JACCO GARDNER - HYPNOPHOBIA (2015)

The constant Gardner
Son premier skeud, « Cabinet of curiosities » en 2013, avait rehaussé le niveau affligeant des années 2010. Le type totalement dans son truc, reprenant les choses là où les ténors de la pop psyché des 60’s les avaient laissées, et une collection de putains de chansons comme il n’y en a pas deux poignées de contemporains qui savent les torcher.

Le petit prodige néerlandais avait laissé entendre que faire des disques c’était pas trop son truc, qu’il préférait bidouiller en studio, et pourquoi pas pour les autres. Heureusement, y’a que les corniauds qui changent pas d’avis. Le Jacco a passé deux ans sur la route et sur les planches et nous sort maintenant ce « Hypnophobia » (la phobie du sommeil, dans la langue de Florent Pagny). « Cabinet of curiosities », c’était estampillé 66-68. Logiquement, deux ans plus tards, Gardner se retrouve en 1970. Et de ses périples all around the world, il a du entasser une collection de synthés vintage, car ce sont eux qui dominent « Hypnophobia », et particulièrement le Mellotron. C’est pas vraiment une surprise, on avait compris que le garçon était fan ultime des Zombies, dont le chef-d’œuvre maudit « Odessey & oracle » peut être vu comme une brochure commerciale au dit Mellotron.
Mais autant « Cabinet … » était une collection de chansons de structure « classique », autant « Hypnophobia » va plus loin. Gardner semble vouloir dépasser le format chansonnette (deux titres sont des instrumentaux, et les lyrics de quelques autres doivent tenir sur un timbre-poste) pour s’attaquer au concept de climat, d’ambiance. Tout en évitant le piège du funeste prog qui pointe ses gros sabots dans ces cas-là. Exercice de style casse-gueule. Et réussi.
On retrouve les fondamentaux du bonhomme. La pop cafardeuse, le folk-rock mélodique. Autant ils étaient l’essence du premier disque, autant ils ne servent que de trame – dont il s’extrait facilement – pour celui-là. Les Zombies sont toujours là, le Brian Wilson d’après « Pet sounds » aussi. Le bouffeur de space cakes Barrett itou, mais cette fois-ci, le Floyd sans lui affleure dans nombre de plages. Le Pink Floyd captivant de la fin des 60’s, en perpétuelle hésitation entre chansons et longues suites atmosphériques, celui en gros des disques « Meddle » et le soundtrack de « More », mais aussi par extrapolation, des relents du Gainsbourg de « Melody Nelson » (les cordes évanescentes, chez Gardner les machines ont remplacé les hommes) et de leurs imitateurs-disciples (le Air de « Moon safari » ou de « Virgin suicides, qui cumulent les influences Gainsbourg-Floyd).

« Hypnophobia », c’est un bloc, un pavé dans la mare, et en l’occurrence celle du Kevin Parker de Tame Impala, auquel on a souvent comparé Gardner. Bon, le gentil Australien envapé, reste sur le coup loin derrière à mon sens. Tout au plus pourra t-il se vanter d’avoir inspiré à Gardner sa coupe de cheveux.
Deux titres de « Hypnophobia » renvoient à un folk millésimé, le bon « Face to face » et le dispensable « Make me see » (moins de deux minutes, ça va, ça passe vite). Le folk sert de point de départ à « Brightly », mélodie de rêve comme savait en torcher Cat Stevens (avant que Mahomet lui bouffe les neurones), et puis le titre s’envole, porté par une fabuleuse progression instrumentale que n’aurait pas renié Brian Wilson (avant que le LSD lui bouffe les neurones). Un des sommets du disque.
Les autres ? « Find yourself », énorme single qu’on risque de pas beaucoup entendre sur NRJ, on dirait un inédit de la B.O de « More ». « Before the dawn » (huit minutes), c’est la pièce de bravoure du disque. Porté par une batterie très krautrock et une trouvaille mélodique entêtante au synthé, ce titre est d’une fausse simplicité, en perpétuel mouvement, décollage hypnotique assuré. « Hypnophobia » le morceau multiplie les trouvailles atmosphériques, et les temps étant ce qu’ils sont, pourrait passer pour le « Echoes » de son époque.
Avec ce disque, Gardner signe un superbe doublé et s’extirpe haut la main du piège souvent délicat du deuxième album. Comme en plus il sort de l’indie pur et dur (il est signé ce coup-ci sur PIAS, qui sans être une major est une structure « sérieuse ») et que s’exhiber sur scène ne le rebute pas, il se pourrait bien qu’il devienne quelqu’un qui « compte », dont on entend parler.

