrouilleur de la Garde de Nuit … En fait, le cinéma c’est comme le rock, si t’as une bonne intro, t’es quasiment sûr que le morceau va être réussi (l’occasion de signaler que John Williams a pondu un thème aussi évident qu’un titre de Chuck Berry) … Et « GoldenEye » est un des meilleurs James Bond, et « GoT » est peut-être bien le phénomène culturel de ce début de siècle, une odyssée qui oblige à repenser le terme de « série » … et « Les aventuriers de l’Arche perdue » enterre toute concurrence passée, présente et future dans son genre, et Moïse et ses Tables de la Loi doivent le savoir, c’est pas faute d’impétrants qui s’y sont essayés dans le genre …

Eux non plus ...

« Les aventuriers … » c’est le film qui rend le surnaturel naturel … et je suis pas vraiment fan des nuages de fumée maléfiques (le « Dracula » de Coppola, « Ghostbusters », « The Thing » de Carpenter, etc … enfin « The Thing » mauvais exemple, le film est bon). « Les aventuriers … » ce sont les scènes improvisées qui deviennent culte (l’Arabe en noir avec un grand sabre qui se prend une balle, au départ ce devait une baston avec Indy et son fouet, Harrison Ford avait la gastro, pouvait pas jouer une scène de combat et a donc suggéré que la confrontation soit expéditive)… Tiens, Harrison Ford, en voilà un qui a intérêt à dire du bien de Lucas et Spielberg, jouer Hans Solo chez l’un et Indiana Jones chez l’autre, ça t’évite quand même d’aller sur le simulateur de retraite du gouvernement, pour voir quel cercueil tu vas pouvoir te payer quand t’auras fini de bosser, si t’es pas déjà mort avant …

« Les aventuriers … » est un film parfait, un rythme qui ne faiblit jamais, c’est drôle quand il n’y a pas d’action, et même quand il y en a (Indiana Jones n’est pas Jason Bourne ou Rambo), ses exploits sont souvent accidentels, parce qu’il se retrouve pris dans l’imprévu et qu’il improvise. Sous cet aspect-là, il est un peu le père de John McLane-Bruce Willis dans la série « Die Hard », et le fils de Belmondo dans « L’homme de Rio » (l’influence revendiquée de Spielberg, alors que tout le monde a cru que le modèle d’Indiana Jones c’était Tintin, raté, Spielberg connaissait pas les BD d’Hergé …)

Elle, il l'aime bien ... quand il a le temps ...

Le scénario (Lucas et Spielberg pour la genèse, Lawrence Kasdan et Philip Kaufman pour l’écriture, c’est quand même une putain de Dream Team tout ça) prend le temps (mais où l’ont-ils trouvé le temps) de poser le personnage d’Indiana Jones, parce que dès le départ, si le premier marchait (il a un peu marché, rapporté vingt fois la mise, un des films les plus rentables des années 80), une ou plusieurs suites étaient prévues. Quand il est pas casse-cou à la recherche de bibelots antiques, Mr Jones est un type assez compliqué dans ses rapports familiaux et amoureux (son ancienne promise Marion, bien interprétée par Karen Allen, traverse le film à cent à l’heure, encore plus speed que son (ex)mec), il aime pas les serpents et les nazis, deux espèces particulièrement dangereuses qu’il croisera souvent dans les autres épisodes de la série, qui seront bons, mais pas autant que l’inaugural (malgré des séquences encore plus folles, Spielberg et son héros ne retrouveront pas le rythme effréné du premier).

Donc, pour répondre à mes trois questions à la con du début, « Les aventuriers de l’Arche perdue » est le meilleur de la série, le meilleur film d’action et d’aventure des cent trente dernières années … et le meilleur de Spielberg ? Pas loin pour moi. Pour faire mon malin, je vais vous dire que je préfère le plus atypique des ses films, « Lincoln », tout en lenteur et tons sombres, avec (comme toujours) une prestation extraordinaire de Daniel Day-Lewis …


Du même sur ce blog :

Le Secret De La Licorne

Lincoln



CHIA-LIANG LIU - LA 36ème CHAMBRE DE SHAOLIN (1978)

 

Kung Fu Fighting ...

