LCD SOUNDSYSTEM - LCD SOUNDSYSTEM (2005)

Boule à facettes ou miroir aux alouettes ?

LCD Soundsystem (le « groupe » et le disque) est (comme de bien entendu ?) la chose d’un type tout seul (même si sur scène il y a un vrai groupe qui joue), le dénommé James Murphy. Un Américain de trente cinq ans au moment des (mé)faits qui tente désespérément depuis des lustres de se faire un nom dans le milieu de la musique. Durant sa jeunesse folle orientée punk hardcore, il est touché par la grâce en entendant Daft Punk ( ??? ) et en allant gober des cachets multicolores dans des raves parties qui commencent à passer de mode. Comme il cachetonne et grouillotte dans un studio d’enregistrement, il monte son propre label DFA et commence à sortir des maxis. Assortis de déclarations plus ou moins stupides entendues depuis 50 ans … c’est avec les plus grosses ficelles qu’on arrive à enfumer le plus de gens, c’est bien connu.
James Murphy : airborne to be wild ?
LCD Soundsystem sera donc l’avatar artistique de Murphy. Qui déclare en 2005 la mort du rock (bonne blague, depuis des décennies des puristes font remonter cette mort au départ d’Elvis à l’armée, la fin de l’innocence, etc …), la mort de la techno (il y bien presque dix ans que les survets à capuche orange sont passés de mode, et que tous les grands noms de la chose électronique sont discographiquement aux abonnés absents), et tant qu’à faire du rap (dont l’âge d’or était au début des 90’s, tu parles d’une révélation en 2005 …). Ne reculant devant aucune déclaration péremptoire et ne se sentant aucune limite, Murphy va donc inventer la nouvelle musique du XXIème siècle. Habile plan com ou crétin persuadé de sa bonne étoile ? Le temps et l’envie me manquent pour me pencher sur la question …
Ce « LCD Soundsystem » est son premier Cd. Coup de bol (ou pas), j’ai l’édition avec en plus un Cd supplémentaire compilant ses singles et maxis sortis auparavant. Soit plus d’une heure et demie de … euh, musique. Autant être clair d’entrée, les points communs de ces 16 titres sont l’incapacité de Murphy à composer quelque chose avec un début, un milieu et une fin, et accessoirement à chanter plus ou moins correctement sur le résultat obtenu. Aux oubliettes la construction d’une intro, d’un final, et des cordes vocales aux abonnés absents (du rap atone ou des mélodies chantonnées linéairement). Murphy a bénéficié d’entrée d’une hype assez conséquente, peut-être justifiée par la suite (il me semble de mémoire que son second disque « Sound of silver » est bien meilleur), mais démesurée pour cette rondelle.
Il y a quelques titres assez bien torchés sans qu’il y ait lieu de s’extasier outre mesure à leur sujet. L’introductif « Daft Punk is playing at my house » ou quand ses fantasmes deviennent réalité sonore. Rien à voir avec les Daft, mais pas mal avec les Chemical Brothers qui auraient fait chanter un de leurs titres par David Byrne avec sa voix d’épileptique electrochoqué. Amusant … Surnage aussi de la mélasse « Movement » aux sons de synthés entièrement pompés sur ceux de Martin Rev dans Suicide (1978 quand même, ça ne nous rajeunit pas), avec un refrain ( ? ) braillé comme les slogans alterno-punks des 80’s. Pourquoi pas … Le reste de la rondelle « officielle » combine grosse artillerie électronique (des empilages démesurés de séquences rythmiques), boucan guitaristique hardos avec grattes hyper saturées (comme chez Prodigy ou les Chemical dix ans plus tôt, où est la nouveauté révolutionnaire ?). On se retrouve parfois assez près des déflagrations des débuts du PIL de Rotten mais des déflagrations linéaires, convenues, sans l’aspect mon poing dans la gueule et je t’emmerde de l’ex-Pistols. Sinon la plupart des titres auraient pu être écrits en dix minutes par des Pet Shop Boys comateux (« Tribulations »), un Prince des très mauvais jours (« Disco infiltrator »), ou un Arcade Fire en roue libre (la grandiloquence de « Great release »). Pour un Cd enrobé d’une pochette incitation à la danse (la boule à facettes disco du visuel), on est assez loin du but recherché (faire danser les filles …).
LCD Soundsystem live
Et l’autre cd avec les premiers titres s’interroge le curieux de passage ? Bof, pas mieux, ou en tout cas pas plus mal … « Losing my edge » fait dans l’autobiographique et constitue un bon résumé de ce que fait le Murphy, de gros riffs de guitare sur des séquenceurs qui moulinent, et l’autre qui nous sort la liste de tous les groupes ou artistes qui l’ont marqué tout ça pendant dix minutes … Eh oh, t’avais qu’à faire un blog, t’étais pas obligé de sortir un disque pour nous dire que t’étais fan de Can et de Père Ubu … Sinon, j’ai repéré quoi, ah si, une intro disco (la boule à facettes dont au sujet de laquelle je causais plus haut) qui se dilue très vite dans un empilage de synthés sur " Yeah (pretentious version) " (si, si il s’appelle comme ça le morceau) ; aussi une guitare vaguement hendrixienne sursaturée (la marque de fabrique du big beat dix ans plus tôt, bonjour l’innovation) sur une rythmique robotique et métronomique à la Can, ouais, bof …
Ce qui peut nous amener à une autre loi de Murphy : quand t’as pas assez de titres valables pour remplir un double Cd, fais juste un maxi …




