DIZZEE RASCAL - BOY IN DA CORNER (2003)

Rap 2.0 ?

« Boy in da corner » a été considéré comme un disque important, voire majeur par les gens compétents en matière de rap. Soit. Du haut de mon incompétence, j’affirme que cette rondelle me gonfle …
Le rap, quand je suis de bonne humeur (si, si ça m’arrive), je supporte. Parfois même j’apprécie. Bon, le rap old school. Parce que moi aussi je suis de la old school. Même de la very old school. Pour les quelques-uns à qui les débuts de Dizzee Rascal auraient échappé, le minot a le profil type du rappeur, avec tous les malheureux clichés qui vont avec. L’enfance difficile, la petite délinquance et la rédemption par la musique, où il se fait remarquer encore tout ado en tant que Dj remixeur dans les soirées et les endroits pointus. Contrat avec XL Recordinds, (très gros label indépendant ayant signé ou distribuant Beck, Gorillaz, Moby, White Stripes, … plus tard Adele ou Vampire Weekend, …) et alors que le gamin n’a que 19 ans, parution de « Boy in da corner ».
Ou il pose, sitting on a corner, en survet bouffant et Nike rutilantes (comme quoi il a un goût de chiottes pour choisir ses fringues), et fait des mains sur sa tête un signe susceptible de rallier tous les fans d’Angus Young. Que ceux-ci passent leur chemin, ce disque n’est absolument pas pour eux …
Dizee on Dizzee. Mar Bolan faisait ça au début des 70's
D’entrée le son surprend. Tout le temps d’ailleurs. C’est d’une sécheresse brutale et lourde, une sorte d’épure rythmique balancée façon techno. Le Dizzee il rappe par-dessus. Avec son nez, d’une voix nasale qui contribue pas à flatter l’oreille. C’est pas de l’inouï total, un type comme au hasard Tricky savait parfois donner dans les très lourd martial. « Boy in da corner » donne dans le social, dans l’introspectif d’ado immature qui arrive pas à pécho de la meuf (« I luv U » t’es une gamine et t’entends ça, tu détales …), comme des thèmes de morceaux des Buzzcocks revus par le rap.
Le coup du disque à sa petite maman chérie sonne forcément cliché (tous ces bad boys ont toujours fait ça, à commencer par les plus asociaux genre 2Pac, ça leur donne peut-être bonne conscience …), et puis 4 lignes plus loin dans le livret arrive un « fuck you » pour tous les « haters & enemies », pfff, ça finit par être d’un ridicule, cette histoire…
Sinon, comme le gars est Anglais, il y a des trucs qui ressemblent à Queen (désolé, mec, mais comme tous ceux de ton île, t’as grandi avec Mercury et sa clique en heavy rotation partout et ça laisse des traces, même si ce doit être une comparaison honteuse pour toi) comme « Fix up look sharp » (l’énorme batterie de « We will rock you » a fait des petits), ou les relents opératiques de « Just a rascal », par ailleurs d’assez loin meilleur titre de la rondelle parce que très différent des autres …
Et on appelle ce sous-genre de rap le grime (désolé j’ai pas trouvé de jeux de mots con ou une contrepèterie à faire avec ça …)
Ah, et le Dizzee il a gagné le Mercury Prize (sorte de César de la musique chez les British) avec cette rondelle …
Et sinon … sinon rien, on passe au suivant et à l'année prochaine…



CURTIS HANSON - L.A. CONFIDENTIAL (1997)

Flics et voyous ...

Il y a des gens dont on n’attend rien. De bon ou mauvais. Curtis Hanson fait partie de ces réalisateurs dont tout le monde se fout, qui tourne des films dont tout le monde se fout, critique comme public …
Et puis, sans que l’on sache pourquoi, le type sort un machin qui met tout le monde d’accord, un très gros succès populaire encensé par tous ceux que l’on paye pour donner leur avis sur ce qu’ils ont vu avant les autres sur un écran. Moi personne me paye, ce qui évidemment ne donne donc aucune valeur à mon avis. Et pourtant je le dis haut et fort, « L.A. Confidential » est un super film.
