SONNY SMITH - ROD FOR YOUR LOVE (2018)

L'homéopathie Smith ...

Ne surtout pas se fier à la pochette. On dirait l’affreux Michael Youn en train de se la péter dans une décapotable vintage ricaine. Ben non, ce type est une de ces légendes underground (entendez par là qu’à part sa famille et quelques spécialistes du rock indé de la Côte Ouest des USA, personne en a jamais entendu causer) dont les faits d’armes sont habituellement commentés par ses maigres cohortes de fans.
Sonny Smith & Dan Auerbach
La plupart du temps, il sévit en groupe, sous le nom de Sonny & The Sunsets (et cette fois-ci, c’est bien avec ses Sunsets qui l’accompagnent sur scène qu’il a enregistré, mais comme les paroles sont très personnelles, « Rod for your love » paraît sous son seul nom). Son plus haut fait d’armes à ce jour est d’avoir fait le pari (stupide ?) de sortir cent (oui, vous avez bien lu) 45T sous autant de pseudos différents et avec des comparses plus ou moins nouveaux à chaque fois. Sinon, il est paraît-il pote avec Ty Segall et John Dwyer, et rien que pour ça, il a toute ma sympathie, Smith.
Pour ce « Rod for your love », il s’est acoquiné avec Dan Auerbach le chanteur guitariste des Black Keys, et s’en est allé enregistrer dans le studio de ce dernier, à Nashville (le disque sort d’ailleurs sur le label d’Auerbach, Easy Eye Sound). Vu la tournure de plus en plus mainstream qu’a pris la carrière des Black Keys, il aurait été présomptueux d’attendre un décape-oreilles radical de l’Auerbach.
On est fixé dès l’intro du premier titre « Pictures of you » qui a comme un petit air de celle de « Mr Tambourine Man » par les Byrds. Ce qui en soi est plutôt pas mal. La mélodie est superbe, le chant de crooner désabusé du Smith soutenu par des chœurs féminins discrets et des arrangements millimétrés, tout concourt à faire de cette mise en bouche une réussite. Bon, des types capables d’un morceau génial entouré de machins soporifiques, c’est pas ça qui manque.
Et bien, avec Sonny Smith, on a pas le temps de piquer un somme. D’abord parce que le disque dure pas trois plombes (dix titres en 31 minutes), et ensuite parce que le niveau d’excellence se maintient d’un bout à l’autre. Assez surprenant, parce que le Smith n’est pas un joyeux de nature, plutôt un dépressif qui fait des efforts pour avoir juste l’air triste. Après écoute de cette rondelle, il y a un nom qui clignote chez moi, celui d’Elvis. Non, pas l’amateur de sandwiches au beurre de cacahuètes, mais le teigneux binoclard Costello. Et plus précisément le Costello de « Imperial bedroom » (1982), quand l’autre Elvis s’était mis en tête de sortir au milieu de sa logorrhée vinylique, un disque de chansons comme on n’en avait pas entendu depuis … Lee Hazlewood ? … Burt Bacharach ?
Sonny Smith
« Rod for your love » est un disque de sunshine pop triste, inspiré par les grandes chansons des années soixante, avec le son des années quatre vingt. Vous situez ? Non ? Tant pis pour vous … Que le grand cric me croque si certaines mélodies n’ont pas comme un air de déjà entendu (attention, on ne parle pas copie ou plagiat, mais réminiscences). Si l’intro de « Burnin’ up » n’évoque pas celle de « Stand by me » ; si les paroles du ska ralenti  « Live, love and be free » (sublime meilleure chanson du disque, adressée à son fils) ne rappellent pas les Specials (« A message to you my son » vs « A message to you Rudy ») … Et tiens, ces Specials là étaient produits par … Elvis Costello, je vois que vous suivez. Le Joe Jackson de la grande époque (celle de ses débuts) pointe son museau (les lignes de basse de « Lost »), le Ray Davies qui torchait plus souvent qu’à son tour des titres géniaux planqués sous des mélodies désuètes est aussi de la revue (« More bad times »). Sinon, on pense à la power pop du Dwight Twilley Band, à l’americana mainstream de Petty (« Refugees », un titre pareil ne peut pas être une coïncidence).
Pour faire simple, on dira que sur dix morceaux, ils y en a neuf de magnifiques. Le dixième (« Bores me to tears »), placé à la fin du disque est le plus ambitieux, comme si Sonny Smith voulait donner sa version de « Good vibrations ». Faut quelquefois savoir raison garder, le résultat est plutôt médiocre, n’est pas Brian Wilson qui veut …
Disque totalement improbable et pourtant réussite majeure… quand je vous disais qu’il a toute ma sympathie, Smith …