RICHARD HAWLEY - STANDING AT THE SKY'S EDGE (2012)

Qu'a fait Hawley ?

Ben ouais, quoi … quand on  a réussi à se faire un (petit) nom dans le music business, qu’on a son (petit) public, quand son patronyme est immédiatement assimilé à une forme d’expression musicale, faut pas chercher à comprendre, faut passer sa vie à refaire le même disque sous peine de retomber dans l’anonymat.
Mais voilà, Richard Hawley n’est pas – au hasard – Chris Isaak. Il aurait pu être ad vitam aeternam un crooner anglais triste, torchant des rondelles dont chacune serait la photocopie de la précédente ou de la suivante, avec comme seul point de différenciation un état de grâce dans la composition qu’on atteint parfois. Ses états de grâce à Hawley s’appelaient « Cole’s corner » qui lui valut le Mercury Prize (sorte de prix Goncourt british du rock-pop-machin) et « Truelove’s gutter » sur lequel sa recette patiemment mise en place touchait au sublime.
En train de raconter une histoire un peu Hawley Hawley ?
« Truelove’s gutter » est le disque précédant ce « Standing … ». Et Hawley qui ne doit être ni sourd ni con a dû se dire qu’il avait placé la barre tellement haut qu’il serait vain de vouloir la dépasser. Et des évènements extérieurs lui ont collé une sorte de rage, contenue, mais la rage quand même. Selon lui, ces idées noires lui seraient venues de la mort d’un ami proche et de l’exercice du pouvoir calamiteux (what else ?) des conservateurs revenus aux affaires en Angleterre. Parce que Hawley est Anglais, peut-être pas autant musicalement que Ray Davies, mais Anglais quand même, est originaire de Sheffield, vieux bastion industriel du Labour Party, à l’activité saccagée par les années Thatcher …
Hawley s’est aussi souvenu qu’il avait été guitariste en tournée et parfois en studio du Pulp de Jarvis Cocker et que ce dernier venait de le rappeler quelques mois plus tôt pour remonter une énième mouture de son groupe. Parce que Hawley, c’est un de ces guitar heroes anglais, reconnus par leur pairs (comme tous ces Chris Spedding, Albert Lee, Richard Thompson, Bert Jansch, liste infinie) mais condamnés à passer leur vie dans l’obscurité qu’ont posé sur leurs successeurs la Sainte Trinité des 60’s des Beck, Clapton et Page. Et Hawley oubliant sa trademark et sa petite notoriété publique, a fait un disque de guitariste. Pas même besoin d’écouter la rondelle, suffit de voir l’intérieur du (maigre) livret rempli de gros plans sur des détails de guitares qu’on suppose prestigieuses et vintage …
La plupart des habitués de la maison Hawley furent déçus par ce « Standing … » de rupture. Ils ont dû l’écouter en travers, cette rondelle. Qui si effectivement n’a que peu à voir avec les précédentes, vaut plus que largement le coup d’oreille. D’abord parce que Hawley n’est pas un guitariste brise burnes reléguant les autres musicos au fond du mix pour placer plein centre de la stéréo un solo que l’on imagine toutes grimaces en avant de douze mille milliards de notes à la seconde. Non, Hawley mixe sa guitare à un volume tout à fait déraisonnable tout le temps, et ne se hasarde que très rarement à des solos égomaniaques (les deux sur le premier titre « She brings the sunlight » étant l’exception qui confirme la règle), qui de toute façon misent tout sur le rendu sonore plutôt que sur l’agilité des doigts le long du manche. En gros, si vous aimez le Neil Young énervé et grand-père du grunge de la fin des 80’s, ce disque est pour vous. Dans un registre de chansons tout à fait différent de celles du canadien …
Je vous avais dit qu'il était guitariste ?
Le domaine de prédilection de Hawley, c’est la ballade down ou mid tempo. Dont il s’éloigne parfois pour faire des machins beaucoup plus rentre dedans. Ainsi « Down in the woods » dont le riff rappelle le « 1969 » des Stooges (pas besoin d’en dire davantage, le seul nom des Stooges vaut plus que de longs discours). Ou « Leave your body behind you », qui avec son gros riff qui dépote et sa voix aérienne ramène au shoegazing (Angleterre, quelques mois vers la fin du XXème siècle, avec My Bloody Valentine et Ride en tête de gondole, mais que sont ces gens devenus ?). On pense aussi de loin aux Jesus & Mary Chain pour ces mélodies pur sucre noyées sous des guitares toutes en reverb, feedback et larsens …
Ce qui nous amène à parler du chanteur Richard Hawley. On sent qu’il chante parce qu’il en faut bien un qui s’y colle et comme c’est son disque, c’est tombé sur lui. Faut être clair, dans le genre ballade triste, il se situe à des années lumière de l’expressivité d’un Roy Orbison, si vous voyez ce que je veux dire … Et quand les titres s’emballent, Hawley n’a pas le coffre pour accompagner la musique. C’est le seul gros reproche qu’on peut faire à cette rondelle, avec la faiblesse relative par rapport au reste du morceau « The wood collier’s grave ».  Parce que il y a dans « Standing … » de la matière. Hawley compose bien, évite le monolithisme donnant parfois dans l’ambiance floydienne (le crescendo de « Don’t stare at the sun » même si son jeu de guitare n’a rien à voir avec celui de Gilmour), l’alternance du quiet / loud sur le même tempo (la somptueuse ballade terminale « Before »), la prière incantatoire rageuse du titre d’ouverture (« She brings the sunlight »), quelques intros (longues et très travaillées chez Hawley) qui évoquent les ambiances sombres des Doors …
Tout à fait « logiquement », malgré de louables efforts de sa nouvelle maison de disques (Parlophone) qui a sorti quatre titres en singles, « Standing … » a été une gamelle commerciale …
Normal par les temps qui courent. C’est un bon disque …


