DAVID LEAN - LE DOCTEUR JIVAGO (1965)

Mélo au pays des Soviets ...
« Le Docteur Jivago », c’est le genre de films que les programmateurs de télé nous sortent pour les fêtes de fin d’année. Pour plusieurs raisons. D’abord il a été tellement diffusé que les droits doivent plus être très chers. Ensuite, comme il dure trois heures vingt, t’as vite fait de remplir tes plages horaires de l’après-midi. Et puis, programmer « … Jivago », ça mange pas de pain. Du grand spectacle, de grands sentiments, du politiquement correct. Ouais, présenté comme ça, tu zappes, comme si c’était un vulgaire nanar avec Fernandel. Sauf que « … Jivago », c’est signé David Lean.
Et avec Lean, tu te retrouves à l’épicentre d’un certain type de cinéma. Celui qui se limite à son essence : montrer des images qui racontent une histoire. Lean doit être un arbitre refoulé, ne prend pas parti, n’essaie pas de délivrer un « message » (la marotte de ceux qui privilégient le fond sur la forme). Lean, image après image, veut faire de ses films le spectacle le plus beau possible.
David Lean bien entouré ...
Lean, c’est la triplette consécutive incontournable, « Lawrence d’Arabie », « Le pont de la rivière Kwaï », « … Jivago », celle des succès populaires énormes (durant la fin des années 50 et le début des années 60, lorsque des foules compactes se pressaient sans discontinuer dans les salles obscures), celle des budgets aux montants indécents, celle des montagnes de statuettes gagnées aux Oscars. Le genre d’apothéose dans une carrière dont beaucoup, même s’ils préfèreraient mourir que l’avouer, rêvent. De ces trois films, « … Jivago » est peut-être le plus abouti. Parce qu’il combine les points forts de « Lawrence … » et « … Kwaï », la gigantesque fresque centrée sur un personnage, et l’étude des relations humaines dans un petit groupe d’individus. Avec comme dénominateur commun à tous cette mise en scène dans des espaces vierges démesurés …
Faut dire qu’à la base de « … Jivago », y’a du matos. L’œuvre du même du nom, considérée comme la meilleure de Boris Pasternak, tout auréolé de, excusez du peu, un récent Prix Nobel de littérature. Autrement dit, les fondations du scénario sont plutôt solides. « … Jivago », le bouquin, je l’avais lu au collège, des années avant de voir le film, et j’avais gardé un grand souvenir de cette épopée romanesque. Le film, au début, il m’avait déçu. Il ne commençait pas comme le bouquin par cette scène poignante de l’enterrement de la mère de Youri Jivago, mais par la fin chronologique de l’histoire, la quête par demi-frère de Jivago (haut dignitaire du Parti Communiste) de sa nièce … Et puis, « … Jivago », le film, c’est un truc qui s’apprivoise, ces trois cent minutes la première fois te filent le vertige, le tournis. Tu sais plus où donner des yeux et des neurones et tu subis, t’apprécies pas …
Pas mal, le casting ...
« … Jivago » est un film où rien n’est laissé au hasard. Pas une image, pas un plan, pas une scène, n’est là par accident. C’est la quête de la perfection, du détail dans les grands espaces, qui en font un truc assez unique. Lean s’efface devant ses personnages et leur histoire, met toute sa technique (et des moyens financiers assez conséquents, il faut bien dire) à leur service. Lean s’efface même devant l’Histoire, la vraie, la grande, et pourtant tout le film s’articule autour d’un des événements les plus cruciaux du siècle passé, la Révolution Russe. Y’avait de quoi s’embourber dans « l’interprétation politique » à deux balles, subjective comme c’était possible en ces temps de Guerre Froide, et on connaît, et pas des moindres, qui ont fait sombrer leurs films dans la ridicule analyse manichéenne à deux balles ou le maccarthysme le plus vil …