Allez, sortez-vous du passage et faites-moi pas chier, où je vous fracasse, là je suis à donf dans ma période kung fu, et if you want blood, je vous aurai prévenu … Vous me connaissez pas, j’suis comme Brad Pitt face à Bruce Lee dans « Once upon a time in Hollywood », capable de foutre une branlée à n’importe qui …

Bon, on rembobine … parce que j’ai seulement trois ou quatre classiques ou prétendus tels du genre, donc à peine plus que le premier Pialat ou Rohmer venu … et que j’aimerais bien filer plein de torgnoles à tout un tas de relous, mais comme j’ai peur d’en prendre encore plus, je la joue cool, tout en diplomatie, qui comme chacun sait, est l’arme ultime des lâches …

Liu & Liu

Parce que là, avec « La 36éme chambre … » on cause d’un grand classique de films de kung fu, et que même Tarantino l’a dit. A preuve il a embauché l’acteur principal du film, Gordon Liu, pour tenir un second rôle dans « Kill Bill ». Bon, quand Tarantino se dit fan d’un film, faut raison garder, il est fan de millions de films, dont certains ont fait trois entrées lors de leur parution. Mais c’est pas le seul, le séminal gang de rappers, les vrais durs de durs Wu-Tang Clan ont intitulé leur premier disque « Enter the Wu-Tang (36 chambers) », pas vraiment par hasard.

Il faut bien reconnaître qu’après la mort de Bruce Lee et avant l’arrivée de Jackie Chan, les fans de baston asiatique manquaient de héros charismatiques. Gordon Liu fut celui-là. Niveau charisme, plutôt par défaut. Silhouette longiligne, jeu d’acteur comment dire, plutôt limité, mais le gars avait des années de pratique d’arts martiaux et était capable de faire le job, le gentil qui nique sa race à tous les méchants. Parce niveau manchettes dans ta face, il assure le Gordon. Faut dire que derrière la caméra, y’a un autre vrai combattant, venu un peu par hasard à la réalisation, Chia-Lang Liu. Qui a peut-être un lien de parenté avec Gordon Liu, les universitaires de la Wikipedia Encyclopedy Inc. n’arrivant pas vraiment à s’accorder sur le sujet. La où le doute n’est pas possible, c’est qu’avec un film de kung fu made in Hong Kong, on est sûr d’avoir derrière tout ce beau monde Run Run Shaw et sa Shaw Brothers. Et vous savez quoi ? on a raison d’être sûr …

Un bon au milieu des méchants

« La 36éme chambre … » se base sur un fonds historique, lors de la guerre plus ou moins civile qui opposa au long du XVIIème siècle la dynastie Ming aux « conquérants » et « envahisseurs » mandchous, dans une sorte de prequel d’un « Game of Thrones » asiatique. Gordon Liu joue le rôle d’un moine combattant qui s’est opposé aux mandchous ; le personnage aurait semble-t-il vraiment existé, mais pas vraiment de la façon quasi fantasmatique dont on nous le montre dans le film.

Dans « La 36ème chambre … », l’action commence dans Canton occupée par un sanguinaire général mandchou et ses deux cruels lieutenants. Gordon Liu (au nom imprononçable en V.O.) est un jeune étudiant gringalet qui sous l’influence d’un de ses professeurs, entre en résistance, en faisant passer par l’intermédiaire des poissons salés (!!) de son père des messages aux troupes de libération. Las, les sournois occupants s’en aperçoivent et exterminent le réseau de résistants. Bien que blessé, Liu réussit à s’enfuir et se promet de venger ce carnage. Du classique, du facile à suivre. Il se rend  alors au temple bouddhiste de Shaolin, où il est autorisé à rester bien que laïc. Particularité du temple, c’est la plus grande et la meilleure école d’arts martiaux du pays, 35 chambres y sont présentent, chacune enseignant une technique de combat ou un développement d’une partie du corps. Et évidemment, notre Robert Pires aux yeux bridés va muscler son jeu pendant des années, finissant par surpasser les maîtres enseignant dans les chambres.