Pearce, Hanson & Crowe
Un film auquel on a bien du mal à comprendre quelque chose la première fois, parce qu’ici il n’y a ni bons ni méchants. Juste un tas de types plus ou moins pourris, et qui dans le meilleur des cas agissent pour eux et non pas forcément pour ce pourquoi ils sont payés. « L.A. Confidential » est une histoire de flics, plus ou moins corrompus, qui s’agitent dans le Los Angeles des années cinquante. Autour d’eux gravitent des femmes (bizarrement, mieux traitées dans le scénario, même si une finira à la morgue et l’autre … on en reparlera), et toute une faune allant du journaliste cupide et partial, aux politiques dépravés ou manipulateurs, en passant par les milliardaires proxénètes et les immigrés (surtout les chicanos) en bons clients qu’on tabasse ou flingue impunément.
A la base de « L.A. Confidential », un bouquin de James Ellroy, qu’il est inutile de présenter, tant son nom est associé aux polars glauques et désespérés, un descendant-successeur des Hammett ou Chandler, les rails de coke en plus … Dire que l’intrigue est aussi compliquée que celle du « Faucon maltais » ne relève pas de la litote. Faut dire qu’il n’y a pas un mais plusieurs protagonistes principaux et que leurs histoires pas très nettes finissent par se croiser lorsque des enquêtes qu’ils mènent chacun de leur côté deviennent une seule et même affaire.
Les flics
On ne peut pas ne pas penser au « Chinatown » de Polanski pour plusieurs raisons : les reconstituions méticuleuses et pointilleuses du Los Angeles d’une époque révolue, chez Polanski les années 30, ici les années 50, le rôle crucial de la femme qui fait avancer le scénario, Dunaway vs Basinger, et les deux enquêtes qui évoluent et finissent dans les plus hautes sphères de la société de la ville. On a aussi des différences notables, dans « Chinatown » il n’y a vraiment qu’un type qui mène l’enquête (et Nicholson n’est même pas flic, c’est un privé), et ses méthodes (no guns et le moins de bastons possibles) tranchent radicalement avec l’atmosphère violente voire ultra-violente de « L.A. Confidential ». Hanson cite aussi « Le grand sommeil » (avec Bogart et Bacall) comme source d’inspiration. Comme il y a des décennies que je l’ai pas vu, je lui fais confiance …
Le film doit tout à Hanson. C’est lui qui écrit l’adaptation du bouquin d’Ellroy, et s’en va à la pêche aux producteurs. Le sulfureux Arnon Milchan (mais au nez très creux lorsqu’il s’agit de faire des cartons au box-office) est séduit par le projet ambitieux de Hanson qui sent qu’il a un super scénario et envisage d’entrée la superproduction hollywoodienne. Milchan commence à se gratter la tête lorsque Hanson lui annonce ses deux acteurs tête d’affiche : Russell Crowe et Guy Pearce. Deux métèques donc. Totalement inconnus du public américain (et de celui du reste du monde aussi, d’ailleurs). L’un est néo-zélandais et a marqué Hanson par un rôle se skinhead facho et violent (pléonasmes) dans « Romper stomper » (que je recommande au passage), l’autre en jouant une drag-queen dans « Priscilla, folle du désert » (que je recommande aussi).
Crowe sera donc un flic brutal, révélant au monde entier un baraqué castagneur, le genre de rôle qu’il endossera à peu près toute sa carrière. A côté de son personnage, Eastwood dans « Dirty Harry », c’est l’Inspecteur Gadget … Pearce sera un flic honnête (à peu près le seul du scénario) au départ, mais qui finira par carriérisme d’abord puis par Basinger alpagué, et finalement lorsqu’il sent qu’il peut régler une affaire toute perso (retrouver l’assassin de son père, flic aussi et tué dans des circonstances non élucidées en service), par déraper sérieusement vers la haine et la violence.
Autre flic du casting, Kevin Spacey, le flic corrompu jusqu’à l’os, plus ou moins associé à Danny DeVitto, journaliste d’une feuille de chou à scandale. Les deux se refilent des infos (et du pognon) pour booster leurs carrières respectives, en évoluant dans la high society, à l’affût du moindre ragot ayant à voir avec la drogue, l’adultère, la prostitution et les trafics divers. Les deux finiront mal, le premier sur la voie de la rédemption, le second parce qu’il est devenu une pièce à conviction gênante … Une faune interlope sur laquelle règnent des caïds qui s’entretuent, des flics haut placés qui ferment les yeux, et des politiques véreux ne refusant jamais un bon pot-de-vin complètent les figures des protagonistes majeurs.
Kim Basinger, envie de croire au Père Noel ?