Lean suggère plus qu’il nous montre vraiment la vie fastueuse des salons bourgeois du temps des Romanov, la boucherie de la Première Guerre Mondiale, la folie sanguinaire des premières années révolutionnaires. Lean ne prend pas parti, mais s’attache à reconstituer avec une minutie de détails des années historiques cruciales. La reconstitution (en Espagne et en Finlande) de quartiers entiers de Moscou, allant même jusqu’à suivre, à mesure que le temps passe, les changements qui affectent l’écriture cyrillique sur les panneaux signalétiques ou les vitrines des commerces, c’est le genre de choses que peuvent même pas se permettre des Cameron ou des Scorsese aujourd’hui. Lean est un maniaque total, plus encore que son compatriote Kubrick. Bon, faut dire que derrière, aux pépettes y’a du lourd. Rien moins que Carlo Ponti, stakhanoviste des productions, toujours prêt à dégainer son chéquier, qu’il s’agisse d’un film tchèque indépendant ou d’un blockbuster annoncé comme « … Jivago ». Inconvénient (enfin façon de parler, c’est le genre d’inconvénient que des millions d’hommes auraient voulu dans leur plumard), la femme de Ponti s’appelle Sophia Loren et Ponti exige qu’elle ait le rôle féminin principal, celui de Lara. Laquelle Lara a dix-sept ans lors des premières scènes où elle apparaît, la Sophia la trentaine plutôt sonnée.
Le mari, la femme et la future amante ...
Il faudra tout le flegme britannique, mais aussi la diplomatie et la persuasion de Lean pour imposer dans le rôle de Lara, la peu connue Julie Christie. Qui s’en sort mieux que bien, il y a au cœur de sa beauté blonde indolente un regard et deux yeux d’une expressivité hors norme par lesquels passe toute la panoplie des sentiments, de la résignation de ses débuts dans le monde aux bras du pervers Komarovsky, à sa détermination à survivre avec sa fille dans un monde hostile pour tous, en passant par cette passion qui la dévore lorsqu’elle retrouve Jivago. Jivago, c’est Omar Sharif, passé en quelques années d’une ascension fulgurante des films à l’arrache égyptiens de Chahine, à un second rôle dans « Lawrence d’Arabie » avant que Lean en fasse la vedette de « … Jivago ».
Youri Jivago, c’est le type qui subit tant qu’il n’est pas fou d’amour pour cette Lara qu’il n’a fait qu’apercevoir à Moscou, avant de la retrouver professionnellement comme infirmière volontaire sur le front, et puis des années plus tard dans une petite ville perdue de l’Oural, où se cache celle qui est devenue la femme de Strelnikov, bolchevik sanguinaire qui traque les Blancs dans les immenses étendues enneigées. A partir de là, Jivago va prendre son destin en main, lui le bourgeois marié et aimé (excellente Géraldine Chaplin), sombrer dans une passion dévorante et tout risquer (foutre sa famille en l’air, déserter quand il est réquisitionné, vivre en marge du pouvoir alors que son demi-frère en est un haut dignitaire qui voudrait l’aider).
Un certain sens des paysages et du cadrage ...
Le cœur de l’histoire c’est évidemment le mélodrame qui se joue entre Jivago et Lara, rythmé par un thème musical obsédant, et gros succès en tant que tel, signé de Maurice Jarre (une statuette pour lui aussi). Mais pas seulement, puisque le film débute lorsque Jivago a sept ans et se termine après sa mort, prenant l’allure d’une fresque sociale, humaine, sur un demi-siècle politique et historique en Russie.
Et puis les films de Lean, c’est comme ceux de John Ford. Même si t’aimes pas les personnages et l’histoire qu’ils racontent, il te reste quand même une succession d’image et de plans plus grandioses les uns que les autres. Autant l’Anglais que l’Américain sont les grands maîtres des perspectives et des arrière-plans démesurés de ces années 50-60, qui constituent l’apogée et l’âge d’or du cinéma « classique ».
« Le Docteur Jivago », dûment restauré et remastérisé est maintenant proposé dans une version BluRay assez exceptionnelle. Seul reproche, les bonus (notamment une version commentée du film par Sharif, la fille de Lean et quelques autres est en VO, et là, faut avoir un sacré courage ou un super niveau en anglais pour tenir plus de trois heures) sont pas vraiment à la hauteur de ce film d’exception…