Du même sur ce blog :





KING TUFF - THE OTHER (2018)

Le King est mort, etc ...

Bien que celui dont il s’agit ici, le dénommé King Tuff, doit un peu s’en foutre d’un quelconque royaume … Il se contente, le sieur Kyle Thomas de son vrai nom, d’être guitariste plus ou moins attitré des Muggers, un des backing bands de la « superstar » Ty Segall et donc évidemment pote avec cette nébuleuse de types de la scène garage de San Francisco. Le King Tuff donnant l’impression d’être un gars assez instable et bizarre. 
Décontracté au milieu du mur de Marshalls, le King ...
Suffit de le voir poser sur sa pochette en chapeau pointu turlututu. Paraît qu’il est fan du mage sataniste Aleister Crowley (comme Jimmy Page  … ou l’Ozzy Osbourne). Paraît aussi que sous ses airs frappadingues de roi de pacotille c’est plutôt un dépressif. Tout ça nous amène à ce « The Other », aux textes pas forcément très joyeux et remplis à la gueule pour ce que j’en ai compris de références ésotériques plus ou moins fumeuses.

Ça aurait pu donner une galette genre Cure – Joy Division au rabais, le truc à écouter quand après avoir raté ta vie, tu te prépares à rater ton suicide. Ben non, pas du tout. On est très loin de la cold wave et d’une black celebration. La musique du Roi Tuff est apaisée, plutôt enjouée, voire carrément funky. Ses potes sont venus lui filer un coup de main (Ty Segall à la batterie sur la plupart des titres, quand c’est pas lui c’est Charles Moothart, Mikal Cronin fait une apparition au saxo, et Kevin Morby fait les chœurs sur un titre, on reste dans la famille). King Tuff s’occupe de tout le reste, il a écrit, enregistré at home, produit, chante et joue de tout un tas d’instruments. Dont les maintenant incontournables synthés 80’s, dont il ne garde heureusement que le côté sonore vintage, préférant en napper ses titres plutôt que d’en tirer des mélodies putassières jouées à un doigt. En résumé, le type a plutôt bon goût.
Et il écrit même des trucs qui, s’ils ne risquent pas de faire de l’ombre à Kanye West et Justin Timberlake en haut des charts se laissent écouter, et certains plutôt deux fois qu’une. A commencer par le morceau-titre qui ouvre les hostilités par des bruits de clochettes, auxquels se greffent des nappes de synthés et une mélodie évidente, le tout donnant l’illusion parfaite de la ballade 60’s toute en émotion et feeling. Le genre de titre dont pourraient tomber amoureux les fans de Nick Drake, s’il en reste encore et qu’il leur vienne à l’idée d’écouter cette galette. Ce « The Other » surclasse pour moi tout le reste du disque… sans que toutefois le reste démérite. On pourra néanmoins zapper sans trop de regrets « Infinite smile », le genre de titre un peu foutraque comme le scientologue Beck doit en écrire dix par jour et foutre à la poubelle ensuite. Le single choisi, censé booster la notoriété du machin, c’est « Psycho star » qui à mon avis est plutôt quelconque, passons ….
Au milieu d'un cadre très aristocratique ...
Mais il serait quand même dommage de passer à côté du somptueux « Birds of paradise » (rien à voir avec les terrifiants Mahavishnu Machin), grande chanson pop citant je crois bien des bribes du « Pastime paradise » de Stevie Wonder. Et tant qu’on est parler de l’aveugle dreadlocké de la fin des 70’s, il y a parfois tout du long de ce « The Other » de ces intonations funky jazzeuses dont était friand le Wonder. J’ai même cru déceler (ou sont-ce mes nouvelles enceintes qui sont pas encore rodées) sur les couplets de « Circuits in the sand » des bribes mélodiques très « I will survive ». Rayon bonne pioche, on peut prendre « Raindrop blue » classic rock d’americana qui ne dépaysera pas les aficionados de la sainte trinité centriste Springsteen-Seger-Petty. Et alors que la planète semblait avoir oublié le Knopfler du temps de Dire Straits, l’intro de « Ultraviolet » (rien à voir avec l’égérie de Warhol ou le morceau de U2) fera ressortir des étagères « Money for nothing » pour constater que la gratte du Tuff sonne comme celle du Marko K… Précisons que tout ceci tient plus du subliminal que de la citation scolaire ou de la copie éhontée.
King Tuff est un guitariste. Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il la joue pas vraiment guitar hero, et perso ça me gêne pas. Il s’appuie volontiers sur ses vieux claviers et ça donne une patine très rétro chic à son disque, sans que ça tourne non plus à la citation énamourée de la syntaxe musicale 60’s – 70’s. Il y a chez lui une sorte de classicisme, une envie de faire un disque « à l’ancienne ». Et comme une évidence, « The Other » se termine avec « No man’s land » par une ballade-berceuse (genre « Goodnight ladies » de Lou Reed) qui va crescendo en s’appuyant sur des nappes de synthé comme on en a entendu des milliers …
De la belle ouvrage, plutôt bien faite, quelques excellents titres, rien de révolutionnaire, donc le King peut garder sa couronne …



SIDNEY LUMET - NETWORK (1976)

Echecs et audimat ...