Et puis il y a la femme, jouée par une sublime Kim Basinger, qui trouve là certainement son meilleur rôle. Prostituée haut de gamme maquée par un milliardaire qui conçoit ses créatures (à grand renfort des chirurgie esthétique si besoin) comme les sosies d’actrices célèbres. Cette Veronica Lake des trottoirs n’est pas seulement là pour donner un côté glamour et sexy au film, c’est un personnage principal, qui petit à petit dévoile fractures et brisures d’une fille paumée venue tenter la fortune à L.A. Veuve noire qui attire dans ses filets soit sur ordre de son mac soit de sa propre initiative quelques-uns des acteurs principaux …
« L.A. Confidential » est un film prenant parce qu’il est ancré dans le réel (le tabassage des Mexicains en prison a bien eu lieu pour le Noel 1951, les personnages de Spacey et DeVitto ont existé, la feuille de chou à scandale s’appelait même « Confidential »). Mais aussi parce que même avec des personnages fouillés, il n’y a pas de temps mort, et que ça tape et ça flingue aussi fort que dans « Les affranchis ».
Pour finir et pour donner une idée de la noirceur toujours sous-jacente du film, cet échange laconique entre Pearce: « Pourquoi t’es devenu flic ? » et Spacey : « Je ne m’en souviens plus » …



THE AR-KAICS - IN THIS TIME (2018)

Dinosaurs ?

Y’a des gens qui démarrent mal dans la vie sonore avec moi. Ceux-là, les Ar-Kaics, rien qu’à voir leur nom, ça m’a fait penser aux Dinosaurs, supergroupe ( ?? ) monté au début des 80’s par des vieux croûtons de l’été de l’Amour à San Francisco (des types de Country Joe & The Fish, Quicksilver, Airplane, Big Brother, …).
The Ar-Kaics
D’un autre côté, les Ar-Kaics, ils auraient été encore plus ridicules de s’appeler New quelque chose, parce qu’il n’y rien, mais strictement rien de nouveau chez eux. Et leur rondelle est dotée ( ? ) d’une pochette genre dessin d’école primaire pour la Fête des Mères, quand il reste plus de nouilles pour faire des colliers …
De quoi est-ce qu’il s’agit donc avec les Ar-Kaics ? Ben tout simplement de la énième mouture d’un revival garage, par trois types et une nana plus tout à fait perdreaux de l’année. Qui bénéficient d’une signature chez Wick Records, sous-label de Daptone, maison à l’origine spécialisée dans la soul vintage de haute qualité (Sharon Jones & the Dap-Kings).
Certes, faut reconnaître que ce « In this time » est bien foutu, et que la qualité et l’exigence qui va avec le label Daptone n’est pas à remettre en cause. Sauf que les Ar-Kaics sont le milliardième groupe à œuvrer dans ce créneau (compteur bloqué dans les années 65-67, guitares fuzz en avant toute, et un sérieux de jésuite pour envoyer la sauce). En gros des candidats pour les compilations Peebles, Nuggets, Sixties Archives à venir … S’inspirer des Stones de « Between the buttons » (pour faire simple) et envisager de laisser une trace à la « postérité » genre Standells, Count Five, Seeds, why not … Sauf que dans ce « In this time », je vois pas l’ombre d’un titre qui pourrait se faire une place à côté des légendaires binaires crasseuses que furent en leur temps des « Dirty water », « Psychotic reaction » ou « Pushin’ too hard ». Les Ar-Kaics semblent condamnés à perpétuité à la seconde division, même si on peut me répondre qu’ils n’affichent nulle part l’ambition de gagner la Champions League …
Les mêmes en couleurs
« In this time », il commence bien, mais il tient pas la distance. La doublette inaugurale (« Don’t go with him », « Some people ») est une bonne entrée en matière, avec mention particulière à la seconde, le titre le plus léger et mélodique (comme si les Byrds avaient fait de la power pop ). Le disque est conçu (évidemment) pour le format vinyle (les sixième et douzièmes titres sont deux ballades plus ou moins crépusculaires et crispées, marquant la fin de chaque face en plastoc). Pour le reste, qui a écouté les Cramps et le Gun Club ne sera pas dépaysé, et il convient juste de parler pour la comparaison de similitudes sonores, la folie et la qualité d’écriture sont ici bien des crans en dessous …
Les Ar-Kaics se contentent d’avoir le pied lourd sur la pédale fuzz, de privilégier les mid-tempo lourd(ingue)s, et de mettre en avant sur le site de Daptone et sur YouTube les titres à mon sens les plus quelconques de leur disque.
