STRAWBS - GHOSTS (1974)

Aux fraises ...
Les Strawbs, c’est le genre de groupe dont les encyclopédistes du binaire vous vont refiler le nom sous le manteau, en garantissant que là, attention, immenses génies malheureusement restés confidentiels. Il doit même y avoir, dans les recoins du Net, des forums où des fans transis n’arrêtent pas de s’extasier sur les mérites du groupe et de leurs skeuds. Suivant la furieuse tendance qui consiste à admettre que puisque les 70’s étaient géniales musicalement, tous ceux qui ont sorti des rondelles à cette époque-là étaient forcément géniaux …

Bon, ben, pas les Strawbs en tout cas, ou pas avec ce disque-là. Les Strawbs sont Anglais, formés à la fin des années 60. Vous sentez pas le coup tordu ? Non ? Autre info, ils ont compté dans leurs rangs à leurs débuts Rick Wakeman. Oui, oui, Rick Wakeman, celui qui jouait du piano sur « Life on Mars » de Bowie … Mais surtout plus tard le claviériste de hum … Yes, les fuckin’ Yes … Oh putain, vous les voyez venir là, les Strawbs ?
Je confirme, les Strawbs, c’est la énième division inférieure du prog. Version Spinal Tap, ce qui les rend sinon intéressants, du moins pas aussi tragiques que leurs congénères tête de gondole. Dresser la liste des types qui ont joué dans les Strawbs est à peu près aussi facile que dresser l’arbre généalogique d’une famille de polygames consanguins. Suffit juste de savoir que celui autour duquel s’articulent toutes les différentes formations du groupe est David Cousins, chanteur, guitariste et principal compositeur, sorti des tréfonds du circuit folk des late 60’s. Un type assez satisfait de lui et de son œuvre, n’hésitant pas dans le livret de la réédition Cd de « Ghosts » à se poser par certains aspects en précurseur du punk ( faudrait qu’il m’explique, là …). Et oubliant de signaler que de tous les groupes de grabataires à s’être reformés depuis trente ans, les Strawbs sont ceux qui l’ont fait dans l’indifférence la plus totale. Tant pis pour eux et tant mieux pour nos oreilles…
Le problème des Strawbs par rapport aux « grands » (rires) groupes de prog, c’est qu’ils ne comptent pas de virtuoses dans leurs rangs. Donc pas d’interminables « mouvements »,  ponts et transitions tarabiscotées, pas non plus de solos de trois heures de basse à quinze cordes et de batteries à quatorze douzaines de toms. L’incapacité des Strawbs aux exercices égomaniaques fait que pas un titre ne dépasse les dix minutes et que tous sont à peu près construits sur le modèle chanson, avec des mélodies, des couplets et des refrains. Autre relative bonne nouvelle, Cousins est un chanteur plutôt intéressant, dans un registre assez proche du Peter Gabriel période Genesis, ce qui nous éloigne quand même de Little Richard, mais j’sais pas, il aurait pu essayer d’imiter Jon Anderson, vous imaginez le supplice (et je vous envie si vous avez jamais entendu Anderson bêler ses niaiseries).

Alors, forcément, y’a du déchet. « Ghosts » le morceau (issu d’un cauchemar de Cousins, alors que McCartney rêvait des accords de « Yesterday », vous voyez la nuance …), c’est du prog milieu de gamme, dont même Yes n’aurait pas voulu, « Lemon pie » renvoie furieusement au Cat Stevens (dont Cousins avoue être fan) encore fréquentable de l’époque, mais est massacré par des arrangements ineptes, « Starshine / Angel wine », c’est du Tatie Elton John des mauvais jours avec son piano en avant.

Le premier titre écoutable, c’est pour moi « Where do you go… », bluette pop sur une base rythmique venue du reggae (mais le reggae tendance « Ob La Di Ob La Da », c’est-à-dire abordé sous son aspect musique cool et entraînante pour Club Med). Les deux parties de « The life auction » rivalisent d’insignifiance satisfaite, mais ne le répétez surtout pas, les fans des Strawbs en parlent avec des trémolos dans la voix. « Don’t try to change me » est une sorte de folk pour hippies traversé de riffs hardos, et ma foi, même s’il n’y a pas de quoi s’extasier, ça relève le niveau (et l’attention). Par charité, et par peur de devenir vulgaire, je passerai silencieusement sur « You & I » (Yes avaient sorti un titre quasi homonyme, tout est dit …).
Ce qui nous amène au dernier titre du disque original « Grace Darling ». Le titre sur lequel les Strawbs ont plus ou moins joué leur carrière. Faut dire qu’ils étaient la première signature anglaise du jeune label A&M et que ce dernier en avait fait un objectif majeur pour les USA. « Grace Darling », pas horrible, mais le recours à une chorale d’église le catalogue irrémédiablement en un « You can’t always get what you want » du pauvre (ou du prog, ce qui revient au même). Logiquement, le single a foiré, le 33T a fait une courte apparition dans le Top 100 américain, et A&M s’est cherché d’autres objectifs. Fin de l’histoire …
Sur le Cd figure un seul bonus (on va pas s’en plaindre), la B-side de « Grace Darling », sans aucun intérêt.