SEX PISTOLS - NEVER MIND THE BOLLOCKS (1977)


Hey Hey My My, Rock’n’roll can never die
Il y a des disques qui sont plus importants que d’autres, qui comptent vraiment dans le rock … parce qu’ils créent quelque chose de neuf, de révolutionnaire, une nouvelle façon d’appréhender la musique. De ces disques essentiels, en comptant large, on doit pouvoir en trouver une dizaine en soixante et quelques années. Et « Nevermind the bollocks » en fait partie.
Pas tant par son contenu. Une sorte de hard-rock primaire balancé vite et mal, à grosses guitares, (celles de Steve Jones, le seul du lot à savoir correctement jouer d’un instrument), venu en droite ligne du glam et du rock’n’roll des origines, avec tout qui doit être dit dans trois minutes. Et également inspiré par le pub-rock énergique et primitif des British Dr Feelgood, Ducks DeLuxe, Eddie & The Hot Rods, … ou les Amerlos Ramones et Heartbreakers (les bons, enfin, ceux de Johnny Thunders) …
Jones, Vicious, Rotten & Cook : The Sex Pistols
Les Sex Pistols et le punk en général se sont construits non pas pour proposer quoi que ce soit de nouveau ou d’original, mais en réaction envers ce qui existait. L’heure dans l’Angleterre de 1977 était au politiquement correct, en pleine préparation de la commémoration des 25 ans de règne de la Reine … les Sex Pistols prôneraient donc par souci d’opposition radicale l’anarchie, ce mot qui allait tant effrayer les bourgeois de tous ordres, et notamment ceux de l’industrie musicale. Les Pistols n’avaient en fait aucune conscience politique, leur seul credo était de faire n’importe quoi. Et avec des provocateurs-nés comme Rotten ou des débiles profonds comme Vicious, on allait être servis au niveau du n’importe quoi … l’apologie du chaos comme forme ultime de positionnement social.
Des jeunes glandeurs qui veulent faire un doigt au système, c’est pas ça qui manque, en musique comme ailleurs. Bien peu arrivent à se faire entendre. Les  Pistols réussirent à être des stars planétaires avant même d’avoir enregistré un 45 T. Aujourd’hui, la  nouvelle génération qui s’imagine préparer la révolution en insultant son prochain sur Twitter à grands coups de hashtags débiles appellerait çà un buzz d’enfer …
Les Pistols ont eu la chance d’être au bon endroit au bon moment, et même si les « vrais » punks anglais de 77 ne représentaient que quelques poignées d’individus, ils disaient tout haut ce que l’ensemble de la jeunesse locale pensait tout bas. Marre de ces consanguins totalement out qui squattaient Buckingham Palace, marre de cette société qui, déjà, ne proposait comme avenir que des formulaires d’allocs à garnir, marre de ces zicos embourgeoisés pétés de thunes, claquemurés dans leurs manoirs du Surrey, marre des vieux Stones, Who, Led Zep, Floyd, Yes, Genesis, …, de la bouillasse jazz-rock et de la tambouille prog. Et place au « Do it yourself », en substance si vous voulez pas de ce qu’on a à proposer, on va se débrouiller pour le faire quand même, et à nous aussi le pognon, la bonne coke, les Aston Martin, et les groupies sublimes dans chaque piaule d’hôtel …

