ERIC ROHMER - CONTE D'HIVER (1992)

Félicie aussi ?
Bon, Rohmer, c’est pas un joyeux … une sorte de Leonard Cohen a qui on aurait refilé une caméra if you know what I mean … Rohmer, à la louche, c’est triste et austère, et c’est pas ses films qu’une major du cinéma va remastériser en version 3D.
D’ailleurs, Rohmer, c’est un indépendant, dès qu’il a eu quatre ronds, il a monté sa propre maison de prod, nommée avec beaucoup d’imagination Compagnie Eric Rohmer. Rohmer, il est connoté Nouvelle Vague. Pour plein de raisons, généralement bonnes. Et même lorsqu’avec le temps, tous les tics chers aux Godard, Truffaut, Rivette, …, s’estomperont de son œuvre, il en restera toujours quelque chose. Comme dans ce « Conte d’hiver ».
Eric Rohmer 1992
Ce qui distingue Rohmer, c’est que toute sa vie il a essayé de mettre sur pied une filmographie structurée, mettant en place des thématiques qu’il développera sur plusieurs films (Contes moraux, Comédies et proverbes, Contes des quatre saisons). Rohmer veut dire des choses en images. Sans tomber dans le cinéma dit social. Rohmer, c’est pas du cinéma-vérité, et pour bien le faire comprendre, plusieurs de ses films ont dans leur titre « Conte ».
« Conte d’hiver », c’est l’histoire de Félicie et de ses amours. Une histoire totalement invraisemblable, mais « réaliste ». Elle commence de façon idyllique sur les plages bretonnes (quand je vous disais que Rohmer c’est pas un joyeux, qui, à part un bénéficiaire des minima sociaux déprimé a envie d’aller passer ses vacances sur un plage bretonne, hein ?), théâtre des amours adolescentes de Félicie et Charles. Très cons, les deux tourtereaux ne prennent pas le temps de se donner leur nom, et au moment de la séparation, Félicie se trompe en donnant son adresse ( !! ), confondant Courbevoie et Levallois (c’était avant les Balkany, les funestes Rapetou de banlieue, sinon, putain, tu risques pas de l’oublier que t’habites à Levallois …).
Levallois ou Courbevoie ?
Cinq ans plus tard, elle élève la fille née de cet amour, rêvant toujours de retrouver le père. Tiraillée entre deux types, Loïc, un bibliothécaire cérébral (avec la même tête que le dispensable Alexandre Jardin jeune) chez lequel elle vit, et Maxence, un amant coiffeur chez lequel elle travaille. C’est finalement avec le Figaro qu’elle partira bosser en province, à Nevers. Certainement pas un hasard, le choix de Nevers, c’est aussi le lieu du flashback du « Hiroshima mon amour » de Resnais. Cette escapade amoureuse provinciale ne durera guère, Félicie reviendra au bibliothécaire, avant, le soir du Nouvel An, de retrouver par hasard Charles dans un bus et de continuer avec lui son histoire d’amour interrompue …
Félicie et Maxence à Nevers ...
Autrement dit, le scénario est très con(te), mais c’est écrit dans le titre. Alors, pourquoi passer un peu plus d’une heure et demie à mater « Conte d’hiver » ? Parce que sous ses aspects j’menfoutiste (l’image est terne, froide, et les amateurs de grands mouvements de louma sont priés de passer leur chemin), Rohmer sait tenir une caméra qui va au fond des yeux et de l’âme de ses acteurs (pas non plus de scope en décors naturels grandioses, y’a une longue discussion filmée à l’intérieur d’une Renault 19 Chamade, c’est dire si c’est pas glamour). Rohmer s’en fout un peu de son histoire, ce sont les êtres qui la vivent qui l’intéressent. Même s’il n’en perd pas le fil (on n’est pas chez Godard), l’histoire ou le conte devrait-on dire, n’est que la trame, passant quelquefois au second plan du film. Rohmer nous « montre » ainsi une longue scène théâtrale du « Conte d’hiver » de Shakespeare (celle de l’être aimé que l’on croyait mort et qui renaît) et un long débat mystique sur l’immortalité de l’âme (dans la R 19). Manière de montrer que la marque de fabrique et l’esprit de la Nouvelle Vague ne l’ont pas quitté. Nouvelle Vague aussi, le jeu très théâtralisé des acteurs (la plupart des amateurs inconnus et qui le resteront) desquels ressort Charlotte Very (Félicie) qui a également peint l’affiche du film …

« Conte d’hiver » est une des œuvres les plus connues de Rohmer, « vivante » malgré son scénario amorphe, un peu trop « jolie » et tire-larmes dans son final téléphoné … Assez loin toutefois du film qui reste pour moi sa masterpiece « Ma nuit chez Maud », où là, il y avait de grands acteurs (Trintignant, Fabian, …).


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