Pour une fois, ce sera mérité …

Du même sur ce blog :


TOM TYKWER - COURS LOLA COURS (1998)

Fast & furious ?
« Cours Lola cours » aurait pu être le film de la génération X. Il est arrivé un peu tard (fin 1998), et de toutes façons après « Trainspotting ». N’empêche, il n’en reste pas moins un des films les plus novateurs de la décennie pré-motion capture.
Le maître d’œuvre du projet « Cours Lola cours », c’est Tom Tykwer. Touche à tout du cinéma indépendant allemand (il est crédité au générique de scénariste, réalisateur, producteur et compositeur de la BO, rien que ça …), il n’avait réalisé qu’une paire de films que personne avait vus. Et là, tout à coup, il va sortir un truc totalement hors normes, avec une mise en scène ultra speedée et un scénario totalement délirant.
Tom Tykwer
A la base, un couple de jeunes, Manni et Lola. Lui vivote et commence à s’engluer dans des trafics chelous, elle s’emmerde chez papa-maman dans un milieu bourgeois (une mère au foyer délaissée qui cherche le frisson amoureux dans l’horoscope, et un père directeur de banque qui se tape la sous-directrice et envisage très sérieusement le divorce). Après une première séquence euh … métaphysique ponctuée de mouvements délirants de caméra, les ressorts de l’intrigue se mettent en place. Un piqué vertigineux de caméra qui entre dans la maison de Lola pour finir sur un gros plan de téléphone qui sonne. A l’autre bout du fil, Manni. Mal barré. Un très gros paquet de pognon venant d’un trafic de bagnoles, qu’il doit remettre à un caïd qui rigole pas. Problème, il a connement perdu le pognon dans une rame de métro, et n’a plus que vingt minutes pour remettre le fric. Sinon il se fera buter. Lola ne sait pas quoi faire, mais veut à tout prix sauver son mec. Elle part au sprint le rejoindre, espérant trouver en route le bon plan qui va sauver son chéri.
Bon, ce genre de scénar, on l’a vu des milliards de fois. Sauf qu’ici il n’y a pas un film, mais trois. A partir du moment où Lola dévale les escaliers de sa baraque, un petit détail va survenir qui va perturber sa course folle. Et cette seconde gagnée ou perdue au démarrage va provoquer des réactions en chaîne, ses choix à elle, à Manni, vont être différents. Et au bout des vingt fatidiques minutes, l’issue aussi sera totalement différente… les trois séquences de vingt minutes sont quasiment filmées en temps réel, et les lumières se rallument dans la salle au bout d’une heure et quart. Autant dire que ça déménage à l’écran …
Lola & Manni
D’abord parce qu’il y a des « personnages », des gueules. La mignonne et plutôt glamour Franka Potente campe une Lola à cheveux rouges et Doc Martens, passant entre deux courses folles d’un calme olympien au milieu de situations qui partent en quenouille, à des montées d’adrénaline hurlantes (comme un autre héros de film allemand, Oskar, celui du « Tambour », et certainement pas par hasard, quand Lola s’énerve grave, elle crie dans les aigus jusqu’à casser les verres), et cette actrice pratiquement inconnue crève l’écran (et ne laissera pas insensible son réalisateur puisqu’ils formeront un couple à la ville). L’autre figure majeure du casting, c’est Manni (Moritz Bleibtreu), un peu paumé, qui fonce d’abord et réfléchit après, mais qui partage avec Lola une furieuse envie de se sortir de ce sac de nœuds dans lequel il s’est enlisé. Les seconds rôles forcent sur l’aspect caricatural de leur personnage et le rendent immédiatement mémorisable dans les différents scénarios qui s’enchaînent.
Techniquement, il n’y a rien de révolutionnaire, qui n’ait déjà été vu dans un film. Par contre, rarement les images collent aussi bien à l’histoire. Les sprints de Lola rythment la structure filmique. Et la tarte à la crème utilisée à toutes les sauces et plutôt à tort et à travers depuis vingt ans, à savoir le montage façon vidéo-clip épileptique, prend ici toute sa mesure et tombe sous l’évidence. D’autant plus que la musique (Tykwer aux machines et Potente pour quelques parties chantées) repose sur une techno survitaminée (genre Prodigy meets Chemical Brothers) qui renforce encore un peu plus l’aspect oppressant de ces courses contre la montre. Autre bonne idée de Tykwer, celle d’inclure à chaque « épisode » une séance d’animation représentant Lola descendant quatre à quatre les étages de sa maison. Certes pas une nouveauté dans un film « conventionnel », mais là aussi, cet intermède animé s’intègre parfaitement dans le rythme du scénario. Et puis, tant qu’à montrer trois déroulements d’histoire différents, Tykwer en faisant se succéder des polaroids à un rythme échevelé, nous évoque de façon tout juste perceptible à l’œil les destins différents des gens croisés par les protagonistes principaux.
Natural Born Killers ?
Et comme si ça ne suffisait pas dans ce crépitement d’images en mode rafale, Tykwer glisse des hommages au « A bout de souffle » (c’est tellement évident que personne ne semble s’en être aperçu). Le final du film de Godard est quasiment plagié dans une des fins de « Cours Lola cours », et entre les « épisodes », Manni et Lola discutent dans un lit de questions philosophiques, métaphysiques et existentielles just like Bebel et Jean Seberg dans la chambre de l’Hôtel de Suède. Sans compter évidemment tous les clichés et tics de réalisation pompés aux films d’action et aux polars de tout temps (ces gros plans récurrents sur le flingue de Manni qui dépasse de sa poche arrière quand il va braquer le supermarché, ou sur la boule d’ivoire dans le casino, le genre d’effets de caméra faciles qu’on a vu mille fois mais qui marchent toujours).