A l'entraînement

Eh toi, là, pourquoi tu causes de 35 chambres alors qu’il y en a 36 dans le titre ? et bien la 36éme est celle où l’on apprend toute la sagesse bouddhiste, mais le maintenant costaud Gordon Liu, devenu le moine shaolin San Te (à la tienne aussi) préfère et obtient l’autorisation du Grand Maître du Temple aller créer sa 36ème chambre à lui à l’extérieur, pour y former de futurs rebelles à l’occupant mandchou. Pas besoin d’avoir un esprit supérieurement acéré pour comprendre que les méchants vont salement dérouiller …

On l’a bien compris, c’est pas la subtilité du scénario qui a fait de « La 36ème chambre … » un film culte au succès populaire immense en Asie, et une référence dans grand nombre de ghettos et de banlieues européens ou américains. Par contre, les scènes d’action, d’entraînement et de combat, restent des références du genre. C’est magistralement chorégraphié par le Liu derrière la caméra, et le Liu qui est devant, comme l’ensemble du casting, se livre à démonstrations visuelles époustouflantes, qui tiennent autant de la danse (un peu trop parfois) que du numéro de cirque (un peu trop parfois aussi) …

Alors, certes ça a tout pour ravir le « cœur de cible » du public, mais pour moi, en même temps qu’on atteint une forme de sommet, on touche aussi aux limites du genre. Les acteurs sont mauvais, tellement caricaturaux et outranciers dans leur jeu que ça finit par devenir contre-productif, les scènes censées faire rire ou sourire arrivent comme des cheveux sur la soupe …

Il va leur mettre des bâtons dans les roues ...

Ouais mais voilà, moi j’ai pas grandi dans les banlieues et les barres HLM prolos, j’ai pas connu le rituel des samedi soirs autour des salles de cinéma un peu péraves de quartier qui projetaient « autre chose » que ce qu’on voyait dans les salles capitonnées des centre villes. Dans ces endroits que les bien-pensants qualifiaient de « mal famés », toute une partie de la jeunesse n’avait que l’exutoire de ces films de baston asiatiques pour rêver et s’enlever de la tête les blocs de béton de leur quotidien. Il fallait des héros à ces gens-là, la Shaw Brothers les leur a fournis pendant des décennies … même si in fine le message et les codes étaient assez douteux. Qu’est-ce qui est mis en avant dans « La 36éme chambre … » ? Le travail (les longues années d’entraînement pour devenir un grand combattant), la famille (tous les autres se font buter, il faut les venger), la patrie (il faut se libérer de l’envahisseur). Bon, me faites pas dire que Gordon Liu est le Pétain du kung fu, mais finalement, ce qui était souvent perçu comme « transgressif » dans cette forme de culture n’était que redite avec d’autres codes des choses les plus conformistes et bien-pensantes de la société dominante …

Oh, ‘tain, je vais m’en prendre une, là … tout ça pour dire que si esthétiquement et visuellement ça peut parfois le faire, on n’est pas avec « La 36éme chambre de Shaolin » face à une référence de quelque culture ou contre-culture que ce soit. Le film de baston après Bruce Lee, c’est comme le reggae après Bob Marley, on connaît la recette, y’a tous les ingrédients, mais il manquera toujours le savoir-faire du chef …


KING HU - L'HIRONDELLE D'OR (1966)


 Wu Xia Pan ...

« L’Hirondelle d’Or » est sorti en 2004 en France, soit trente huit ans après sa sortie asiatique … il y aurait des feuillets entiers à écrire pour disserter sur ce décalage temporel. D’autant plus qu’on n’a pas là un quelconque film au succès confidentiel en son temps. Je vous fais grâce de son titre original, mais sous son intitulé « international » lors de sa sortie « Come drink with me », il fut le plus gros succès asiatique du box office 1966.

