STRAWBS - GHOSTS (1974)

Aux fraises ...
Les Strawbs, c’est le genre de groupe dont les encyclopédistes du binaire vous vont refiler le nom sous le manteau, en garantissant que là, attention, immenses génies malheureusement restés confidentiels. Il doit même y avoir, dans les recoins du Net, des forums où des fans transis n’arrêtent pas de s’extasier sur les mérites du groupe et de leurs skeuds. Suivant la furieuse tendance qui consiste à admettre que puisque les 70’s étaient géniales musicalement, tous ceux qui ont sorti des rondelles à cette époque-là étaient forcément géniaux …

Bon, ben, pas les Strawbs en tout cas, ou pas avec ce disque-là. Les Strawbs sont Anglais, formés à la fin des années 60. Vous sentez pas le coup tordu ? Non ? Autre info, ils ont compté dans leurs rangs à leurs débuts Rick Wakeman. Oui, oui, Rick Wakeman, celui qui jouait du piano sur « Life on Mars » de Bowie … Mais surtout plus tard le claviériste de hum … Yes, les fuckin’ Yes … Oh putain, vous les voyez venir là, les Strawbs ?
Je confirme, les Strawbs, c’est la énième division inférieure du prog. Version Spinal Tap, ce qui les rend sinon intéressants, du moins pas aussi tragiques que leurs congénères tête de gondole. Dresser la liste des types qui ont joué dans les Strawbs est à peu près aussi facile que dresser l’arbre généalogique d’une famille de polygames consanguins. Suffit juste de savoir que celui autour duquel s’articulent toutes les différentes formations du groupe est David Cousins, chanteur, guitariste et principal compositeur, sorti des tréfonds du circuit folk des late 60’s. Un type assez satisfait de lui et de son œuvre, n’hésitant pas dans le livret de la réédition Cd de « Ghosts » à se poser par certains aspects en précurseur du punk ( faudrait qu’il m’explique, là …). Et oubliant de signaler que de tous les groupes de grabataires à s’être reformés depuis trente ans, les Strawbs sont ceux qui l’ont fait dans l’indifférence la plus totale. Tant pis pour eux et tant mieux pour nos oreilles…
Le problème des Strawbs par rapport aux « grands » (rires) groupes de prog, c’est qu’ils ne comptent pas de virtuoses dans leurs rangs. Donc pas d’interminables « mouvements »,  ponts et transitions tarabiscotées, pas non plus de solos de trois heures de basse à quinze cordes et de batteries à quatorze douzaines de toms. L’incapacité des Strawbs aux exercices égomaniaques fait que pas un titre ne dépasse les dix minutes et que tous sont à peu près construits sur le modèle chanson, avec des mélodies, des couplets et des refrains. Autre relative bonne nouvelle, Cousins est un chanteur plutôt intéressant, dans un registre assez proche du Peter Gabriel période Genesis, ce qui nous éloigne quand même de Little Richard, mais j’sais pas, il aurait pu essayer d’imiter Jon Anderson, vous imaginez le supplice (et je vous envie si vous avez jamais entendu Anderson bêler ses niaiseries).

Alors, forcément, y’a du déchet. « Ghosts » le morceau (issu d’un cauchemar de Cousins, alors que McCartney rêvait des accords de « Yesterday », vous voyez la nuance …), c’est du prog milieu de gamme, dont même Yes n’aurait pas voulu, « Lemon pie » renvoie furieusement au Cat Stevens (dont Cousins avoue être fan) encore fréquentable de l’époque, mais est massacré par des arrangements ineptes, « Starshine / Angel wine », c’est du Tatie Elton John des mauvais jours avec son piano en avant.

Le premier titre écoutable, c’est pour moi « Where do you go… », bluette pop sur une base rythmique venue du reggae (mais le reggae tendance « Ob La Di Ob La Da », c’est-à-dire abordé sous son aspect musique cool et entraînante pour Club Med). Les deux parties de « The life auction » rivalisent d’insignifiance satisfaite, mais ne le répétez surtout pas, les fans des Strawbs en parlent avec des trémolos dans la voix. « Don’t try to change me » est une sorte de folk pour hippies traversé de riffs hardos, et ma foi, même s’il n’y a pas de quoi s’extasier, ça relève le niveau (et l’attention). Par charité, et par peur de devenir vulgaire, je passerai silencieusement sur « You & I » (Yes avaient sorti un titre quasi homonyme, tout est dit …).
Ce qui nous amène au dernier titre du disque original « Grace Darling ». Le titre sur lequel les Strawbs ont plus ou moins joué leur carrière. Faut dire qu’ils étaient la première signature anglaise du jeune label A&M et que ce dernier en avait fait un objectif majeur pour les USA. « Grace Darling », pas horrible, mais le recours à une chorale d’église le catalogue irrémédiablement en un « You can’t always get what you want » du pauvre (ou du prog, ce qui revient au même). Logiquement, le single a foiré, le 33T a fait une courte apparition dans le Top 100 américain, et A&M s’est cherché d’autres objectifs. Fin de l’histoire …
Sur le Cd figure un seul bonus (on va pas s’en plaindre), la B-side de « Grace Darling », sans aucun intérêt.

On a déjà entendu pire, mais bon, les Strawbs, même si c’est pas toujours ignoble, ça gagne pas forcément à être connu …


JOSH RITTER - THE HISTORICAL CONQUESTS OF JOSH RITTER (2007)

A moitié conquis ...
De Josh Ritter, je ne sais quasiment rien. Singer-songwriter folkeux de la « nouvelle génération », la trentaine au moment de la rondelle dont au sujet de laquelle il est question. Encensé à ses débuts comme un génie en devenir, genre Ron Sexsmith ou Rufus Waingright, avant que ses laudateurs d’un jour passent à autre chose … Et ce disque acheté au hasard, sur la foi de quelques dithyrambes venus de sites ricains, parce que la notoriété du bonhomme a oublié, comme celle de nombre des ses congénères, de traverser l’océan …