Du même sur ce blog :


FOALS - TOTAL LIFE FOREVER (2010)

Foals on the hill ?
C’est la putain de misère, j’vous dis moi … Je plains les mecs qui écrivent dans des canards musicaux et qui doivent se fader tous les trucs qui sortent … ce qu’ils prennent par les oreilles, les pôvres … Doivent se bousculer pour prendre la place du préposé aux rééditions, ou alors se partager les vieux skeuds qui ressortent, sinon y’a de quoi déprimer sévère …
Bon, vous me connaissez, vous me voyez venir avec mes grosses savates, un disque des Foals (des qui ? bougez pas, on y arrive …) sous le bras. Les Foals, un sac sur la tête, les mains attachées derrière le dos, et tu demandes au premier djihadiste qui passe de les décapiter au yatagan rouillé sans autre forme de procès. Je devrais pas écrire ça, je vais encore me faire repérer par un cyber-keuf et voir arriver chez moi au petit matin blême une escouade de pandores qui vont tenter de me faire avouer où se planque le mollah Omar … Déjà que ces types, les Foals, existent encore sans s’être endettés en frais de justice jusqu’à la trentième génération relève du prodige. Parce qu’avec une pochette comme ça, si Courtney Love-Cobain y tombe dessus après avoir pris une poignée de coke et un énième râteau de Billy Corgan (faut être sacrément raide déf, pour essayer de se faire cette grande asperge chauve, mais bon, chacun son truc …), donc si la Yoko Ono grunge a pas lâché ses avocats pour plagiat de la pochette de « Nevermind », putain le cul bordé de nouilles qu’ils ont, les Foals …
Y'a pourtant vraiment pas de quoi être fiers ...
Oh et puis … comme c’est Noël, le bon Dieu, le petit Jésus, la Miséricorde, et tout ce bordel religieux qui te pousse au pèlerinage au supermarché du coin rayon cholestérol, ou bouts de plastoc cancérigènes pour petits nenfants (imaginez, les moutards, ils ont, à peine venus dans ce bas monde, le choix entre les métastases sponsorisées par Ken, Barbie et Nestlé, ou s’ils en réchappent 212 trimestres à pointer à Pole-Emploi … y’aurait des façons plus drôles de démarrer dans la vie, hein, bon … remarquez je m’en fous…), je vais faire ma Mère Teresa et pas en dire de mal… Bon, si un peu, quand même, sinon je perds le peu de crédibilité et de lecteurs qui me restent.
Les Foals sont Anglais et ont sorti leur première rondelle en 2007 ou dans ces eaux-là… ça y est, vous les voyez venir, les boulets (quoique, ça aurait pu être pire, ils auraient pu être de Brooklyn) ? Les Foals n’ont que peu d’arguments en leur faveur, mais il doit bien se trouver quelque part sur le web trois clampins qui ont fondé leur fan-club et qui vont diront, au risque de se claquer les quelques neurones valides qu’il leur reste, que les Foals, c’est grandiôôôse … faut pas déconner …
En voilà de belles baudruches ...
Les Foals, c’est pas plus mauvais que nombre de leurs congénères, mais c’est guère meilleur non plus. Pour se donner bonne conscience et enfumer quelque puceau musical qui passerait par là, ils se proclament fans de Joy Division et de Portishead. Que celui qui entend dans cette rondelle la moindre chose qui rappelle l’épileptique pendu ou les tristos de Bristol me le fasse savoir, y’a mon mépris et l’intégrale de Yes (putain, y’avait longtemps, ça fait du bien) à gagner… Les plus malins ou les moins bourrés auront remarqué que Joy Div et Portimachin ça renvoie aux années 80 et 90. Le NME, Pitchfork et les Inrocks en ont évidemment fait des génies, s’esbaudissant à qui mieux mieux sur le talent des Foals. Pensez, ils étaient signés chez Sub Pop, label d’habitude gage de sérieux et de rock’n’roll dans ta face, même si les Foals c’est pas sérieux et encore moins rock’n’roll. Il faut reconnaître à ces cinq gugusses au moins une bonne idée. Celle d’avoir mis leur meilleur titre d’entrée sur le skeud … parce que s’ils l’avaient foutu à la fin, je sais pas qui de normalement constitué aurait poussé le vice à écouter la onzième plage de ce genre de rondelles. Tandis que là, après avoir entendu ce « Blue blood » sorte de new wave madchestérisée chantée par le mec de TV On The Radio (ça, c’est du descriptif, hein, avouez ...), on se dit qu’ils ont peut-être été capables de faire aussi bien quelque part sur ce skeud … Ben non, y’a deux-trois trucs qui se laissent écouter et les autres uniquement si on a envie de se faire le trip nostalgique Top 50 – Desireless – Luna Parker (gaffe à l’atterrissage, c’est du violent …).
Ma magnanimité sera  cependant accordée à « Spanish Sahara », malgré un final à la U2 des mauvais jours et à « Alabaster », même s’il me semble totalement pompé sur un truc dont j’arrive pas à me souvenir. Le reste, vaste soupe à la grimace sonore, renvoie dans les meilleurs des cas à de fades imitations des Talking Heads, Peter Gabriel ou Bowie dans leurs périodes eighties, ce qui de quelque part qu’on l’envisage n’est pas vraiment une bonne idée, avec quelques fois pour achever de gâter la sauce, des effets radioheadiens …
C’était pas forcément mieux avant, mais c’était moins chiant …

Et que sont les Foals devenus ? Aucune idée …


En écoute et plus si affinités ici


JACQUES DEMY - LES PARAPLUIES DE CHERBOURG (1964)