King Hu

Le film est sorti sous les couleurs de Hong Kong. Donc fatalement il y a du Shaw là-dessous. Et même du Run Run Shaw, le plus connu des quatre frangins qui d’abord ensemble puis chacun dans leur coin, ont monté un empire cinématographique qui a régné en maître dans les salles asiatiques pendant quatre décennies. Avec une organisation quasi militaire, une ville dans la ville. Les studios Shaw étaient un monde qui vivait en vase clos, tout le personnel qui y travaillait (du balayeur au réalisateur, en passant par les acteurs et scénaristes, plus des ateliers culturels de théâtre, de danse, d’opéra, …) était logé sur place. De la chambre de bonne (pour les anonymes) aux villas grand luxe (pour les stars), et tout ce petit monde bien tenu en laisse par des contrats léonins d’exclusivité … A Hong Kong à cette époque, si on était dans le cinéma, y’avait toutes les chances qu’on soit salarié de Run Run Shaw …

C’est dans sa société (Shaw Brothers) que grouillote King Hu. Acteur, scénariste, décorateur, etc … C’est évidemment aussi dans la même entreprise que sont employés, tout en bas de l’échelle, Cheng Pei-pei (elle vient du ballet classique, fait de la figuration au théâtre) et Yueh Hua (fait d’armes marquant : un second rôle déguisé en singe). La premier va réaliser, les deux autres auront les rôles principaux. Ah, ma bonne dame, ça rigolait pas à la Shaw Brothers, une quarantaine de films étaient produits chaque année, tout le monde pouvait avoir sa chance …

Cheng Pei-pei

Les nuls en films de baston (comme moi) vous diront que « L’Hirondelle d’Or » est un film de kung fu. Sacrilège, c’est une pièce maîtresse du genre wu xia pan (et ne me demandez pas de traduire), en gros un film de baston avec des poignards ou des sabres, dont l’histoire est inspirée par des légendes des siècles précédents. De toutes façons, la plupart des films de Hong Kong et de la Shaw Brothers sont à cette époque-là des films de baston, il a fallu catégoriser pour que les spectateurs s’y retrouvent …

« L’Hirondelle d’Or » est un film qu’on pourrait qualifier de récréatif. Pas besoin de se prendre le chou pour suivre, les gentils ils sont gentils et un peu naïfs, et les méchants ils sont méchants et un peu pervers. Un univers tolkienesque à la sauce Ming en quelque sorte puisque l’histoire est censée se passer à cette époque-là.

On voit donc un groupe de bandits, les 5 Tigres, menés par un type tout en blanc et le visage crayeux (bien nommé Tigre-à-la-face-de-jade) arrêter dans la cambrousse un convoi de prisonniers conduit par le fils du gouverneur, massacrer tout ce qui porte un uniforme, et prendre le fiston comme otage afin de faire libérer l’un des leurs embastillé à la ville.


Même en ces temps sans téléphone portable et montres connectés, les nouvelles vont vite et le gouverneur envoie son meilleur élément, l’Hirondelle d’Or (fille du gouverneur et sœur du captif) avec pleins pouvoirs pour « négocier » (en clair, dégommer tous les méchants). Fidèle à la stratégie qu’elle s’est fixée, l’Hirondelle commence à faire le ménage chez les bandits dans une auberge, baston géante à un (ou plutôt une) contre une bonne douzaine. Très vite, on se rend compte qu’elle est aidée, semble-t-il involontairement par un poivrot qui se trouve là … et qui lui sauve la vie quand elle part seule à l’assaut du repaire des truands, avant d’imposer son plan à lui ...

Comme le film s’appelle « « L’Hirondelle d’Or », on peut raisonnablement penser que l’héroïne est Cheng Pei-pei. Ouais, sauf qu’elle disparaît de l’image, saine et sauve, mission accomplie, un bon quart d’heure avant la fin du film. Et que la suite nous montre le faux poivrot, en réalité un maître en kung-fu, affronter un de ses condisciples pour un bambou sacré, héritage de leur maître commun.

En fait, comme le disait son titre original, « Come drink with me », le héros du film devait être le poivrot (assez mauvais acteur, voire pire). Sauf que le public n’a eu d’yeux que pour la belle Cheng Pei-pei (même pas vingt ans), qui a semble-t-il révolutionné les films d’arts martiaux. En tenant un rôle quasi exclusivement dévolu aux hommes, et en imposant dans les combats une esthétique très chorégraphiée (elle n’a jamais pratiqué quelque sport de combat que ce soit). Toute en souplesse, en vitesse, très féline dans ses déplacements, sa performance a redéfini toute l’esthétique des combats dans les films d’arts martiaux (le chorégraphe qui régissait les scènes de bataille a fini sur les films de Bruce Lee), à une époque où on tournait pas image par image ce genre de bagarres.