Il fallait à ce bouillonnement désorganisé une vision, une approche, pour arriver à ses fins. L’homme de la situation s’appellera Malcolm McLaren, agitateur arty de seconde zone, déjà auteur d’un relookage catastrophique de ce qu’il restait des New York Dolls en trotskistes, mais qui trouvera avec les Pistols des débuts (les rapports se dégraderont très vite, surtout avec Rotten, le plus intuitif du groupe) un terreau sur lequel faire pousser ses idées toutes particulières du management. Le moindre incident, la moindre déclaration stupide de ses protégés seront ainsi amplifiés au maximum, et les occasions ne manqueront pas, les Pistols étant signés et éjectés aussi sec de deux maisons de disques avec procès retentissants à l’appui avant de s’échouer chez Virgin où paraîtra « Nevermind … » ; les Pistols se verront interdire de concert dans la plupart des grandes villes anglaises, Londres en tête. McLaren aura beau jeu de hurler au loup de la censure, de la répression culturelle. Et quand par hasard ils trouveront un rade qui veut bien d’eux, l’apocalypse que les Pistols y déclencheront au bout d’une poignée de titres fera les choux gras et la une des tabloïds à scandale, ce qui était bien évidemment le but recherché …
« Never mind the bollocks » sera le manifeste de cette génération punk et obtiendra un bon succès un peu partout dans le monde. Le temps de claquer les premières royalties en dope, et le groupe partira vite en quenouille, avec quasi simultanément le départ de Rotten et la mort de Vicious… Mais la déflagration aura été telle, que de partout dans le monde surgiront des teigneux mal coiffés et malpolis qui reprendront le flambeau et feront de 1977  et de quelques années suivantes de grands millésimes d’air frais musical…
Et puis, comme tout dans le music business finit par un déjeuner avec son banquier et (ou) ses avocats, on a pu, au détour de la programmation d’un quelconque festival, voir et écouter des Sex Pistols reformés … avec Rotten, vieux, gros et riche qui fait son numéro de muezzin psychotique, sans Vicious toujours aussi mort, et les autres qui ont appris à jouer … pantalonnade sans aucun intérêt.
Il faudra après « Nevermind the bollocks » attendre quinze ans et Nirvana pour voir pareille chose secouer le monde ronronnant du music business… Et depuis le trio de Seattle, ça fait plus de vingt cinq ans qu’on espère que quelques gamins la rage aux dents viendront signifier aux geignards Coldplay, Muse, Radiohead et autres ennuyeux, que bon, ça va, on les a assez entendus ces pénibles, ils peuvent dégager …
Eh oh, Lester, tu crois que t’as fini ta chronique là ? T’as pas dit un seul mot sur ce putain de disque … Qu’est-ce qu’on y entend sur ta putain de rondelle ?
L'émission de télé avec Bill Grundy, le scandale arrive ...
Euh … du boucan, essentiellement. Par trois types, enfin deux … Paul Cook se fait chauffer les articulations des coudes à force de cogner sur ses toms le plus vite et le plus fort possible (avant que ça devienne un  passage obligé pour les les drummers punk, trash, hardcore, metal ou que sais-je …). Steve Jones, lui assure des parties de guitare qui ont du laisser songeur Santana (du riff bourrin, au mieux rock’n’roll, quelques chorus, pas le moindre foutu solo, fans d’Alvin Lee et de Dickey Betts, circulez …). Et puis, comme le docile Matlock (pas assez punk) s’est fait lourder et remplacer par le demeuré Sid Vicious, totalement incapable de sortir la moindre note de sa basse, c’est Jones qui a aussi assuré les lignes de basse (là aussi, si t’es fan de Jaco Pastorius, casse-toi …). Pas de bol pour Jones, dès la sortie de « Never mind … », une rumeur persiflante et insistante a prétendu que c’était le requin de studio Chris Spedding qui jouait toutes les parties de guitare, ce qui est faux … Tiens, en passant, une anecdote de studio. « Never mind » a été enregistré à Londres, au Wessex Studios. En même temps que les Pistols, Queen enregistrait «  A day at the races » (celui avec « We will rock you » et « We are the champions »). Et Freddie Mercury, cabot comme pas deux, passait son temps quand il le croisait à chambrer le « terrible » Sid Vicious (il était surtout terrible quand il avait beaucoup de monde avec lui, sinon il était gaulé comme une arbalète et toujours raide déf, il faisait pas le poids) qu’il appelait Stanley Ferocious …
Et puis, les Pistols, c’était avant tout Johnny Rotten. Lui avait de la répartie, ridiculisait tout son monde en interview, et savait trouver les formules et les accroches qui tapent fort et juste. Pas pour rien si les deux titres les plus emblématiques du punk toutes époques et continents confondus sont « God save the Queen » (« God save the Queen, her fascist regime … » et « Anarchy in the UK » (« I am an Antichrist, I am an anarchist … »). Rotten était un observateur féroce, décrivant avec les mots qui cognent et font mal  la déliquescence de la société anglaise… comme un Ray Davies des banlieues, et si vous savez pas qui est Ray Davies, c’est pas que vous êtes punk, c’est que vous êtes juste incultes …
C’était les Sex Pistols … et aujourd’hui on s’en bat les couilles, on préfère Maître Gims … porca miseria …