Chanté sous la pluie ...
Des films musicaux, il a bien dû y en avoir en France avant « Les Parapluies … ». Mais quand on voit que les acteurs-chanteurs de la préhistoire cinématographique par ici c’étaient Maurice Chevalier et l’improbable Fernandel, je préfère ne rien avoir vu de tout çà.
Demy, c’est différent. Il fait en gros partie de la Nouvelle Vague, et son inspiration artistique vient de tous les musicals américains, où là, depuis l’avènement du parlant, il y a quand même eu du lourd. Des chansons chorégraphiées par Busby Berkeley dont une seule vaut l’intégrale des clips de Miley Cyrus et consœurs, en passant par les superstars Astaire et Kelly, jusqu’au récent remake version gangs newyorkais de Roméo et Juliette par le génial touche-à tout Robert Wise, Demy avait de sacrés challenges à relever.
Deneuve, Castelnuovo & Demy
Non content de se lancer dans un genre peu prisé par ici, il va pousser le bouchon encore plus loin en faisant des « Parapluies … » un film dont tous les dialogues seront chantés. Une entreprise un peu folle, surtout qu’il faut faire doubler tous les acteurs par de vrais chanteurs (quiconque a en mémoire les « chansons » interprétées par Deneuve, qu’elles soient de Gainsbourg ou de Malcolm McLaren, mesure l’ampleur de la tâche qui attendait Demy). Résultat logique des courses, alors que comme tout le monde (enfin, ceux de la Nouvelle Vague), il se tourne vers de Beauregard pour le financement, il va se faire rembarrer par ce dernier et ne trouvera son salut que dans les (moins nombreuses) pépettes de la productrice Mag Bodard qui se lance quasiment dans le métier à cette occasion.
« Les Parapluies de Cherbourg » multipliera les paradoxes. Pour commencer celui d’un film totalement désuet lors de sa parution (un mélo provincial chanté avec des personnages qui semblent sortir des romans courtois du Moyen-Age), et qui ne prendra pas une ride, allant même jusqu’à se bonifier avec le temps.
La Reine Deneuve
Paradoxe également d’un film totalement kitsch (‘tain, ces décors font vraiment mal aux yeux, genre maison de poupées) et politiquement contemporain (la guerre d’Algérie et ses conséquences humaines et sociales). Rappelons qu’on était en plein gaullisme triomphant, arrogant et méprisant (les « veaux » de De Gaulle valent bien les « casse-toi pauv’ con » ou les « sans-dents »), maintenant la France sous une chape de plomb, avec un général au pouvoir, un ministère de l’Information (sous-entendu de la censure). Rappelons pour en rester dans le domaine cinématographique que « Les sentiers de la gloire » fut interdit suite à des « pressions diplomatiques » pendant vingt ans, sans parler de « La bataille d’Alger ». Rappelons aussi que c’est de cette époque et des pantins qui nous gouvernaient dont « l’écrivain » Zemmour (philosophe de comptoir, penseur de chiottes, historien de cour de récréation et sociologue de club de vacances), est nostalgique. Tout çà pour dire qu’en 1964, coller à l’actualité est plus que rare, et le traumatisme durera des siècles (alors que les Ricains par exemple sont totalement décomplexés par leur Histoire récente et pas toujours glamour, et n’hésitent pas à la mettre en scène, les Français à de très rares exceptions ne le font pas de la leur, et à plus forte raison si elle a moins de cent ans). Tout ça pour dire que « Les Parapluies … » est aussi un film politique … subtil, raison pour laquelle il a évité les coups de ciseaux …
Paradoxe d’une distribution de quatrièmes couteaux dont sortira Catherine Deneuve, l’une des plus grandes, si ce n’est notre plus grande actrice, qui crève l’écran du haut de ses vingt ans, et qui vieillit quand même nettement mieux que sa quasi contemporaine Bardot. Et qui doit faire face dans « Les Parapluies … » à des comédiens que pour être gentil on qualifiera de très moyens.