Cheng Pei-pei & Yueh Hua

Malgré le succès du film, la suite sera compliquée pour à peu près tous. King Hu, lassé d’être un larbin de la Shaw Brothers, s’exilera à Taïwan et aura son quart d’heure d’heures à Cannes au début des seventies avec « A touch of zen » qui y obtiendra un colifichet. Vénéré par une (petite) caste d’admirateurs, il est mort à la fin du siècle dernier d’une crise cardiaque dans l’indifférence à peu près générale. Yueh Hua, lancera sa carrière avec ce film, tournera comme un forcené toute sa vie, sans aucune reconnaissance internationale. Cheng Pei-pei ira vivre aux Etats-Unis après avoir (sans succès) tenté de donner suite à son personnage. Seul fait d’armes, elle réapparaitra dans un second rôle dans « Tigre et dragon » de Ang Lee, vaguement inspiré de « L’Hirondelle d’Or ». Vu une interview d’elle en bonus du film, la cinquantaine bien entamée au début des années 2000, elle faisait vingt ans de moins que son âge et était d’un dynamisme non feint qui fait plaisir à voir …

Ah, et « L’Hirondelle d’Or », qu’est-ce qu’il faut en penser globalement ? Réalisation assez intéressante (alternance de scènes en extérieur et en plateau, bien éclairées, bien cadrées), jeu des acteurs assez pitoyable, mais scènes de combats bluffantes et charisme de Cheng qui crève l’écran …


MICHAEL CURTIZ - LES AVENTURES DE ROBIN DES BOIS (1938)

 

Les aventures d'un type en legging vert ...

Robin des Bois, un type qui apparemment n’a jamais existé a été moultes fois adapté au cinéma. Passons sur les cartoons Walt Disney, les films russes et de Bollywood, reste un gros paquet de versions anglo-saxonnes du personnage. Avec pour interpréter celui qui vole aux riches pour donner aux pauvres, quelques grosses stars, Douglas Fairbanks, Russell Crowe, Kevin Costner, Sean Connery entre autres. L’interprète le plus emblématique restera sans doute Errol Flynn. Pour deux bonnes raisons : parce que sa vie est encore plus rocambolesque que celle de son personnage, et parce que « Les aventures de Robin des Bois » laisse assez (ou très) loin derrière toutes les autres versions du noble malandrin de la forêt de Sherwood.

Olivia de Havilland & Errol Flynn

« Les aventures de Robin des Bois » est pensé pour être un gros succès. Et une prise de risque pour la Warner, société de production d’une quinzaine d’années et qui jusque-là s’était cantonnée (avec bonheur) à des comédies musicales (Prologues », « 42nd Street ») ou des films de gangsters (« L’ennemi public », « Le petit César »), et qui avait sa star, James Cagney. C’est Cagney qui est au centre de tous les projets de « diversification » de la Warner. Mais voilà, des histoires contractuelles à base de paquets de billets verts entraînent une tension entre l’acteur et les gros cigares, et il refuse systématiquement tout ce qu’on lui propose. Sauf que la Warner trouve facilement un remplaçant pour son adaptation de Robin Hood. C’est un gars qui vient de se faire remarquer dans un de ses films d’aventures, ayant dépassé populairement les attentes du studio. Le film, c’est « Capitaine Blood » et l’acteur c’est Errol Flynn.