« The historical conquests … » (et ne demandez pas pourquoi ce titre à la con, j’en sais rien) est bluffant d’entrée. Mais vraiment bluffant. Le premier titre (« To the dogs of whoever ») convoque instantanément le Dylan circa 65, que ce soit dans le rythme de la chanson, ou dans la voix, à s’y méprendre. C’est pas un décalque, parce que ça évolue en une sorte de gigue celtique qui fait penser à des Pogues au ralenti. En tout cas, effet garanti, ça capte l’attention.
Et ça continue. « Mind’s eyes », qui suit est plus que bien foutu, avec son gimmick de guitare-sirène à la « London calling » (le morceau) du Clash. Et pendant la première moitié du disque, rien  à jeter. Et pas grand-chose qui renvoie à un tristos égrenant sur sa gratte acoustique un pathos dégoulinant pour faire chialer dans sa bière. « Right moves », c’est du Supergrass avec une partie cuivrée (trompette ? trombone ?) à la Love (ou aux Pale Fountains, ce qui revient au même). C’est électrique, mélodique, entraînant, finement produit (le dénommé et inconnu pour moi Sam Kassirer).
Et ça continue, encore et encore. Quatrième morceau, le springsteenien par son titre (« The temptation of Adam »), semble en fait tout droit sorti d’un inédit de Nick Drake (l’épure mélodique parfaite). « Open doors », drivé par un gros shuffle emporte la chanson bien au-delà du folk à papa. « Rumors » est une petite tuerie pop.
Et puis, alors qu’on se dit qu’il va falloir faire un triomphe à cette rondelle et tresser une couronne de lauriers à son auteur, se pointe un court instrumental, genre bouton sur le pif de Miss France. On est prêt à pardonner ce qui pourrait passer pour une faute de goût mineure, un péché de jeunesse. Sauf qu’arrive pile poil derrière « Wait for love », un truc avachi entre folk et ragga hindou, qui te fait immédiatement réviser à la hausse l’œuvre pénible d’un Devendra Banhart. Impression dubitative renforcée avec « Real long distance » qui fait penser aux Kinks, mais gros hic, aux Kinks des années 80, avec mélodie tarabiscotée limite pénible et batterie herculéenne.
Le reste est à l’avenant, soupe à la grimace sonore. On voit bien où le Ritter veut en venir, piochant dans des références (bonnes, voire plus) pour les ressortir à sa sauce. Sauf qu’à force de faire des titres « à la façon de », tu te caches, oublies de montrer de quoi tu es vraiment capable, et l’ensemble finit par sonner comme une auberge espagnole musicale (« Next to the last romantic », comme si Johnny Cash reprenait du Creedence, ou le contraire, à quoi ça sert, sinon à montrer que tu es capable de sonner comme les deux…). Et là, ça défile dans le commun, voire le balourd, avec dans cette seconde partie du disque, le seul « Still beating » (classic folk, mais qui sonne « personnel ») à sauver.

Heureusement que le Ritter a la bonne idée de donner dans le concis (14 titres pour quarante minutes), sinon y’a des fois où on finirait par trouver le temps long … Etrange, cette construction symétrique (pour moi, lui doit pas envisager les choses de la même façon), où après un début sur les chapeaux de roues, on termine dans le bac à sable (l’inconsistant mantra folk « Wait for love » en point final).
Dans l’esprit « t’as vu comme je suis doué et malin, je peux tout jouer … », Josh Ritter me fait penser à Wilco. Sauf que dans Wilco il y a (en plus d’une cohorte de redoutables instrumentistes) Jeff Tweedy qui évite de se perdre dans les hommages trop voyants pour toujours rester au-dessus de ses influences. Et depuis dix ans, il me semble pas que la notoriété de Ritter soit en passe de rattraper celle de Kanye West …

Conclusion : si vous tombez sur cette rondelle pour pas cher, vous pouvez tenter le coup. Sinon, écoutez … autre chose.



RANDAL KLEISER - GREASE (1978)

American Graffitoc ...
Lu (si, si, je vous assure, pouvez aller vérifier) sur Wikipedia France à propos du film : « Bien qu’il fût le plus gros succès au cinéma de l’année 78, « Grease » ne gagna ni Oscar ni Golden Globe »… Tu m’étonnes … N’empêche, un nanar atomique filmé avec les pieds et mettant en scène des figurants de quinzième zone, est devenu culte, et rapporté des millions de milliards de dollars (voire plus).
Kleiser, Newton-John & Travolta
Sauf qu’entre le tournage et la sortie de « Grease », il s’est passé un truc, la sortie de « Saturday Night Fever », avec comme acteur principal John Travolta qui du coup est devenu superstar et sur son seul nom a drainé des millions de types dans les salles obscures pour voir ce que certains s’imaginaient être la suite des aventures de Tony Manero. Travolta quand il tourne « Saturday … » n’a comme seule ligne sur son CV qu’un second rôle dans « Carrie » de De Palma, et il est bien content d’enchaîner « Grease », manière de mettre un peu de beurre dans les épinards. Et tant pis si le metteur en scène de « Grease » est Randal Kleiser, un obscur tâcheron de la Twentieth Century Fox, ayant seulement à son palmarès le tournage de quelques épisodes de « Starsky et Hutch ». Tant pis si le scénario de quatre lignes est le remake d’une oubliée comédie musicale jouée au début de la décennie et disparue des radars depuis (anecdote et coïncidence, le minot Travolta l’avait vue et en avait gardé un grand souvenir). Tant pis s’il n’y a pas un seul nom de connu au casting. La « star » féminine est une chanteuse ringarde australienne de trente ans (son personnage est censé en avoir 18), une certaine Olivia Newton-John. Imaginer que pareil machin peut faire un carton au box office n’était bien évidemment venu à l’esprit de personne.
Grease, un casting de ouf ...
D’ailleurs faut les voir dans les bonus tous ces nigauds (même Travolta, qui fait le SAV comme il peut, en faisant semblant d’être concerné), affirmer sans rire que le tournage fut magique, fantastique, génial, fabuleux, et autres superlatifs du même tonneau, dans une ambiance de party extraordinaire. Tu parles, ils doivent pas en dormir la nuit, en pensant au cachet de misère qu’ils ont touché alors que les producteurs se sont fait construire des maisons avec des lingots d’or à la place des parpaings …
A l’usage des jeunes générations, situons le machin. Une amourette adolescente dans un lycée d’une petite ville  américaine à la fin des années 50, où les couples se cherchent, se font et se défont autour des deux protagonistes principaux, Danny (Travolta) et Sandy (Newton-John). Avec les obligatoires bandes en blouson de cuir, les gentils, les méchants, les simplets, les sportifs, les moches, les courses de bagnole, avec des pans entiers du film honteusement pompés sur deux chef-d’œuvre (« La fureur de vivre » et « American Graffiti »), sans le talent de Nicholas Ray, George Lucas et leurs acteurs …Faut reconnaître  quand même que Travolta crève l’écran (il a depuis prouvé que c’était un bon comédien), avec notamment une démarche hallucinante (on dirait qu’il marche sur des œufs en talons aiguilles tout en frétillant de l’arrière-train), même si quand il tente un grand écart, il est moins bon que Jaaames Brown dans cet exercice brise-roustons.
Summer Nights
Comme c’est une comédie musicale, il ya dans « Grease » des chorégraphies grotesques rétro fifties et les chansons idoines. Avec notamment Sha Na Na (en gros les Au Bonheur Des Dames ricains) qui en moins de dix ans sont passés de la scène de Woodstock au rôle de figurants d’un orchestre baltringue pour film de série Z. Ce qui leur permet de donner quelques versions en totale roue libre de standards genre « Rock’n’roll is here to stay » ou « Hound dog ». Certains morceaux ont été écrits pour le film et sont chantés par les acteurs. Bien évidemment, ils sont devenus des hits intergalactiques, comme les deux doo-wop mutants « Summer nights » et « You’re the one that I want ». Remarque (forcément cruciale, parce que c’est du vécu à moi dont au sujet duquel je cause) : dans une fin de soirée fortement avinée et donc immanquablement régressive, je balance « You’re the one … » sur la sono tous les potards sur onze et le dancefloor s’enflamme (expérience plusieurs fois tentée avec succès). Bon, pour être honnête, ça marche aussi avec « Tomber la chemise », « Stayin’ alive », « Waterloo » ou « Highway to hell ». En fait ça marche avec n’importe quoi, du moment que tout le monde est bourré et le volume maximum. Et donc, avec « You’re the one … », CQFD. Mais attention, pas avec le pastiche des misérables comiques giscardiens Topaloff et Sim (« Où est ma chemise grise »). Fin de la parenthèse …
You're The One That I Want
Sinon, le grand moment du film qui me ravit, c’est à la fin, quand la super nunuche (avec coiffure et accoutrement qui va avec) Sandy-Olivia arrive relookée en super bombe sexy selon les standards de l’époque. En fait, elle ressemble juste à ce moment-là à une version anorexique de Bonnie Tyler, qui de quelque côté qu’on l’envisage, n’est pas exactement une bombe sexuelle avec ses brushings extra-terrestres et ses futes de cuir noir moulants. Sauf que Bonnie Tyler chante mieux, mais c’est une autre histoire …