Même si on a entendu bien pire dans le genre, une rondelle pour fanatiques et complétistes du genre. Ce qui risque de pas faire grand-monde …


CREEDENCE CLEARWATER REVIVAL - LEGEND (2002)


Essentiel ?
Il est assez étonnant de voir que Creedence, qui fut pendant quelques années (et pas n’importe lesquelles, celles de la fin des années 60 où il y avait quand même encombrement de talents) le roi incontesté des charts américains, est aujourd’hui à peu près complètement oublié. Il serait temps que le peuple se mobilise pour réhabiliter Fogerty et sa troupe. La réhabilitation de Creedence, voilà une revendication qui aurait de la gueule. N’est-ce pas les gilets jaunes, si tant est qu’il y en ait quelques-uns parmi vous qui sachent lire et formuler une doléance cohérente (le régime merguez-Heineken à fortes doses montre vite ses limites quand il faut utiliser son QI), voilà une revendication autrement plus importante que le prix du carburant, le pouvoir d’achat, ou la démission de Macron (vous voyez qui c’est lui, le quadra aux poses messianiques à la Don Camillo, et qui vous a fait croire qu’il allait mettre notre pays en marche, alors qu’il est juste encore plus nul et arrogant que Mr Gayet et Sarko réunis, ce qui n’est pas peu de chose, et qu’il est accompagné par une bande de têtes de nœuds genre Le Maire, Darmanin, Grivaux, Castaner, liste loin d'être exhaustive, qui devraient repartir au plus vite d’où ils viennent, la troisième division de la droite centriste et de la gauche molle, et arrêter de se prendre pour des hommes politiques, eux à qui on ne voulait même pas confier le nettoyage des latrines au siège de leurs anciens partis respectifs) ? … La France va mal, camarades ( ? ), raison de plus pour écouter Creedence … qui eux n’ont jamais fait de politique (quoi que, on y reviendra si j’y pense), mais qui étaient à peu près aussi mal habillés qu’un Breton mécontent et bourré (pléonasme) en bonnet rouge et / ou gilet jaune…
Remarquez, sans les chemises de bûcheron à carreaux, avec quoi auraient bien pu se fringuer Neil Young, Bruce Springsteen et Kurt Cobain ?
John Fogerty, Tom Fogerty, Doug Clifford, Stu Cook
Creedence, c’était la revanche des ploucs sur les types (et les nanas) dans l’air du temps. Ils étaient pourtant au bon endroit (la Californie, du côté de San Francisco) au bon moment (le milieu des années 60). Comme l’Airplane, Quicksilver, Grateful Dead. Sauf qu’ils n’ont pas cherché à inventer un langage musical sous LSD. Et qu’ils ont peut-être jamais foutu les pieds à Haight Ashbury, se contentant de leur morne El Cerrito (banlieue nord-est de Frisco, de l’autre côté de la Baie).
John Fogerty aime le rock’n’roll des origines, Presley et consorts. Son pote de lycée, Doug Clifford, pareil. Tous les deux rêvent de faire de la musique, sans ambition, juste un college band. L’affaire s’emmanche quand John se fait offrir par ses parents une Silvertone pourrie d’occase et que Doug se bricole une batterie à base de pots de fleurs. N’ayant pas eu l’idée de s’appeler les White Stripes ou les Black Keys, il leur faut du renfort. Ce sera Stu Cook (parce qu’il est dans la classe de Clifford, et quand on les fait s’aligner par ordre alphabétique, ils se retrouvent à côté). Cook est pianiste (enfin il sait vaguement jouer du piano). L’aventure en trio commence, sous des noms totalement improbables qui ne tiennent que le temps de dégoter un concert où ils jouent (des reprises) dans l’indifférence générale.