On a déjà entendu pire, mais bon, les Strawbs, même si c’est pas toujours ignoble, ça gagne pas forcément à être connu …


JOSH RITTER - THE HISTORICAL CONQUESTS OF JOSH RITTER (2007)

A moitié conquis ...
De Josh Ritter, je ne sais quasiment rien. Singer-songwriter folkeux de la « nouvelle génération », la trentaine au moment de la rondelle dont au sujet de laquelle il est question. Encensé à ses débuts comme un génie en devenir, genre Ron Sexsmith ou Rufus Waingright, avant que ses laudateurs d’un jour passent à autre chose … Et ce disque acheté au hasard, sur la foi de quelques dithyrambes venus de sites ricains, parce que la notoriété du bonhomme a oublié, comme celle de nombre des ses congénères, de traverser l’océan …

« The historical conquests … » (et ne demandez pas pourquoi ce titre à la con, j’en sais rien) est bluffant d’entrée. Mais vraiment bluffant. Le premier titre (« To the dogs of whoever ») convoque instantanément le Dylan circa 65, que ce soit dans le rythme de la chanson, ou dans la voix, à s’y méprendre. C’est pas un décalque, parce que ça évolue en une sorte de gigue celtique qui fait penser à des Pogues au ralenti. En tout cas, effet garanti, ça capte l’attention.
Et ça continue. « Mind’s eyes », qui suit est plus que bien foutu, avec son gimmick de guitare-sirène à la « London calling » (le morceau) du Clash. Et pendant la première moitié du disque, rien  à jeter. Et pas grand-chose qui renvoie à un tristos égrenant sur sa gratte acoustique un pathos dégoulinant pour faire chialer dans sa bière. « Right moves », c’est du Supergrass avec une partie cuivrée (trompette ? trombone ?) à la Love (ou aux Pale Fountains, ce qui revient au même). C’est électrique, mélodique, entraînant, finement produit (le dénommé et inconnu pour moi Sam Kassirer).
Et ça continue, encore et encore. Quatrième morceau, le springsteenien par son titre (« The temptation of Adam »), semble en fait tout droit sorti d’un inédit de Nick Drake (l’épure mélodique parfaite). « Open doors », drivé par un gros shuffle emporte la chanson bien au-delà du folk à papa. « Rumors » est une petite tuerie pop.
Et puis, alors qu’on se dit qu’il va falloir faire un triomphe à cette rondelle et tresser une couronne de lauriers à son auteur, se pointe un court instrumental, genre bouton sur le pif de Miss France. On est prêt à pardonner ce qui pourrait passer pour une faute de goût mineure, un péché de jeunesse. Sauf qu’arrive pile poil derrière « Wait for love », un truc avachi entre folk et ragga hindou, qui te fait immédiatement réviser à la hausse l’œuvre pénible d’un Devendra Banhart. Impression dubitative renforcée avec « Real long distance » qui fait penser aux Kinks, mais gros hic, aux Kinks des années 80, avec mélodie tarabiscotée limite pénible et batterie herculéenne.
Le reste est à l’avenant, soupe à la grimace sonore. On voit bien où le Ritter veut en venir, piochant dans des références (bonnes, voire plus) pour les ressortir à sa sauce. Sauf qu’à force de faire des titres « à la façon de », tu te caches, oublies de montrer de quoi tu es vraiment capable, et l’ensemble finit par sonner comme une auberge espagnole musicale (« Next to the last romantic », comme si Johnny Cash reprenait du Creedence, ou le contraire, à quoi ça sert, sinon à montrer que tu es capable de sonner comme les deux…). Et là, ça défile dans le commun, voire le balourd, avec dans cette seconde partie du disque, le seul « Still beating » (classic folk, mais qui sonne « personnel ») à sauver.

Heureusement que le Ritter a la bonne idée de donner dans le concis (14 titres pour quarante minutes), sinon y’a des fois où on finirait par trouver le temps long … Etrange, cette construction symétrique (pour moi, lui doit pas envisager les choses de la même façon), où après un début sur les chapeaux de roues, on termine dans le bac à sable (l’inconsistant mantra folk « Wait for love » en point final).
Dans l’esprit « t’as vu comme je suis doué et malin, je peux tout jouer … », Josh Ritter me fait penser à Wilco. Sauf que dans Wilco il y a (en plus d’une cohorte de redoutables instrumentistes) Jeff Tweedy qui évite de se perdre dans les hommages trop voyants pour toujours rester au-dessus de ses influences. Et depuis dix ans, il me semble pas que la notoriété de Ritter soit en passe de rattraper celle de Kanye West …

Conclusion : si vous tombez sur cette rondelle pour pas cher, vous pouvez tenter le coup. Sinon, écoutez … autre chose.