C’est bien simple, « Cours Lola cours » c’est aussi bon et évident qu’un titre de Chuck Berry … « Run Rudolph run » au hasard, évidemment…


COURTNEY BARNETT - SOMETIMES I SIT AND THINK, AND SOMETIMES I JUST SIT (2015)

Courtney ? Love !!!
On pourrait se poser plein de questions, du genre pourquoi tout ce barouf dans tous les médias spécialisés (ou pas) au sujet cette miniature australienne (comme si ça suffisait pas avec KyKylie Minogue, les chanteuses d’un mètre cinquante, talonnettes compensés comprises), en plus même pas canon avec son visage poupin et donc ses faux airs de McCartney with boobs. Surtout qu’elle est aussi charismatique, causante et souriante que le mime Marceau un soir de déprime … Moi je vois qu’une explication, c’est qu’elle a fait un putain de bon disque. Qui plus est dans un des genres les plus ringards et moqués aujourd’hui, le folk-rock.

Bon, remarquez je dis folk-rock pour dire quelque chose, parce que si quelqu’un voit la moindre similitude entre ce « Sometimes … » et les skeuds des Flying Burrito Brothers, je passe le reste de mes vieux jours à écouter en boucle l’intégrale de David Crosby. Courtney Barnett, c’est folk parce que ça raconte des histoires, souvent tristes (et personnelles, on sait plus à quel niveau on doit prendre le clown qui fait pas rire du clip de « Pedestrian at best »), c’est rock parce qu’il y a plein de guitares aux sons bizarres, trafiqués, plus proches de Sonic Youth que d’Yves Duteil (et celui qui pense Television a bien raison). La damoiselle cite dans ces interviews des gens éminemment respectables (Lou Reed et le Velvet, Billy Bragg, Neko Case, les Lemonheads, Wilco …). De plus elle a quelque peu gravité dans la galaxie des Dandy Warhols, a repris sur scène un album entier d’INXS (?!), et chante souvent (en fait scande plutôt) comme la Sheryl Crow des débuts, avant que l’Américaine tombe amoureuse de cyclistes dopés (pléonasme) et se la joue à plus de quarante balais bimbo flower-power, mini-jupes et tétons en avant … Autrement dit, Courtney Barnett, c’est pas monolithique, pas un gimmick qui tourne en boucle sur la durée du skeud. Ça part un peu dans tous les sens, tout en restant cohérent d’un bout à l’autre … pas exactement le genre de démarche facile à entreprendre, et encore moins à réussir …
On a quelquefois des machins qui rappellent le Beck (non, pas Jeff, l’autre, le scientologue) des débuts, quand il concassait et malaxait le folk avec des rythmiques proches du hip-hop (« Elevator operator », « An illustration … »), on trouve même à la fin un blues dénudé (la Courney et seulement sa gratte), ça s’appelle « Boxing day blues », et ça sonne surtout pas comme la Tracy Chapman soporifique de l’autre siècle.