JANE'S ADDICTION - RITUAL DE LO HABITUAL (1990)

Casser les codes ...

Jane’s Addiction, c’est une de ces références que l’on s’échange sous le manteau. Pas vraiment underground (2 millions de copies de ce « Ritual … » dépotées rien qu’aux States), mais suffisamment borderline pour faire fuir l’amateur de binaire lambda. Une existence et une discographie erratiques (le groupe n’a fait paraître que deux albums studio à ses débuts), des retrouvailles épisodiques sous haute tension, bref une entité qui passe à côté de toute logique mercantile et commerciale, de tout plan de carrière… Même si tous les festivals « indépendants » du monde plus ou moins libre découlent du Lollapalooza initié au début des 90’s par Perry Farell, le frontman de Jane’s Addiction …
Dites-le avec des fleurs, Jane's Addiction 1990
Jane’s Addiction, c’est l’accouplement du hard zeppelinien des 70’s avec la génération indie. Un crossroad, avec le diabolique pacte faustien pour les guider. Arrivée trop tôt ou trop tard selon les humeurs, la musique de Jane’s Addiction est une sorte de totem, un pont entre les générations. Non pas que ces types aient inventé quoi que ce soit (il y a bien longtemps que dans les années 90 tout avait déjà dit et redit), mais leur approche est apparue et est restée assez unique et originale. Personne ne veut des Jane’s Addiction, ne les cite comme référence. Et surtout pas ceux qui les ont copiés, imités, plagiés (rayer les mentions inutiles …). En premier lieu les Red Hot Chili Machin. Des copains paraît-il. Des copains bien plus riches aujourd’hui certes. Mais qui n’ont jamais fait aussi bien que « Stop ! » et « No one’s leaving » qui ouvrent « Ritual … », les deux titres engloutissant hard, rap et funk dans leur folle sarabande. Et si les Jane’s Addiction n’étaient pas particulièrement discrets niveau look, souvent vêtus des fonds de tiroir de leurs grand-mères, ils ne se sont jamais ridiculisés à plastronner en tongs et bermudas qui sont depuis leurs débuts la tenue officielle des RHCP et les décrédibilisent à jamais …
Jane’s Addiction, c’est surtout Farell et Navarro, certes. Que l’on me permette de citer Stephen Perkins et Chris Chaney qui constituent une section rythmique malléable, capable de tout jouer. Car même s’ils sont considérés comme un groupe de hard, Jane’s Addiction, c’est beaucoup plus que ça, ils ne se cantonnent pas à deux titres, un lent et un rapide, joués jusqu’à la nausée. Chez eux, ça swingue, ça chaloupe, ça funke, ça passe du coq à l’âne, ça déchire sa race … On trouve toujours un OVNI dans leurs rondelles. Sur celle-ci, il s’appelle « Of course », et on dirait avec quelques années d’avance (le rythme oriental, le violon omniprésent, la mélodie zigzagante, …) ce que feront Page et Page lorsqu’ils se « réuniront » pour « No quarter ».
Farell, Chaney, Perkins & Navarro : Jane's Addiction
Tiens, et puisque le nom du dirigeable est quasiment lâché, autant signaler que Jane’s Addiction est de tous ceux qui se sont inspirés de Led Zep, ceux qui s’en sont le mieux approchés. A cause de Navarro d’abord. Sur lequel l’influence de Page est évidente, et pas seulement sur le look (l’air ténébreux et la même tignasse noire que le Jimmy de la fin des 60’s). Navarro tire vers la stratosphère tous les titres avec ses extraordinaires parties de guitare (énormissime sur « Ain’t right », le titre le plus speed du disque). Ce type plutôt très mal dans sa peau (il a de quoi, sa mère a été tuée sous ses yeux) est sans conteste et de loin le guitar hero des 90’s.
Les Jane’s Addiction sont capables de partir dans des directions improbables, dans des expériences qu’en d’autres temps on aurait qualifiées « d’acides ». Témoins les deux titres au cœur du disque, qui flirtent avec les dix minutes, « Three days » et « Then she did … ». Le premier est même l’inspiration de la pochette (bien évidemment censurée dans la puritaine Amérique), et raconte une « expérience » vécue par Farell avec deux femmes dans une orgie de sexe et de drogue qui dura trois jours. Débuté lent et acoustique, le morceau vire à la débauche électrique sous l’impulsion de Navarro qui tronçonne des riffs métalliques ahurissants de puissance. « Then she did … » c’est le titre zeppelinien par excellence (« The Rover » sur « Physical Graffiti » semble le modèle évident) avec vers la fin sa partie de piano au second plan qui renvoie à celles de Mike Garson chez Bowie époque « Alladin Sane ».