Mais faut avouer que ça a de la gueule sur les étagères, le Dvd de « Grease » coincé entre un de Lars Von Trier et un autre d’Ingrid Bergman …



ZZ TOP - ELIMINATOR (1983)

You play the guitar on the MTV ...
« Eliminator » est le disque le plus connu, celui qui s’est le mieux vendu de ZZ Top. Et bien évidemment pas leur meilleur. Pour ça, il faut aller piocher (au hasard, ça marche à tous les coups) dans ceux d’avant…
ZZ Top 1983
Faut resituer un peu le machin, le contextualiser comme disent les hipsters. ZZ Top, au début des années 80, c’est le « little ol’ band from Texas » (c’est quelquefois écrit au cul de leurs disques). Et que la musique qu’ils aiment, excuse-moi partenaire, elle vient de là, elle vient du blues. Dès les débuts de leur carrière, les Top n’ont jamais renié leur côté rustique, voire rustaud. Le belouze, y’a que ça de vrai, et au Texas, on est pas des tafioles. Moins cons que la moyenne (on y reviendra), le trio a fait un gimmick exacerbé de son côté plouc, en rajoutant une couche à chaque disque (la pochette de « Fandango » avec la carte du Texas brodée sur les vestes, la tournée « Deguello » - il me semble – avec sur scène crotales, bisons, chacals, et toutes sortes de bestioles made in Texas). Petit à petit Hill et Gibbons ont pris l’habitude de se fringuer de la même façon et de se laisser pousser la barbe, mais pas Beard (que ceux qui n’ont pas compris s’inscrivent en cours de rattrapage en 6ème, avec anglais première langue …), et de commencer à se livrer sur scène à des chorégraphies étranges, qu’on croirait mises en scène par un handicapé moteur (à côté de Gibbons et Hill, Rossi et Parfitt dans Status Quo, c’est les ballets du Bolchoï, et il m’étonnerait pas que ce soit pour se foutre de leur gueule que les ZZ Top se soient lancés dans cette agitation au ralenti derrière leurs micros...)
Et le trio se retrouve dans les 80’s avec sa bonne petite réputation, son public tout de même conséquent, mais dans une décennie qui apparemment n’est pas du tout faite pour lui. Le prototype du truc qui marche vers 82, quand les ZZ Top entrent en studio pour mettre bas leur prochaine rondelle, c’est Culture Club. Et force est de reconnaître qu’il y a quand même un monde entre Boy George et Dusty Hill. A priori, ZZ Top fait partie des dinosaures des 70’s et doit comme tant d’autres, plus ou moins disparaître.
Une bien belle carrosserie ...
Ce sera compter sans la capacité d’adaptation des trois mousquetaires texans (qui comme ceux de chez nous, sont en fait quatre, leur D’Artagnan à eux s’appelle Bill Ham, et sera leur producteur attitré et exclusif jusqu’à sa mort) qui vont sortir le disque le plus malin de leur carrière, après avoir consciencieusement analysé la situation et humé l’air du temps. Leur musique est has been au possible, ils ont pris des kilos, ont des barbes imposantes de Père Noël boogie, se trouvent confrontés à la technologie envahissante (le synthé, soit a priori l’ennemi juré), et épine sur le cactus, la montée en puissance de MTV, chaîne prétendument musicale qui balance en heavy rotation les rengaines pop de jeunes beaux gosses, et qui devient incontournable pour prétendre à un succès commercial important.
ZZ Top va résoudre cette quadrature du cercle. Non sans faire grincer les dentiers de leurs vieux fans. « Eliminator » sera de très loin leur plus grosse vente. Bon, ils y sont pas allés avec le dos de la cuillère. Le son général est étrange, très mécanique, robotique, électronique et synthétique. Plus particulièrement tout ce qui est rythmique. A tel point que la rumeur a longtemps couru que « Eliminator » était un disque solo de Billy Gibbons à la guitare, tout le reste était fait par des machines. Finauds, les barbus ont laissé se répandre la rumeur, du moment qu’on causait d’eux, c’était bon à prendre, et n’ont jamais (du moins à l’époque, j’ai plus suivi leurs prises de parole depuis des siècles) confirmé ou démenti. Vraisemblablement, ils ont été parmi les premiers à émuler de vraies parties de basse-batterie, les ont fait bouffer à des ordinateurs et ont reconstruit leurs morceaux à partir des boucles obtenues (un indice : comme la puissance de calcul informatique était loin de celle dont on dispose aujourd’hui et pour ne pas avoir à faire de raccords aléatoires, quasiment tous les titres ont un final en fading, sans coda). Le bon son, le gros son, n’importe quel tocard peut l’avoir. Là où le trio texan a fait fort, c’est dans les compos. Toutes d’une finesse mélodique étonnante, des atours hardos appliqués sur de l’orfèvrerie pop.
Difficile de pas se faire remarquer
Le matériau de base pour le hold up parfait était prêt. Ne restait plus qu’à le diffuser au niveau planétaire. MTV sera le vecteur idéal. Là, ZZ Top n’aura pas grand-chose à faire. Niveau visuel, ils se reconnaissent à des lieues à la ronde. Leur sens de l’humour et leur intelligence (Gibbons est un spécialiste universitaire d’Art Moderne et a donné des conférences dans le monde entier) feront le reste. Leurs chorégraphies de plus en plus absurdes et empesées, les guitares en fourrure, les bagnoles des années 30 (comme la Ford de la moche pochette stylisée), les blondasses à mini short et décolleté sur forte poitrine dont ils s’entoureront dans leurs clips, leur vaudront un succès inattendu et imprévu.
Qu’en est-il et qu’en reste t-il de ce « Eliminator » ( un titre gag, en faux espagnol, alors que jusqu’à présent toutes leurs rondelles étaient nommées dans la langue de Cervantès), outre son aspect sonore particulier ? Des hits à la pelle « Gimme all your lovin’ » « Got me under pressure », « Sharp dressed man », « Legs », « TV Dinner ». Et des hits même pas honteux, malins, vifs, entraînants, mélodiques. Avec Gibbons et sa Strat en meneuse de revue. Parce qu’il y a quand même quelques trucs à ne pas oublier. Notamment le fait que le trio texan est une redoutable machine à boogies graisseux et que dans ce genre ils laissent quand même Status Quo loin derrière (d’ailleurs je me demande s’ils se moquent pas un peu d’eux dans « If I could only flag her down » plus Quo que nature). Et puis ne jamais oublier que derrière sa barbe et ses guitares en moumoute le sieur Gibbons est un très grand guitariste, laissant délibérément de côté les rodomontades électriques bavardes et égoïstes au profit de courts soli et chorus incisifs. A ses débuts, il n’a pas impressionné Hendrix soi-même tout à fait par hasard (à tel point, anecdote hyper connue mais qu’il n’est jamais inutile de rappeler, que le Voodoo Chile lui a offert une guitare qu’il a conservé comme une relique). Gibbons est un maître discret de la six-cordes et c’est pas à l’écoute de « Eliminator » qu’on affirmera le contraire. C’est lui qui tient la baraque ZZ Top au bout de ses doigts agiles.
Avec option dégivrage sur les binocles et air conditionné sur les grattes ?
Il y a quand même un côté obscur de la farce, pas insignifiant. Cette litanie de compositions linéaires, fades et sans saveur malgré leur côté radiofriendly. Dont quelques unes qui ont du mal à tenir la distance. « I need you tonight », c’est mieux par INXS, même si les deux morceaux, à part leur titre, n’ont rien en commun. Ici, on a un slow blues fadasse qui s’éternise, à des kilomètres du feeling d’un « Blue Jean Blues » (sur « Fandango »). « Thug » est bien pourrie par ses synthés, on dirait du Phil Collins (énervé, mais du putain de Phil Collins quand même).
Un mot sur le dernier morceau du disque, « Bad girl ». Compte tenu du sens de l’humour aiguisé des barbus, je vois dans ce titre à part (faux live avec ses hurlements et ses cris rajoutés), aspect sonore et mélodique bien différent du reste, un pastiche (voire un hommage au énième degré) d’AC/DC avec sa voix hurlée dans les aigus, ses guitares rythmiques tronçonneuses et son solo à la Chuck Berry. Ils devaient bien rigoler sous leurs barbes en l’enregistrant …
Pour rester dans l’imagerie Auto Plus du disque, « Eliminator » est un virage dans la carrière de ZZ Top. Plutôt pas trop mal négocié, sans sortie de route. Le suivant, « Afterburner », enverra tout le monde dans le décor




