DANIEL MYRICK & EDUARDO SANCHEZ - LE PROJET BLAIR WITCH (1999)

Avec trois bouts de ficelle ...
Des bouts de ficelle qui relient des petites branches pour former des signes inquiétants. C’est à peu près le seul truc qui ne soit pas naturel dans le film…
« Le projet Blair Witch », où comment deux même pas trentenaires américains, Daniel Myrick et Eduardo Sanchez, engendrèrent un des plus colossaux ratios lucratifs (recettes du film par rapport à son coût) de tous les temps. Cinquante mille dollars investis et des centaines de millions de recettes. Tout ça pour un film qui n’en est pas un. Et par deux types inconnus qui ne feront, soit ensemble, soit séparément, plus rien de notable.
Daniel Myrick & Eduardo Sanchez
« Le projet Blair Witch », c’est fait avec les moyens d’un documentaire fauché, genre reportage animalier à la télé est-allemande dans les années 80. Et encore, les boches rouges avaient beaucoup plus de brouzouf… Ici, on a en tout et pour tout une mini-caméra vidéo portable et une en super 16. Les deux tenues à l’épaule, c’est filmé en marchant ou en courant, et souvent la nuit, donc il y a des scènes où on ne voit que le noir intégral. Un truc totalement insensé, à l’encontre de ce que l’on peut voir dans les salles.
Le scénario tient sur un timbre-poste. Trois ados filment un docu dans une forêt où auraient eu lieu à différentes époques des crimes abominables et inexpliqués, que la légende locale attribue à la sorcière de Blair (à moins qu’il y ait plusieurs créatures, on sait pas trop). Les trois bambins se paument dans les bois et vont y passer quasiment une semaine. Un disparaîtra sans laisser de traces (mais des cris de souffrance, on y reviendra), les deux autres termineront leur périple dans une maison délabrée et peu avenante. Toujours en filmant leurs faits et gestes, y compris les plus anodins. En intro, on nous précise que ce sont les images qu’ils ont tournées que l’on retrouvera un an plus tard et qui donneront le film.
Promenons-nous dans les bois ...
« Le projet Blair Witch » inaugurera à peu près (même si certains exégètes citent des œuvres inconnues par des types qui le sont tout autant, comme influences potentielles), un genre particulier de film d’épouvante, celui filmé par les gens qui le vivent (voir la série des « REC »). Avec une technique calamiteuse (les trois savent tout juste tenir une caméra), un peu à la « Massacre à la tronçonneuse », et aucun effet spécial à l’horizon. Tout repose sur une longue montée oppressante de la tension. Sans rien montrer, pas la moindre goutte de sang (on voit tout juste fugitivement enveloppé dans un chiffon au milieu d’un fagot de branches, un truc sanguinolent qui ressemble à une dent), et pas la moindre créature infernale qui dézingue tout ce qui est à l’image (ce qui rend par exemple ridicule le final du quasi clone de « Blair Witch » sorti dix ans plus tard, « Paranormal activity »). Je sais plus qui c’est qui avait dit (Polanski, à propos du bébé maléfique de « Rosemary’s baby » que plein de spectateurs ont décrit alors qu’il n’apparaît jamais à l’image ?) que la peur tu l’as en toi, et que le reste n’est que projection intérieure de fantasmes…
Putain mais c'est quoi ces trucs ?
« Le projet Blair Witch » est une merveille de réussite anxiogène, depuis les ploucs de chez plouc qui interviennent sous forme de micro-trottoir au début pour raconter la ou les légendes de leur bled perdu du Maryland, jusqu’à cette tension qui monte inexorablement au cours des nuits en forêt. Coup de génie, les journées (qui constituent l’essentiel des images), il ne se passe rien (sinon on verrait, et le film perdrait tout son intérêt). Juste de temps à autre la découverte par les randonneurs paumés de quelques tas bizarres de cailloux ou de guirlandes cabalistiques étranges pendues aux arbres. Les jours servent juste à faire monter la pression chez le spectateur comme chez les trois, qui alternent nonchalance potache et pétages de plombs quand ils se rendent compte qu’ils sont complètement paumés, avant à la longue de flipper leur race.
« Le projet Blair Witch » n’a pas de fin (dans le sens d’une fin de film qui donne un épilogue à l’histoire). Au milieu de la panique galopante qui saisit le garçon et la fille « rescapés » dans la vielle baraque en ruines, on les imagine étripés (par quoi ou qui ?), alors que très fugacement, on en aperçoit un collé à un mur et la fille semble se cogner avant de tomber et de laisser sa caméra filmer un plafond décrépi. Tout ça parce cette histoire de sorcière(s) est omniprésente et qu’un des garçons a disparu une nuit sans laisser de traces. Seuls des gémissements au début sourds et la dernière nuit se transformant en hurlements, que les autres reconnaissent comme étant siens, indiquent sa « présence » et guident les deux autres vers l’épouvantable ( ? ) final nocturne.
Image devenue culte ...
Ce qui prouve qu’il y a des choses travaillées, notamment la bande son qui est fabuleuse, ultra flippante avec ses bruissements, ses bruits de pas ou de cavalcade, ses plaintes étouffées ou ses cris de souffrance, quand l’écran est noir. Ou les discussions échangées par les trois ados, leur farouche volonté malgré tout de s’en sortir qui laisserait présager une plus ou moins happy end (la dernière scène a été tournée de plusieurs façons, sans que l’on sache ce qu’étaient celles qui n’ont pas été retenues), et le leitmotiv qui voudrait que l’on ne disparaisse pas dans les Etas-Unis des années 90, que l’on finit toujours par vous retrouver, et qui revient plusieurs fois dans les dialogues façon méthode Coué.
Tout le casting est composé d’acteurs amateurs, et c’est pour les trois personnages principaux leur premier film (d’ailleurs aucun des trois ne fera beaucoup parler de lui par la suite). Ils ont été lâchés pendant deux semaines dans les bois avec leur barda, passant leurs journées à crapahuter et à se filmer, n’ayant aucune idée du scénario (les réalisateurs leur donnaient les instructions le matin pour la journée, tout a été tourné chronologiquement).
Le succès du film sera colossal, appuyé par un marketing (sans aucun moyen, mais avec beaucoup d’imagination au départ) qui fera par la suite école et que l’on a l’habitude de qualifier de « viral ». Les réalisateurs notamment ont profité de l’internet naissant pour multiplier les sites (tous des fakes) où l’on trouvait la « vraie » histoire à l’origine du film, et les prétendues calamités arrivées aux participants (l’un des deux réalisateurs était même soi-disant mort, victime de la terrible vengeance des forces maléfiques). Et même encore aujourd’hui, on trouve sur des forums de pauvres gogos angoissés par cette histoire qu’ils croient vraie.
Ne reculant devant rien, certaines jaquettes de Dvd assurent qu’« on a pas eu autant les jetons au cinéma depuis « Shining » ». Bon, faut pas pousser, faudrait voir à rester dans le domaine des choses comparables.
Il n’empêche que « Le projet Blair Witch » est quand même une belle réussite et qu’il sera difficile de faire aussi anxiogène avec aussi peu de fric.
Une leçon à méditer pour tous ceux qui claquent des millions de dollars dans des effets gore piteux …