Il y a quand même un os. Errol Flynn n’est pas le genre de gars à se mettre béatement au garde-à-vous devant ses patrons. Il est plutôt du genre ingérable, bourré en permanence à la vodka, et toujours prêt à baiser tout ce qui lui passe à portée (hommes, femmes, peu importe …). D’un autre côté, il a l’avantage d’être un charmeur né, beau gosse baraqué et sportif. A une paire de prises près, il fera les cascades du film. Et comme on ne change pas une équipe qui gagne (et qui rapporte), le premier rôle féminin de « Robin des Bois » sera confié à sa partenaire dans « Capitaine Blood », la jeunette (22 ans) Olivia de Havilland. Parenthèse. Olivia de Havilland décèdera à 104 ans, sera nominée cinq fois aux Oscars de meilleure actrice, en remportera finalement deux, et entretiendra une relation compliquée, parfois haineuse avec sa sœur Joan Fontaine. Olivia de Havilland sera une actrice d’une précision de jeu diabolique, toujours d’une justesse remarquable, évitant d’en faire trop. Contrairement à Errol Flynn, qui a toujours tendance à en rajouter devant la caméra …

Cooper, Rathbone & Rains : les méchants

Les scénaristes de la Warner se mettent au boulot, piochant personnages et situations dans les versions précédentes, et en créant de nouveaux (personnages et situations). L’objectif est clairement défini : faire du film un divertissement à grand spectacle, basé sur la traditionnelle opposition entre les bons et les méchants. Et en utilisant toutes les techniques de pointe de l’époque. « Les aventures de Robin des Bois » est souvent présenté comme la première référence majeure en terme de Technicolor (format 1,37 :1) et couleurs criantes pour ne pas dire criardes. Les collants vert moule-burnes de Flynn deviendront aussi célèbres que lui, quasiment toutes les scènes en extérieur sont vraiment en extérieurs (dans un parc naturel californien).

Au centre, Curtiz & Rains
Pour l’histoire il faut faire dans le basique. Les gentils sont très gentils et un peu cons, les méchants sont très méchants et très cons. Le trio de méchants est constitué de deux grandes figures de méchants de l’époque, Claude Rains et Basil Rathbone, auquel se rajoute le méchant comique, Melville Cooper. Un peu comme dans les cartoons, le but du jeu est de capturer Robin des Bois, en utilisant des pièges invraisemblables, dans lesquels Robin se jette à pieds joints, et s’en échappe d’une façon encore plus invraisemblable (genre dans une baston à un contre cent, et pas une égratignure). Il y a dans le film tout ce qu’il faut pour faire du populaire, au sens noble du terme : de l’action, de l’amour, des trahisons, des rebondissements, pour un résultat couru d’avance … Et tant pis si rien n’est vraisemblable. Voire pire, tant pis s’il faut réécrire l’Histoire. L’action est censée se passer alors que Richard Cœur de Lion est prisonnier à son retour de croisade, et que son frère Jean Sans Terre tente de se faire proclamer roi d’Angleterre, sur fond de frictions entre Anglais (descendants des envahisseurs Normands) et Saxons (les populations originelles de l’île). Dans le film, le retour de Richard précipite le dénouement. Dans les faits, il est tué en France (siège de Châlus) et Jean sans Terre règnera une quinzaine d’années… Passons aussi sur les scènes de bataille à l’épée, celles d’époques étaient le double, et dans le film les acteurs ne frappent pas d’estoc et de taille, ils font de l’escrime …

Par contre, sur d’autres points, le réalisme est poussé à l’extrême. Robin de Bois est censé être un archer d’exception et Flynn est doublé au tir à l’arc par Howard Hill, plus grand archer de son temps (c’est lui que l’on voit opposé à Robin dans le concours de tir à l’arc). Plus fort, c’est Hill qui tire sur les figurants (une plaque en fer surmontée de balsa dans lequel de vraies flèches se plantent est sous leurs vêtements) … Sacrés risques, ils devaient serrer les fesses, les figurants …

Grands décors (en carton) et costumes

Il n’y a pas que des scènes de baston qui en foutent plein les yeux. La scène du sacre de Jean (beaucoup de figurants en costume d’apparat) est grandiose et réglée au millimètre. Le prestige du film rejaillira sur son réalisateur. Sauf que si Michael Curtiz voit son nom écrit en gros, c’est un peu comme pour « Autant en emporte le vent » l’année suivante, un film auquel plusieurs réalisateurs ont mis la main à la pâte. Un habitué de la Warner, William Keighley commence le tournage, prend son temps, lambine, et finit par se faire éjecter au profit de Curtiz. Qui n’avance pas assez vite, et une partie des scènes d’action sera tournée par un troisième réalisateur qui n’a pas vu son nom passer à la postérité (un petit contractuel de la Warner ?). En fait, « Les aventures de Robin des Bois », beaucoup plus qu’un projet de scénariste et de réalisateur, c’est un projet de studio avec cahier des charges très écrit préalable…