JEAN-LUC GODARD - PIERROT LE FOU (1965)

Tout et n'importe quoi ...
Parce qu’il y a dans « Pierrot le Fou » matière à filmer pour des générations de cinéastes, dans un bordel invraisemblable à tous les niveaux. « Pierrot le Fou » est un des trois meilleurs Godard, avec « A bout de souffle » et « Le Mépris », tout le monde est à peu près d’accord là-dessus, les nuances s’effectuant dans les hiérarchies personnelles (si vous voulez mon avis, et même si vous le voulez pas je vous le donne quand même, le meilleur des trois est « Le Mépris », d’une courte tête devant les deux autres).
Godard, Karina, Belmondo
Fidèle à la Godard touch, « Pierrot le Fou » présente une histoire à peu près totalement incompréhensible. Pour faire simple, Ferdinand (Belmondo), mariée à une riche italienne, père de famille, s’emmerde ferme dans le milieu hyper bourgeois, prétentieux et vide dans lequel il évolue. Il fugue avec sa gouvernante ou jeune fille au pair, peu importe, Marianne (Anna Karina). Qui s’avère faire partie avec ses frères (dont l’un serait plutôt son amant, vous suivez ?) d’une bande de trafiquants d’armes. Le périple des deux tourtereaux, partis de Paris vers les plages du Sud de la France, s’achèvera dans une cabane du côté de Toulon, avec la mort de Marianne et le suicide ( ? ) le plus célèbre du cinéma ( ? ) de Belmondo-Ferdinand-Pierrot … Bon, naturellement, on ne comprend strictement rien aux détails de l’intrigue, et à tous ces personnages secondaires qui apparaissent le temps d’une scène à l’écran. Parfois sans aucun rapport avec ce qui précède ou suit (la longue tirade de la vieille libanaise qui a épousé un « prince islamiste » (sic), ou celle de Raymond Devos dans un de ses premiers sketches nonsensiques qui feront sa fortune).
Et on peut se poser des centaines de questions sur ce que l’on voit à l’écran (ou ne voit pas, d’ailleurs). Paru cinq ans plus tard, on aurait dit que Godard avait tourné sous l’emprise du LSD, dix ans plus tard sous coke, vingt cinq ans plus tard sous ecstasy, etc. … Suffit de voir les spécialistes patentés ou autoproclamés es-Godard se perdre en conjonctures sur le pourquoi du comment de ceci ou cela. Vous fatiguez pas, même Godard ne le sait pas toujours …
Les acteurs te parlent, spectateur ...
Ce qui compte, c’est la baffe que tu prends avec ce genre de film. Et celle que tu ramasses avec « Pierrot le Fou », tu risques pas de l’oublier. Plus qu’un film, « Pierrot le Fou » est une succession de scènes cultes (de la discussion avec Samuel Fuller au début, jusqu’à l’explosion finale dans un délire de bleu, de rouge et de jaune). Avec « Le Mépris », « Pierrot le Fou » partage un professionnalisme technique (filmé en Techniscope sur émulsion Eastmancolor, s’il faut être précis). Autrement dit, y’a de belles images avec des couleurs vives. Et quand c’est pas le cas, c’est que c’est fait exprès (les raccords plus qu’approximatifs notamment), juste pour emmerder les manieurs chirurgicaux de caméra. Quand les costumes changent d’un plan ou d’une scène à une autre, c’est fait exprès. Quand Belmondo et Karina sont cadrés à hauteur de nez tout en bas de l’image au milieu de grands pins, c’est fait exprès. Quand ils s’enfuient en voiture après avoir descendu une gouttière, si les plans successifs ressemblent à un puzzle méprisant la chronologie, c’est fait exprès. Lorsque Belmondo et Karina roulent en voiture la nuit, si les trucages d’éclairages semblent venir du paléolithique, c’est fait exprès. Si lors des dialogues entre ses acteurs, Godard n’utilise jamais la technique classique et reconnue du champ-contre champ, c’est aussi fait exprès.  
Il faut reconnaître que dans le dynamitage du cinéma  de papa, c’est « Pierrot le Fou » qui va le plus loin, fixant des jalons tellement forts que même Godard n’arrive plus par la suite à les dépasser, d’ailleurs il devait s’en foutre un peu de faire mieux, s’auto plagier lui suffira … De plus, « Pierrot le Fou » est un peu comme une compilation des thématiques développées par Godard auparavant. On y trouve en vrac, parfois juste suggérées, parfois outrancièrement développée, ses visions sur l’art, la société, l’analyse de l’Histoire en marche. Le film s’ouvre avec Belmondo lisant un très sérieux pavé d’Elie Faure sur l’Art contemporain, et se referme sur une citation de Rimbaud. En passant par une fascination assez étrange pour les Pieds Nickelés, BD plutôt populacière et réac, dont un album est souvent à l’écran. Godard a toujours situé ses films dans le temps présent. Ici, il commence à s’interroger sur la guerre du Vietnam, dont il ne perçoit ni la portée ni la durée ce qu’on ne peut lui reprocher en 1965. Tout juste cela donne t-il lieu à une scène too much avec Belmondo en GI texan (cet accent !) et Anna Karina en geisha peinturlurée jaune fluo, au milieu d’américains en goguette. Comme dans « Le Mépris », Godard met en scène dans son propre rôle un des réalisateurs qu’il vénère. Ici, c’est Samuel Fuller qui définit le cinéma en quelques mots forts, juste pour une scène, alors que Fritz Lang était le personnage autour duquel s’articulait « Le Mépris ». Comme d’habitude et comme toujours, Godard affiche son mépris pour la musique populaire (Belmondo qui balance façon frisbee un 45T de Richard Anthony, le tourne disque au bord de la plage vite submergé par une vague, pas forcément nouvelle …). La jeunesse peut souffler un peu (Godard se rattrapera beaucoup par la suite), elle n’est pas éreintée par les images ou les aphorismes habituels.
Anna Karina
Parce que même si on n’y comprend rien à cette histoire, Godard la filme sans l’oublier en chemin. Et sans chercher à humilier quelque peu ses acteurs principaux en les reléguant au rang de comparses, de marionnettes inexpressives récitant des textes abscons. « Pierrot le Fou » est un film charnel, Belmondo et Karina ont tout du long du film un personnage « cohérent ». Belmondo, c’est le brave gars, un peu simplet, cœur d’artichaut désabusé, qui malgré ses airs de grande gueule macho, de brute cultivée, revient toujours vers Marianne. Karina, c’est la veuve noire (elle achève les mecs avec une paire de ciseaux plantée dans la nuque) manipulatrice sous ses airs angéliques. Évidemment, le fait que ce soit une ex à Godard (qu’il a mal vécu de s’être fait larguer et qu’il voudrait bien la repécho) explique beaucoup de choses dans la façon dont elle est filmée amoureusement, et les spécialistes du Jean-Luc vous dresseront la liste des répliques du film que Godard fait dire à son ex et non pas à Marianne.
Dans « Pierrot le Fou », même les départs en vrille de Godard, parfois bien aidé par l’improvisation des acteurs, constituent de vrais moments forts et non pas des tocades qu’il faut supporter parce que c’est Godard. Regardez l’imitation de Michel Simon par Belmondo, c’est autre chose que l’intégrale de « Plus belle la vie ». Ou le pastiche de comédie musicale avec ses leitmotivs (« ma ligne de chance, ta ligne de hanches »).
Belmondo en route pour le Big Bang
« Pierrot le Fou » fut bien évidemment comme la plupart de ses prédécesseurs lors de sa sortie interdit au moins de dix-huit ans (pour anarchisme moral et social, ou quelque chose comme ça, merci De Gaulle et dire qu’il se trouve de plus en plus de gens pour se réclamer de ce dictateur d’opérette et de sa France rance et grise). C’est le film que prennent le plus de plaisir à disséquer les Godard addicts, cherchant le pourquoi du comment de chaque détail. Un exemple, dans ma version Dvd, on trouve en bonus les commentaires de l’auteur de polars Jean-Bernard Pouy, limite extatique devant le film. A un moment, lorsque Belmondo et Karina sont dans leur cabane au bord de la mer, un perroquet est dans quelques plans. Selon Pouy, c’est une référence évidente à Stevenson (« L’Île au Trésor », le perroquet du pirate Long John Silver). Why not, mais où est l’évidence là-dedans ? Et dans les mêmes scènes, il y a un renardeau enchaîné sur la table qui lèche les assiettes. C’est quoi la référence, Mr Pouy ? Et pourquoi Marianne appelle Belmondo Pierrot et non pas Ferdinand ? On dirait tous ces hippies tracassés qui à la fin des années 60 passaient les disques à l’envers pour entendre les messages cachés qui allaient leur ouvrir des horizons cosmiques inconnus …