2 commentaires:

  1. Je me souviens du phénomène autour de ce film... Du grand n'importe quoi, avec les rumeurs de véracité, les sites, les témoins... (On avait eu "Cannibal Holocaust" 20 ans plus tôt, dans le même genre). Ah la la... le marketing a encore de beaux jours... Je me souviens aussi de Claude Chabrol, disant un truc du genre "faire un film avec 12000 francs... ok, mais il durera 4 minutes !". C'est vrai que le rapport coût/recette est hallucinant (et c'était là encore un argument marketing) mais on parle de quoi exactement ? Le coût du tournage, seul, ou l'ensemble, post-production, distribution, promotion comprises ? Il est certain que filmer en décor naturel, (et en forêt, donc sans les contraintes de la villes) avec trois acteurs amateurs ou débutants, une seule caméra, légère, en privilégiant la lumière naturel, sans retouche ensuite etc... ça coûte moins cher que Star Wars. Mais faut pas oublier que le film est sorti partout, avec battage médiatique et tout, et ça, c'est loin d'être gratuit...

    Sur le film en lui même, je l'ai vu en cassette (et oui, une VHS louée au vidéoclub, bon sang, ces mots que je n'ai plus écrits depuis...) peu de chose à dire, le principe est effectivement efficace, mais bon... Le phénomène m'avait agacé. Ca puait l'arnaque, ce truc. Du cinéma sans "cinéma" est un concept qui m'échappe un peu. Je me souviens avoir repassé la fin 7 ou 8 fois, pour essayer de décrypter l'image (sombre, granuleuse) et piger ce qui ce passait dans cette foutue barraque...

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    1. Sur le "vrai" coût du film, je sais pas. Je suppose que ça a dû faire effet boule de neige. Dès que ça a commencé à marcher, ils ont fait davantage de pub, donc davantage d'entrées, ça leur a permis de faire encore plus de pub, etc ...
      "Blair Witch" cinéma ou pas ? Pour moi cinéma, dans la mesure où il y a volonté cohérente de produire un résultat ... c'est minimaliste, certes, mais "écrit" et "filmé" ... au moins autant que certains films d'auteurs (ou de Godard), où tu vois pas très bien de quoi il retourne, des trucs abscons filmés en roue libre ...

      Le final ? Ben si on se reporte au début (film tiré des bandes retrouvées par la police), aucun des trois jeunes n'a réapparu. On peut supposer qu'ils se font buter. Mais par qui ou quoi ? La réponse est peut-être dans les suites ... Que j'ai pas vues et pas envie de voir.
      "Blair Witch", ça repose sur des trucs tellement ténus, que ça peut pas marcher plusieurs fois, ça n'a plus aucun intérêt ...

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