ALEXANDRE SOKOUROV - L'ARCHE RUSSE (2002)

L'Arche Perdue ?

La première chose qui revient systématiquement dès qu’on cause de « L’Arche Russe », c’est la prouesse technique que représente le film. Quatre vingt neuf minutes en un seul plan séquence tourné le 21 Décembre 2001. Bon, vous me direz, dans les années 60 et 70, il suffisait de regarder « Au théâtre ce soir » pour avoir un plan séquence qui durait autant ou plus. Les types de l’ORTF posaient leur unique caméra au fond de la salle et la laissaient tourner jusqu’à ce que la pièce soit finie. Techniquement, c’était un plan-séquence.
Sokourov (à droite) et son équipe
Alexandre Sokourov, cinéaste russe cantonné aux séances d’art et d’essai en Occident, a fait un truc totalement fou. Son film fait intervenir, selon les sources, à peu près huit cent acteurs et mille figurants en costume d’époque. Et quelle époque, vous demandez-vous. Euh, c’est compliqué, il y a dans ce film des personnages historiques ayant vécu au XVIIIème (l’empereur Pierre le Grand), des personnages contemporains (le directeur de l’Ermitage), de vrais personnages historiques fictifs (le marquis Custine qui a réellement existé mais pas comme il est montré dans le film, vous suivez ?), des types contemporains qui jouent leur rôle dans le passé (le chef d’orchestre Valery Georgiev), des personnages invisibles que l’on voit et que les autres voient parfois, mais pas toujours (Custine), des invisibles qu’on voit pas (le narrateur), et … bien souvent l’envie de prendre deux Doliprane et de laisser tomber ce foutoir mis en images.
Custine va croiser la Grande Catherine
Parce qu’à part d’avoir Bac + 5 en histoire russe et Bac + 12 en histoire de l’art, on n’y comprend rien à ce bazar. Sauf que ce maelstrom hermétique, va savoir pourquoi, on finit par s’y accrocher. Surtout à cause de la fluidité du film qui donne une image toujours en mouvement. En, gros, ce ne sont pas les acteurs et les figurants qui se succèdent devant la caméra, mais la caméra qui va vers eux, empruntant de petits couloirs pour se déplacer d’une grande salle à une autre, n’hésitant pas à s’offrir une ballade dans une cour intérieure de l’Ermitage sous la neige par une froid polaire en prenant le risque d’un embuage de l’objectif lorsqu’il faut revenir en intérieur. La caméra est une steadycam numérique portable qu’un type porte fixée à une sorte de harnais. Le cameraman avoue dans les bonus qu’il est totalement épuisé au bout d’une heure, alors qu’il lui reste la scène la plus folle à filmer, celle du bal et la sortie des centaines d’invités à cette sauterie impériale. Cette scène vient titiller en matière de sommets celle qu’il y a dans « Le Guépard » de Visconti tout en ayant un rendu totalement différent. Dans « L’Arche Russe », la caméra danse au milieu des aristos, se ballade de groupe en groupe, s’en va faire un tour au milieu de l’orchestre, tout en ne perdant pas de vue le personnage principal.
Clap Your Hands Say Yeah ?
Evidemment, tout cela ne s’improvise pas. Sokourov n’a eu qu’une seule journée pour filmer. Une nuée de techniciens a dû travailler toute la nuit après la fermeture du musée pour aménager décors et éclairages, pendant qu’ailleurs en ville une armée de costumières harnachait acteurs et figurants, transportés ensuite par cinquante bus sur le tournage. Quatre ans de travaux préparatoires et de répétitions (même si ça a l’air totalement bordélique, chaque geste, chaque mot prononcé a d’abord été écrit) ont été nécessaires. Et malgré tout ce travail humain, la star du film, c’est le Musée de l’Ermitage (de temps en temps, il y a des apartés de Custine, voire des bribes de discussions en rapport avec les pièces traversées, et les objets, surtout les tableaux exposés).
Malgré tout, « L’Arche Russe » reste le plus souvent abscons, voire élitiste (pas certain que le Russe de base ne s’y perde pas). Esthétiquement, c’est extraordinaire, ça envoie « La corde » d’Hitchcock dans les cordes, ça place la barre très haut en matière d’intérieurs et de costumes. Le problème c’est que c’est un film qu’on pourrait regarder en coupant le son tant l’histoire (ou plutôt les fragments d’Histoire) montrée reste inaccessible au fan de base de Johnny (non, je déconne, les fans de Johnny sont pas plus cons que ceux d’Obispo). « L’Arche Russe » est avant toute autre considération une expérience visuelle unique.
Et pourquoi ça s’appelle « L’Arche Russe » me direz-vous. La réponse est dans le dernier plan. Bon courage d’ici là …



2 commentaires:

  1. "La réponse est dans le dernier plan. Bon courage d’ici là …". Le dernier plan... mais si y'en a qu'un, c'est donc le premier. On reformule : à la toute toute toute fin du premier plan !

    Pas vu, mais évidemment entendu parlé. La question est : à part la prouesse technique, cela a-t-il du sens ? Dans "La corde" le temps réel se justifiait par l'histoire. En fait, le réalisateur a voulu regrouper toutes les composantes de la société russe, au même endroit et en même temps ? (c'est ça la réponse à la question de "l'arche" - de Noé ???).

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    1. Je reformule : la réponse est dans les dernières images du film, ... euh non, du plan-séquence ... à la fin quoi ...

      Il y a un peu de tout ça, si tant est que j'ai compris le but du jeu. Le musée est évidemment la référence au passé, au patrimoine ... L'arche russe a selon moi plus à voir avec l'informatique qu'avec le cinéma...
      c'est une sorte de sauvegarde - restauration de pans de l'histoire russe...
      L'arche de Noé ... effectivement aussi (mais pas la saleté biblique en motion capture avec Russel Crowe) ...

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