Tout ça prouve au moins une chose : « Pierrot le Fou », c’est un film qu’on peut voir et revoir indéfiniment et toujours y découvrir quelque chose de nouveau … Un grand film quoi …


Du même sur ce blog : 



KELLEY STOLTZ - QUE AURA (2017)

Un petit tour dans les années 80 ?
Quand elle passe à la télé, Chimène Badi porte un tee-shirt Led Zeppelin. Qu’en pensent Jimmy Page et Robert Plant ? Quand elle chante ( ? ), Carla Sarkozy reprend « Highway to hell ». Qu’en pensent Bon Scott et son petit Nicolas de mari ? Et le rapport avec Kelley Stoltz ?
Il n’y en a aucun … quoique … lui, il s’habille comme un Clapton qui aurait pas trouvé la boutique Armani, et il a autrefois repris un disque entier de Echo & the Bunnymen. Assez bizarrement, il est signé chez Castle Face Records, plutôt spécialiste des groupes revivalistes tendance sixties heavy psychédélique. Et ça, on peut pas vraiment dire que ce soit son truc, au Stoltz. Avec « Que aura », il a signé un des meilleurs disques des années 80 … sorti trente ans trop tard.
Kelley Stoltz
Y’a deux trucs, qui mieux que le carbone 14, permettent de reconnaître le « fameux son » des 80’s : les grosses batteries en avant (Steve Lillywhite chez U2 ou Simple Minds, Springsteen dans « Born in the USA », et les autres ont suivi …), et ces synthés stupides dont absolument tout le monde tartinait ses disques. Stoltz, s’il a laissé de côté les kicks pachydermiques, par contre, les synthés vintage, il s’en donne à cœur joie. Mais comme on a affaire à un type cultivé et qui traîne depuis plus de vingt ans dans l’indie rock, il les emploie plutôt à bon escient. Enfin, pas toujours, témoins « Feather falling » et « Same pattern », où ses pianos électroniques sont beaucoup trop en avant. Et pas de bol, c’est « Same pattern » que le label a choisi pour promouvoir la rondelle … ça risque d’en rebuter plus d’un, et comme a priori y’a pas des milliards de types qui attendaient cette rondelle, tout ça sent le bac à soldes.
Ce qui est con, parce que « Que aura » est un bon disque, voire mieux. Figurez-vous que ce clampin, il a pas fait comme la plupart de ses congénères, il a pas mis onze morceaux sur son disque, il a mis onze chansons. Et ça change tout, tellement on a perdu l’habitude d’entendre une intro, des couplets, un refrain, un pont, une mélodie, un solo au bon endroit au bon moment, toutes sortes de choses qu’avant plein de gens savaient faire et dont les générations plus ou moins actuelles semblent avoir perdu à jamais la recette (Radiohead – ou Kanye West -  quelqu’un ?)
Kelley Stoltz, lucidement, la joue low profile, même si on sent le type déterminé à rien lâcher. Il fait son truc, dans son coin, et on le sent pas vraiment très concerné par tout ce qui est charts et chiffres de vente… Et pourtant, celui qui achètera sa galette regrettera pas d’avoir lâché quelques euros Macron-Merkel. Stoltz est un guitar hero inconnu, mais que ses potes vont chercher quand il y a une partie de gratte à jouer (il a d’ailleurs fait une tournée avec les Echo & the Bunnymen devenus vieux, ce qui pour lui doit être la panacée). Et en plus de la guitare, il joue aussi de tout le reste (basse, batterie, synthés), fait ses disques tout seul dans son studio perso et les produit … Just like Macca, Prince, Stevie Wonder, Rundgren … le genre d’exercice qui  ne pardonne pas. Parce qu’on ne peut pas être un virtuose de tout ce qu’on touche. Ici, ce sont les parties de batterie qui sont plutôt simples, voire simplettes, très certainement clickées. Pour le reste, le type se débrouille plutôt bien. Et si le son est bien celui des 80’s, c’est pas du côté de Jeanne Mas ou Début de Soirée qu’il faut aller les similitudes.
Va bientôt falloir rajouter des doigts et des mains ...
Un exemple : la ballade brumeuse et arpégée « Get over » me fait penser à celles que miaulait l’immense Chrissie Hynde dans ses Pretenders. Un autre ? La mélodie parfaite et la facilité nonchalante de « No pepper for the dustman » devraient battre le rappel des fans d’Edwyn Collins (Edwyn Qui ? pff, laissez tomber, en plus il est moitié mort le pauvre …). Encore ? « Tranquilo », ballade pop mid-tempo, avec sa basse bien ronde et bien élastique, qui permet également de se rendre compte que si on risque pas de confondre Kelley Stoltz avec Otis Redding, il n’en demeure pas moins qu’il a une voix assurée et une présence intéressante au chant.
Et le reste de « Que aura » est à l’avenant, présentant derrière une base sonore commune, des variantes bien sympa. On a droit a du rock FM mid tempo (« Empty kicks »), qui fait clignoter le nom du vieil artisan de la chose Chris Rea, on trouve du classic rock qui louche qui vers la power pop (l’inaugural « I’m here for now »), un autre morceau réchauffe la mixture sonore brumeuse gothique des disparus et oubliés Lords of the New Church (« Looking for a spark » est dans la lignée d’un « Live for today »). Les titres restants, peut-être moins marquants, oscillent entre rock indie (« For you » et son riff alerte), et arpèges vaporeuses (« Possessor », titre le plus faible selon moi, gâché par une voix forcée dans les aigus).
Ce qui surnage comme impression de cette rondelle, c’est une certaine décontraction nonchalante, le type se la pète pas, prend manifestement plaisir à jouer ses titres, et espère en donner à ses auditeurs. Du rock peinard, envisagé façon laid back, la même démarche qu’avaient en leur temps des types comme JJ Cale ou Tony Joe White … Et je vais vous dire, même les fuckin synthés 80’s, ils ont rarement sonné aussi bien …

