DUNCAN BROWNE - GIVE ME TAKE YOU (1968)

L'histoire d'une faillite ...

Il y a trois façons de croiser le nom de Duncan Browne.
Soit on est un liquidateur judiciaire et on a bossé sur la faillite du label Immediate en 1969. Et pour essayer de récupérer un peu de pognon, on a pris la liste des derniers types qui avaient enregistré pour le label et on leur a présenté l’addition. Ainsi un huissier s’est pointé un matin chez Duncan Browne pour lui présenter la facture de « Give me take you » soit 2000 livres …
Soit on est un maniaque des sixties anglaises et des types de l’ombre qui ont compté à l’époque et on est tombé un beau jour sur une déclaration de Andrew Loog Odham, disant en substance que de tous les gens dont il s’était à un moment ou un autre occupé de la carrière, ses deux plus beaux succès avaient été les Rolling Stones (l’accroche mémorable « laisseriez-vous votre fille sortir avec un Rolling Stone », c’est de lui), les Small Faces (fleurons de son label Immediate), et Duncan Browne (« il était incroyable, tellement talentueux » dixit Oldham) …
Soit on est un fan ultime de David Bowie et on est allé voir qui étaient ces types qui avaient écrit « Criminal world » (mauvais titre de « Let’s dance »). Ces types faisaient partie d’un groupe déjà à l’époque oublié et disparu du nom de Metro. Et parmi le trio signataire de « Criminal world » il y avait Duncan Browne …
Autrement dit Duncan Browne c’est l’inconnu qui n’a jamais eu son quart d’heure de gloire …
Sauf que ses disques au Browne (y compris le single de son premier groupe Lorel) coûtaient (avant la naissance des eBay, Discogs, et autres magasins de disques virtuels…) une blinde (plusieurs centaines de livres) chez les disquaires spécialisés … Maintenant que tout est disponible en trois clics, a été réédité, remastérisé et tout et tout, ça vaut quoi le disque de Duncan Browne chez Immediate, ce « Give me take you » ?
Surement pas les centaines de livres d’avant, mais largement les quelques euros de la réédition chez Grapefruit / Cherry Red, techniquement irréprochable et gavée de bonus, alternate takes, versions mono des singles, dont le très recherché en son temps de Lorel … et qu’entend-on sur cette rondelle argentée ?

En gros un folk psychédélique de haut niveau, assez proche de ce que faisaient en ces temps reculés des gens comme Nick Drake (la ressemblance la plus évidente), Donovan (en activité et pleine gloire) ou Cat Stevens (aux balbutiements de sa carrière). Mais également une version acoustique des Zombies ou des Kinks. Comme par hasard deux groupes totalement décalés à l’époque, ressassant des mélodies élisabéthaines sur fond de nostalgia (déjà à la fin des sixties) galopante. Il y a dans ce « Give me take you » des faux airs de « Odessey and Oracle », « Village green » ou « Arthur ». Trois chefs-d’œuvre absolus qui se sont commercialement vautrés lors de leur sortie et que de multiples tentatives de réhabilitation dithyrambiques depuis 50 ans n’ont pas réussi à sauver (il me semble avoir lu quelque part récemment que « Village green » n’en était pas encore à 100 000 copies/monde écoulées ce qui en dit long sur l’état auditif de notre planète).
Duncan Browne est un type qui s’est cherché, qui a voulu être aviateur militaire comme papa, puis comédien. Et qui aura finalement l’illumination en entendant Bob Dylan. Il sera dès lors chanteur folk. Un premier groupe, duo à la Simon et Garfunkel, signé par Oldham qui vient de laisser tomber le management des Stones et de créer Immediate. Le copain qui se barre, Oldham qui continue d’y croire et signe Browne en solo, les retrouvailles avec un type (David Bretton), croisé des années auparavant et qui se pique d’être poète (Duncan est un autodidacte de la musique, est capable de jouer plus que bien de la guitare, d’écrire des musiques, mais dès qu’il s’agit de mettre des textes sur le papier, y’a plus personne). Le vrai faux duo (ils cosignent tous les titres, mais seul Browne a son nom sur le recto de la pochette) passe quelques jours en studio pour ce « Give me take you », reçoit (ou pas, il y a doute) le renfort sur quelques titres de Nicky Hopkins (un des cinquièmes Beatles et sixièmes Rolling Stones). Browne impressionne même le clavier du groupe psyché-garage The Nice qui occupe le studio voisin, le martyriseur de Hammond (au sens propre, il en joue en plantant des couteaux entre les touches pour faire durer les distorsions) Keith Emerson. Lequel Emerson, lors de la débandade d’Immediate, proposera à Browne de monter un groupe ensemble, et devant son refus, ira draguer Lake et Palmer qui malheureusement ne diront pas non … Après quelques années de silence radio total, Browne reviendra dans un trio, Metro, qui restera totalement anonyme quelques années avant de disparaître définitivement des radars vers la fin des seventies. Browne décèdera d’un cancer au début des années 90 sans jamais avoir fait reparler de lui …

Le gars aurait mérité mieux, ne dépareillait pas dans une époque pourtant riche en types qui savaient trousser la mélodie et pousser la chansonnette. Des douze titres de la version d’origine de ce « Give me take you », il n’y a finalement que « Gabilan » (guitare acoustique en roue libre et voix geignarde) de franchement dispensable. Tout le reste est plaisant, voire plus. Le morceau titre ravira les fans de Donovan et ceux du « Lady Jane » des Stones, ce qui dans un monde idéal pourrait faire pas mal de monde. « Dwarf in a tree » un des plus « rock » (attention on est quand même pas dans le style Gibson – Marshall sur onze), évoque les splendeurs mélodiques des Zombies et des Kinks de « Village green », le Nick Drake des ballades tristes est présent bien souvent (notamment sur « The ghost walks »), les hippies avec les fleurs dans les cheveux auraient pu faire de « Chloe in the garden » un hymne campagnard des années peace & love, et les fans d’Yves Duteil trouveront lui trouveront moins de génie quand ils auront écouté « I was, you weren’t » que le barde franchouillard a décalqué jusqu’à plus soif toute sa vie … Et puis il y a le titre qui aurait pu être le « Ruby Tuesday » des sixties si les Stones en avaient pas eu l’idée, il s’appelle « On the bombsite », et là, franchement, on comprend pas pourquoi ça n’a pas un hit international (enfin si, la faillite d’Immediate, tout çà …). Et ce titre-là, on va pas se plaindre d’en trouver trois versions supplémentaires dans les bonus (démo, répète en studio, et single en mono).
« Give me take you » est le disque qu’il faut avoir pour (accessoirement) épater ses connaissances, et passer un bon moment peinard à profiter des derniers beaux jours de l’été …



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