Deux titres ont poussé le disque vers le succès commercial « Stop ! » et surtout « Been caught stealing », groove machine avec aboiements de chien en intro et titre le plus connu et emblématique du groupe. Manière d’être exhaustif, il convient de citer « Obvious » avec ses arrangements de synthé et ses faux airs à la U2 (sous amphétamines) dans le genre hymne psalmodié de stadium rock. Enfin, « Classic girl » qui clôt la rondelle est une ballade vénéneuse, parasitée par un final plein de breaks et d’accélérations…
Les Jane’s Addiction auraient pu, auraient du devenir énormes. Les quatre types ont cessé d’émettre collectivement quelques mois après la sortie de « Ritual … ». Deux personnalités écrasantes (Farell l’atypique chanteur de hard, et Navarro l’introverti) ça faisait déjà beaucoup d’egos surdimensionnés au mètre carré. Une consommation effrénée de drogues (on parle pas là d’un petit pétard le samedi soir, mais de dépendance féroce à l’héroïne) ont accéléré la débâcle forcément prévisible dans le contexte.
Même s’ils se retrouveront des années plus tard (Strays » en 2003), rangés plus ou moins des poudres blanches, ce sera sans la magie qui habitait « Ritual de lo habitual ».

Des mêmes sur ce blog :



INSECURE MEN - INSECURE MEN (2018)

Rebirth of cool ?