Un type (Sidney Lumet) qui pour son premier film a sorti le phénoménal huis-clos tendu « Douze hommes en colère » mérite estime et attention. Et celui d’avant « Network » s’appelle « Un après-midi de chien ». Et quelques mois encore avant il y avait eu « Serpico ». Conclusion : Lumet joue obligatoirement dans la cour des (très) grands.
« Network » (« Main basse sur la télévision » a été rajouté au titre pour la version française) est un film totalement déjanté. Ou plutôt il met en scène des gens totalement déjantés. « Network » nous amène dans les coulisses d’une chaîne de télévision nationale américaine, UBS. Une chaîne qui en principe n’existe pas et n’a jamais existé. Mais qui, malgré toute sa démesure, est bel et bien réelle…
Sidney Lumet
Lumet nous montre la télévision façon iceberg. La partie émergée, celle qui est dans l’écran et la vie des téléspectateurs. Et puis la partie immergée, les coulisses, tous ces gens qui n’apparaissent jamais devant les caméras mais font d’une émission ou d’une chaîne ce qu’elle est. Et à propos de caméra, celle de Lumet a un regard acéré, pour ne pas dire féroce.
Le monde de la télévision tel que Lumet le montre (et tel qu’il est réellement, on le sait depuis) est un monde à faire passer celui de la finance pour le pays de Candy. Ce qui compte, c’est faire de l’audimat, de la part de marché, et tout utiliser pour arriver à ses fins. Ici, la partie émergée de l’iceberg, c’est le présentateur Howard Beale (interprété par le phénoménal acteur anglais Peter Finch), sorte de Roger Gicquel (on me lit aussi dans les EHPAD, enfin surtout dans les EHPAD) américain. Le présentateur du journal d’info majeur de la chaîne, un peu beaucoup has been et qui après avoir été la superstar nationale des news, voit son audience s’effondrer. Sentant qu’il va perdre son poste de présentateur vedette, il annonce lors d’un journal télévisé son prochain suicide en direct. Beale a totalement pété les plombs, carbure au whisky au litre, et devrait être soigné pour ce qu’il est devenu, un dépressif alcoolique qui avance à grands pas vers la démence la plus totale.
Howard Beale superstar
Problème, l’annonce de son suicide a fait l’effet d’une bombe dans le paysage audiovisuel. C’est là qu’interviennent toutes les parties immergées de l’iceberg. Son pote Schumacher (William Holden), directeur de l’info à « l’ancienne », des faits, rien que des faits, et pas du sensationnel, qui va tout faire pour soustraire Beale à la machine infernale qui se met en place. Parce que dans le bureau de la directrice de la programmation se trouve Diana Christensen (fabuleuse Faye Dunaway) qui selon sa propre expression « veut de la télé qui saigne ». Christensen est une garce (je vais pas traiter Faye Dunaway de salope, quand même) arriviste, qui ne rêve que de monter dans l’organigramme d’UPS. Laquelle UPS est en train de passer sous le contrôle du gros conglomérat audiovisuel CCA. Autant dire que des étages se rajoutent à l’ascenseur social. Ce dont se rend parfaitement compte également Franck Hackett (le toujours excellent Robert Duvall), directeur d’UBS …
Dès lors, contre l’avis de Schumacher (qui se fera rapidement virer), Hackett et Christensen (lequel se sert de l’autre pour arriver à ses fins ?) vont pousser le pathétique Beale sous les sunlights. Il est totalement barjot ? Qu’importe, il a fait parler de lui avec son annonce de suicide en direct, on va donc lui filer un prime time comme ils disent aujourd’hui, le présenter comme un gourou médiatique d’une nouvelle race pour faire venir les spectateurs sur sa tranche horaire. Et ça marche, au-delà de tous les espoirs. Le pauvre cinoque, qui arrive parfois bourré ou en pyjama sur le plateau se lance dans des tirades-prêches hystériques sans queue ni tête que les spectateurs sont de plus en plus nombreux à mater. Christensen devient vraiment quelqu’un et Hackett prend sérieusement le melon et une place de plus en plus importante dans le conseil d’administration de la CCA. Plus rien n’arrête Christensen qui monte une autre émission dans laquelle une pasionaria communiste ( aux USA ! ) invite sur son plateau des terroristes (abrutis mais d’ultra gauche révolutionnaire). Et ça marche aussi … Jusqu’à un pétage de plombs de Beale qui un soir dévoile les dessous du rachat d’UBS par la CCA. Et …
Faye Dunaway & William Holden
Et … je vais pas tout vous raconter. Z’avez qu’à voir le film qui recèle son lot de scènes hystériques (le tête à tête de Beale et du PDG du CCA est fabuleux), n’oublie pas une romance (dispensable) entre Schumacher et Christensen, et délivre un final apocalyptique d’une noirceur totale …
C’est là que le bât blesse quelque peu. Lumet en fait trop (même si paraît-il des scènes du film ont réellement eu lieu, rubrique dessous de la télé ou faits divers), surenchérissant tout au long des deux heures sur l’hystérie communicative qui gagne tout le casting, préférant un roller coaster d’images, de plans, de scènes de plus en plus incroyables, une fuite en avant vers le grotesque le plus effrayant. Et on n’a plus le temps de s’interroger, de mettre en perspective ce que l’on voit à l’écran avec ce qui peut s’y passer réellement. On navigue plus souvent du côté de la farce que de la satire grinçante, qui était au départ le but du jeu …
Il n’empêche, « Network » est un film à voir. Ne serait-ce que pour le thème choisi et la performance des acteurs (Peter Finch y gagnera un Oscar pour sa prestation, malheureusement pour lui à titre posthume)…
Regardez « Network » et vous ne verrez plus la télé de la même façon …