Kelley Stoltz est un type cool qui sort un bon disque. Que demande le peuple ?


Du même sur ce blog :
In Triangle Time



MGMT - ORACULAR SPECTACULAR

Des ans l’irréparable outrage ...
Quand il est sorti ce disque, je l’avais trouvé excellent. Aujourd’hui, dans un moment d’égarement, de désœuvrement, il a fini sur la platine. Et là, hum, soupe à la grimace…
Même s’il y a des trucs qui n’ont pas changé. Et surtout la qualité étonnante des trois titres phares : « Time to pretend », « Electric feel », « Kids ». Trois singles, comme on disait il y a des décennies lorsque les gens qui faisaient des disques savaient aussi écrire des chansons. Trois insubmersibles bombes electro-rock-indie-disco-machin… Le genre de morceaux sur lesquels les traders qui achetaient à prix d’or et à crédit des dettes immobilières à des types qui pouvaient pas les rembourser devaient danser, les naseaux blanchis par la coke, un verre de mojito dans une main, une top model dans l’autre, dans les boîtes chicos de Manhattan … Et puis la crise des subprimes est venue, et maintenant les nouveaux traders dansent sur d’autres titres les naseaux blanchis par la coke, un verre de mojito dans une main, une top model dans l’autre, dans les boîtes chicos de Manhattan … le cynisme du fric-roi et de ceux qui s’évertuent à piquer le peu qu’ils ont aux pauvres pour le refiler à ceux qui sont pleins aux as …
Plutôt voyants ...
Les MGMT se sont fait salement allumer pour leur côté désinvolte, hédoniste, branleurs bobos (j’en ai rien à foutre de rien, je te fais un disque dans l’air du temps, j’en vends des camions, et comme les traders je m’en vais danser les naseaux blanchis par la coke, un verre de mojito dans une main, une top model dans l’autre, dans les boîtes chicos de Manhattan …). Faut dire qu’ils l’avaient cherché… rien que leur nom déjà, MGMT pour ManaGeMenT, ça empestait les grandes écoles de commerce et toute la méprisable faune qui les fréquentent. Et puis ils étaient jeunes, beaux gosses bronzés, et la Columbia mettait le paquet pour soutenir leur carrière. Pas exactement une naissance artistique sur les mêmes fonds baptismaux que les Ramones …
Avec leur look de surfeurs Comanches fluo sur le sentier la discothèque branchée, leurs bonnets péruviens commerce équitable-bobo, les susnommés Andrew VanWyngarden et Ben Goldwasser sortent un disque dans l’air du temps (tous ces groupes plus ou moins dansants de Brooklyn, les MGMT sont du Connecticut, c’est pas très loin, juste de l’autre côté de la Baie de Long Island). Vraisemblablement, si les deux chérubins avaient été livrés à eux-mêmes, on n’en aurait jamais entendu parler. Une bonne fée s’est penchée sur leur berceau sonore, et croyez-moi, ça s’entend. La bonne fée, elle s’appelle Dave Fridman. Le type du son de Mercury Rev et des Flaming Lips, entre autres. Expérimentateur pop forcené et créateur de gimmicks d’une putasserie sans nom mais qui te remplissent les oreilles de guimauve dont il est difficile de se débarrasser.
Là, sur ce « Oracular spectacular », il s’en donne à cœur-joie. Quand en plus il a des bonnes compos au départ (les trois citées quelque part plus haut), ça fait mouche. « Time to pretend », c’est du niveau de Prince (la rondelle « Around the worls in a day » plus précisément) quand il se prenait pour les Beatles de 67. « Electric feel », c’est comme les Bee Gees de la B.O. de « Saturday Night Fever », ça réveille le côté disco ringard qui sommeille chez tout un chacun. « Kids », c’est en gros le meilleur titre d’ABBA que les Suédois ont pas écrit.
Ou pas vraiment discrets, comme on veut ...
C’est ensuite, pour les sept titres restant (ah ouais, sept, quand même, ça fait beaucoup), que ça se complique. Des machins informes, inconsistants, écrits avec les pieds, qui essayent de tirer sur quelques grosses ficelles sonores, tellement grosses que ça en devient gênant. Derrière ces artefacts branchouilles, rien, que dalle, et tout le génie de Fridman aux manettes n’y peut rien …
Et là, ressortent de façon exacerbée les machins qui coincent. La voix du chanteur lead (VanMachin), insupportable quand elle ne s’appuie pas sur un grand morceau. Voix de tête maniérée avec falsetto à la Prince (un modèle évident, mais Prince avait d’autres arguments, enfin, quand il délayait pas son génie dans des saletés innommables). Ces sons qui veulent tellement coller à l’air du temps qu’ils sonnent une décennie plus tard totalement ringards et suffisants. Cette manie à vouloir en foutre plein la vue et les oreilles à grand coups de changements de tempo sur des mélodies tellement tarabiscotées que t’y comprends plus rien, les (trop) grosses ficelles de Fridman que l’on a connu sinon plus discret, du moins plus efficace … Un seul exemple, « 4th Dimension transition » (rien que le titre …), c’est une sorte de musique indienne (esprit de Ravi Shankar, m’entends-tu ?) sur une rythmique épileptique, avec le gars qui essaie d’imiter la voix de baryton du Bowie des mauvais jours … qu’est-ce vous voulez faire d’un machin pareil, à quoi ça peut bien servir pareille bouillabaisse sonore ?
Malgré une litanie de critiques élogieuses, « Oracular spectacular » n’a pas vraiment eu le succès que beaucoup prédisaient. MGMT est devenu assez rapidement un « vrai » groupe avec trois ou quatre types rajoutés au casting initial. Ils ont sorti une paire de disques en dix ans, dans une relative indifférence. Et à peu près tout le monde se fout de savoir ce qu’ils deviennent.

