DEREK AND THE DOMINOS - LAYLA AND OTHER ASSORTED LOVE SONGS (1970)

Pied au plancher et droit dans le mur ...

Je pourrais noircir des feuillets à dire du mal de Clapton. Mais je n’en ferais rien. Bon si, juste un peu, puisque vous insistez … Clapton, depuis au hasard, « Layla », il est aussi intéressant qu’un congrès de fossoyeurs dépressifs. Bon, on doit pouvoir sauver si on n’est pas trop regardant deux ou trois titres par décennie (et encore moins dans les années 80, où l’ancien God n’avait rien trouvé de mieux que de s’acoquiner avec Phil Collins, no comment …). Clapton, son truc c’est le blues, à la base pas le genre musical le plus joyeux de la gamme, mais une fois qu’il est passé par ses pattes, ça devient carrément sinistre et ça s’empêtre dans des hommages-tributes à l’électroencéphalogramme plat (des disques entiers farcis de reprises de standards, de Robert Johnson, des collaborations avec des types comme lui au bout du rouleau, genre BB King ou JJ Cale). Un entêtement, voire un acharnement, à accomplir une sorte de chemin de croix musical pour réaliser ce qu’il pense être son destin… comme ces types qui passent leur vie à construire des Tour Eiffel en allumettes qu’ils ne montrent à personne … bon, chacun ses marottes, je bouffe bien du temps à écrire des conneries sur ce blog …
Clapton, à bientôt soixante ans de « métier », a toujours été un gars pas bien dans ses baskets. Le rigoriste du blues, qui voulait faire son truc peinard, qui n’aimait pas et supportait encore moins d’être mis en avant, présenté comme un génie, ou un animal de foire, c’est selon. Cependant d’une inconsistance et plein de paradoxes étonnants, lui qui fuyait le succès des Yardbirds pour se réfugier chez un autre Mormon du blues John Mayall. Puis qui voyant son surnom (God) tagué sur les murs de Londres, fuyait cette nouvelle reconnaissance pour repartir de zéro, enfin ce qu’il se croyait, se mettre à la colle avec les deux mégalos Bruce et Baker n’est pas le bon moyen de rester anonyme. De Cream à Blind Faith, il lance la mode hyper médiatisée à l’époque des super groupes. Avant de se « ressourcer » dans la tribu d’allumés de Delaney & Bonnie. Si bien qu’à la fin d’une décennie qu’il aurait voulu traverser sans laisser de traces, Clapton s’est toujours retrouvé sous les feux de la rampe, observé et scruté par des légions de fans.
Derek & The Dominos
Tout ça a laissé des cicatrices mentales profondes. Toujours en plein doute (de lui-même), sérieusement secoué par la tornade flamboyante Hendrix qui l’avait laissé hébété lorsqu’il l’avait vu enflammer les clubs londoniens, Clapton sombre dans la bibine et l’héroïne, manière de se foutre le cerveau en miettes. Pour le cœur, le con trouve rien de mieux que de tomber amoureux fou de la femme de son meilleur pote, un certain George Harrison. Résultat des courses, c’est un Clapton à la dérive totale, réduit à l’état d’épave humaine, qui entame les années 70. N’ayant pas prévu de se lancer dans le mannequinat pour couturiers italiens (ça viendra plus tard), il réunit quelques clampins, la plupart rencontrés dans la galaxie Delaney & Bonnie ou dans l’entourage de Joe Cocker, et tente vaguement de coucher quelques titres dans la cire. L’affaire se présente plus que mal, les heures de studio s’accumulent et rien d’écoutable n’en sort. Jusqu’à ce qu’un autre hédoniste notoire, comme lui grand amateur de poudres blanches et de bouteilles passe lui dire un petit bonjour au studio réquisitionné par le Clapton à Miami (comme tous les héroïnomanes, ayant toujours l’impression d’être glacés quand le manque de dope commence à se faire sentir, il s’est installé au soleil).