Autre paradoxe, ce film qu’aujourd’hui on qualifierait d’indépendant, et qui est par moments de façon un peu trop voyante une publicité pour Esso. Certes les pétroliers ont du mettre quelques biftons dans la prod, mais Castelnuovo (le premier amoureux de Deneuve-Geneviève dans le film), travaille dans un garage de la marque avant l’armée, y revient à son retour, s’installe à son compte sous leur enseigne, et son fils  vers la fin joue du tambour sur un bidon … Esso. Ca fait beaucoup …
Vernon & Deneuve
L’histoire des « Parapluies … » est pour l’époque subversive en bien des points. Une jeune mijaurée se fait mettre en cloque avant de se marier, et une fois la fille de cette union née, épouse un riche bellâtre falot, se désintéressant de son premier amour qui ne l’a pas oubliée. Et celui-ci, soldat plus ou moins valeureux (même si le contenu de ses lettres n’est pas vraiment un modèle de patriotisme), quand il revient d’Algérie, sombre dans la bibine, envoie chier son patron, et fréquente les bars à putes. Tout ça vingt cinq ans avant « Né un 4 Juillet » d’Oliver Stone …
« Les Parapluies … » est un film fauché. Qui ne s’en cache pas, ce qui le rend encore plus sympathique. Les contrastes sont voulus et exacerbés par Demy (comment pourrait-il en être autrement), entre les couleurs vives et criardes des intérieurs et l’aspect pisseux des rares scènes filmées en extérieur (y’a des excuses, on est à Cherbourg, c’est la Bretagne en pire)… Parce que Demy a, sinon du talent, au moins de bonnes idées, et on s’en rend compte dans la première scène qui voit défiler le générique, avec ce plan en plongée sur ce parapluies qui se hâtent sous l’averse.  En plus d’avoir des idées, Demy a aussi de la suite dans celles-ci. « Les Parapluies … » est pour lui le second volet d’une trilogie commencée avec « Lola » (évoquée par le bellâtre Marc Michel comme son premier amour, et par un court plan d’une cour intérieure où ont lieu des scènes déterminantes de ce premier film). Le troisième volet sera l’oublié « Model shop » (et non pas comme beaucoup le croient « Les demoiselles de Rochefort »). Tiens, et tant qu’à vouloir faire mon malin, on a souvent affirmé que « Les parapluies … » se démarquait de toute influence des autres films musicaux déjà parus. Il y a quand même une scène, filmée en plongée, quand Deneuve se fraye un passage parmi les danseurs du Carnaval, qui me semble un copier-coller parfait d’une de « Orfeu Negro » de Marcel Camus …
Deneuve & Michel
Et pour en finir, puisque « Les Parapluies … » est un film musical, deux mots sur la musique. Signée du suffisant Michel Legrand. A force d’entendre dire à droite et à gauche qu’il était génial, il a fini par le croire et c’est devenu une évidence. Bon, moi il m’a toujours gavé avec ses ritournelles molles, et celles des « Parapluies … » risquent pas de me faire changer d’avis. On craint même au début avec le premier morceau de devoir se fader un truc genre big band de jazz. En fait non, le gimmick suprême du film, c’est de répéter ad nauseam le leitmotiv d’une unique phrase musicale, plutôt mignonne, mais assez loin de Mozart ou Chopin … D’un autre côté, les pointures françaises de musiques de film, on les cherche encore (qui a dit Eric Serra ?)…
Curieusement, alors qu’à partir des années soixante le film musical disparaît quasiment des écrans (sauf à Bollywood), Demy va obtenir l’autre succès de sa carrière avec « Les Demoiselles de Rochefort ». Encore un autre paradoxe qui touche à la carrière de ce grand artisan quelquefois oublié du cinéma des 60’s.
Conclusion : « Les Parapluies de Cherbourg » c’est bien, voire plus, mais ça vaut pas « Saturday night fever » …