Résultat au-delà des espérances (gros succès populaire planétaire à la clé), et film d’un charme et d’une qualité kitsch remarquables. Sans parler de ses remakes et déclinaisons, un modèle et une référence pour des décennies de films d’action et d’aventure …


STEVEN SPIELBERG & PETER JACKSON - LE SECRET DE LA LICORNE (2011)

 

Tout ça pour ça ?

Spielberg et Jackson qui font un film sur Tintin, c’est un truc qui parle aux Européens en général et aux francophones en particulier. Ses meilleurs résultats d’exploitation, c’est en France que le film les a faits. Pas un hasard …

A côté de P Jackson, Spielberg en train de filmer

« Le secret de la Licorne » est un film infaisable même en rêve pour au moins 99% des réalisateurs. Parce qu’il faut bénéficier du crédit illimité de ses banquiers pour se lancer dans pareil chantier. La preuve, Spielberg tout seul n’aurait pas pu le faire. Et ce n’est pas faute d’avoir essayé.

Lorsque sort « Les aventuriers de l’Arche Perdue » (en l’an de grâce mitterrandien 1981, ce qui ne rajeunit personne), Spielberg se tient au courant personnellement de la réception de son film auprès de la critique internationale. Il tombe sur un article en français où le mot « Tintin » revient à plusieurs reprises, il ne connaît pas ce mot, il pense à un effet de style du journaleux, mais intrigué se fait traduire le texte. Et donc remonte l’écheveau … ce qui signifie pour le moins que Spielberg ne connaissait pas la BD (et que donc Tintin n’est pour rien dans le personnage d’Indiana Jones … contrairement à « L’homme de Rio » de Philippe de Broca dont Spielberg a reconnu l’influence). Spielberg lit les BD, visionne les quelques (mauvais) films et (tout aussi mauvais) dessins animés sortis sur Tintin, et se dit qu’il y a de quoi en faire une adaptation un peu mieux foutue …

Spielberg contacte Hergé qui lui donne (moyennant une encyclopédie de conditions) l’autorisation d’adapter son petit reporter au cinéma. Avant même que quoi que ce soit débute, Hergé a la malencontreuse idée de passer l’arme à gauche (en 1983). Les discussions pour une adaptation doivent reprendre avec sa veuve et ses ayant-droits … je vous laisse imaginer le nombre de réunions d’avocats … Et les années passent, mais Spielberg a toujours son projet de film sur Tintin en tête, malgré des imbroglios juridiques sur l’exploitation des droits (il les a obtenus, les a rétrocédés, les a obtenus à nouveau, à la grande joie des avocats qui s’enrichissent …). Dans le courant des années 2000, des rumeurs « officielles » font état d’une trilogie de films sur Tintin dont au moins le premier serait réalisé par Spielberg.

Quand t'es dans le désert ...

Scénario et préproduction se mettent en route, les millions de dollars commencent à s’envoler, sans que rien de concret ne soit envisagé. Vers la fin des années 2000 les choses se précisent. C’est « Le secret de la Licorne » qui sera adapté, avec des éléments scénaristiques piochant dans « Le crabe aux pinces d’or », dans le final du « Trésor de Rackham le Rouge », et des références et allusions picorées dans les autres BD de la série … Sauf que Universal qui devait financer, tape en touche, les idées de réalisation de Spielberg paraissant tout bonnement infaisables (en gros, il voulait transformer des acteurs en personnages de dessin animé). Spielberg perd un partenaire, il va en trouver deux. Un petit gros néo-zélandais du nom de Peter Jackson qui en ce début de siècle multiplie les records au box-office, les Oscars, et a créé une boîte d’effets spéciaux (WETA) considérée comme la meilleure du monde, va co-réaliser le film, et flairant la bonne affaire, la Paramount rapplique avec le chéquier … Spielberg a le scénario et filmera les acteurs, Jackson et son armée d’ordinateurs feront le reste …