Du même sur ce blog :



VINCE TAYLOR - VINCE..! (1965)

Il portait un blouson de cuir noir ...

Et je sais pas s’il y avait un aigle sur le dos… Vince Taylor, c’est le rocker tout de cuir noir vêtu, un look pompé sur Gene Vincent… Qui a dit Dick Rivers ? Tu sors, mais sache que tu n’as pas tout faux, le Niçois a souvent fait les premières parties du Vince et s’est fringué comme lui. Même si sur la pochette de ce « Vince .. ! », Taylor est plutôt en chemise à jabot de Prisunic, genre farfadet psychédélique fauché (on est en 1965, les cheveux et les fleurs commencent à pousser).
Vince Taylor
Vince Taylor est Anglais. Il fait partie de ces pionniers du wockanwoll, mais joue médiatiquement en seconde division. Son seul titre de gloire est un demi-classique « Brand new Cadillac » publié en 1959 comme face B d’un 45T dont on a oublié la face A. Vince Taylor (Brian Maurice Holden pour l’état-civil) est au moins bizarre, voire un peu cinglé. Allez savoir pourquoi, il est un des premiers à bénéficier d’un culte en France, alors qu’il est quasi inconnu dans le reste du monde (avant Johnny Thunders, Alan Vega, Pete Doherty, et autres bizarros du même acabit). Faut dire qu’il s’est fait remarquer au début des 60’s dans des « galas » (on appelait les concerts comme ça à l’époque) qui finissaient souvent en vrille (le saccage du Palais des Sports en 1961). A la rue chez lui, il sera signé en France par Eddie Barclay qui essaiera de l’imposer dans des styles assez disparates, n’ayant souvent que peu de choses à voir avec le rock’n’roll des origines.
Après avoir eu comme backing band les Play Boys, Taylor engage (merci Barclay) le Bobby Clark Noise, groupe du batteur Bobby Clark (qu’on retrouvera un peu plus tard chez Johnny). Bobby Clark s’étant fait remarquer de ses contemporains en étant soi-disant le premier dans le rock à utiliser un kit de batterie à double grosse caisse. Les types donnent de bons concerts, et Barclay voit tout l’intérêt de sortir un disque en public. Mais manière d’assurer le coup, le disque en public sera enregistré … en studio … comme tant d’autres. Bon, même en ces temps antédiluviens, les ingés son faisaient bien le boulot, et on a droit sur ce « Vince ..! » à une vraie fausse présentation d’un certain Mike « Rosco » Prescot, à des applaudissements du public qui vont croissant, et des demandes de rappel hystériques. Bref on s’y croirait …
Son nom est écrit sur la batterie ...
On s’y croirait d’autant plus que les types même en studio ont joué et chanté tous ensemble en même temps, et puis qu’ils se sont lâchés. Ce « Vince.. ! » a une grosse réputation. Et aussi une certaine valeur chez les collectionneurs, parce que peu souvent réédité (la dernière fois en 2008 en quantités limitées) et jamais en Cd. Question : faut-il lâcher une trentaine d’euros pour la demi-heure de « concert » en vinyle état mint ? Faut voir …