N’empêche, ils auront sorti trois très bons titres. Combien de sensations du moment peuvent en dire autant ?


BLACK SABBATH - PARANOID (1970)

Doom Doom Boys ...
J’avais jamais accroché à Black Sabbath. Mon psy m’a dit que ça remontait à mes années collège. En ces temps-là (début des 70’s), les gars qui écoutaient de la musique étaient soit Led Zep, soit Purple (les has been en étaient restés aux Beatles et aux Stones, les cons …). Moi je faisais tourner en boucle le premier Maxime Le Foxterrier, sa poésie gentiment baba (« San Francisco ») et libertaire (« Parachutiste »)... Nobody's perfect… Et puis y’avait trois quatre mecs patibulaires mais presque, tignasse plus longue et plus sale que la moyenne, jeans pattes d’eph à la propreté douteuse, et treillis pourris de l’armée US avec écrit au feutre noir le nom de Black Sabbath, et qui toisaient toute la cour de récré d’un air méchant et d’un œil noir. Comme les filles ne les regardaient pas, ou dédaigneusement, j’ai logiquement conclu que Black Sabbath, c’était de la musique de cons faite pour des cons.
Black Sabbath 70
Des lustres plus tard, j’ai jeté une oreille distraite sur leurs premières rondelles, bof … Et puis de toutes façons, ils étaient vite devenus totalement ringardisés, l’espèce de machin qui subsistait encore sous ce nom était l’objet des moqueries des hardeux. Si même eux en voulaient pas … Encore plus tard, le nom de Black Sabbath est revenu avec insistance, des nuées de gonzos créaient de multiples chapelles de l’église hard (heavy, dark, doom, death, sludge, que sais-je encore …) et citaient les quatre corniauds de Birmingham comme la référence ultime, ceux qui avaient mis au monde la frange la plus noire du rock …
Afin d’assurer ma réputation partagée par moi d’encyclopédiste du binaire, j’ai rouvert le dossier Sabbath. Au début. Et là, y’a un skeud qui clignote, « Paranoid », parce que quasiment tous ses titres se retrouvent dans les Best of et compiles diverses consacrées au quatuor originel.
Autant y aller franco, « Paranoid », c’est du lourd. Beaucoup mieux, beaucoup plus fort, plus lourd, plus fou, que dans mes souvenirs. Bon, ça relève pas non plus de l’épiphanie, mais ça déchire proprement. Pourtant, c’est bête comme chou, la musique du Sab.
C’est d’abord une réaction. Une réaction au Swingin’ London. Les quatre de Black Sabbath viennent de Birmingham, cafardeuse cité industrielle des Midlands. Un patelin où si t’as de la chance, ton avenir c’est une silicose la cinquantaine venu dans la mine, ou une vie dans une boîte métallurgique (Iommi a laissé quelques phalanges sur une machine à l’usine). Alors quand tu vois les Beatles de la pochette de « Sgt Pepper » ou les Stones de « Satanic Majesties », c’est un monde inaccessible pour toi, petit prolo fumeur de joints et buveur de pintes le week end. Iommi, toujours lui, a pu juger sur pièces le Swingin’ London, puisque pendant le court laps de temps où il a fait partie de Jethro Tull, il a participé au raout psyché du « Rock’n’roll circus ». Ces types (Iommi, Osbourne, Ward, Butler) qui commencent à se croiser dans des groupes du dimanche à Birmingham, ils prennent une grosse baffe à l’écoute des Ricains lourds et violents genre Vanilla Fudge, Iron Butterfly, Blue Cheer. Le son du Sab, il vient de ceux-là, et pas des fanfreluches londoniennes…
Les mêmes en couleur
Les rythmiques de plomb, la lourdeur lancinante, seront leur signature musicale. Coup de bol (ou de génie), ils vont barbouiller tout ça de satanisme à deux shillings véhiculé par les films de la Hammer. Cette provocation potache, leur rock violent au ralenti, les feront immédiatement remarquer. En 1970, ils sortiront deux disques, le premier éponyme et ce « Paranoid ».
Black Sabbath prend le rock à rebrousse-poil. Faisant de leur défauts (une technique plus qu’hésitante, un look anti-glamour au possible, une crétinerie assumée, de la provocation simpliste, du satanisme de pacotille, …) des qualités dans lesquelles vont se reconnaître tous ceux qui jamais ne risquent de monter dans l’ascenseur social. Le Sab des débuts est le groupes des prolos, des asociaux, des cons et des moches. Plus tard viendront les dérangés et bas du front séduits par l’occultisme de carnaval …
Les Sab sont incapables d’écrire une chanson « dans les règles de l’art », de concevoir des ponts, des arrangements. Ils font se succéder des séquences (on fait tourner un riff en boucle, on enchaîne sur un mini solo de batterie, on change brutalement de tempo ou de mélodie, et on accole tout ça à la va comme je te pousse), privilégiant bien sûr les down ou mid tempo (c’est plus facile de trouver les notes quand ça va pas vite) aux accélérations façon dragster d’Hendrix ou à la virtuosité des power trio genre Cream. Et dans un logique réflexe spinaltapien, le Sabbath joue fort et très saturé. Réunissant par là-même tous les ingrédients pour sortir des disques grotesques avec une régularité métronomique. Sauf que là, à leurs débuts, et plus particulièrement sur « Paranoid », la sauce prend et tous ces titres fonctionnent.
On attaque avec « War pigs », le morceau anti-guerre. Qui n’arrive pas à la cheville de « Masters of war » ou de « Machine gun », mais l’important n’est pas là. On est bluffé par cette ambiance brute, noirâtre, les riffs lancinants de Iommi, les roulements de toms de Ward, cette affreuse voix de crécelle dans les aigus de l’Ozzy.
Il y a là une patte sonore, une recette assez unique. Que le groupe va répéter sur quasiment tous les titres du disque. « Paranoid » est un bloc, un pavé lourd, mal dégrossi, mais un putain de pavé quand même …
Les mêmes live
Huit titres. Dont cinq parpaings de metal lancinant. « War pigs », « Iron man » et son riff d’anthologie, le mid tempo aplatissant de « Electric funeral », « Hand of doom » qui a généré un sous-genre du hard, le classic heavy rock « Fairies wear boots ». Une remarque à propos de ce dernier. Soit les paroles (en principe c’est Butler qui est l’auteur des lyrics) sont complètement stupides, soit pires (fairies, c’est normalement les fées, ou alors les tarlouzes en argot).
« Planet caravan », c’est le slow façon Black Sabbath. Pas exactement aussi lascif que « Whiter shade of pale » si vous voyez ce que je veux dire. « Planet caravan » ça pue les types hébétés qui ont fumé trop d’herbe (« Sweet leaf » de leur premier disque, ode à la ganja des Midlands), ça fait l’effet d’un château de cartes sonore qui va s’écrouler, porté par la voix gémissante et inexpressive d’Ozzy. Tellement décalé que ça en devient génial. Tous ces titres taquinent ou dépassent les cinq minutes. Il y en a deux de beaucoup plus courts. « Paranoid », de l’aveu du Sab, a été rajouté à la hâte pour arriver au timing recommandé d’un trente trois tours. C’est un rock’n’roll violent, très proche dans l’esprit du « Speed King » de Purple, qui deviendra un hit et lancera la carrière du groupe all over the world. L’instrumental « Rat salad » semble lui totalement décalqué (la virtuosité en moins) sur le « Moby Dick » du Zeppelin avec son riff immédiatement mémorisable et son solo de batterie.