Version trio
Les minots sont motivés, et finissent par être reconnus (dans leur pâté de maisons et leur lycée). Entre-temps, Cook est passé à la basse. Il est temps de faire un gros coup. John propose à son frère aîné Tom de les rejoindre. Tom, c’est la star des Fogerty. Il compose, joue de la guitare en faisant des solos et chante dans un groupe « célèbre ». Quelquefois même dans des bars ou des clubs à pfff … des quinze ou vingt kilomètres d’El Cerrito. Sur la seule renommée de Tom, le quatuor « explose », sous le nom de Tommy Fogerty & The Blue Velvets. Il quitte le lycée d’El Cerrito pour jouer dans les mêmes rades que fréquentait Tom. Pour les trois pieds-nickelés originels, c’est le jackpot artistique. Ils enregistrent même une paire de 45 T sans aucun succès. Mais à force de s’acharner, les quatre zozos voient leur audience s’accroître, et finissent par décrocher des contrats pour des concerts devant des dizaines de personnes. Et là surgit l’accident industriel. Tom, incontesté chanteur guitariste et leader est bouffé par le trac dès lors que l'assistance est composée d’autres personnes que ses copains. John commence donc à chanter et à prendre les solos. Et tant qu’à faire comme c’est lui qui va les chanter, à composer les titres de leur répertoire. Une sono asthmatique l’oblige à s’égosiller au micro, ce qui donnera ce chant forcé immédiatement reconnaissable.
Tout passe, et même l’adolescence. Faut bosser, faire l’armée tout ça … Le groupe (qui a encore changé de nom après que ses 45T se soient vautrés) est mis en sourdine. John glandouille chez Fantasy Records, micro label orienté jazzy, qui récupère par hasard un hit (au niveau de la Californie) et un peu de fric. John suggère au patron de Fantasy de signer son groupe, qui, c’est pas lui qui choisit, s’appelera les Visons. Puis les Golliwogs. Des 45 T suivent avec les bides habituels. Le patron de Fantasy vend en 1967 sa boîte à un de ses employés, Saul Zaentz. Qui hérite donc des Golliwogs. Qu’il somme de se rebaptiser en optant pour un nom à la Quicksilver Messenger Service, qui commence à se faire un nom à San Francisco. Les trois mots choisis seront Revival (l’ambition de remettre le rock’n’roll au goût du jour), Clearwater (la pureté, la nature, les utopies hippies, …) et Creedence parce que Tom a un pote qui se prénomme comme ça et que ça le botte un nom de baptême pareil …
Parenthèse : John Fogerty voue depuis des décennies une haine féroce et tenace vis-à-vis de Saul Zaentz (l’humiliant même dans une chanson et son clip plein de cochons « Zanz Kant Danz » sur son disque solo « Centerfield » en 85). Il s’est peut-être (sûrement ?) fait escroquer par un contrat tordu, mais sans Zaentz, point de Creedence, parce que fallait y croire ou être un sacré visionnaire pour signer cette bande de péquenots et leur drôle de musique ringarde en 67. Fin de la parenthèse …
Creedence live
Et là, tout à coup, ça fonctionne. Le premier single (« Porterville ») est remarqué, le second (« Suzie Q ») est un succès. Creedence sera un groupe à singles. Des singles rustiques, pleins à la gueule de ce rock’n’roll fifties, avec des touches de country ou de blues. Pendant quatre ans, de 68 à 71, tous leurs singles finiront en haut des charts américains, beaucoup plus rarement ailleurs. Creedence est un groupe de pécores, de traditionalistes, qui portent haut l’étendard du « c’était mieux avant ». John Fogerty est capable en deux minutes trente de choses fulgurantes, d’une simplicité et d’une évidence bibliques (« Bad moon rising », « Fortunate son », « Travelin’ band »). Mais aussi des ballades définitives (« Who’ll stop the rain », « Have you ever seen the rain »). Sa voix forcée peut lui permettre de reprendre Little Richard sans se couvrir de ridicule (« Good Golly Miss Molly »), tout comme McCartney ou Wanda Jackson (liste close). Il sait se fendre de quelques solos de guitare « acide » dans l’air hippy du temps, sans prétention, mais sans se ridiculiser. Les albums (en gros un tous les huit mois) cartonnent …
Chaque médaille ayant son revers, CCR a sa dark side. Le Tom, de star du groupe lors de ses dures années originelles, est un faire-valoir, un comparse de John qui lui focalise regards et louanges. Le bond frisé va très mal vivre cette situation, les rapports avec les autres et surtout son frangin seront vite détestables et il quittera le navire après l’enregistrement de « Cosmo’s Factory ». Et puis, les albums de Creedence sont inégaux. Même s’ils contiennent toujours les singles. Parce que Fogerty a la fâcheuse habitude d’étirer des titres au-delà du raisonnable, dans des jams bluesy cotonneuses, à faire passer les frères Allman pour des types concis et Canned Heat pour un groupe plein d’imagination. Tous leurs meilleurs disques (les cinq premiers) comptent en leur sein ces pénibles « Suzie Q pt I & II », « Graveyard train », « Keep on chooglin’ », « Ramble tamble », « I heard it to the grapevine ». De leur discographie, « Cosmo’s factory » est toujours cité comme leur apogée. Désolé, mais avec « I heard it … » et « Ramble tamble », soit vingt minutes et donc la moitié du disque, z’êtes sûr ? « Cosmo’s … » est très daté et commence à perdre de cette dynamique, de cette fougue qui faisaient tout le succès et le son Creedence des singles. Perso, je trouve celui d’avant, « Willie & the poor boys » infiniment meilleur, c’est le plus roots, aucun titre au-dessus des six fatidiques minutes.