Déjà, il est quand même conseillé de connaître un peu Vince Taylor, qui a grosso modo alterné des bas et des moins bas (si un grabataire fan du bonhomme passe par là, qu’il économise le post d’insultes, je m’en tape et j’y répondrai pas). Vince Taylor n’est pas un grand chanteur, compose peu (ici sur neuf titres, il en cosigne un seul « The men from El Paso » avec son guitariste Ralph Danks) et passe du coq à l’âne au niveau des reprises (entre « Jezebel » d’Aznavour, « Summertime » de Gershwin, « Trouble » d’Elvis, enfin de Leiber & Stoller, on dira pour être gentil que ça ratisse large …).
En gros, la première face est dispensable, et les deux cuivres du groupe n’ont pas trop à se fouler niveau imagination, les titres sont abordés soit façon rhythm’n’blues, soit jazzy, soit (tocade toute personnelle du Vince) façon mariachi. Témoin du quasi naufrage, la reprise de « Long Tall Sally » de Little Richard. Putain, ça fait combien de fois que je l’écris que faut faire très gaffe avec Petit Richard, faut avoir le coffre et l’hystérie pour le reprendre, et c’est pas donné à grand monde …
Vince Taylor & Bobby Clark Noise
La face B de la rondelle est heureusement bien meilleure. Une version énervée (c’est bien le moins, le Vince sait de quoi il parle en terme de baston) de « Trouble » avant la masterpiece du disque. Ça s’appelle « Clank Pt 1 & 2 », et pas de bol pour Vince, c’est un solo de plus de cinq minutes de Bobby Clark, un solo et physique et technique qui met en valeur sa double grosse caisse. Ce titre a fait son petit effet chez les batteurs et les musiciens de l’époque, bien que les grincheux argueront qu’un solo de batterie, c’est généralement aussi intéressant que la lecture d’un annuaire téléphonique … Mais après ça, le Vince se lâche sur « High Heel Sneakers » et « My Baby left me » qui concluent le disque. Il rentre dans le lard des deux classiques, préfère la rage à la justesse, et entraîne le reste de sa troupe qui doit y aller à fond pour suivre la cadence infernale du leader, toute en accélération permanente. Et là, on est plus dans les fuckin’ fanfares mexicaines, on est dans le rock’n’roll brut, sauvage, et qui se pose pas de questions …
Bon, l’impact de ce « Vince .. ! » restera confidentiel. De toute façon, vu l’état assez erratique de Taylor, même un gros succès n’aurait pas changé grand-chose pour lui. Toujours proche de son armoire à pharmacie, il va aller vers des drogues de plus en plus dures qui le tiendront pendant des lustres dans un état de clochardisation quasi permanent, ses rares apparitions publiques ou discographiques à partir des années 70 ne faisant rien pour arranger sa réputation …
La légende était déjà imprimée, Vince Taylor serait l’ange noir du rock’n’roll … en France …