Conclusion : « Paranoid » est un disque crétin. Et génial à la fois. Dans un genre radicalement différent, il me fait penser au premier Ramones. Et ça c’est vraiment un compliment …

Des mêmes sur ce blog :



DAVID LEAN - LA ROUTE DES INDES (1984)

Sortie de route ?
Même si un film de David Lean, ça reste un film de David Lean, « La Route des Indes » sera son clap de fin. Peut-être parce qu’il en avait ras la casquette des tournages (Lynch a soixante seize ans quand sort « La Route … »), peut-être aussi que les réactions critiques (assez mitigées) sur « La Route … » lui ont fait comprendre que la fin du siècle cinématographique n’était pas pour lui … Un peu de tout ça, vraisemblablement …
Alec Guinness & David Lean
Lean, les films pour lesquels il est le plus connu et reconnu (en gros la triplette « … Kwaï », « Lawrence d’Arabie », «  … Jivago ») sont typiques et d’une époque et d’une certaine forme de cinéma. Une décennie (55-65) marquée par une génération qui trouvait du boulot, avait un peu d’argent dans les poches, et se précipitait en nombre (et en famille) dans les salles de cinéma. Pour y voir des films familiaux à grand spectacle. Et ça, Lean savait faire, torcher de grandes fresques romanesques dans des décors naturels à couper le souffle. Le spectateur en avait pour son pognon, il passait trois heures dans le ciné et en prenait plein les mirettes.
Au début des années 80, le public, ses goûts, et les films qu’il va voir ont changé. La sci-fi à grands renforts d’effets spéciaux triomphe (« Le retour du Jedi », « E.T. », « Blade runner », « Terminator »). Pas vraiment le monde de Lean. Hasard, « La Route des Indes » sort quelques mois après le « Gandhi » d’Attenborough, avec lequel in partage bien des points communs. Et avec lequel il souffre de la comparaison. « Gandhi » était pour son réalisateur le film de sa vie, il avait disposé de moyens colossaux (des centaines de milliers de figurants pour la reconstitution des obsèques). « La Route des Indes », quel que soit le niveau d’implication de Lean, est un film de plus dans sa carrière. Et pour ce qui est des moyens, même si c’est pas un film de fauché, on sent qu’il n’a pas eu une enveloppe illimitée. Les scènes de foule sont filmées en plan serré (avec moins de monde on remplit l’écran) et laissent même apparaître des « trous » (dans la scène de l’arrivée du train au début, il manque du monde en bas à gauche de l’image).
Les décors grandioses : la Lean touch ...
Parce que comme son nom l’indique, « La Route des Indes » se passe en Inde. Vers 1920 dans un comptoir colonial britannique (quand ailleurs dans le pays, Gandhi commence à faire localement parler de lui). Sur fond de domination déconnectée de la réalité des Anglais et en face une prise de conscience que l’Indien mérite mieux que le sort qui lui est réservé. Lean fait se mélanger romance sentimentale et thématique de l’émancipation du peuple Indien.
Côté cœur, on est loin de « …Jivago ». D’ailleurs, une fois le générique final passé, on n’a toujours pas compris de qui Adela était vraiment amoureuse (pas de son fiancé magistrat, c’est évident, peut-être de Fielding, ou passagèrement du Dr Aziz, faites vos jeux …). Côté social, c’est encore plus problématique, on est trop dans la caricature de l’asservissement au début de l’histoire pour que le revirement spectaculaire (Aziz devient hautain et méprisant vis-à-vis des Anglais) des réactions soit crédible.
La Lean touch (suite) : Davis & Ashcroft dans un train ...
Le plus gros reproche, il est à mon sens global. La visite des grottes de Marabar est certes l’articulation de l’histoire et se situe au milieu du film. Mais quid des personnages ? Un de ceux que l’on croyait principaux (Mrs Moore) disparaît, un autre que l’on pensait secondaire (Fielding) devient le personnage central. Etrange, même si le film est l’adaptation (fidèle paraît-il) d’un bouquin réputé (refrain connu) inadaptable à l’écran, ce procédé est curieux. « La Route des Indes » manque pour moi de souffle, de lyrisme, d’une histoire et de personnages forts.
Bon maintenant, si ça passe à la télé, faut pas zapper pour aller regarder « Plus belle la vie », hein… Lean, même en fin de carrière, ça reste un sacré manieur de caméra et un remarquable faiseur d’images. Il est en Inde comme un poisson dans l’eau, parce que l’Inde, c’est le pays du train roi. Et Lean aime le monde du rail, c’est le moins qu’on puisse dire. Depuis son premier gros succès (« Brève rencontre » en … 1945, tout de même), Lean filme des gares, des trains, et en fait un des éléments essentiels de ses films. On a donc droit dans « La Route … » à quelques superbes plans montrant des trains qui semblent minuscules dans des paysages grandioses. Des plans qui n’apportent strictement rien à l’histoire, mais juste pour le plaisir des yeux, c’est déjà beaucoup …
V Benerjee, A Guinness, J Davis
Lean peut aussi s’appuyer sur un casting qui tient la route, avec des personnages crédibles dans leurs rôles. Pas de stéréotypes à la hache pour les rôles principaux, tout ces personnages, au contact de l’Inde ou des situations qu’ils vivent, sonnent vrai, ne surjouent pas. D’autant que le casting est international. Dans le quatuor majeur du film, on trouve deux Anglais, Peggy Ashcroft (Mrs Moore) et James Fox (Fielding), l’Australienne Judy Davis (Adela Quested), et l’Indien Victor Banerjee (Aziz). Tous se mettent au service du film, et évitent d’en faire des brouettes (et à peu près tous se sont affrontés avec plus ou mois de véhémence au dirigisme strict de Lean, les relations en fin de tournage n’étant pas au beau fixe entre le metteur en scène et ses acteurs). Ne pas oublier celui qui est peu l’électron libre du scénario, un méconnaissable Alec Guiness, qui est le Professeur Godbole, un Indien philosophe et lunaire. Guiness, pourtant habitué des plateaux de Lean, que certains critiques ont confondu lors de la sortie du film avec Peter Sellers (malheureusement bien mort à cette époque-là), une méprise qui perdurera (le déguisement de Sellers en prince hindou dans « La Party » y étant certainement pour beaucoup).
Lean montre beaucoup de choses. La cohabitation qui ne pourra que devenir impossible entre une Angleterre victorienne transposée sous les tropiques et une population locale traitée par-dessus la jambe, le psychodrame intime qui concerne les quatre acteurs principaux, le mysticisme et ses lieux étranges de l’Inde… Mais Lean survole tout cela, laissant dans son histoire de nombreux points d’interrogation. Le seul qui se justifie étant de savoir  ce qui s’est passé dans la frotte entre Adela et Aziz. Pour les autres (une fin qui n’en est pas vraiment une, ces revirements d’attitude des personnages majeurs, le procès étrange tant dans son déroulement que dans son verdict de la part d’une institution judiciaire à la botte des Anglais …).
« La Route des Indes » sera le dernier film de Lean. Au vu de ceux des décennies précédentes, on était en droit d’en attendre un peu plus. Lean fait du Lean, c’est bien le moins. Mais en moins bien qu’avant … 


Du même sur ce blog :