Le visiteur, c’est Duane Allman, du groupe de frères du même nom. Coup de bol, il a emmené sa guitare slide, les deux hommes commencent à jammer, et il se passe un truc, le genre d’osmose artistique que tout musico digne de ce nom recherche. Allman promet de repasser pour participer à quelques titres, et rejoint sa tribu en tournée. Clapton, en pleine hystérie créative, compose nuit et jour, Allman revient et en cinq jours l’équivalent d’un double album est couché sur bandes. Personne n’a jamais réussi à expliquer comment tel miracle avait été possible, toujours est-il qu’il a eu lieu, et le résultat s’appelle « Layla and other assorted love songs ».
Ce qui n’a pas fait de Clapton un Patrick Sébastien du blues, ses fantômes rôdent toujours. Le nom des participants n’apparaît ni sur le recto ni le verso de la pochette originale (toujours cette répulsion de l’Anglais à être dans la lumière). Le secret de polichinelle ne durera pas, et contre toute attente, dans une époque pourtant fertile en galettes cruciales, Clapton balance à la face du monde une œuvre qui enterre tout ce qu’il a déjà fait (et ne parlons pas des machins à venir).
Dominos & Duane Allman
Cette mécanique qui naît de l’étincelle lors de la rencontre de deux musiciens, l’histoire du jazz en est pleine. L’histoire du rock beaucoup moins, et « Layla » en est peut-être l’Himalaya du genre. L’apport de l’un sur l’autre est palpable dans chaque mesure. La rigueur, pour ne pas dire la rigidité de l’Anglais. Les titres sont écrits, les improvisations sont bien encadrées. Le côté chien fou du Sudiste, qui vient pousser Clapton dans ses derniers retranchements techniques, et le fait (chose invraisemblable pour qui connaît ses années 60) swinguer. Et plus jamais Clapton ne retrouvera ce groove. Peut-être pour la première fois de sa vie, il a touché à l’âme de la musique noire, qu’il poursuivait depuis toujours. Et qu’il ne retrouvera plus jamais …
Il y a dans « Layla » comme un résumé de toute la carrière de Clapton jusque-là. Les courts morceaux mélodiques, « I looked away », « I am yours », « It’s too late », qu’il assume, alors qu’il les rejetait dédaigneusement du temps des Yardbirds, et qu’il consentait tout juste à les disperser sur les disques de Cream. Les blues, évidemment. De structure classique, parce que repris aux figures tutélaires du genre (« Key to the highway » de Big Bill Broonzy, « Have you ever loved a woman » de Billy Myles dont Freddie King avait fait la première version) ou écrits ou co-écrits par Clapton en respectant scrupuleusement les codes du genre (« Bell bottom blues », « Nobody knows … »). Les prises de risque avec ce « Little wing » d’Hendrix, où Clapton laisse traumatismes et complexes au vestiaire et se frotte à ce titre un peu zarbi tiré du plutôt confus « Axis : Bold as love » du Voodoo Chile qui l’a totalement éclipsé au firmament des guitar-heroes. Hendrix quittera ce monde sans avoir entendu cette reprise. On trouve aussi dans « Layla » ces titres jusque-là inenvisageables chez Clapton, qui funkent et qui groovent, et pas qu’un peu (« Keep on growing », « Tell the truth », Why does love … »), et qui portent la patte de Duane Allman, habitué à ces structures rythmiques chez les Bros.