WILLIAM WYLER - BEN-HUR (1959)

Judah & Jesus ...

Quelque part, il y a une donnée qui résume tout : 11 Oscars pour Ben-Hur, record mondial partagé avec « Titanic » et « Le Seigneur des Anneaux – Le retour du Roi ». En clair, pour ramasser pareille avalanche de statuettes dorées, faut faire dans le grand spectacle familial consensuel. Ce qui n’est pas honteux, mais oblige quand même à arrondir certains angles… ou à en faire un peu trop …
Il y a tout ça dans « Ben-Hur », film fleuve (faut-il faire des films de plus de trois heures pour gagner plus de dix Oscars ?) centré sur cinq ans de la vie de Judah Ben-Hur, riche juif de Judée sous le règne de l’empereur Tibère.
C Heston, S Boyd (Messala) & W Wyler
Sauf que … la première scène voit les Rois Mages en Galilée qui suivent des yeux l’Etoile du Berger (merci Sheila) pour aller déposer leurs présents sur le berceau du fils du charpentier. Deux cent vingt minutes plus tard, un rayon de soleil éclaire le Golgotha et ses trois croix … Et de temps en temps dans le film, le petit Jésus (pas si petit que ça, de subtils cadrages ou subterfuges, à se demander s’ils le mettent sur un escabeau, il dépasse tout le monde de deux têtes) vient croiser la route de Judah Ben-Hur (ou le contraire) : il lui donne à boire quand il est conduit aux galères, il prêche au Mont des Oliviers quand Judah passe par là, et Ben-Hur traîne dans les rues lors du Chemin de Croix, et est au premier rang lors de la crucifixion … un Jésus toujours filmé de dos, mais bien présent. Trop ? En tant que suppôt de Satan, pour moi c’est oui. Et ça vient parasiter un peu beaucoup l’intrigue principale sans lui apporter quoi que soit de déterminant (le pardon rédempteur de la fin, on a vu ça des milliards de fois sans pour autant que Dieu ou sa famille aient besoin de s’en mêler). « Ben-Hur » ne risquait pas de s’attirer les foudres de tous ces groupuscules et lobbies de pression religieux si influents aux Etats-Unis.
Ça ne devait pas déranger outre mesure non plus William Wyler, bon metteur en scène chasseur de succès au box office (« Les Hauts de Hurlevent » « Mrs Miniver », « Vacances romaines »), qu’il ne viendrait à personne l’idée de qualifier de réalisateur révolutionnaire … Même si techniquement le Wyler se surpasse. Avec une histoire de format d’image novateur auquel j’entrave rien, mais surtout avec quelques scènes grandioses, comme la bataille navale, le triomphe à Rome, et forcément la course de chars. Cette dernière ayant nécessité des semaines de tournage, des nuées de figurants, des caméras partout (il paraît qu’on en voit si on fait défiler image par image, non mais, y’a vraiment des gens qui ont rien à foutre de leur vie, comme si ça durait pas assez longtemps …), quelques vrais blessés sur le tournage pour cette version antique des duels Prost – Schumacher …
Ben-Hur & Esther