FOO FIGHTERS - SONIC HIGHWAYS (2014)

Le classic-rock des années 2010 ?
Dave Grohl est un type bien. Alors qu’il doit avoir mis sa famille à l’abri du besoin pour des générations grâce aux royalties de Nirvana et des Foo Fighters, il se la joue pas jetsetter arrogant, qui continue dans le music business juste pour la caillasse. On le voit pas tirer une tronche de dix mètre sur scène ou sur les photos, et il est toujours prêt à cabosser une batterie si on lui demande (QOTSA, Probot, voire derrière Sir Macca pour une reprise d’un classique de Nirvana). Ce type, pour moi le meilleur batteur de rock vivant, prend son pied guitare en main quand c’est lui qui mène la danse avec les Foo Fighters.

Et mine de rien, ce chien fou des années 90 est devenu un dinosaure du rock. Parce qu’il est toujours là (des nouvelles de Soundgarden, Pearl Jam, Smashing Machins , QOTSA ou Radiohead ?), et peut-être parce qu’il s’est jamais embourbé dans la cérébralité, la conceptualisation, ou l’auto-glorification de son auguste personne (j’ai les noms …). Les Foo Fighters, ça casse peut-être pas trois pattes à un canard, mais au moins tu peux poser n’importe lequel de ses disques sur la platine, tu vas pas te faire chier au bout de deux titres … Du bon rock sans prétention …
Jusqu’à ce « Sonic Highways » … comme faute de combattants, il est quelqu’un qui « compte » maintenant, il se retrouve avec ses Foo Fighters à la tête d’un projet balèze. Le concept (aïe), c’est à travers huit titres de capter à chaque fois « l’essence » d’une ville qui a compté dans la carte du rock US. En se faisant « aider » par une figure locale, généralement de la six cordes, et le plus souvent plus un perdreau de l’année (on est tout à coup ravi que Clapton ou Santana soient pas nés aux States), ce qui peut conduire à des morceaux avec 4 (quatre !) gratteux (enfoncés, les Ramolly Hatchet). Et cerise confite sur le cake aux raisins, chaque escapade citadine donnera lieu à un doc d’environ une heure payé et diffusé par la chaîne HBO. En gros ce que dans les années 80 on appelait un projet multimédia. Rajoutez à la production une des figures de proue des 90’s aux consoles (Butch Vig, pousseur de boutons pour Nirvana ou Garbage), et on s’attend à voir débarquer la grosse machine de guerre qui va récolter le brouzouf, avec une partie musicale plus ou moins à la ramasse …
Bon, « Sonic Highways », ce sera pas le disque du siècle. Mais c’est loin d’être de la daube. D’abord, y’a un son qui risque de faire date, qui déchire bien sa race comme disaient les jeunes à l’époque, une puissance de feu décibélique assez impressionnante. Les compos, on peut bien leur reprocher d’être assez mainstream, de vouloir plaire aux « kids » (le serpent du mer du wockanwoll, tout le monde en cause, s’adresse à eux, mais personne en a jamais vu un) et à leurs parents, voire leurs grands parents, s’ils étaient pas fans des concerts du Grateful Dead. Du consensuel, oui, mais dans des genres assez pointus, le titre « The feast and the famine » pouvant passer pour du hardcore centriste. Généralement, les morceaux sont très typés 90’s, nostalgie quand tu nous tiens. A noter quand même que Grohl peut se le permettre, parce que le son des 90’s, il y était un peu beaucoup au cœur.

Malgré ce, j’ai rien trouvé dans « Sonic Highway » qui me force à appuyer frénétiquement sur la touche Repeat. C’est correct, voire très correct, ça reste dans la ligne Foo Fighters, et évidemment, vu les moyens engagés, ça sonne très carré, très pro (c’est pas une insulte). De temps en temps, des influences assez évidentes remontent à la surface, le phrasé du Bowie des 70’s au début de « Something for nothing », allant même jusqu’à un démarquage du « All the young dudes » (sur le très glam « What did I do ? / God as my witness »). L’essentiel est cependant bien ricain, bien classic rock (« Congregation »), jusqu’à un final épique (7 minutes), ce « I am a river » comme un mix réussi entre le Springsteen de « Born in the USA » et les U2 dans leur période américaine (« The Joshua tree »).
Vu les moyens déployés, on peut sans trop se mouiller annoncer que les Foo Fighters seront les incontournables têtes d’affiche des festivals de l’été prochain. Live et en formation moins pléthorique, les titres de ce « Sonic highways » devraient bien envoyer le bois. On peut aussi, et c’est un sacré bon point par ces temps de délayage permanent, savoir gré à Grohl de s’être cantonné à huit titres et quarante minutes, alors qu’il aurait été facile au vu des moyens engagés de se vautrer dans un interminable double Cd.

PS. Même si le batteur crédité sur tous les titres est l’habituel Taylor Hawkins, y’a un tel niveau de drumming sur « Outside » que je serais pas surpris si c’était sur ce titre Grohl aux baguettes.
Et la pochette, collage-montage de monuments remarquables des villes "inspiratrices", elle me fait bigrement penser à celle de "Breakfast in America" de Supertramp ...


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VICTOR FLEMING - CAPITAINES COURAGEUX (1937)