Même s’il s’agit d’un premier disque, la matrice des Insecure Men, la paire Saul Adamczewski (guitariste) et  Lias Saoudi (chanteur) commence à être bien connue de ceux qui prennent la peine de lire les notes de pochette … ben ouais, y’a pas de notes de pochette quand on écoute Deezer ou un mp3, z’avez qu’à les acheter les skeuds, ça peut vous rendre sinon intelligents, du moins un peu plus cultivés, et je dis pas ça pour faire gagner de la thune aux maisons de disques, rien à foutre …
Romans Hopcraft et Adamczewski, du boulot pour les dentistes ...
Bon, Adamczewski et Saoudi, c’est les deux zozos plus ou moins leaders des very surestimés Fat White Family, mais aussi ceux que l’on retrouve sur le projet (sans lendemain ?) Moonlandingz, rondelle sortie l’année dernière et dont je dis le plus grand bien quelque part sur ce blog, z’avez qu’à chercher, j’ai la flemme de foutre un lien … Même si pour les Insecure Men dont il est question ici, la paire décisive c’est Adamczewski (‘tain, il pouvait pas s’appeler Page ou Beck ou Young, comme tout le monde …) et un pote à lui Ben Romans Hopcraft, entourés de toute une raya de dépenaillés électriques (treize !! d’après les notes, encore elles, de pochette) parmi lesquels figure Sean Lennon (oui, le fils de son père) qui produit la rondelle.
Et ça ressemble à quoi, le bruit que font les Insecure Men ? Pas facile à décrire, y’a plein de choses a priori hétéroclites et disparates qui agissent sur le cerveau telles les proverbiales madeleines du Marcel en ce qui concerne l’habillage sonore. Point commun à tous les titres, ils sont écrits et produits à l’ancienne, avec une intro, une mélodie, des couplets, un refrain qui arrive pile poil quand on l’attend, des breaks bienvenus et malins, toute cette sorte de chose qui sont autant d’énigmes insolubles pour … plein de gens qui sortent des disques aujourd’hui.
La dominante c’est une ambiance cool, peinarde (pour la musique, les textes semblant un peu plus, heu … clivants, comme souvent chez cette bande d’énergumènes, mais qui cependant semblent sur ce coup-ci avoir mis quand même pas mal de flotte dans leur piquette nationaliste rance un peu trop voyante chez la Fat White Family). Les rares embardées électriques, comme « Mekong glitter » (effectivement glitter avec ses riffs martiaux qui soulignent la mélodie pop, et sa trame rythmique siamoise de celle de « We will rock you » de Queen), sautent immédiatement à l’oreille. Alors qu’à l’opposé le talking blues sur fond de piano bar jazzy de « Ulster » donne envie de piquer un petit roupillon tellement ce genre de machins soporifiques a été commis des milliards de fois par des types plus doués (le Tom Waits des débuts s’il ne fallait en citer qu’un), alors qu’il suffit de pas grand-chose dans un registre très similaire pour que ça fonctionne (« Cliff has left the building »).
Insecure Men live (et pas Jamiroquai)
C’est quand ils s’adonnent à une pop à synthés voyants sans être vulgaires (exercice délicat) que les Insecure Men sont les meilleurs. Ça tombe bien, c’est l’essentiel du disque, et dans un genre pourtant plutôt rebattu depuis plus de trente piges, ils réussissent à capter l’attention. Que ce soit  dans la langueur de l’inaugurale ballade « Subaru nights », dans la terminale « Whitney Houston & I » (hommage tellement narquois qu’on ne sait plus si c’est de l’art ou du cochon) qui donne envie de se servir une autre bière juste pour le plaisir de chialer dedans, le groupe évolue dans un genre qu’il maîtrise à la perfection. On pense à l’esprit des Stranglers de « Feline » assez souvent, parfois à celui des Cars (« Teenage toy ») tant les ficelles sont grosses (mais bien utilisées d’une façon quasi chirurgicale), les chœurs féminins (en plus d’être treize, il y a sur quelques titres une chorale féminine) et le sax de « All women love me » renvoient à Roxy Music ou au Bryan Ferry en solo des 80’s (ce qui on en conviendra est blanc bonnet et bonnet blanc). Même si le rythme s’énerve (« I don’t wanna dance ») avec un chant maniéré, la merveille de la mélodie et les arrangements subtils font passer la sauce, les cuivres sont parfois de sortie (« The saddest men … ») et alors on dirait un inédit du 3ème Velvet en version rythmn’n’blues.
Même s’il y a des fois où ça coince (« Heathrow » fait penser aux pénibles titres du Clash tartinés par Mick Jones sur « Sandinista ! »), les Insecure Men ont sorti un disque qui s’il ne révolutionnera certes pas le binaire électrique, est plutôt plus réussi que la plupart des rondelles contemporaines. A preuve le titre bonus rajouté sur la version Cd (« Buried in the bleak ») qui ne fait pas comme c’est bien trop souvent le cas remplissage miséreux ou blague en roue libre qu’on rajoute parce qu’il  reste de la place sur la rondelle argentée …
A noter que les Insecure Men sont signés par le label Fat Possum, que l’on connaissait plus comme maison de retraite de bluesmen de seconde zone que comme repaire de revivalistes 80’s…



ALEXANDRE SOKOUROV - L'ARCHE RUSSE (2002)

L'Arche Perdue ?

