MICHEL GONDRY - ETERNAL SUNSHINE OF THE SPOTLESS MIND (2004)

La mémoire dans la peau ...
« Eternal … » réunit à peu près tous les ingrédients pour faire un bide all around the world. Un film américain tourné par un frenchie branché, des acteurs à contre-emploi, un scénario totalement barré, et un montage dans lequel se mélangent tellement passé, présent et futur qu’on comprend quasiment rien au premier visionnage … Normalement, ça aurait dû faire direct to Dvd (ou sortie chez Netflix aujourd’hui).
Carey, Gondry & Winslet
Sauf qu’un comptable a dû se lever et souligner que ce machin avait coûté du pognon et qu’il faudrait peut-être essayer de l’amortir. Quelques critiques positives, quelques noms très bankables en haut du générique, et au final un bon petit succès pour un film très atypique. Un peu la même histoire que « Dans la peau de John Malkovitch », avec lequel « Eternal sunshine … » possède bien des similitudes.
Le même scénariste pour commencer, Philip Kaufman, spécialiste de l’écriture pour réalisateur « différents ». Ici, derrière la caméra, Michel Gondry, bobo arty qui avait commencé en jouant de la batterie dans le groupe retro-infantile Oui-Oui (si-si), puis (bien) gagné sa vie en réalisant des pubs ou des clips, avant de virer cinéaste branché (et de se vautrer avec son premier film, « Human nature », tourné aux States et avec déjà Kaufman au scénario).
Clementine et Joel dans les bois ...
« Eternal … » (le titre est un extrait d’un poème anglais du XVIIIème signé Alexander Pope) est un bon film. Barré, confus, hermétique, qui part dans tous les sens à première vue, mais un bon film. Peut-être parce que Gondry la joue profil bas (réalisation simple, préférant nettement les trucages parfois too much aux effets numériques clinquants, profitant par exemple d’une parade d’un troupeau d’éléphants dans Broadway pour s’y précipiter avec équipe et acteurs tourner une scène quasi improvisée), laissant le champ libre à ses acteurs. Faut dire qu’il y a du monde au casting : Jim Carey, Kate Winslet, Elijah Wood, Kirsten Dunst. Pas exactement des débutants ou des gens à l’orée de leur carrière. Carey, sorte de Jerry Lewis pour prématurés, cartonne à chacun de ses films au box office, Winslet est une star (merci Cameron et « Titanic »), Elijah Wood avait le rôle principal de la série triomphale du « Seigneur des Anneaux », Kirsten Dunst est la fiancée de Spider-Man.
Le coup de génie de « Eternal … » est d’utiliser les têtes d’affiche principales (Carey et Winslet) à contre-emploi. Carey laisse tomber ses grimaces pour jouer un jeune mec coincé et fragile, amoureux largué. Son jeu est économe des gesticulations en tout genre qui ont fait sa fortune. C’est Kate Winslet qui en fait des brouettes à sa place, dans le rôle d’une nana libérée et extravertie, dont la principale tocade est de souvent changer de couleur de cheveux et de donner dans le voyant capillaire (orange, bleu, vert, rouge …). Elijah Wood a un second rôle, juste quelques scènes de neuneu qui fait tout foirer. Kirsten Dunst joue comme d’hab la nunuche sexy et creuse, mais dont la « rébellion » finale entraînera le dénouement du film. Casting auquel il faut rajouter un Mark Ruffalo en devenir et l’expérimenté Tom Wilkinson, sur lequel Gondry ne tarit pas d’éloges dans son commentaire du film en section bonus.
Clementine et Joel sur la glace ...
Au début du film, on voit Joel (Carey) visiblement la tête dans le derrière, se lever péniblement pour sa séquence habituelle métro-boulot. Sur le quai de la gare et sur un coup de tête, il prend un autre train qui l’amène sur une plage du New Jersey (en plein hiver et sous la neige, c’est pour le moins une idée étrange). La seule personne qui traîne là est Clementine (Winslet) qui le branche et le vampe littéralement. Début de la love story entre ces deux êtres si différents. Les scènes (que l’on croit banales, mais dont chaque détail compte, on s’en rendra compte plus tard) entre les deux tourtereaux se succèdent jusqu’à ce que le générique du film apparaisse (au bout de 17 minutes quand même). Et à partir de là, des choses étranges, bizarre se produisent, vues par l’œil de Joel. Jusqu’à ce que Clementine à qui il va offrir un cadeau à son boulot dans une librairie ne le reconnaisse même pas, occupée qu’elle est à bécoter un inconnu …
A partir de là, on bascule dans une autre dimension. Joel apprend que Clementine sur un coup de tête a fait « effacer » de son cerveau tous les souvenirs concernant Joel par une entreprise spécialisée, Lacuna. Totalement perdu, Joel s’en va chez Lacuna pour faire lui aussi effacer Clementine de sa mémoire. Evidemment, quand on voit les bureaux de Lacuna (plus lookés étude de notaire que société high-tech) et ses employés (Wilkinson, Dunst, Wood, Ruffalo) plutôt à l’Ouest, on se doute que tout ne va pas se passer exactement comme prévu. D’autant plus que le cerveau de Joel se rebelle, il est très attaché à Clémentine et veut la conserver, au moins dans ses souvenirs.
Dunst, Ruffalo & Wilkinson : la société Lacuna
C’est là qu’on s’aperçoit que le début du film se situe en fait aux deux tiers de l’histoire, et que toutes les scènes « anodines » d’avant le générique livraient des informations cruciales pour la suite. Trop tard (et c’est le gros reproche que je fais à ce film), tu te retrouves largué, d’autant plus que Gondry joue en permanence sur l’espace-temps (les flashbacks, les dédoublements, les retours en enfance, les projections dans le présent ou le futur s’enchaînent). Il faut plusieurs visionnages pour comprendre toute la mécanique poétique et légèrement surréaliste qui font la matière de « Eternal … ». Et ne pas compter sur la version commentée du film par Gondry et Kaufman, sans aucun intérêt. Les deux gars sont apparemment des taiseux (bonjour les blancs interminables) et ne font en gros que s’extasier sur le jeu de leurs acteurs. Quoique c’est peut-être fait exprès, il appartient à chacun d’interpréter, d’imaginer, de se prendre à ce jeu entre rêve et réalité.
Sorte de « Love Story » sous LSD, « Eternal … » est baigné par la musique onirique de Jon Brion et permet d’entendre une reprise par Beck (le scientologue, pas le Jeff) de la scie 80’s des neuneus Korgis « Everybody’s got to learn sometimes ». Un Oscar (mérité) pour le scénario sanctionnera la bonne carrière dans les salles du film.

« Eternal sunshine … » est un joli film à voir … plusieurs fois avant de le juger …



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire