LUC & JEAN-PIERRE DARDENNE - ROSETTA (1999)

I will survive ...
Cette vieille scie de Gloria Gaynor, mise à la sauce beauf-franchouillarde par des footeux crétins (pléonasme), Emilie Dequenne l’a chantée dans « Pas son genre » de Lucas Belvaux. Elle aurait pu aussi la chanter dans « Rosetta », sauf que l’ambiance dans le film des Dardenne Bros, n’est pas exactement hédoniste et disco.
« Rosetta », c’est un peu du Dickens ou du Zola. Ou du Ken Loach, ce qui revient à peu près au même. Autrement dit, fans de Dubosc et des Elmaleh, merci d’avoir lu jusque-là, mais maintenant, c’est bon, cassez-vous …
Les frères Dardenne & E Dequenne
Derrière le projet « Rosetta », les deux frangins Dardenne, dont j’ai jamais compris lequel des deux faisait quoi, depuis quelques lustres dans des projets cinématographiques résolument indépendants (entendez-par là que tu te démerdes pour tourner des images, faire des docus, des courts ou des longs-métrages, mais t’as pas un rond pour ça, tu te débrouilles comme tu peux …). « Rosetta » est leur quatrième film, en fait le second dont les lecteurs de Télérama entendent parler, les deux premiers étant passés totalement inaperçus. « Rosetta » va sortir les Dardenne de l’anonymat, et pas qu’un peu. Palme d’Or et prix d’interprétation féminine à Cannes, pour un truc tourné avec quinze millions d’euros (le budget apéro-petits fours d’un Depardieu) avec dans le premier rôle une actrice amateur de dix-huit ans. Deux récompenses cannoises qui furent perçues par certains spectateurs de salles obscures comme un putsch communiste sur la Croisette … Et en plus c’étaient tous des  Belges …
« Rosetta » n’a pas de début, et encore moins de fin. C’est une tranche de vie, filmée avec une caméra à l’épaule qui colle au cul de ses personnages, en particulier celui d’Emilie Duquenne, qui doit être de toutes les scènes. Ça commence par une course-poursuite (non, pas exactement à la « Fast & furious ») dans les réserves d’un magasin quelconque, où bosse Rosetta, qui vient d’apprendre qu’elle vient de se faire virer. Rageuse, elle pleure, supplie, pour garder son boulot, ne quitte l’usine que manu militari … Citation de Jean-Pierre Dardenne dans les bonus (minables, normal c’est chez TF1 Vidéo) du Dvd : « Rosetta est une fille obsédée, assiégée par une idée : avoir un travail pour être comme les autres et avoir une vie normale ».
Emilie Dequenne / Rosetta
Parce que Rosetta, elle a pas une existence vraiment glamour : elle vit dans un mobil home avec sa mère (il n’y aura aucune allusion au père dans le film, pas besoin) poivrote dépressive, réduite à sucer le gardien pouilleux du camping pouilleux pour continuer à avoir de l’eau potable, ou une bouteille de gnole. Rosetta est prête à tout pour trouver du boulot (sauf ce à quoi vous pensez, bande d’obsédés), demandant partout, dans les friperies où elle vend ses fringues pour pouvoir bouffer, dans les agences pour l’emploi … Rosetta n’a aucune vie sociale, encore moins sexuelle. Elle finit par se faire embaucher dans l’atelier d’un boulanger-marchand de gaufres, type réglo mais dur, propriétaire de baraques à gaufres sur les trottoirs de la ville (Seraing, en Wallonie, mais on s’en fout, ça n’a aucune espèce d’importance).
Lorsque son patron la renvoie au prétexte qu’il la remplace par son fils à qui il veut apprendre le métier, Rosetta va de nouveau basculer dans la quête maladive de boulot. Ce qui va accentuer chez elle ces terribles crises de mal au ventre qui la plient en deux et lui font souffrir le martyre dans son lit (psychosomatisme, colite, ou autre, on en sait rien et on s’en tape). Dès lors son acharnement va prendre une tournure machiavélique (c’est la tranche de vie au cœur du film). Car chez les Dardenne, les héros ne sont jamais totalement positifs (voir ceux de « L’enfant » ou le gosse tête à claques du « Gamin au vélo »). Et Rosetta va être abjecte pour trouver du boulot. Elle va balancer à son patron pour qu’il le vire et qu’elle prenne sa place (et il faut voir avec quelle fierté elle ouvre le matin « sa » baraque à gaufres) un grand dadais limité qui la dragouille après avoir essayé de le faire se noyer. Rosetta foire tout dans sa vie, thème éminemment zolien du déterminisme social. Elle n’arrivera même pas à se suicider au gaz (la bonbonne est vide), et le film s’arrête alors qu’elle se retrouve face à son existence minable (une énième prise de bec – baston avec sa mère) et face au grand niais dont elle a voulu détruire la vie sociale minable pour satisfaire ses ambitions, tout aussi minables et mesquines.
I wanna be your boyfriend ...
Et malgré tout, Rosetta demeure un personnage empathique. Parce qu’elle est gauche, obstinée, combative, et qu’elle lutte pour la « bonne cause », trouver son putain de job.
« Rosetta » est un modèle de cinéma-vérité. Parce que le film, même s’il a tous les aspects techniques d’un documentaire, s’en éloigne par la forme. Il y a les scènes qui reviennent come un mantra. La traversée de la quatre voies (plan récurrent chez les Dardenne, ils passent beaucoup de temps à filmer des gens qui courent à travers des rues ou des routes) rythme les fins de journées de Rosetta. Tout comme le rituel du changement de chaussures (ces bottes en caoutchouc planquées dans une buse d’écoulement qui servent à rentrer au camping à travers les bois), ou la prise de bec systématique avec sa déglinguée de mère.
Les acteurs sont « vrais », crus et sans fard, avec mention particulière à Olivier Gourmet, qui à force de multiplier les seconds rôles marquants, mériterait qu’on fasse reposer un jour un grand film sur ses épaules, il a la carrure pour l’assumer. Emilie Dequenne crève évidemment l’écran, et pourtant elle n’a rien de glamour avec sa silhouette rondelette, ses hauts de survêt informes et ses collants caca d’oie.
« Rosetta », c’est quand même un genre de film qu’il faut être prédisposé à s’enquiller, comme on dit par chez moi. Parce que y’a rien de spectaculaire, et que ça respire pas vraiment la joie de vivre et la bonne humeur. Un film plus pour le cœur et la tête que pour les yeux et les oreilles …

« Rosetta », c’est quatre vingt dix minutes de la vie d’une gamine belge d’en bas. Et ça atteint parfois des sommets …


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