Ohé, Ohé, Capitaine abandonné ...
« Capitaines courageux », c’est le genre de vieux films longtemps acclamés qu’il vaut mieux regarder en s’efforçant de le replacer dans son époque, son contexte. En d’autres termes, c’est un film qui vieillit mal, un peu neuneu aujourd’hui.
N’empêche … Après sa sortie, il a été désigné comme un des dix meilleurs films de tous les temps … « Capitaines courageux » est un film qui véhicule un message positif universel. Un peu comme les films de Capra, la poésie en moins. Mais force est de reconnaître que c’est bien foutu, même si les ficelles tire-larmes sont relativement grosses. « Capitaines courageux », c’est un film sur les valeurs humanistes, l’amitié, la vie, la mort …
Victor Fleming & Spencer Tracy
Derrière la caméra, un cador. Qui entame avec ce film un brelan d’années et de films à énormes succès, et on peut abuser des superlatifs, là, puisqu’il s’agit du « Magicien d’Oz » et de « Autant en emporte le vent » (même si pour ce dernier il y a débat, il n’a pas été le seul à tenir la caméra …). Pourquoi « Capitaines … » a cartonné au box-office ? Parce qu’il y a une histoire simple, des personnages empathiques au grand cœur, de l’aventure, et malgré la mort et les larmes, une « bonne fin ».
Au cœur du casting, un de ces « enfants-stars » dont les premières décennies de la boîte d’où sortaient les images étaient friandes (Shirley Temple, Judy Garland, voire Natalie Wood). Ici, c’est Freddie Bartholomew (13 ans lors du tournage, et déjà une longue carrière de succès) dans le rôle de Harvey Cheyne. Curieusement, alors que « Capitaines … » sera son plus gros succès, sa carrière va très rapidement s’étioler et il disparaîtra totalement des écrans bien avant la trentaine sonnée … Totale tête de lard au début du film (fils de richard, arrogant et méprisant, persuadé que tout s’achète dans la vie, et surtout les hommes), complètement déconnecté de toute réalité, c’est lorsqu’après avoir basculé par-dessus bord d’un paquebot de croisière et être repêché par un bateau de pêcheurs qu’il va découvrir des vrais gens et leurs valeurs, et petit à petit s’en imprégner. Ce gosse joue bien et juste. Sans trop en faire, comme c’était pourtant de mise à l’époque.
Et gratte gratte sur ta mandoline ...
La première bonne idée de Fleming, c’est de lui donner un contrepoids d’envergure. Ce sera l’immense (par le talent, parce qu’il était plutôt court sur pattes) Spencer Tracy, pas encore au sommet de sa gloire, mais un de ces acteurs qui comptent et qui verra sa carrière plus que boostée avec « Capitaines courageux » qui lui permettra d’obtenir rien de moins cette année-là que l’Oscar du Meilleur Acteur. Il joue le rôle d’un pêcheur d’origine portugaise (un accent perceptible en VF, beaucoup moins en VO), solitaire autant sur le bateau que sur Terre, et qui va finir par apprivoiser et devenir le mentor de la petite peste qu’il a repêchée. Cette confrontation puis cette amitié entre cette sorte de samaritain et le petit coq prétentieux est le cœur du film.
La seconde bonne idée de Fleming, c’est d’avoir garni son film de « gueules » et de personnages pittoresques. Quelquefois à la limite du cliché, comme le cuistot noir, qu’on fait parler en VF avec l’accent de la vigie du bateau de pirates des Astérix. Mais l’essentiel des autres personnages sont savoureux, Disko le capitaine du bateau (l’incontournable Lionel Barrymore, stakhanoviste des plateaux), son rival Oscar O’Shea (capitaine Cushman), le marin pas facile à vivre (John Carradine, le patriarche de tous les autres Carradine qui ont tourné dans des films), le toujours très élégant Melvyn Douglas (Cheyne père, très bon en milliardaire qui finit par s’intéresser à son fils en tant que tel et non pas seulement en héritier de son immense fortune). Avec également dans un petit rôle un ancien (il a déjà l’âge canonique de dix-sept ans) enfant-star, Mickey Rooney, qui joue le fils de Disko.
Dave Bartholomew & Spencer Tracy
Troisième bonne idée de Fleming et parfois gros challenge technique, tourner les scènes maritimes (la moitié du film quand même) en mer, et non pas en studio avec des effets spéciaux limités à l’époque et risibles aujourd’hui. Le bateau, les barques, et les coups de vent (y’a des vrais marins et pas les acteurs dedans dans ces cas-là), sont vrais. Corollaire, les quelques trucages crèvent trop l’écran, comme quand le bateau de Cushman fonce sur celui de Disko). Un peu logiquement, il adviendra réellement dans les faits ce qui se montre à l’écran, à savoir que les conditions somme toute éprouvantes du tournage créeront des liens d’amitié très forts entre tous les participants, alors qu’au départ un acteur où un technicien est là pour faire son boulot, et pas spécialement pour devenir pote avec les autres …
Evidemment, l’impact du film est renforcé par son aspect dramatique (si vous l’avez pas vu, je vais pas vous dire qui crève avant la fin, mais bon, c’est un peu cousu de fil blanc) qui ne fait pas vraiment dans la demi-mesure. Une mise en scène finalement bien de son temps, où l’on recherchait plus à faire vibrer les cordes sensibles des spectateurs plutôt qu’à leur en foutre plein la vue et les oreilles, même si « Capitaines courageux » était pour l’époque un film à grand spectacle …

Ah, et puis le film est tiré d’un bouquin (pas son plus célèbre) de Rudyard Kipling, et le vieux tâcheron anglais Michael Anderson en a fait un remake dans les année 90. Aux dires de ceux qui ont vu les deux, il aurait pas dû…


Du même sur ce blog :


JOHNNY CASH - AT HIS MIGHTY BEST Vol. 1 (1991)

MIB ...
Johnny Cash … Le Man In Black original… Une carrière longue comme un jour sans amphétamines, et pour celui qui aura passé l’essentiel de sa vie à se comporter comme un redneck pur jus, une reconnaissance sur le final comme un type sommet de coolitude … étrange perception d’un gars qui pourtant n’aura guère perdu de temps à essayer de brouiller les cartes. Cash, c’est (forcément) du direct, sans trop de fioritures.