La petite australienne s’aventure même dans des titres de sept minutes. Le premier (« Small poppies ») est une ballade qui commence sobrement avant qu’un crescendo de guitares (Barnett ? parce qu’il y a un autre type à la gratte dans son band) y mette un peu d’électricité tordue. Le second titre étiré (« Kim’s Caravan ») m’a tout l’air d’un jeu de pistes musical, où l’on passe de murmures d’instruments dans une ambiance glaciale et dépouillée, voix à la Nico, avant qu’arrivent des guitares lancinantes à la Lou Reed ou Sonic Youth (« Kim » pour Kim Gordon ?) et un final en lourd et lent déluge électrique façon doom metal (« Caravan » pour « Planet Caravan » de Black Sabbath ?).
Mais on trouve aussi plein d’autres choses dans ce skeud au titre en forme d’hymne à la fainéantise. Et du rock, tendance ‘n’roll qui dépote. « Aqua profunda ! », on dirait même du pub-rock tel que le servaient chaud Feelgood ou les Inmates. « Dead fox », on jurerait un tribute aux guitares toute particulières dont FatBob Smith tartinait les disques de Cure, « Debbie Downer », avec son gimmick fabuleux d’orgue vintage (Vox ?), ça fait ressurgir les oubliés amerlos du Paisley Underground, plus précisément les Bangles des débuts (« Going down to Liverpool », ce genre). Avec « Nobody really cares … », on se demande si la petite Barnett ne connaît pas Antoine (c’est les accords des « Elucubrations » avec un refrain façon la version de « Gloria » de Patti Smith), alors qu’avec le hit (ou qui mériterait de le devenir) de rock’n’roll lo-fi « Pedestrian at best », on a droit à une variante du riff de « All day and all of the night » des Kinks. Cultivée, la dame …

Putain que ça fait du bien des disques comme ça …


TWIN PEAKS - WILD ONION (2015)

David Wilson ? Brian Lynch ?
Un groupe de djeuns qui regardent dans le rétro ? Ben ouais … Forcément, y’a plus que ça comme solution, se référer à des temps plus ou moins lointains qui rockaient et roulaient, parce que inventer quelque chose, il semblerait bien qu’on ait fait le tour de la question depuis bien longtemps.
Twin Peaks 2014
Ceux-là, les Twin Peaks, Américains de Chicago, ils sont pas forcément meilleurs que d’autres. Ils ont juste l’air moins engoncés dans un trip de moine copiste, à savoir qu’ils font pas une fixette sur un son, un genre ou une époque bien précise. En d’autres termes, ils se croient pas en 67 ou 73 … Ils sont peut-être plus fûtés que d’autres pour se faire remarquer. Avec leur nom qui renvoie à une célèbre série d’un des types qui comptaient vraiment dans le cinéma des années 80-90, et une pochette visiblement extrapolée d’un des disques (« Wild Honey » 1967) de la période triste-dépressive des Beach Boys de Brian Wilson. Pourquoi pas aussi une allusion à « Wild honey pie » et « Glass onion », deux morceaux à messages énigmatiques de Lennon sur le Double Blanc… Juste des clins d’œil, parce qu’il n’y a rien dans ce « Wild onion » qui fasse songer à Badalamenti, Julee Cruise, de la sunshine pop cafardeuse, ou aux Fab Four …
Non, juste seize titres, pour pile 40 minutes, autant dire que les Twin Peaks ne donnent pas dans le prog tarabiscoté, mais pas non plus dans le punk speedé et crétin. Y’a de la recherche, des envies de construire des chansons plutôt pas mal foutues (ça fonctionne assez bien dans la plupart des cas), de mettre en place des « climats », des « ambiances » (là, c’est un peu plus problématique). Il me semble qu’ils sont plusieurs à chanter (ou alors y’a un super caméléon au micro), et tout ça est emmené par un batteur pousse-au-cul qui me fait beaucoup penser au Keith Moon des early Who …
Twin Peaks 2015 : la famille de nerds s'agrandit
Ces minots (tout juste la vingtaine sonnée) se prennent pas trop le chou, et font visiblement les morceaux qu’ils auraient aimé entendre chez les gens qu’ils aiment bien. Alors forcément, y’a de la référence qui pointe le bout de son nez, on peut au détour d’un titre, d’un son, d’un gimmick, d’un arrangement, voir apparaître l’ombre des Who (« I found a new way »), des Byrds (« Mirror of time »), des Beach Boys (« Sloop Jay D » !!!), d’Oasis (à plusieurs reprises), de Tom Petty (l’étonnant et frappant « Sweet thing »), de Roxy Music (le sax de « Strange world »), d’un T.Rex doo-wop (« Mind frame »), … C’est assez marrant, souvent bien vu, d’une qualité largement supérieure à la moyenne …
Pour moi, y’a quand même quelques petits problèmes … On saisit pas très bien où ils veulent en venir, ça part un peu trop dans tous les sens, et dans un monde musical où tout est de plus en plus hyper-formaté, vont avoir des soucis, les Twin Peaks, pour trouver une chapelle qui veuille de tels messies … Ensuite, ça se délite quand même à mesure que les titres passent, les premiers titres surclassent  ceux du milieu et de la fin, on a l’impression que malgré sa durée modeste « Wild onion » souffre du syndrome du remplissage forcené … Ces jeunots risquent de devenir les Hives de leur génération, brillants mais tournant vite en rond. Et contrairement aux Suédois, ils n’ont pas pour le moment ni l’image cartoon ni une major derrière …

Comme qui dirait un avenir compliqué …



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