John Fogerty
Venons-en à « Legend » donc. Un coffret de trois rondelles sorti au milieu des années 90. Réédité par Warner Jazz ( ? ! ) France en 2002. Remastérisé pour l’occasion en 24 bits, et avec un bon livret bilingue (une page en français, en face la version anglaise), dans lequel j’ai pioché les infos biblio du dessus. Rien à dire, bel objet. D’autant plus que comme Creedence n’a sorti que sept albums studio (plus un live très dispensable), les six premiers sont dans l’ordre chronologique sur le coffret plus les trois singles (plutôt corrects) issus de leur chant du cygne, le plutôt mauvais « Mardi-Gras ». Pas une intégrale studio, mais pas loin. D’autant que (voir les rééditions avec bonus des albums pris séparément), il semble bien qu’il n’y ait que peu de matériel studio inédit chez Creedence (faut dire qu’à la vitesse où ils paraissaient, ça laissait pas trop de temps aux fioritures et aux expérimentations).
On peut donc mesurer l’évolution du Creedence sound (un peu fouillis aux débuts, genre swamp-rock), celui-ci culminant à mon sens sur « Green river » (le troisième, le plus rêche, avec Fogerty qui ne chantera plus jamais aussi sauvage). Ensuite, très discrets sur « Cosmo’s … », les instruments additionnels au strict deux guitares basse batterie des débuts viendront encombrer le paysage sonore (claviers, cuivres façon revue Stax sur « Pendulum »). C’est joli, bien fait, « surproduit » par rapport aux débuts, mais la magie et la hargne de la jeunesse sont partis …
Creedence a vécu un peu en marge de la musique dominante américaine (apparition – quelconque – du groupe à Woodstock étant l’exception qui confirme la règle), mais en sachant garder les pieds sur Terre. Trois chansons, et pas des moindres (« Fortunate son », « Who’ll stop the rain », « Have you ever seen the rain ») font référence au conflit du Vietnam et valent bien dans l’esprit les pamphlets de Country Joe ou le « Machine gun » d’Hendrix et de sa bande de gypsys.
Fogerty, s’il a pas mal visité les autres, est un grand auteur. Et une marque de fabrique américaine, purement américaine. Sans doute que sans lui, les carrières de Bob Seger ou Springsteen n’auraient pas été les mêmes, pour parler des plus évidents. Fogerty a pas mal repris, mais a laissé quelques bornes de la musique populaire américaine difficilement contournables. Deux exemples suffisent. Tina (et Ike) Turner ont boosté leur carrière lorsque Tina s’est mis à reprendre de façon fellatoire (le sort qu’elle faisait au micro, avec les Ikettes poussant à l’orgasme aux chœurs) « Proud Mary » (pourtant une histoire toute con d’un bateau avec roues à aubes qui descend un fleuve), et la seule « Run through the jungle » (déjà un titre un peu à part dans le répertoire de Creedence) reprise par le Gun Club a généré tous les les groupes de rock « torturés » des années 80 (Noir Désir par ici) … Sans parler du « Fortunate son » adapté par Labro pour feu Hallyday …
Creedence était, en dehors de son trajet interne, de toutes façon condamné. Un clone bruyant et bourrin (Grand Funk Railroad, un nom en trois mots, tiens tiens …) le remplaçait en haut des charts à grands coups d’hymnes démagos et simplets. Et de toute façon Led Zeppelin mettait aux States tout le monde d’accord …
Creedence est un groupe essentiel. Dont les albums pris un à un le sont moins …