Cette compile light, premier volet d’un triptyque consacré à ses années Sun Records (58 à 64), est loin d’être cruciale, même si elle recouvre une de ses périodes (avec la dernière sous l’égide de Rick Rubin) où pas grand-chose n’est à jeter. Les compilateurs se sont pas foulés, vingt titres pour un peu plus de quarante minutes, loin de toute considération chronologique, livret squelettique … Parue au début des années 90, quand L’Homme en Noir (et le reste de l’écurie Sun), étaient totalement out, ringards ultimes. On en était aux types en pantacourts qui faisaient du grunge (Nirvana et ses suiveurs), une bouillasse affublée du terme de fusion (les Red Hot Machin, les Rage Against Bidule), ou à l’opposé avec des zozos en survêt orange à capuche qui poussaient des disques accompagnés de montagnes d’ordinateurs … Sun Records était un label ayant cessé toute activité depuis plus de vingt ans, élément d’un puzzle qui à coups de rachats, de reventes, de fusions d’entreprises, allait contribuer à mettre en place le monde merveilleux de la World Company musicale que l’on connaît. La FNAC, qui en plus de vendre des Cds en fabriquait, distribuait sous licence des choses dont pas grand monde voulait, le fonds de catalogue Sun entre autres … A l’époque et hormis Presley (la grosse machine RCA sortait du disque du King à la pelle) quasiment le seul moyen d’avoir sur une rondelle argentée des titres des « pionniers ».
Johnny Cash aux débuts donc. Musicalement, le plus blanc de tous (même Carl Perkins se laissait parfois tenter par des arrangements jazzy ou bluesy). Aussi le moins « and roll » du lot. Cash venait de la country roots et ne perdait pas une occasion de revenir vers son idiome d’origine. Un peu à part au milieu des gloires de Sun. A côté des bigleux (Perkins, Orbison), du grassouillet (Presley), du cinglé (Jerry Lee Lewis), Cash, lui, c’était le Dur. Austère (très vite tout fringué de noir), toujours la mine renfrognée, sa voix traînante de baryton, et son immuable rythme country ralenti et feignasse …

Il a suffi d’un seul titre (« I walk the line ») pour faire de Cash un type qui comptait, et d’un seul autre (« Folsom prison blues ») pour asseoir sa légende. Les deux sont présents ici (ce premier volet de la compile est d’assez loin le meilleur des trois). « I walk … » tout le monde connaît, le morceau qui a défini pour l’éternité le Johnny Cash style. « Folsom prison blues » a fait de Cash le gourou chantant de tous les rednecks qui jouent au dur. A cause d’une phrase : « I shot a man in Reno just for watch him die » (écoutez les acclamations qui la ponctuent sur ses live carcéraux des 60’s). Une phrase prise pour argent comptant, alors que même si Cash n’a jamais eu la réputation d’un type qui se laissait marcher sur les pieds, il semble à peu prés acquis que c’est de la pure fiction.
Cette réputation de type à la redresse, Cash saura l’entretenir et elle ne le quittera plus (son public le plus fidèle, ses « frères », ce sont les taulards Blancs).
Même s’il saura plus tard en jouer, ses débuts ne peuvent pas vraiment être affublés du sticker « explicit lyrics ». Cash fait comme tous les autres, essaye de trouver sa voie originale, son style. Il se cherche. Avant de tourner la page du rock’n’roll lorsqu’il signera chez Columbia, il s’y laisse parfois aller dans ses débuts (« Rock Island line » est un pur et strict rockabilly, « Get rhythm » un bon petit rock’n’roll. Mais on le sent plus naturellement à son aise dans la country. Et là que ce soit ses propres compos (assez rares, Cash n’est pas vraiment un auteur prolixe) ou sur ses nombreuses reprises, sa touche personnelle se remarque assez vite. Tiens, un exemple, allez écouter la scie « I forgot to remember to forget » et comparez sa version à celle du King, Cash tient la route … Il revisite même assez bien les « classiques » du répertoire, notamment ceux de Hank Williams, le premier chanteur de country « moderne » si tant est que les deux mots puissent être accolés. « You win again » ou « Cold cold heart » par Cash valent le détour …

Une compile quand même un peu beaucoup surannée, assez loin d’un vrai Best of, jamais rééditée. On trouve facilement beaucoup plus exhaustif, mieux documenté, avec un meilleur son dans la multitude qui sont dédiées à cette période-là du bonhomme …


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