La première chose qui revient systématiquement dès qu’on cause de « L’Arche Russe », c’est la prouesse technique que représente le film. Quatre vingt neuf minutes en un seul plan séquence tourné le 21 Décembre 2001. Bon, vous me direz, dans les années 60 et 70, il suffisait de regarder « Au théâtre ce soir » pour avoir un plan séquence qui durait autant ou plus. Les types de l’ORTF posaient leur unique caméra au fond de la salle et la laissaient tourner jusqu’à ce que la pièce soit finie. Techniquement, c’était un plan-séquence.
Sokourov (à droite) et son équipe
Alexandre Sokourov, cinéaste russe cantonné aux séances d’art et d’essai en Occident, a fait un truc totalement fou. Son film fait intervenir, selon les sources, à peu près huit cent acteurs et mille figurants en costume d’époque. Et quelle époque, vous demandez-vous. Euh, c’est compliqué, il y a dans ce film des personnages historiques ayant vécu au XVIIIème (l’empereur Pierre le Grand), des personnages contemporains (le directeur de l’Ermitage), de vrais personnages historiques fictifs (le marquis Custine qui a réellement existé mais pas comme il est montré dans le film, vous suivez ?), des types contemporains qui jouent leur rôle dans le passé (le chef d’orchestre Valery Georgiev), des personnages invisibles que l’on voit et que les autres voient parfois, mais pas toujours (Custine), des invisibles qu’on voit pas (le narrateur), et … bien souvent l’envie de prendre deux Doliprane et de laisser tomber ce foutoir mis en images.
Custine va croiser la Grande Catherine
Parce qu’à part d’avoir Bac + 5 en histoire russe et Bac + 12 en histoire de l’art, on n’y comprend rien à ce bazar. Sauf que ce maelstrom hermétique, va savoir pourquoi, on finit par s’y accrocher. Surtout à cause de la fluidité du film qui donne une image toujours en mouvement. En, gros, ce ne sont pas les acteurs et les figurants qui se succèdent devant la caméra, mais la caméra qui va vers eux, empruntant de petits couloirs pour se déplacer d’une grande salle à une autre, n’hésitant pas à s’offrir une ballade dans une cour intérieure de l’Ermitage sous la neige par une froid polaire en prenant le risque d’un embuage de l’objectif lorsqu’il faut revenir en intérieur. La caméra est une steadycam numérique portable qu’un type porte fixée à une sorte de harnais. Le cameraman avoue dans les bonus qu’il est totalement épuisé au bout d’une heure, alors qu’il lui reste la scène la plus folle à filmer, celle du bal et la sortie des centaines d’invités à cette sauterie impériale. Cette scène vient titiller en matière de sommets celle qu’il y a dans « Le Guépard » de Visconti tout en ayant un rendu totalement différent. Dans « L’Arche Russe », la caméra danse au milieu des aristos, se ballade de groupe en groupe, s’en va faire un tour au milieu de l’orchestre, tout en ne perdant pas de vue le personnage principal.
Clap Your Hands Say Yeah ?
Evidemment, tout cela ne s’improvise pas. Sokourov n’a eu qu’une seule journée pour filmer. Une nuée de techniciens a dû travailler toute la nuit après la fermeture du musée pour aménager décors et éclairages, pendant qu’ailleurs en ville une armée de costumières harnachait acteurs et figurants, transportés ensuite par cinquante bus sur le tournage. Quatre ans de travaux préparatoires et de répétitions (même si ça a l’air totalement bordélique, chaque geste, chaque mot prononcé a d’abord été écrit) ont été nécessaires. Et malgré tout ce travail humain, la star du film, c’est le Musée de l’Ermitage (de temps en temps, il y a des apartés de Custine, voire des bribes de discussions en rapport avec les pièces traversées, et les objets, surtout les tableaux exposés).
Malgré tout, « L’Arche Russe » reste le plus souvent abscons, voire élitiste (pas certain que le Russe de base ne s’y perde pas). Esthétiquement, c’est extraordinaire, ça envoie « La corde » d’Hitchcock dans les cordes, ça place la barre très haut en matière d’intérieurs et de costumes. Le problème c’est que c’est un film qu’on pourrait regarder en coupant le son tant l’histoire (ou plutôt les fragments d’Histoire) montrée reste inaccessible au fan de base de Johnny (non, je déconne, les fans de Johnny sont pas plus cons que ceux d’Obispo). « L’Arche Russe » est avant toute autre considération une expérience visuelle unique.
Et pourquoi ça s’appelle « L’Arche Russe » me direz-vous. La réponse est dans le dernier plan. Bon courage d’ici là …