Il n’empêche, que réserves laïques (païennes ?) mises à part, Ben-Hur se laisse regarder plaisamment. Surtout en Blu-Ray avec image restaurée (version 2009) et d’une netteté euh … diabolique. Ben-Hur, c’est Charlton Heston. Le beau gosse baraqué de l’époque, tous pectoraux en avant. Faut dire qu’il avait déjà testé le péplum biblique en étant en haut du casting dans « Les Dix Commandements ». Et faut reconnaître aussi qu’il signe une performance irréprochable et mérite la statuette dorée qu’il a récoltée à titre personnel. Il y aurait beaucoup à dire sur ce qu’est devenu le jeune premier (un Républicain figure de proue de la NRA). On s’en tiendra juste à la remarque qu’on peut avoir été un grand acteur et finir sale gros con … « Ben-Hur » repose sur les épaules de Heston, entouré d’acteurs que l’on peut sans être injurieux qualifier de seconds couteaux, venant de tous horizons (en plus des obligatoires américains, on trouve des anglais et même une israélienne, Haya Harareet, qui joue Esther, l’amoureuse-compagne de Ben-Hur).
Un certain sens du grandiose
L’histoire est simple, les ressorts de l’intrigue également. Ben-Hur, chef d’une famille princière très aisée de Judée, voit débarquer à Jérusalem son ami d’enfance, le Romain Messala. Ils ne se sont pas vus depuis longtemps et après les premières effusions, l’atmosphère devient glaciale, puis très vite haineuse entre eux. Judah ne rêve que d’émancipation pour son peuple colonisé et asservi par Rome, Messala est un ambitieux arriviste qui rêve lui d’une grande carrière dans l’Empire. Messala utilisera le premier prétexte venu pour envoyer Ben-Hur aux galères, où il ramera des années avant de sauver la vie d’un haut dignitaire romain lors d’une bataille navale, d’être adopté par lui, de triompher à ce titre à Rome, d’y devenir un grand conducteur de chars. Il sera dès lors temps pour lui de revenir en Judée pour se venger de Messala lors de la fameuse course de chars, Messala représentant Rome, et Ben-Hur les Judéens et les Arabes (autre peuple asservi) qui lui ont fourni les chevaux. D’autres événements et personnages secondaires donnant un peu plus de consistance au scénario, la recherche par Ben-Hur de sa mère et de sa sœur arrêtées en même temps que lui, l’histoire d’amour avec Esther, la fille de son intendant, l’apparition des personnages historiques ou bibliques tels Ponce Pilate, Tibère, Balthazar, …
Si l’on est pervers, on peut voir dans Ben-Hur la symbolique du peuple opprimé se révoltant contre son oppresseur, on peut garder les Juifs et « remplacer » les Romains par les nazis, et toutes sortes de symboliques de ce genre. Pas sûr que Wyler et ses scénaristes aient voulu aller aussi loin. Beaucoup plus prosaïquement, faut certainement s’en tenir à ce qu’on voit à l’écran.
Et si on s’en tient à ça, « Ben-Hur » reste quand même un bon film et un bon spectacle familial …