Je ne sais même pas si les deux se sont rencontrés pendant le « tournage » et le « montage » (hormis pour des séances photos), on les voit dans les bonus communiquer à travers des écrans d’ordinateurs, s’envoyer des fichiers entre Los Angeles et Wellington. Le tournage durera trente et un jours dans un studio de la taille d’un terrain de basket. Le reste (effets spéciaux, animations, …) deux ans. John Williams rajoutera la musique (certainement pas son meilleur thème), et un étudiant en PAO (vu le résultat, je suppose) le générique (genre celui de la « Panthère Rose » en beaucoup plus mauvais, près de cinquante ans plus tard, fallait le faire …).

Spielberg filme les vrais acteurs en motion capture, recouverts d’une combinaison en plastoc, un masque troué sur le museau avec de la peinture verte dans les trous, une caméra fixée à leur harnachement en permanence trente centimètres devant le visage, le tout relié par câbles numériques à la console à joysticks portable de Spielberg. Parce que durant tout le tournage, ni Spielberg ni qui que soit sur le plateau n’a tenu une caméra …

Daniel Craig

Et les acteurs, dans tout ça, ils servent à quoi ? Ben ne subsistent dans le film que leurs mouvements et leurs expressions de visage, vu que quand ils jouent, c’est devant des armatures de décor et en utilisant des objets, le tout en fil de fer. Milou (enfin Snowy pour les anglo-saxons) est totalement virtuel, aucun clebs ou autre animal n’a été utilisé. Et le casting ? Jackson a amené son Gollum (Andy Serkis) qui est le Capitaine Haddock, l’oublié (depuis « Billy Elliott ») Jamie Bell sera Tintin, quelques nigauds de seconde zone les Thompson Twins (les Dupont en VF) et les autres personnages du film et de la BD … ah, au fait, ils ont oublié Tournesol, erreur assez funeste quand on veut adapter Tintin au cinéma. Pourtant, tous les intervenants (Spielberg, Jackson, jusqu’au type chargé d’éteindre la lumière à la fin de la journée) se déclarent fans absolus de Tintin. Le seul qui est peu loquace, et qui donne l’impression de s’emmerder ferme qu’il tourne ou apparaisse dans les bonus, c’est la seule star du casting, Daniel Craig (dans le rôle de Sakharine, personnage très secondaire de la BD, mais méchant principal du film).

Le résultat visuel est assez bluffant, une qualité d’expressions de visage qu’on ne peut pas retrouver sur un dessin animé, et des séquences d’action totalement folles, tout l’environnement étant numérique, les seules limites étant l’imagination de Spielberg, de Jackson et de sa bande de geeks de la WETA. Il y a juste un gros problème, c’est que quand on a lu les BD (ce qui fait pas mal de monde sur cette planète), on connaît quasiment la fin de toutes les scènes à l’avance, y compris le dénouement, ce qui est pas top, même au premier visionnage, on a l’impression d’avoir vu le film dix fois… ce qui fait que l’on a plutôt tendance à regarder dans les coins de l’écran, le détail ou l’allusion tirés de la série de BD, et qui n’apportent en l’occurrence rien au film lui-même. Par exemple dans la première scène le peintre de trottoir qui fait le portrait de Tintin, ils lui ont refait la tête d’Hergé …

Une remarque pour finir. Tant qu’à faire dans le numérique, le film a été tourné pour être également exploité dans sa version 3D. J’ai eu une télé compatible 3D et les binocles qui allaient avec il y a longtemps. La 3D à la télé, c’est amusant cinq minutes et tu passes ensuite des heures avec un mal de tête carabiné. A mon avis (ça vaut pour ce film et tous ceux en 3D) à la maison, les versions Blu-ray ou DVD suffisent …

En conclusion, même signé Spielberg et Jackson, « Le secret de la Licorne » au cinéma, ça vaut pas « Le secret de la Licorne » en BD …


Du même sur ce blog : 

Les Aventuriers de l'Arche Perdue

Lincoln