Deux pièces majeures se dégagent su lot. « Anyday » est porté par un riff monstrueux et construit sur une accélération quasi permanente du tempo. Ce titre n’est pas chanté, il est littéralement gueulé par Clapton, comme pas mal d’autres dans le disque. Là aussi, plus jamais Clapton ne se lâchera de la sorte au chant. Il est parfois à la limite de la justesse et soutenu par les harmonies vocales de Bobby Whitlock. Etrangement, alors qu’il était une cible de choix pour eux, cette approche vocale m’évoque le duo Strummer-Jones du Clash … Et puis, évidemment, il y a « Layla ». Déclaration d’amour transparente adressée à Pattie Boyd, la femme de son pote George Harrison (Layla était son surnom-diminutif, même si pour sauver les apparences, la version officielle dira que « Layla » est le titre d’un poème persan qui a inspiré l’album, foutaises diplomatiques …). Un morceau résultat du collage de deux parties distinctes, avec un riff d’intro parmi les plus célèbres du rock, et une transition et un final reposant sur le piano de Jim Gordon, d’ailleurs crédité à la co-écriture. Chanson d’amour désespérée, dans laquelle on entend littéralement chialer la guitare. Il semblerait que ce soit celle de Duane Allman, même si l’on sait depuis que les deux guitaristes ont passé les sessions à s’imiter réciproquement et à trouver l’un comme l’autre des sonorités qu’ils n’exploraient pas jusque-là. Allman n’a pas vécu assez vieux pour commenter ses acrobaties (il s’est tué en moto moins d’un an après la sortie du disque), et de toute façon, les deux étaient tellement défoncés que peu de souvenirs nets demeurent de ces séances.
Pattie "Layla" Boyd
« Layla … » est un disque de chevet pour les amateurs de solo de guitare depuis qu’il est sorti. Perso, ce qui m’accroche le plus, c’est la qualité des titres. A part une paire de quelconques (« Nobody knows … » plutôt scolaire et appliqué, et l’ultime et falot « Thorn in the garden » sur lequel on a du mal à se concentrer après les sept minutes de la tornade « Layla »), tout le reste est d’un niveau stratosphérique.
L’aventure Derek & The Dominos » sera sans suite. Il traîne bien un live au Fillmore (sans Allman) dans lequel un Clapton gavé d’héro sombre corps et biens dans des solos à rallonge autistes et hébétés. Il va se cloîtrer chez lui, en Floride, se livrer à tous les excès opiacés, être donné sinon mort du moins perdu pour la musique, avant un retour cahin-caha (« 461 Ocean Boulevard, son adresse à Miami) porté par un hit reggae (très loin donc de Robert Johnson), la reprise façon Club Med du « I shot the sheriff » de Marley.
Epilogue de l’histoire : Layla quittera Harrison en 1975 pour aller vivre avec celui qui avait fait un double album pour lui clamer son amour. Happy end ? non, la belle volage laissera rapidement tomber Clapton … and the show must go on …




GEORGE WAGGNER - LE LOUP-GAROU (1941)

Loup y es-tu ?

Film culte, comme n’importe quel film sorti qui est culte pour quelqu’un. En l’occurrence, « le Loup-Garou » (« The Wolf Man » en V.O.) est considéré comme l’ancêtre des films de … loups-garous. Et si le nanar de George Waggner n’est pas le premier film à traiter du sujet, il reste le plus connu des temps préhistoriques du cinéma. Parce qu’il y a (surtout) un casting. De seconds couteaux qui sont pas loin d’être des premiers. Genre Claude Rains (toujours là pour jouer le méchant de service), Ralph Bellamy, Patrick Knowles pour les messieurs, Evelyn Ankers et Maria Ouspenskaya pour les dames. Sans oublier les deux noms qui brillent le plus en haut de l’affiche, Bela Lugosi et Lon Chaney. Précision : Lugosi a en tout et pour tout sept répliques (vu son accent, il vaut mieux) et se retrouve vite dans (where else) un cercueil, quand à Lon Chaney c’est Jr., le fils de son père « l’homme aux mille visages » et une des plus grandes stars du muets.
George Waggner
Le fiston se contentera de décliner son personnage de Larry Talbot / Le Loup-Garou (il a eu de la chance, c’est Boris Karloff qui était pressenti pour le rôle) dans les suites du film, finissant même, après avoir affronté Dracula ( ! ) et Frankenstein ( ? ), par donner la répliquer aux inénarrables Abott et Costello (duo de comiques troupiers) pour un très improbable « Deux nigauds contre Frankenstein » (c’est fou comme on apprend plein de trucs inutiles en matant les bonus des Dvd …). Et le fiston n’arrivera jamais à la cheville de son paternel, qui lui foutait vraiment les jetons dans ses apparitions …
« Le Loup-Garou », scénario de Curt Siodmak (un Allemand fuyant les nazis) et réalisation de George Waggner. Suffit d’aller voir sur Wikichose leurs pédigrées et les films auxquels ils ont contribué, pour voir qu’on est là au cœur de la série Z. D’ailleurs, toujours section bonus (y’a de la place pour les bonus, le film ne dure que 67 minutes), une sorte d’universitaire du film d’horreur (Tom Weaver) nous assène (heureusement sous-titré) avec un débit de mitraillette à faire passer Scorsese pour un bègue, toutes les incohérences scénaristiques (le film est la conjonction de plusieurs scénarios bâclés) et tous les raccords hasardeux ou foirés, même si le gars a l’air assez fan ...
Chaney & Ankers
Faut dire qu’à la vitesse où allaient les choses (deux mois entre le premier coup de manivelle et la version montée présentée à la critique, même si on était dans les années quarante, ça fait rapide …), fallait pas être trop regardant …
L’histoire, exploitée des dizaines de fois (la plus célèbre étant tournée par John Landis au début des 80’s), est archi-connue. C’est celle du type qui avant de tuer un loup-garou se fait mordre et devient à son tour loup-garou. Soit. Ce qui en soi n’est pas plus con que le concept d’Alien…
Et parce que le scénario tient sur la tranche d’un feuillet à cigarettes, on y rajoute les événements qui vont « meubler ». L’histoire familiale compliquée (entre papa Rains et fiston Chaney), l’histoire d’amour (entre Ankers et Chaney, les deux sous contrat avec Universal ont tourné plusieurs films ensemble et se détestaient comme c’est pas permis), la pseudo enquête policière entre chasse à courre pour débusquer le toutou tueur et intrigue métaphysique et psychologique (à laquelle on ne comprend rien, pas plus que les acteurs si on en juge par leur jeu). Et puis les indispensables à ce genre de film, le château familial (en carton, ça se voit plus que beaucoup), les arbres en carton (ça se voit bien aussi) baignés par un brouillard artificiel (le préposé aux fumigènes faisait un peu n’importe quoi). Sans oublier les gens du voyage mystérieux chargés de pouvoirs surnaturels et de lourds secrets (Lugosi et Ouspenskaya, il est son fils, alors que dans la vie il est plus âgé qu’elle, ça se voit aussi …).
Number of the Beast ?
Le plus remarquable pour l’époque, tout le monde se plaît à le souligner, c’est le maquillage nécessaire à transformer Chaney en loup-garou, qui est l’œuvre d’un cador du genre, Jack Pierce, référence culte de tous les spécialistes d’effets spéciaux à base de monstres encore aujourd’hui. Selon les intervenants des sections bonus, Chaney en avait pour des heures à se faire coller des poils de yak sur le museau (entre trois et six plombes) et quasiment autant pour retrouver apparence humaine. Petit détail : Pierce et Chaney se détestaient (apparemment le Chaney avait pas beaucoup de potes dans le métier), c’est pourquoi à mon sens, une fois grimé en loup-garou, il faisait plutôt rire que peur (je sais, c’est facile et méchant, le film a quasiment 80 ans, y’avait pas la motion capture assistée par des multitudes d’ordinateurs) …
Bon, ben voilà, si vous avez un peu plus d’une heure à perdre … ou alors regardez « Dr Jerry et Mister Love » avec Jerry Lewis, c’est pas seulement un pastiche de Jekyll et Hyde, c’est aussi dérivé du « Loup-Garou », et c’est beaucoup plus fun …